L’Illustre Maurin

Chapitre 50CHAPITRE L Comment, sous les traits de Pastouré, la Vérité parlaabondamment au fond d’un puits, et dit à Maurin des choses les plusréjouissantes ou les plus tristes du monde selon le caractère dequi les écoute, mais certainement fort bonnes à connaître.

Pastouré, parfaitement ivre, assis au fond dupuits près de Maurin, se désolait :

« C’est moi qui te ferai prendre, Maurin,file ! Laisse-moi ici à mon malheureux sort. Je me tireraid’affaire un jour, s’il plaît à Dieu. Je me suis oublié, Maurin.Laisse-moi seul dans l’eau, que je l’ai mérité !

– Tu as pris un remède contre la fatigue,mais tu en as trop pris, voilà tout, dit Maurin. Au lieu de tedésoler, car tu sais bien que je ne t’abandonnerai pas plus qu’enpareil cas tu ne m’abandonnerais toi-même, donne-moi, pour passerle temps, un bon conseil qui, peut-être, me sauvera la vie, etalors nous serons quittes : un bien sera sorti d’un mal. Ondit que la vérité est dans le vin. Bien mieux, alors, elle doitêtre dans l’esprit du vin. Me dois-je marier ?… Dois-je memarier avec Tonia ? »

Pastouré ne broncha pas, parce qu’il étaitcomplètement ivre, et sans broncher, il répondit :

« La vérité, je te l’ai dit, n’est pasune femme, c’est un homme, et c’est un homme gris assis au fondd’un puits. Tu auras doublement la vérité, vu le puits et vul’esprit du vin… Te marier, Maurin ! jamais ne fais pareillesottise. Marié, je le fus, et pendant tout mon mariage, je cessaid’être libre et ne fus délivré que veuf. Et c’est ennuyeux d’avoirà souhaiter tous les jours la mort de quelqu’un qu’on aime et quivous tient de si près ! Ne te marie pas, Maurin ! Unautre te dirait ceci, un autre te dirait cela, un troisième à lafois ceci et cela. Et moi je te dis : non !C’est clair comme l’eau du puits de vérité et comme l’esprit duvin. Ne te marie pas ! Autrefois, se marier était encorepreutrêtre possible. Aujourd’hui, ça ne l’est plus.

– Et pourquoi ça ne l’est-il plus ?interrogea Maurin.

– Parce que aujourd’hui, expliquaPastouré, aujourd’hui, sans parler de potager qu’elles cultiventsur leur tête, les filles ont des roues !

– Des roues ? dit Maurin ; tues beaucoup empégué, collègue !

– Pas tant que tu le crois, Maurin.Regarde dans la rue et sur la grand-route, tu ne verras que femmesen culottes et femmes à roues. Elles ruinent leur père pour acheterdes roues ! Même dans nos villages, Maurin, elles vont surdeux roues, les fillettes, afin d’aller plus vite et plus loin, làoù on ne peut pas les suivre quand elles veulent n’être passuivies, et elles portent des jupes fendues qui ne sont plus quedes pantalons de turcos !… Merci bien ! Tu auraispeut-être pu consentir à épouser une fille, au temps où il y enavait encore, mais épouser un turco, non, merci ! ce n’est paslà ton affaire. Autrefois, je ne dis pas, Maurin, au temps de mongrand-père, à l’époque où les femmes, dans nos campagnes, servaientl’homme à table, lorsqu’il arrivait, fatigué du travail.

« À son travail, la femme l’aidait, commeil se doit, de loin, en lui préparant la soupe chez lui.

« Il avait besoin de bonne soupe, ilétait servi comme il convient, seul à table ; la femmemangeait après le maître, et les disputes à table, de cettemanière, étaient plus rares. Aujourd’hui, tout est changé !les femmes sont des espèces d’hommes à pantalons larges ; il yen a même qui font métier d’hommes, avec des hommes, dans lesbureaux de poste, dans les bureaux de chemin de fer ; etpartout il y en a beaucoup sur les ôoucipèzes (vélocipèdes) et fortpeu dans les maisons. Épouser une femme de notre siècle ? Non,non, Môourin, à d’autres ! ça ne fait pas pour nous ! Neprends pas femme, Maurin, au moment où les femmes cherchent àdevenir électeurs !… Ah ! ça sera du joli, quand elles leseront ! Ah ! je veux voir ça, et je le verrai, nous leverrons ! Mais jamais, jamais, tant que Pastouré vivra, il nete laissera faire la sottise d’épouser un électeur ! Tu seraistoi, Maurin, quelque jour, le mari d’un député ou d’unsénateur ? Car, il n’y a pas à dire, c’est à quoi on s’exposeen prenant femme aujourd’hui ! Si tu n’en as pas assez, j’enai assez, moi, de la politique, sans aller m’en mettre encore surle traversin !

« De la politique, nous en avonsassez ! bien assez ! cent millions de fois assez !mon boulanger m’en fourre dans la farine ! Il est conseillermunicipal, conservateur radical comme Caboufigue, et il croit quej’ai voté contre ses idées, et cela suffit pour qu’il ne me donneque du pain cru, par vengeance ! Le marchand de vin en metdans ses tonneaux, de la politique, et lui qui, étant rouge,devrait respecter la couleur du vin, il y fourre de l’eau à pleinarrosoir, par vengeance, parce que j’ai voté contre son candidatqui lui a promis de faire donner à Bourtoulaïgue et à Calas descourses de vaches espagnoles !… Voilà ce que je ne dis jamais.Voilà ce qui m’étouffe ! et je te le dis maintenant, parce quenous sommes bien tranquilles au fond d’un puits, comme la Vérité,et gris d’aïguarden, mon homme, comme la Vérité !…

« Ah ! non ! je suis d’uneautre époque, moi, ami Maurin ! D’une époque où les femmesn’étaient ni chefs de gare, ni turcos, ni sénateurs, ni avocats, nidéputés, ni libres enfin ! Elles avaient la liberté d’êtregrosses dans la saison et de faire téter en temps voulu et, aprèsavoir désemmailloté, de remmailloter ! Ça ne leur laissait pasde temps pour courir les routes sur deux roues ! Et alors onles respectait à cause de leurs petits, et maintenant on ne lesrespecte plus parce qu’elles sont à Antibes quand leurs mamans lescroient aux Martigues !… Du temps de reste, une femme n’en apas. Elle emploie une année à mettre au monde un enfant qui ne m’acoûté à moi qu’une ou deux minutes. Et voilà ce que, du fond de cepuits, je crie à mon siècle, moi, Parlo-Soulet ! car je suisd’un siècle où les femmes restaient à leur place et obéissaient auxhommes, comme chez le grand Turc. Et de leur obéissanced’autrefois, je vais te donner la preuve en te disant, Maurin,comment et pourquoi je suis né.

« Mon père, naturellement, après avoir eunotre aîné, Victorin, mon pauvre mort, pechère ! souhaitaitd’avoir un second garçon. Il le dit à ma mère qui, naturellement,n’en tint aucun compte et qui, cette seconde fois, au lieu de luidonner un enfant – un enfant, m’entends-tu ? – ne luidonna qu’une fille !… En conséquence, mon père fut trèsennuyé ; il ne parla pas de plusieurs jours à ma mère, afin delui faire comprendre qu’il n’était pas content de ce qu’elle avaitfait là. Elle comprit, collègue ! et elle résolut de mieuxfaire à la prochaine fois. Et, l’année suivante, mon père, quiattendait dans la chambre voisine de celle de l’accouchée,demanda : « Eh bien ? « – Eh bien, qu’on luirépondit, ce n’est encore pas un enfant, c’est encore unefille ! » À la quatrième fois, le même malheurarriva ; ça faisait trois filles. Le malheureux Pastouré, monpère, en fut malade, parce que, de désespoir, il se mit à boire eten ce temps-là on ne le voyait presque jamais bien droit – pauvrehomme ! – par la faute de sa femme. À cette quatrième fois,quand mon père eut appris que c’était encore une fille au lieu d’unenfant, il jura Dieu que ça n’arriverait plus et voici comment ilfit pour cela. Quand sa femme fut de relevailles, il prit uneblette (baguette fine), une tige de noisetier, et, sanslui faire trop de mal, il lui caressa l’échine en répétant :« C’est un garçon que je veux ! c’est un garçon que tu medois ! c’est un garçon qu’il nous faut !… Si à lacinquième fois, ajouta-t-il, tu as le malheur de me faire encoreune fille, je te planterai là avec ton tiers de douzaine de filles,et tu trouveras un jour les imbéciles qu’il leur faudra quand ellesseront en âge de tromper un homme ! »

« Eh bien, mon brave Maurin, ma mère nedormit plus – mais son entêtement céda ! et à la cinquièmefois, je naquis par la ferme volonté de mon père, moi,Marius-César-Antoine-Auguste Pastouré dit Parlo-Soulet !… Etje te réponds qu’à ma naissance les pétards pétèrent… Et ce jour-làmême, ô Maurin, en arrivant au monde, je me pensai comme ça enmoi-même :

« C’est bien assez d’avoir unemère : Pastouré mon ami, tu ne prendras jamaisfemme ! »

– Mais… tu t’es marié pourtant ?

– Oui, dit Pastouré, et c’est pourquoi jepeux parler en savant du malheur que cela est. Le mariage est unchemin où l’on se casse le nez. Et c’est pourquoi je dis à mon amiMôourin : « Ne passe pas par là, « que j’enviens ! » – À bon entendeur salut ! Je te dis ce queje dois dire. Agis comme il te plaira. Si je ne te fais pas assezlumière, allume ton fanal. Si mes paroles sont dures, casse-les, tuy trouveras la bonne amande… Et à présent, tu as assez fumé mapipe… rends-la-moi. »

Maurin, qui riait gravement, lui rendit sapipe.

« Té, lui dit Pastouré, connais-tul’histoire des Merlates ?

– Conte-la-moi si tu as les jambes encoretrop molles pour remonter au-dehors.

– Molles comme des pattes de poulpe mort,dit Pastouré. Et volontiers encore un peu de temps, je tiendraicompagnie à la Vérité, dans le puits. »

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