L’Illustre Maurin

Chapitre 41CHAPITRE XLI D’une journée d’ouverture de chasse où Maurin eut unegrave conversation avec une sirène dans les flots bleus ; etune autre non moins importante, durant un repas champêtre, avec unjuge d’instruction qui aimait beaucoup le melon.

Maurin fit deux ou trois visites àM. Rinal qui s’amusa du récit de ses diverses bravades, et quise chargea de rappeler à M. Cigalous et à M. Cabissol lapartie projetée pour le jour de l’ouverture. Elle eut lieueffectivement le 15 août au matin.

La veille, les chasseurs étaient arrivés àSainte-Maxime. Maurin avait choisi Sainte-Maxime pour la plusgrande commodité de ces beaux messieurs qui trouvèrent là deshôtels de luxe comme à Paris.

Il était convenu qu’on se réunirait, dès lepremier point du jour, au pied du sémaphore de Sardinaux.

Tout le monde fut exact. Il y avait Cabissol,Cigalous, M. et Mme Labarterie ; etM. Cabissol avait invité le juge d’instruction de Draguignan(qui était un Parisien installé de la veille dans le chef-lieu duVar), le procureur du roi de la République impériale (expressionchère à M. Rinal) et quelques autres magistrats. Le bonM. Cabissol espérait intéresser ces messieurs à la cause deMaurin, mais, par crainte de les voir refuser son invitation, il neleur avait pas annoncé qu’il allait les mettre en rapport avec lefameux roi des Maures…

Maurin et Pastouré attendaient, l’arme aupied, debout devant le sémaphore, et trois chiens bondissaient dejoie autour d’eux.

« En route ! s’écria Maurin, dèsqu’il vit venir à lui les nobles invités. Et dès à présent, pour leperdreau, le lièvre et le lapin, nous sommes en chasse.

– Vous avez là de beaux chiens, lui ditle juge d’instruction.

– Un seul, le griffon, est à moi,répliqua Maurin sans connaître la qualité de son interlocuteur. Cetautre, figurez-vous, est un chien qu’on m’accuse d’avoir volé.

– Ah ?

– Et j’ai été condamné par ces imbécilesde juges de Draguignan !

– Ah ! fit l’autre surpris etinquiet, contez-moi donc cela. »

Maurin expliqua.

« Un chasseur, que je ne connaissais pas,battait son chien injustement… Je veux l’en empêcher. Il se fâche.Naturellement je le rosse. Il s’en va, les yeux pochés. Son chienme suit et ne veut plus de son ancien maître. Qu’est-ce que j’ypouvais ? Eh bien, on m’a condamné !… Il n’y a pas dejustice !…

– Il fallait, dit le juge, ramener lechien à son maître.

– J’ai fait ainsi, mais la bête m’esttoujours revenue. Ça vous a un nez, ces bêtes-là : ça préfèreles caresses aux coups ! Oui ! elle m’est revenue deCannes où je l’avais conduite pour la ramener à son maître.Convenez que je n’étais pas forcé d’entreprendre ce voyage qui m’acoûté de l’argent. Eh bien, la pauvre bête m’a rattrapé dansl’Estérel, juste devant l’auberge des Adrets.

– Fameuse auberge ! fit le juged’instruction, en regardant Maurin de travers.

– Fameuse auberge, de sûr ! fitMaurin, vu que, comme vous paraissez le savoir, elle était beaucoupfréquentée par Gaspard de Besse, un voleur qui est encoreaujourd’hui aimé de tout mon peuple de Provence, pourquoi il n’ajamais volé les riches que pour faire du bien auxpauvres. »

Et Maurin à son tour regarda de travers lejuge.

Ce juge était jeune encore et tout imbu devieux préjugés. Le nom de l’auberge des Adrets et cet élogeenthousiaste de notre cher Gaspard de Besse[3] ledisposèrent fort mal pour Maurin et, d’instinct, élevant déjà desprésomptions contre le braconnier, il lui trouva mauvaise mine, ets’éloigna de lui.

Maurin se rapprocha deM. Cabissol :

« Qu’est-ce que c’est donc, monsieurCabissol, que ce monsieur à lorgnon d’or qui vient de me parler etqui ne me plaît guère ? Il m’a regardé d’un drôled’air !

– C’est, dit Cabissol, Maurice Couder, lejuge d’instruction de Draguignan.

– Diable ! répliqua Maurinnaïvement, c’est un homme dangereux ! »

Et Maurin quitta Cabissol.

« Qu’est-ce que c’est que ce braconniermaigre avec qui je causais à l’instant, mon cher monsieurCabissol ? interrogea le juge d’instruction. Il ne me plaîtguère.

– Ça ? c’est le fameux Maurin desMaures.

– Bigre ! dit le juge, c’est unhomme dangereux !

– Lui ? c’est le plus honnête hommeque je connaisse. Il est accusé d’un tas de prétendus méfaits dontchacun ne prouve que la droiture de ses sentiments. C’est le bonsens populaire en personne, cette homme-là, affirmaM. Cabissol.

– Oh ! vous, au fond, maîtreCabissol, vous êtes un révolutionnaire… un anarchiste.

– Il y a quelques bonnes idées danstoutes les sectes, mon cher juge ! »

Le soleil commençait à verser des flammes. Lesmouchoirs blancs flottaient en couvre-nuque sous leschapeaux ; toute la troupe était en nage. On avait abattu àgrand-peine trois lapins et quatre perdreaux, mais c’est Pastouréet Maurin qui les avaient tués.

« Messieurs, dit le procureur du roi dela République impériale, je ne suis pas depuis longtemps enProvence, mais je vois ce que c’est que votre Provence.

– Et qu’est-ce donc ?

– C’est un pays extrêmement chaud. Jerefuse d’aller plus loin et je m’y refuserais, quand bien même vousme promettriez une pluie, un déluge de perdreaux, ce qu’on neconnaît certainement pas ici…

– Ma foi, dit le juge d’instruction, jesens l’insolation qui commence à me faire bouillir la cervelle.

– Vous avez si chaud que cela, monsieur,dit Maurin, narquois.

– Je conviens, dit à son tour Labarterie,que cette partie de plaisir est pour moi une partie desouffrance. »

Bref, tout le monde se déclara hors d’état decontinuer pareille chasse sous un ciel pareil. SeuleMme Labarterie affirma que, sous la conduite deMaurin, elle tuerait volontiers quelques perdreaux.

« Et moi, belle dame, dit Maurin, pourvous être agréable, je chasserais dans un four de potier ! Queles autres se mettent donc à l’ombre dans ce bois de pins ; ily a juste au pied de ce poteau télégraphique – regardez – de jolisrochers arrangés comme des fauteuils ; nous y reviendronslorsque nous aurons tué, avec Madame et avec Pastouré, de quoiempêcher messieurs les juges de rapporter à leur maison un carnierde maladroits ! Ils sont là bien agréablement assis à l’ombre…nous les y rejoindrons à midi.

– Ce qui me paraît désagréable ici, ditle juge, ce sont ces fils télégraphiques qui font une chansonagaçante… Écoutez, cela siffle sans arrêt… Allons plus loin…

– Bah ! dit Maurin, de quoi vousplaignez-vous ? Ça vous sert d’oisôs ! »

Il y eut un éclat de rire général.

« Restez là, croyez-moi, dit Maurin, iln’y a pas d’endroit, près d’ici du moins, où l’ombre soitmeilleure. »

On se trouvait sur les crêtes des collines quivont, par pentes douces, baigner leur pied rose dans la mer.L’endroit choisi pour la halte était en effet délicieux et beau, etce qui ne gâtait rien, il y avait un puits dans le voisinage.

De ces cimes on découvrait tout l’horizon desMaures, Saint-Tropez au sud, Saint-Raphaël vers l’est ; pardelà l’Estérel, les Alpes, et devant soi la mer bruissante, toutepapillotante de rayons dansants, et sur laquelle passait en cemoment, au large l’escadre de la Méditerranée, ville flottante dontles fumées traînaient à l’arrière, comme les souples étamines duvaste pavillon de combat. La rusée et audacieuseMme Labarterie suivit le beau Maurin, avec l’espoirque le vieux Pastouré ne tarderait pas à s’en aller bientôt parlerseul dans quelque ravin giboyeux.

Maurin et Pastouré, en compagnie de la belleMme Labarterie, s’étaient à peine éloignés dequelques pas, que M. Couder fit à M. Cabissol les plusvifs reproches pour l’avoir, sans le prévenir, mis en rapport avecun Maurin !…

« Car enfin nous aurons certainement à lepoursuivre et à le condamner un jour. Vous compromettez deuxmagistrats, le procureur et moi.

– Quel enfantillage ! dit Cabissolen riant, Maurin est l’ami du gouvernement. J’ai voulu, en vous lefaisant connaître, rendre service en même temps et à vous et à lamagistrature. S’il doit jamais vous être amené à Draguignan entredeux gendarmes, ce qui m’étonnera, vous le connaîtrez par avance etvous aurez, le connaissant, de bonnes raisons pour l’absoudre.

– En attendant, dit M. Couder avecaigreur, je ne comprends pas que M. Labarterie ait confié safemme à cette manière de bandit.

– Croyez bien, dit Labarterie ingénumentnarquois, que ma femme n’emporte à la chasse ni bijoux niportefeuille ! »

M. Cabissol profita del’équivoque :

« Maurin n’a jamais fait tort à personne,s’écria-t-il d’un air indigné. En vérité, messieurs les magistrats,vous m’offenseriez personnellement, à partir de ce moment, enparlant de lui à la légère.

– Mon avis, dit le procureur impérial dela République du roi, est que nous ferions bien de nous retirer.Venez-vous, mon cher juge ? »

Les deux magistrats se levèrent.

« Prenez garde, messieurs, que c’estdécidément une offense personnelle que vous me faites si vous nousquittez ainsi, dit M. Cabissol d’un ton des plus sérieux.

– Je ne connais que mon devoir, répliquale procureur sèchement.

– Et je vous suis, mon cher procureur,dit le juge. Au demeurant, nous aurons moins chaud, dans le jardinde l’hôtel, à Sainte-Maxime. »

Quand il les vit bien résolus,M. Cabissol leur déclara :

« Eh bien, messieurs, on pourra lire,avant trois jours dans les journaux de la région, le récit de notrejournée d’ouverture, signé de mon nom. On vous y verra jouer sousvos propres noms le rôle que vous prenez en ce moment. Et comme monami Maurin est fidèlement aimé de tout le monde dans la région, endépit de ses petits démêlés avec les représentants de la loi, j’aile regret de vous affirmer que votre popularité en sera au moinscompromise.

« Et vous, monsieur le procureur, quiavez un frère député ; et vous monsieur le juge, qui avez unfrère sous-préfet, vous apprendrez peut-être bientôt tous deux quel’influence de vos frères ne vaut pas celle d’un Maurin ! etqu’il eût mieux valu, pour l’honneur de votre carrière, laisser ceMaurin-là tranquille.

« C’est la première fois de ma vie que jeme permets de menacer un fonctionnaire des foudres de lapresse ; mais je me vois obligé de vous les annoncer, pour nevous pas prendre en traître… Maintenant partez-vous,messieurs ? ou restez-vous ?

– Du moment, dirent les magistrats, quevous nous garantissez… et que vous prenez fait et cause… avec cettechaleur sympathique… pour cet homme… vous, dont l’honorabilité estsi connue…

– C’est bien, messieurs. Enchanté !Ne parlons plus de cet incident. »

Après cette sortie de M. Cabissol, il yeut une gêne assez prolongée entre ces grands chasseurs qui avaientrenoncé à chasser… Mais peu à peu, la chaleur aidant, on nes’occupa plus que de s’éventer et de s’éponger le front.

« Je suis curieux de savoir, ditM. Labarterie tout à coup, au milieu d’un grand silence, si mafemme aura tué quelque chose ? »

Juste en ce moment, sur le rivage, là-bas,Maurin disait à Mme Labarterie :

« Pardon, excuse, madame, mais monsieurvotre mari n’a pas tort : il fait beaucoup chaud ; et, sivous m’excusez un petit moment, je vous quitterai, le temps de memettre dans l’eau de la mer et d’en ressortir. »

Elle s’assit et lui fit signe d’allerlibrement. Elle avait des yeux très brillants et elle le regardaitavec l’admiration d’une élève de Rosa Bonheur qui a rencontré untaureau sauvage au repos.

Par façon de plaisanterie, Maurin, ens’éloignant d’elle, dit encore.

« Si vous voulez faire commemoi ?

– Ah ! la bonne idée ! »s’écria-t-elle en se remettant debout, d’un bond joyeux.

Il lui montra, entre deux rochers, une sortede cabane naturelle où elle pourrait se déshabiller.

« Je sais nager, dit-elle. Allez de votrecôté, monsieur Maurin. »

Il s’en alla en effet sur l’autre pente d’uneétroite presqu’île. C’était un cap dentelé qui avait tout au pluscent pas de largeur.

« Ma foi, se dit-il, en songeant àMme Labarterie, voilà une mal-mariée quime paraît bonne à poursuivre. »

On sait que la mal-mariée est unesorte de sarcelle qu’on peut voir parfois, quand la mer est calmeet limpide, nager entre deux eaux à grands coups d’ailes aussivivement qu’elle le fait dans l’air du ciel.

Maurin entra tout nu dans la vague.

« Quand on a de l’eau jusqu’au cou, sedit-il, on est comme habillé par la mer ; et d’un jolivêtement, puisqu’il est couleur de ciel ! »

Mme Labarterie se disait end’autres termes la même chose, en se débarrassant toute seule deson léger costume de chasseresse, dans la petite baie voisine,séparée, par la presqu’îlette, de la calanque où s’ébattaitMaurin.

La charmante créature, douée d’une imaginationhardie et capricieuse, avait pour toute théorie morale qu’il nefaut – la vie est si courte ! – laisser échapper aucuneoccasion de mordre dans un beau fruit, de goûter à un plaisir. Trèssensuelle, elle se donnait aux brises et aux parfums, qui étaientpour elle la caresse infinie des choses…

Esthète déterminée, elle s’était demandésouvent, en regardant la Syrène de Burns Johns, ou enlisant celle de Wells, comment, dans leurs palais humides, cesdemi-femmes se marient avec les tritons mythologiques.

Maurin prit pied un peu au large, à deux centsbrassées de la rive, lorsqu’il eut constaté que, debout, il auraitde l’eau jusqu’au col et qu’il était décent puisque le ciell’habillait !

Elle le vit… et nagea délibérément verslui…

Maurin ne fut pas étonné. Il connaissait sapuissance :

« Moi, les femmes, je les regarde commeça, et elles tombent comme des mouches ! »

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