L’Illustre Maurin

Chapitre 44CHAPITRE XLIV Où l’on verra, d’après son propre aveu, quellesétaient les odeurs favorites d’un gueux parfumé, et quellemésaventure les bons gendarmes n’avouèrent jamais.

Lagarrigue chassait de temps en temps avecMaurin les bêtes puantes pour le compte du prince russe. Ilsavaient mis à profit pour cela tout le mois qui avait précédél’ouverture de la chasse. Maintenant la chasse était ouverte onchassait le vrai gibier. Cependant, Maurin voulait une fouine. Etils allèrent ensemble un jour tendre des pièges nouveaux et visiterles anciens.

« Sacrebleu ! disait Maurin àLagarrigue, tandis qu’ils étaient en route pour leur expédition, ilfaut qu’il y ait ici quelque charogne ; ça sent bougrementmal ! »

Et ils cheminaient.

Un peu plus loin :

« Sacrebleu ! dit Maurin, ça senttoujours plus mal. »

Lagarrigue ne répondait pas. Ils cheminèrentencore un peu de temps et Maurin répéta :

« Quelle mauvaise odeur ! c’estdrôle !… Elle est donc partout ! On dirait qu’elle noussuit ? »

Alors, Lagarrigue, très simplement,

« C’est moi, dit-il.

– Comment ! quoi ? qué midies ?

– C’est moi qui sens mal.

– Coquin de sort ! mon homme !c’est toi qui pues de la sorte ?

– Oui, expliqua Lagarrigue. Tu vascomprendre c’est un mal pour un bien !… Il faut sentir commeça, d’après moi, si l’on veut attraper les animaux puants. Pourleur pas faire peur, le mieux est de puer comme eux.

– Et comment t’y prends-tu ?

– J’ai de vieilles pommades que je mesuis fabriquées autrefois avec de la graisse de toutes ces sortesde vilaines bêtes ; et, selon la chasse que je veux faire, jeme graisse la veille, m’étant mis tout nu, tantôt avec de lafouine, tantôt avec de la martre. Mon carnier, je le graisse demême et aussi mon fusil ; enfin je sens mal de partout. Çafait que les bêtes puantes ne se méfient pas de moi. Ne te plainsdonc pas de mon odeur. C’est à elle que ton prince russe devra sacollection. La caque sent le hareng, pardi ! et le pêcheur demorue sent la saumure.

« Pour aujourd’hui… j’ai mis de labelette !

– J’aurais cru, dit Maurin, que c’étaitdu blaireau pourri.

– C’est, dit Lagarrigue sans humilité,c’est de la belette un peu rance.

– Ma foi de Dieu ! repartit Maurin,plutôt que d’être forcé de chasser tous les jours avec toi,j’aimerais mieux, quoique j’aime la chasse par-dessus tout, yrenoncer pour la vie et habiter, cul sur chaise, toute ma viedurant, la bonne ville de Grasse où l’on cultive tous les parfumsde toutes les plus jolies fleurs – et où on les met en bouteille…Toi, par exemple, tu ne sens pas la fleur d’oranger, jeunehomme !

– Allons, ne parlons plus de ça !dit Lagarrigue avec une sorte de pudeur soudaine.

– J’aurai beau n’en plus parler, monpauvre Lagarrigue, tu continueras à m’empester. La partie n’est paségale.

– As-tu, Maurin, fait ma commission aupréfet ? dit Lagarrigue, désireux de changer le sujet de laconversation.

– Pour tes bohémiens ?

– Oui.

– Je lui ai expliqué qu’il fallait leslaisser tranquilles.

– Je l’avais deviné, car on ne leur aplus rien dit.

– Bon ! mais toi, Lagarrigue, nesonges-tu pas à quitter la maudite usine où tu travailles testabacs de contrebande ?

– Si fait, j’ai réfléchi à tes bonsconseils et, dans l’intérêt de mon fils, je vais lâcher moncommerce.

– Tu agiras bien, dit Maurin. On estassez facilement en querelle avec les juges, sans avoir rien faitde mauvais. Mieux vaut donc ne pas les exciter et les laisser dansleur tort ! Dieu – je ne le crains pas, s’il y en a un, parcequ’il sait ce que je me pense dans mon fond, – mais les juges,ah ! bougre de bougre, mon homme ! »

Les jours suivants Pastouré se joignait auxdeux piégeurs, et les trois chasseurs de bêtes nuisibles narguaientjoyeusement les gendarmes.

« S’ils savaient comme tu sens, lesgendarmes, pechère ! disait Maurin à Lagarrigue, ils nousretrouveraient vite en nous cherchant à bon vent, sanschien ! »

Les gendarmes maintenant recherchaient aussiPastouré, coupable de les avoir égarés à sa suite, en prenantl’habit de mousquetaire. Le pauvre Parlo-Soulet tombait en outresous la prévention d’un délit caractérisé. « port illégald’uniforme » car le pourpoint de mousquetaire est un desuniformes officiels des bravadeurs.

Mais les trois habiles piégeurs se déplaçaientsans cesse et couraient dans un maquis si rude que le diable ne s’yserait pas retrouvé.

Pour l’heure on n’entendait plus parler deGrondard.

Quant à Tonia, elle rejoignit plusieurs foisson Maurin dans des agachons qu’il s’était enfin construits à lacime de quelques grands pins séparés par d’énormes distances. Il enavait à Collobrières et à la Garde-Freïnet et partout. Sur les brasénormes et largement ouverts de ces arbres, les plus vieux et lesplus rameux qu’il eût pu trouver, ils avaient établi des espèces deplates-formes faites de branchages entrelacés ; et là-hauttout en surveillant les environs, souventes fois, Maurin avaitmurmuré à sa belle le joli couplet de la chanson du roid’Aragon[4] :

Y’a ren qué lis estélo

Qu’an vis

Lou parèu amourous

Din lou nis.

Lis an vis

Si douna la bécàdo

Coumo d’ôoucèu ôou nis

Si douna la bécàdo

Coumo d’ôoucèu ôou nis !

De ces cachettes, les gendarmes eurentconnaissance par Grondard qui, têtu, acharné à sa rancune, necessait d’épier Maurin.

« Il en a une dans le petit bois deM. de Brégançon. Je l’ai vue.

– Voulez-vous nous y conduire.

– Je ne me soucie pas de m’exposer… Vousla trouverez aussi bien tout seuls, car le bois est petit ;mais comme il est très épais, j’ai laissé près de la cachette uneremarque. Pas loin du pin sur lequel est la cachette deMaurin, au beau mitant du bois, il n’y a que deux ou troischênes-lièges… et dans l’écorce de l’un d’eux j’ai fait au couteauune entaille, et dans l’entaille j’ai piqué une branchetted’arbousier. Elle est piquée du côté qui fait face à la cachetteque vous cherchez. »

Sandri et un de ses camarades passèrentsouvent par là sans parvenir, malgré toute leur bonne volonté àtrouver la remarque.

Le petit bois n’était pas si petit qu’avaitbien voulu le dire Grondard. Et puis, était-ce bien celui qu’ilsavaient cru comprendre ? Un jour ils résolurent de trouver àtout prix la fameuse cachette.

Quand ils la connaîtraient, ils inventeraientquelque moyen d’attirer Maurin dans ces parages ; ils lepoursuivraient, d’une façon maladroite en apparence, afin de luidonner le temps de s’y réfugier ; puis ils l’assiégeraient, secroyant certains de le prendre au nid.

Ce jour-là donc, les deux gendarmes partirentallègrement en reconnaissance. Arrivés sur le lieu de leursrecherches, ils se séparèrent afin de battre, dans un même temps,double espace de terrain.

Il fut convenu que chacun d’eux parcourraitavec soin le versant opposé de la colline dite : le bois deM. de Brégançon.

Plus attentifs malgré eux, chacun de son côté,à regarder au sommet des pins qu’à chercher la remarque,la branchette d’arbousier piquée dans le tronc d’un chêne-liège,ils s’oublièrent l’un l’autre…

Tout à coup, Sandri aperçut le rameaud’arbousier. Il s’avança, c’était bien la remarque. Ilappela son camarade ; rien ne répondit.

« Bah ! il reviendra tout à l’heure.Découvrons avant tout le nid du vilain oiseau ! »

Le nez en l’air, il le chercha longtemps et nel’aperçut point. À force de lever ainsi le menton, il fut bientôtfatigué. Le cou lui faisait mal. Il résolut de prendre un peu derepos. Il s’assit donc sur la terre, capitonnée de feuillestombées, et, le dos contre un vieux pin, son imposant chapeau poséprès de lui, il s’assoupit.

Il fut réveillé par la chute d’une pigne qui,tombant sur le redoutable chapeau avec un bruit caverneux, ledéprima et resta dans la dépression…

Le gendarme regarda la pigne : elle étaitverte.

« Un écureuil ! » dit-il.

Et par curiosité toute naturelle il chercha àvoir l’écureuil là-haut, parmi les branches entrecroisées.

Il savait que l’écureuil, à l’instar duvire-pierre, tourne autour des troncs ou des branches de façon àles mettre toujours entre lui et le regard du chasseur. Il tournadonc lui-même autour de l’arbre.

« Le voici, non ! – ici, cette fois…non ! – il me semble bien pourtant qu’il a bougé là-haut…non !… Madone ! s’écria tout à coup intérieurementSandri, madone ! en cherchant l’écureuil, j’ai trouvé l’oiseauque je cherche ou du moins son nid ! »

Sandri croyait voir, en effet, tout là-haut,des barres de bois horizontales, rigides, traverser les branchesobliques de l’arbre. Toutefois, si ces perches avaient été portéeslà-haut, elles étaient si habilement masquées par des verduresrapprochées, qu’il doutait encore.

« Allons voir ! »

Il retira et posa à terre sa tunique, puis semit en devoir de grimper.

Ce ne fut pas très facile. Cependant, s’étantfait un escabeau d’une grosse pierre, il parvint à atteindre unmoignon de branche cassée et se hissa dans l’arbre à la force despoignets… Autre tronçon, un peu plus haut. Il l’empoigna et mit unpremier échelon sous son pied. Le reste ne fut plus qu’un jeu… Ils’élevait lentement, mais sûrement…

« Une plate-forme de la largeur d’un lità deux places ce doit être ça ! Mais si le bougre dortlà-haut, des fois, la nuit, il faut vraiment qu’il s’attache pourne pas tomber ! »

Sandri avait bien vu tout d’abord, laplate-forme était faite de soliveaux assez rapprochés, et, entreeux, les intervalles étaient bourrés de feuillages ; quelquesmenues branches du pin, très feuillues, ramenées de forceau-dessous de la construction, la rendaient presque invisible.

« Allons voir comment est fait ledomicile de ce satané bandit. »

Sandri, arrivé enfin juste au-dessous de laplate-forme en saisit le bord et s’y cramponna, pesant sur sonbras, afin de s’assurer qu’elle était solide…

« Si c’était un piège ? soyonsprudent. »

Hélas… à peine ses doigts eurent-ils touché laplate-forme, qu’il fut pris au poignet par une main invisible…

« Si tu appelles, Sandri, ti foutidabas ! je te fiche à bas ! » lui dit Maurin, d’unevoix claire et calme.

Sandri, stupéfait et pas fier, ne soufflamot.

La main invisible enroulait une corde autourde son poignet !

« Laisse-toi faire et tu n’auras point demal, foi de Maurin ! Et avant une heure tu serasdélivré. »

Sandri, suffoqué, anéanti, préféra se taire.Qu’eût-il dit ? Rien d’utile. Toute défense étaitlittéralement impossible.

« Tu as peut-être peur que je tefusille ? Rassure-toi, je viens de faire un petit voyage àToulon, et c’est pourquoi je n’ai ni fusil ici ni chien en bas àmettre à tes trousses. Ne tremble pas. Tu sais que je ne suis niméchant ni traître. J’aime seulement à galéjer, quand l’occasion seprésente… comme tu le vois. »

Tout en parlant, il lui liait solidement àl’arbre la corde qui lui serrait le poignet.

« Je dois t’expliquer mes intentions pourque tu te tiennes bien tranquille : je vais descendre et memettre à la recherche de ton pareil… Quand je l’aurai, je lui diraioù tu es. Attends-moi. »

Le chasseur quitta Sandri muet de rage, et quiétait bien dans la position la plus absurde du monde.

Une fois à terre, Maurin qui, de là-haut,avait vu la direction prise par le second gendarme, alla au-devantde lui, en répétant l’appel de Sandri tel qu’il avait entendu toutà l’heure.

Il s’arrêta, coupa de son couteau-scie uneforte branche d’arbousier, bien droite, et s’en servit comme d’unecanne… Il ne tarda pas à apercevoir le gendarme.

« Sandri a découvert ma cachette, il vousattend, gendarme. »

Bénévole, naïf, un peu sot, le gendarme seréjouit.

Il ne s’étonna pas d’apprendre par Maurin ceque Sandri en personne serait venu lui dire s’il avait été libre deses mouvements.

Il ne réfléchit pas, dans la première minute.Maurin, pensa-t-il, avait fini par se rendre. Et puis, il semblaitsi tranquille, ce bon braconnier ! Au besoin, on n’aurait qu’àlui mettre la main au collet… Par précaution cependant, tout enmarchant vers Maurin, le gendarme chercha son revolver… À cemoment, il tomba en avant, les deux bras instinctivement étendus…Maurin lui avait fourré son bâton dans les jambes… Un coup delevier… et l’ennemi à terre ! et Maurin assis sur lui, déjà leligotait.

« Brigand ! prends garde à ce que tufais !… Ton cas est mauvais !… nous représentons laloi !…

– Je ne vous en empêche pas, ditMaurin ; et, au fond, je vous respecte. Bon ! voilà quiest fait. Ce n’est pas trop serré, mais c’est solide. Vous n’aurezde libre que les jambes. En avant, marche !… Bigre ! vousoubliez à terre votre revolver… Attendez, que je m’encharge. »

Il prit le revolver et conduisit son homme enlaisse jusqu’au pied de l’arbre dans lequel, tout là-haut, étaitattaché Sandri.

« Regardez cet oiseau, quille à lacime.

– Oh ! fit le gendarme.

– Écoutez-moi bien, je ne vous en veuxpas. Je me méfie, voilà tout, parce que, si je vous en croyais, jecoucherais ce soir en prison… et je ne suis pas un oiseau decage.

– Rira bien !… dit le gendarme.

– C’est entendu… Là, mettez votre doscontre cet arbre ; bien. Je vais vous y amarrer de quelquestours de ficelle.

« Là ! les pieds aussi, là… bienentortillés, bon !

« Tous les nœuds à vos jarrets, commececi… beaucoup de nœuds par exemple, parce qu’il faut ça…Maintenant, voyez comme je suis aimable ! Je pose votrerevolver ici, à vingt pas de vous… là… Et puis… c’est le bouquet…remerciez-moi je vais vous détacher les bras. Après cela je m’enirai. Quand vous aurez les bras libres, vous pourrez vous-mêmedélier vos jambes… Vous y mettrez un peu de temps, parce qu’il y abeaucoup de nœuds, et il y a beaucoup de nœuds pour que vous ymettiez le temps, vu que je veux être loin d’ici quand vous aurezrepris la liberté de vos pattes. Alors, vous grimperez à l’arbre etvous délivrerez à son tour ce pauvre Sandri, qui doit biens’ennuyer là-haut, dépareillé comme il est. »

Quand il eut amarré à sa convenance le pauvregendarme, il se plaça devant lui et lui faisant un profondsalut :

« Jusqu’à l’honneur de se revoir !…Adessias ! »

Et levant le nez :

« Adieu Sandri… ne tombe pas !… Aurevoir ! »

Sandri, héroïque rageusement, ne proféra pasun mot, n’eut pas un soupir.

Maurin s’éloigna, puis, revenant sur ses pas,tandis que le gendarme d’en bas commençait déjà à attaquerfiévreusement les nœuds multiples qui enserraient ses genoux etdans lesquels il s’embrouillait à force de hâte :

« Écoute, ami Sandri, tu me connais, jesuis homme de parole. Si tu veux que cette histoire ne soit pascélèbre, ne la raconte pas. Je sais bien qu’elle pourrait me menerloin, mais aussi elle nuirait à votre avancement à tous deux… Jesuis brave homme, qué ? Je te promets de ne m’en flatter quesi tu t’en vantes. »

Et il s’en alla en chantant :

J’ai rencontré ma mie,

Lundi ;

Elle s’en allait vendre

De la fumée ;

Lundi, fumée, tôou !

Retourne-toi, ma mie,

Retourne-toi, qu’il pleut !

J’ai rencontré ma mie,

Mardi ;

Elle s’en allait vendre

Du lard ;

Mardi, lard, lundi, fumée, tôou

Retourne-toi, ma mie,

Retourne-toi, qu’il pleut…

Et quand il eut ainsi chanté, en septcouplets, chacun des jours de la semaine… il recommença…

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