L’Illustre Maurin

Chapitre 11CHLa métaphysique de Pastouré.

La mère de Maurin se mourait dans sa vieillecabane de planches, au milieu de la plaine de Cogolin, non loin dela mer, sous les grands pins parasols.

Maurin, assisté de Pastouré, veillait auprèsd’elle.

« Pastouré, dit-il, va chezM. Rinal, chercher mon fils Bernard et tu iras après chez leprince chercher ma fille Thérèse… Ils verront mourir lagrand-mère. »

Pour Césariot il ne se reconnaissait pas ledroit de l’appeler, vu que la grand-mère ignorait l’existence dugarnement.

Pastouré partit et ramena Bernard. Il repartitet ramena Thérèse.

« Mère, dit Maurin, voilà vospetits-enfants. Ils viennent vous embrasser.

– Je les bénis ! » murmura lavieille, de sa voix fragile.

Et elle mourut.

« Pastouré, dit Maurin, nous allonsl’enterrer au cimetière de Cogolin. Cours chez le voisinLabigue ; tu lui diras de nous prêter sa charrette, son chevalet ses harnais neufs. Sur la charrette nous mettrons le cercueil.Fais vite. »

Pastouré sortit. En son absence, le médecin deCogolin fit le nécessaire, alla à la mairie, déclara le décès,prévint deux amis dont Maurin désirait la présence, et, lelendemain, eut lieu l’enterrement.

Le cercueil était sur la charrettesoigneusement nettoyée, mais où pourtant se voyaient encorequelques traces rousses de bon fumier et, dans les jointures desplanches, quelques grains d’avoine.

Pour faire honneur à la morte, Labigue avaitprêté toutes ses bêtes ; devant le cheval limonier était unmulet et devant le mulet, en flèche, un petit âne. Et les troisbêtes portaient leurs harnais neufs, bien cirés, dont les clous decuivre reluisants formaient des ronds et d’autres jolis dessins.Les deux amis que le médecin avait prévenus étaient là, vêtus deleurs meilleurs habits ; ils se mirent derrière la charretteque conduisait Maurin, à pied. Et, devant les amis, marchaientBernard et Thérèse. Pastouré avait fait venir son fils Firmin, beaugars de vingt-cinq ans, qui marchait près de Thérèse et qui latrouvait à son gré. Car l’amour travaille même devant la mort.Pastouré, lui, cheminait à côté des brancards, tenant en main, sousla clarté éblouissante et blanche du plein soleil de midi, le fanalde l’étable, allumé pour veiller la morte, et dont la flammejaunâtre était toute perdue dans les rayonnements du soleil.

Ainsi on allait, sur la route large, et leconducteur de la diligence qui, de Cogolin, retournait àSaint-Tropez, en croisant l’enterrement, le salua du fouet. Lesvoyageurs, dans la diligence, ôtèrent leurs chapeaux et les femmesqu’on rencontrait faisaient de grands signes de croix.

Et tous les gens du cortège se taisaient,mais, de temps à autre, se croyant seul, sans doute à cause dugrand silence de la mort, Pastouré s’oubliait, gesticulait,abaissant, levant sa lanterne, et à demi-voix se murmurait àlui-même :

« À pied ou en charrette, couché dans laboîte et jambes raides ou marchant à côté et remuant les pieds, oùallons-nous, tous ? Au même endroit… au trou. D’oùviens-tu ? de la terre. Où vas-tu ? à la terre. Ainsidisent les boumians (bohémiens), et ils disent bien. Lepauvre y va. Le roi y va. Pourquoi, en chemin, se faire tant demisère ? Ta peine est grande, collègue ; pourquoi tel’augmentes-tu ? Tu avais le temps d’être heureux des choses,et tu te les es gâtées. Qu’y a-t-il avant ? qu’y a-t-ilaprès ? Terre devant, terre derrière. Les curés disent qu’onrecommence à vivre. Je calcule que c’est fini. Quoique, à lavérité, ce ne serait pas plus bête de revenir que d’être venu. S’ily avait quelque part de la justice, on la verrait et on ne la voitpas. Ma lanterne, en ce moment ici, ne me sert guère, puisque lesoleil luit. Dans la nuit pourtant elle me servirait. Mais que memontrerait-elle que le soleil ne m’ait montré ? Enfants nousvenons, enfants nous partons. La vieille est morte. Elle ne savaitplus rien des choses de ce monde, la pauvre vieille, et cependantelle ne voulait pas mourir. Et pourquoi ne voulait-elle pasmourir ? Pour apprendre ! et on n’apprend rien ! Etsi demain, et après-demain, et toujours, il fallait vivre… est-ceque moi je l’accepterais volontiers ? Non, ma foi ! foide Pastouré ! Ce serait trop toujours la même chose… Toujourschercher des bécasses et toujours rencontrer desprocès-verbaux ! C’est trop de souffrances. Le peuple souffre.Le peuple meurt. Les rois souffrent. Les rois meurent. Le papesouffre. Le pape meurt. Qu’est-ce que j’éclaire avec malanterne ? Rien. Je ne vois jamais qu’un dieu : lesoleil, mais je le verrais sans ma lanterne. Ma lanterne ne memontre rien que le soleil ne m’ait montré, et le soleil me montremême ma lanterne !… Voilà enfin le village et voici le prêtrequi vient à ta rencontre, grand-mère ! tu n’es pas loin duseul repos… »

Elle en était plus loin que ne le croyaitPastouré. Des gens en foule venaient du village au-devant deMaurin, mais parmi eux les gendarmes, qui avaient reçu desordres.

À cause du peuple qui l’aimait et qui venaitau-devant de sa douleur, Maurin dut faire halte et avec lui toutson monde.

Alors, l’un des gendarmes, ayant salué lamorte, dit à Maurin, sans trop s’avancer :

« Maurin, je suis forcé de vous arrêter.C’est pour l’affaire des marais d’Hyères. »

Le peuple murmura.

Maurin releva la tête, farouche :

« Aujourd’hui, dit-il, ce n’est paspossible. Demain tant que vous voudrez. »

Le gendarme fit mine d’avancer. MaisMaurin :

« Allez-vous-en pour la minute ! quesi vous en demandez trop, je cesserai de me commander. »

Il avait si terrible mine que le gendarmepâlit, n’osa insister et recula d’un pas.

« Laissez-moi enterrer ma mère »,reprit Maurin, d’un ton doux.

Les gens, très nombreux, grondaient contre legendarme… « Ce n’est pas possible. Il fait du zèle. On ne luia pas donné des ordres pareils. On n’arrête pas un homme devant samère morte ! »

Heureusement M. le maire parut. Il ditquelques mots aux gendarmes qui se retirèrent.

Et Maurin put ainsi enterrer sa mèretranquillement. Dès que les prières du prêtre furent achevées,Maurin, avec la complicité de tous les assistants, disparut, etPastouré, éteignant sa lanterne, ramena chez leurs maîtres bêtes etcharrette ; puis le lendemain, chez le prince, Thérèse ;et chez M. Rinal, Bernard.

Maurin, pas moins, de nouveau courait labroussaille, et les plaintes en justice contre lui allaientgrossissant.

Et tout seul, Pastouré s’en revenant deBormes, ronchonnait :

« Que me dirai-je à moi,maintenant ? Ferme ton vieux bec, faisan malade. Imite lelièvre au gîte qui ne dit rien. Le lièvre une seule foisparle : c’est quand il crève. Mais alors il crie comme un rat,sachant qu’il n’a plus rien à perdre, quand même il raconteraittout, tout ce qu’il a vu et tout ce qu’il sait. Nous revoilàchasseurs chassés. Il est tout de même – des fois qu’il y a – boncomme le bon pain, le bon peuple ! As-tu vu, Pastouré, commeils étaient prêts, ceux de Cogolin, à défendre Maurin du bec et desongles ? Et as-tu vu comment a salué le gendarme ? Ilsaluait à cause de la mort. Et à cause de la mort le peupledevenait bon et brave. Et c’est pourquoi je calcule que la mort estune fameuse chose, puisqu’elle fait ce miracle que le peuple, àcause d’elle, devient brave et bon ; et que, à cause d’elle,le gendarme devient poli. Il a raison, M. Rinal, quand il dità Maurin qu’il faut aimer la mort et que le travail de la mort estun fameux travail. Attends donc avec patience, l’ami ! Laterre ne manquera pas. »

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