L’Illustre Maurin

Chapitre 21D’un dialogue entre Maurin et son futur beau-père Orsini qui luidonne des nouvelles de Mme Thémis.

Un vague besoin d’ordre et de paix prenaitMaurin depuis quelque temps. Il avait mis ses plus beaux vêtements,et s’en fut trouver Orsini.

Le forestier était sorti.

« Pour l’amour de Dieu, s’écria Tonia dèsqu’elle aperçut Maurin, va-t’en !… Je ne sais, depuis quelquesjours, ce qu’a mon père ; il ne me parle plus et serre lesdents quand il me regarde.

– Je ne m’en vais pas, vu que je veux,dit Maurin, te demander à lui, aujourd’hui même, enmariage ! »

Orsini entrait.

« Toi, ici ! dit-il avec colère àMaurin. Tu as vraiment du courage !… Écoute donc :puisque tu es entré comme mon hôte, sors en paix. Mais je tepréviens qu’une heure après ta sortie, je te traquerai sans pitié,partout où je te rencontrerai.

– Oh ! oh ! dit Maurin ;je regrette pareil accueil, je ne m’y attendais guère ! Etj’avais à vous parler aujourd’hui d’une chose d’importance. Mettezla muselière à votre colère et écoutez-moi. Il y va peut-être denotre repos à tous, à vous, à Tonia et à moi.

– Et qu’est-ce que Tonia a de commun avectoi ?

– J’ai pris des résolutions nouvelles,Orsini. Les choses pour lesquelles on me poursuit méritent, je lecalcule ainsi, plutôt récompense que punition. C’est ce que j’airésolu de faire connaître à la justice. Je me livrerai doncprisonnier ; on pourra me juger selon la vérité, onm’acquittera – c’est sûr. Et alors, Orsini, je reviendrai vousdire : Donnez-moi Tonia en mariage, car je l’aime etelle ne me déteste pas, que je crois… »

Orsini fit un mouvement que Maurin arrêta d’ungeste :

« Mais je ne suis d’humeur à me livreraux juges que si j’ai d’abord votre promesse. Vous mecomprenez ?

– Il est bien temps ! s’écriaOrsini. Tu n’es plus un homme contre qui on fait une enquête, et cen’est plus l’ordre de t’amener qui est lancé contre toi. C’estl’ordre de t’arrêter pour la prison ! Tu n’es plus un prévenu,tu es un condamné.

– Condamné ! dit Maurin pâlissant.Et à quoi, bon Dieu !

– Trois jours de prison, cinquante francsd’amende, dit Orsini. Tu as maintenant un casier judiciaire. Tu escondamné par défaut pour coups et blessures ; le vol d’unchien n’a pas été prouvé. »

Maurin paraissait consterné. De la surprise ilrestait muet et immobile. Tonia également.

« C’est donc pour cela, mon père,dit-elle, que vous paraissez si triste ?

– Triste ! cria Orsini,triste ! pourquoi serais-je triste ? Est-ce que j’ai àêtre triste pour un malheur qui ne regarde ni moi ni lesmiens ? Triste, non ; mais indigné, oui ; furieux,oui, qu’un tel homme entre dans ma maison de garde, dans unehonnête maison, et ose me demander ma fille !… Hors d’ici,coquin !

– Je croyais, dit Maurin avec calme, lesCorses toujours convenables envers leur hôte et moins sévères al’habitude pour des bandits plus coupables que moi, quand bien mêmej’aurais fait les choses dont on m’accuse ! »

Orsini parut sensible à ce reproche.

« Et qui te dit que je n’ai rien d’autreà te reprocher moi-même ?

– Et quoi donc ?

– Tu ne le devines pas ? N’as-tu pasparlé au congrès l’autre jour contre Cabantous, un homme fidèle àla cause des Bonaparte, qui est la cause de tous lesCorses ?

– Oh ! oh ! dit Maurin, c’estde cela qu’il retourne ?

– C’est de cela.

– Alors, beau-père, dit Maurin d’un airde raillerie méprisante, vous vous mêlez de ce qui ne vous aregardepas.

– Un homme tel que toi amènerait ledésordre dans ma maison, reprit Orsini avec force. Nous ne nousentendrions jamais. Je voterais d’une couleur et tu voterais d’uneautre. Je veux un gendre dans mes idées, et non une manière derévolté, un homme qui est contre toutes les règles, un républicainet un anarchiste ! Hors d’ici, voleur dechien ! »

Tonia fit un pas vers son père qui larepoussa.

Maurin haussa les épaules.

« Il est très vrai, dit-il, que j’aidonné une bonne leçon à un chasseur qui battait son chien ; ilest véritable que son chien m’a suivi et n’a plus voulu me quitter.Le nom de l’homme et son adresse à Cannes sont sur lecollier ; je pensais à lui ramener son animal un jour oul’autre. Eh bien, je ne le lui ramènerai pas. La bête a choisi sonmaître. Je la laisse libre de retourner toute seule à Cannes, àpied ou par le train, c’est tout ce que je peux faire ! Quantà la condamnation, j’en suis fâché, mais en même temps je m’enmoque ! Elle restera sur le papier. Un jour de prison qui estun jour, je ne le ferai pas. Une punition donnée pour un motifpareil, non, je ne l’accepte pas. J’ai pour moi la vraie justice.Saulnier a d’une Société d’animaux, une décoration parce qu’il aimeles renards et les belettes et qu’il s’en fait aimer. Il ne serapas dit qu’un citoyen de France fera de la prison pour avoirprotégé un chien !… Adieu, Orsini.

« Ni toi ni tes amis les gendarmes, vousne me prendrez. Et si Sandri revient à ses projets de mariage avecta fille, ce n’est pas pour avoir attrapé Maurin qu’on le ferabrigadier, tu peux le lui dire et il en peut être sûr… Adieu,Tonia. Votre père est votre père. Respectez-le.

« Ce n’est pas moi qui vous détourneraide sa maison, mais je calcule que vous pensez autrement que lui etque vous n’êtes pas fille à mépriser Maurin aujourd’hui qu’il estmalheureux, beaucoup plus malheureux qu’hier. »

Tonia fit un pas vers Maurin qui se retirait.Orsini étendit le bras pour saisir sa carabine.

« Ici, Tonia !… Et toi, dehors,voleur ! »

Maurin, près de sortir, se retourna vers Toniatoute frémissante d’inquiétude :

« Vous le voyez, Tonia, dit-il, ce n’estpas ma faute. Maurin vous eût épousée volontiers à cette heure, carvous êtes brave et jolie. Mais Maurin n’a pas de chance.Oubliez-moi, Tonia, et pardonnez-moi la peine que je vouscause. »

Et il s’en alla.

Son bâton en main, Hercule sur ses talons, ilsuivait le grand chemin…

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