L’Illustre Maurin

Chapitre 46CHAPITRE XLVI Comme quoi les présomptions trompent vite ceux qui nedemandent qu’à être trompés.

« Me suivez-vous ? dit Sandri.

– Je vous suis !

– Pourvu que nous soyons dans la bonnedirection !

– La bonne direction c’est de tourner ledos à l’incendie.

– Incendiaire ! grommela Sandri. Ilpaiera ça avec le reste. Ce bandit-là mourra sur l’échafaud.

– Nous n’en sortirons pas !

– Si, si, j’entrevois les bruyères… nousy voici.

– Plus vite donc ! l’issue est parlà. »

Poursuivis par le pétillement toujourscroissant de l’incendie en marche, ils entrèrent dans la tranchéeet la suivirent en la descendant.

Quand ils arrivèrent tout au bas,

« C’est particulier ! dit Sandri,plus nous nous éloignons du feu, mieux je l’entends !

– Parbleu ! cria l’autre, nous nousen rapprochons au contraire… Ah ! malheur ! il y a deuxfoyers !… un devant nous, l’autre derrière ! Regarde…devant toi… la fumée !

– Grondard ! eh !Grondard ! »

Rien ne répondit, que le pétillement desflammes courtes qui léchaient, mordaient et mâchaient lesbroussailles enchevêtrées, desséchées par tout un mois caniculaire.« Que faire, Sandri ?

– Essayons d’éteindre !

– Que diable veux-tu éteindre ?puisque je te dis qu’il y a deux foyers ! Le soleil a préparéla besogne de ce gredin. Tout cela va flamber comme du papier.Vois, vois, par ici ! ça part !

– Montons sur ce rocher !

– Impossible !… Sur cetarbre ? »

Un grand pin était là, les branches tailléesen échelons par quelque chasseur. Posant carabine et gibecière,Sandri y grimpa.

« Trois foyers, trois ! cria-t-il duhaut de son observatoire. Et rien à faire ! ils sont allumés àdes distances de cent, de deux cents mètres devant moi.

– Que faire, Sandri ?

– À la maison forestière ! Préviensles forestiers, fais jouer les sémaphores, les télégraphes… Je vaiste suivre, je te suis, mais cette fois, du moins, nous en tenonsun, de ces incendiaires de malheur ! Ah ! misère demisère ! acheva Sandri en sautant à terre. Filons à présent,mais il faut que, de mes yeux, je le voie en train de faire sajolie besogne, ce bandit du diable… et alors !…

– Sandri, dit l’autre gendarme, tout bienréfléchi, les sémaphores, crois-moi, ont déjà aperçu la fumée. Ilme faudrait plus d’une heure et demie pour gagner la maisonforestière. Le secours est déjà peut-être demandé. Veillons surplace, cela vaut mieux et essayons d’éteindre.

– Tu as raison. »

Ils gagnèrent un sommet tout proche d’où ilsregardèrent attentivement ce qui se passait aux alentours.

Du pied de plusieurs coteaux s’élevaient déjàde hautes flammes, qui montaient à l’assaut des cimes. Ellesétaient d’un jaune pâle dans la blanche incandescence d’un soleild’août… Elles montaient presque droites avec des extrémités quis’ondulaient en s’amincissant et se terminaient en une sorte decoup de langue de serpent, vite lancé et aussi vite retiré. Oncroyait voir à la pointe des flammes leur prolongement en chaleureffilée ; quelques-unes, çà et là, se cassaient brusquementau-dessous de la pointe, et une flèche de feu, telle une immensefleur qui s’envolerait séparée de sa tige, fasceyait un instant,effacée aussitôt, fondue dans la clarté solaire…

Le paysage tremblotait tout entier dans lefrémissement de l’air surchauffé.

Le « gros bois dëis fados » semblaitun fagot de boulanger dans un four de Titan. Il s’en dégageait unepyramide de fumée qui déjà s’élevait très haut sur le bleu du ciel…et dont la cime, parvenue à cette grande hauteur, se recourbait enpanache, atteinte par un courant d’air.

« Là-bas ! là-bas ! regarde,Sandri encore un foyer !…

– Ah ! l’enragé ! legueux ! le forçat ! il brûle les Maures ! criaSandri. Ah ! si je le voyais faire, je lui enverraisvolontiers une balle dans la tête ! »

Là-bas, sur le point que se désignaient dudoigt les gendarmes, au pied d’une des nombreuses collines qu’ilsapercevaient de l’endroit où ils étaient juchés, un cinquième feucommençait à gronder.

« Nous ne verrons rien de plus ! ditSandri. Le bandit ne se laissera pas surprendre. Allons au-devantdes forestiers. »

Comme ils descendaient la colline, ilss’arrêtèrent, tendant l’oreille.

« Eh ! cria une voix assez éloignée,tu es toi, Maurin ?

– C’est toi, Pastouré ? répliquaMaurin.

– Oui, où trouverons-nous ce qu’ilfaut ?

– Ici près, avance. »

Les voix s’éloignèrent.

Les gendarmes savaient ce qu’ils voulaientsavoir c’est bien le roi des Maures qui avait incendié les Maures.Ils en étaient convaincus du moins, tant les présomptions trompentfacilement ceux qui le veulent bien.

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