L’Illustre Maurin

Chapitre 12Un entretien au cours duquel Maurin explique à Tonia la différencequ’on peut trouver entre polygamie et polyandrie.

Tonia disait à Maurin :

« J’ai parlé à mon père ; je lui airépété que je te veux, et il ne disait pas trop non, mais il nedisait pas oui. Et puis, trois jours après, il avait d’autresidées. Maintenant, il dit non. Et il m’a expliqué pourquoi.

– Et pourquoi ? dit Maurin.

– C’est que tu t’es encore attiré devilaines histoires, avec les uns, avec les autres.

– Sais-tu comment ?… D’abord pour unchien qu’un chasseur battait sans qu’il l’eût mérité. Fallait-illaisser battre un chien si injustement ?

– Eh ! dit-elle, si tu veux défendretous les chiens qui injustement sont battus, jamais nous ne nousmarierons, mon pauvre Maurin ! Et mon père dit que lepropriétaire du chien avait le droit.

– Un droit injuste, répliqua vivementMaurin, n’est pas un droit.

– Enfin, dit-elle, voilà que, pourl’heure, ce chien est entre nous, ce chien et le reste ! Nepourrais-tu songer à moi davantage, quand tu rencontres l’occasiond’entrer dans de mauvaises querelles ?

– Je n’ai pas de chance ! fitMaurin. L’homme qui bat son chien, l’homme qui siffle son chien etcelui qui suivait ma fille méritaient bien tous les trois la leçonque je leur ai donnée, mais tout se retourne contre moi.

– Eh ! dit-elle, si encore il n’yavait que ces trois histoires !

– Et qu’y a-t-il de plus ?

– Avec tes histoires de chien tuemmalices mon père, mais il y en a bien d’autres avec lesquelles tume mets, moi, en grande colère.

– Toi ?

– Oui, moi.

– Et lesquelles ?

– Tu as déjeuné avec des messieurs,l’autre jour à Bormes ?…

– Oui.

– Et il y avait une dame ?

– Et beaucoup jolie ! ditMaurin.

– Et tu l’as beaucoup regardée ?

– Un chien regarde bien unévêque !

– Je ne plaisante pas, Maurin. FrançoisMarlusse et Novarre ont déjeuné ici, à la cantine, l’autre jour.Ils causaient ensemble ; ils racontaient ce qui s’est ditentre vous tous, l’autre jour, à Bormes, et ils ont plusieurs foisrépété que cette dame t’avait plu et que souvent elle te souriaitdes yeux.

– Ces dames-là ne sont pas pour moi, ditMaurin évasif.

– Est-ce là ta seule raison ?m’as-tu promis mariage, oui ou non ?

– Mariage, c’est entendu, quand ton pèresera consentant ; mais, dit Maurin avec une fatuité réelle quis’amusait à faire rire d’elle-même, je ne pense pas à empêcher lesfemmes de me trouver à leur goût, ni les poules de suivre lecoq.

– Maurin, ne plaisante pas !… meseras-tu fidèle ?

– Autant que possible !

– Je vaux bien une autre réponse.

– Eh ! que diable, dit Maurin, tu metourmentes trop à la fin. Le chien de chasse peut promettre de neplus courir les perdrix, mais tenir et promettre sont deux, et ilne faudrait pas m’en faire passer une justement sous le nez.

– Où habite-t-elle, cette dame ?

– À Paris.

– C’est loin !

– Je le sais, puisque j’y suis allé àpied.

– Et tu y retournerais pourelle ?

– Oh ! ça non, par exemple ! Jene me vois pas dans son palais, là-bas… mais si elle veut venirdans mes bois, alors naturellement, je ne sais pas… que veux-tu queje dise ? »

Tonia leva la main comme une enfant et lefrappa de son poing fermé.

Alors, il l’embrassa de tout son cœur.

« Tu auras beau faire, dit-il, tu ne meferas pas mentir. J’ai toujours vu les bons coqs avoir autour d’euxbeaucoup de poules.

– Tu sais que je te tuerais ?

– C’est bien entendu, dit-il enriant.

– Ou bien, si tu me trompes, je terendrai la pareille.

– Ça n’est pas possible, dit-ilgravement.

– Et pourquoi ?

– Tonia, dit-il, la femme qui va avec unautre homme que le sien commet un plus grand péché que l’homme quiva avec une autre femme que la sienne.

– Et pourquoi cela ? serécria-t-elle. Ce sont les hommes qui arrangent ainsi leschoses.

– C’est la nature », dit Maurin.

Il parut réfléchir, puis ilexpliqua :

« J’y ai songé, des fois, pour moi-même,et voici, Tonia, comme je me l’explique. Il est bon que je te ledise, car si tu dois être ma femme, nous nous serons entendus à cesujet par avance. C’est une chose d’importance, la première detoutes. Écoute donc bien. Je me suis pensé, des fois, que l’hommeest un champ de vigne où il y a beaucoup de grappes. Si l’on enprend une on ne gâte pas les autres ; on ne te gâte ni taterre, ni ta vigne, ni rien. On ne te fait tort que d’unegrappe ; et encore, si tu n’en sais rien, tu n’as aucune peineet le dommage, à la vérité, n’est pas grand.

– Pour la femme, c’est la mêmechose !

– Oh ! que non pas !

– Comment donc ?

– La femme n’est pas une vigne, c’est uncellier qui doit rester bien fermé contre les voleurs, car ce qu’ily a à craindre, ici, ça n’est pas qu’on emporte le vin, c’est quedans mon cellier on en apporte au contraire de mauvaise qualité ouqui, mêlé au mien, lui ôtera sa belle franchise.

« Un mari, à mon idée, ne peutcompromettre qu’une grappe de raisin, s’il est infidèle ;tandis que la femme, si elle n’est pas sage, compromet la récolteentière, et tous les bavards du monde ne changeront rien à cela. Unseul jour peut faire un même homme père plusieurs fois ; ilfaut trois quarts d’année pour faire une mère.

– Et si c’est, à mon idée à moi, mêmechose, dit-elle, qu’on me vole une grappe, qu’à toi si on gâte tonvin ?

– Eh ! eh ! fit-il en riant, jecomprendrai ton ennui bien sûr, mais je dis seulement que ledommage n’est pas le même. Il faut être raisonnable.

– Reverras-tu cette belle dame ?

– Possible ! dit Maurin, mais ellene pense guère à moi ! Ça vit dans la dentelle et moi, été,hiver, dans la même veste de toile.

– Ça prouve que tu es fort, dit-elle ensoupirant, aussi fort que beau ! Et je le sais bien, quetoutes te voudraient, les pauvres et les riches ! »

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