L’Illustre Maurin

Chapitre 19Marlusse a le choix des armes.

Maurin reçut asile, cette nuit-là, dans unemaison amie ou l’accompagna Pastouré.

Le lendemain matin, dans les rues du village,Marlusse, monté sur le siège d’un char à quatre roues, qu’ils’était fait prêter et qu’il promenait pompeusement, tenait en mainun grand fouet tout neuf, long et lourd, qu’il maniait avec unehabileté extraordinaire. Avec des clic, clac ! des clac et desclic, il rythmait des airs militaires… On reconnaissait très bienLa casquette du Père Bugeaud de : Il y a de lagoutte à boire là-haut, lequel se distinguait parfaitement dela Retraite.

Il avait mis son cheval au pas, et il étaitforcé de le maintenir vigoureusement, car ce continuel bruit defouet impatientait la bête. Elle paraissait goûter médiocrementpareille musique. Les gens et surtout les enfants s’attroupaient,et Marlusse, tout à coup, interrompant Le Chant du Départ,enleva de la fine pointe de son fouet, avec un tour de mainincomparable, le chapeau d’un gamin qui le regardait de trop près.Se retournant vivement sur son siège, il lançait aussitôt d’unautre côté la longue lanière, et cela si adroitement que la mèche,s’entortillant autour de la queue d’un chat, le hissa brusquementen l’air effaré et miaulant.

Le bruit de ces prouesses se répandaitrapidement de rue en rue, si bien que tout le village finit pars’assembler autour du glorieux Marlusse, avec desah ! et des oh ! admiratifs siretentissants que Maurin envoya Pastouré voir un peu « s’il yavait la révolution ».

Dès qu’il aperçut Pastouré, Marlusse se mittout debout sur son char :

« Pastouré ! à moi ! »cria-t-il.

Pastouré s’avança.

« C’est toi que je cherche, toi etMaurin, lui dit alors Marlusse d’un air de mystère. Va l’appeler,qu’il vienne ! Je vous emmènerai sur ma voiture, et vousverrez !

– Et où nous emmèneras-tu ?

– Vous verrez, mais faites vite si vousvoulez me sauver la vie, ni plusse ni moinsse !

– Allons, dit Pastouré, je teconnais : tu vas encore nous faire quelque galéjade.

– Pastouré, dit Marlusse sérieux comme unnotaire, aregarde-moi. Est-ce que je ne suis pas un peu blanc ou unpeu vert ? Je te dis qu’en venant vite, vous me sauverez lavie et l’honneur. Ça n’est plus une bagatelle ! Figure-toiqu’on m’appelle en duel, et j’y vais de ce pas. Il me fallait deuxtémoins. Je n’ai pensé qu’à Maurin et à toi. Et j’étais bien sûrqu’en faisant un ramadan pareil avec mon fouet dans la rue, jefinirais par vous faire sortir de votre cachette. Je sais que jepeux compter sur Maurin. Zou ! amène-le-moi. Fais vite, jevous conterai le reste en route. Zou ! qu’il faut que j’arriveà l’heure. Et vous occupez de rien : z’ai mesarmes. »

Marlusse parlait sérieusement. Pastouré lecomprit, et il courut chercher Maurin tandis que, mettant sa bêteau grand trot, Marlusse laissait là tout étonnés les curieux qu’ilavait fait accourir autour de lui. Il allait attendre ses témoinssur la grand-route, à l’entrée du village.

« Monte vite dans mon çar (char),Maurin ; vite, Pastouré. Et en avant ! »

Chemin faisant, il conta à ses deux témoinspour quelles raisons il devait se battre.

« À la sortie du congrès, hier soir, undélégué de Caboufigue parlait de Vérignon (et même de toi,Maurin !) sur un ton qui ne me plaisait guère. Alors je dissimplement : « Il faut être un imbécile pour ne pascomprendre le mérite d’un Vérignon ou l’honnêteté d’unMaurin ! » Ce délégué, un M. Desacier, un du Nord,capitaine de cavalerie en retraite, me regarde de travers et mefait :

« – Est-ce pour moi que vous ditesça ?

« – Se l’applique quivoudra !

« – Ze ne sais (qu’il me dit commeça), ze ne sais si ze dois me commettre zusqu’à vous faire rentrervos paroles dans la gorze ! »

« Tu penses, Maurin, si je suis un hommeà me laisser remettre dans la gorze la moindre des çozes qui ensont sorties.

« – Monsieur, que je lui dis, commeça, le plus poliment que je pus, s’il y avait un jeu de dominoscomposé de coïons, vous seriez le double six !

« – Monsieur, qu’il me répond, vousêtes un mal « appris… »

« Je m’échauffais ; il me bouillaitquelque chose là-dedans. Je réponds.

« – Tout àro, ou, vous fàou véirètrento-sié candellos – et je lui traduis, comme Mascurel : –trente-six chandelles, tout à l’heure, je vous fais « voir,moi ! »

« Il m’aregarde encore, il faut croirequ’il me trouve zoli, que, comme tu vois, z’ai mis pour venir aucongrès mes plus belles frusques… Il regarde ma çaine d’or qui estsur mon ventre, bien portée en avant avecque la midaille de larépublique… Et me prenant pour un monsieur dans son zenre, il medit, en me tirant un peu à part du monde :

« – Voilà ma carte ! Demain,vous recevrez mes témoins.

« – Monsieur, que ze lui répondscomme ça, en fait de carte, ze n’ai sur moi qu’un bout de la cordeavec laquelle mon père a été ençaîné en 51… Et d’adresse, ze n’enai point dans cette ville ! »

« Te comprends, ze ne voulais pas luidire que z’allais passer la nuit sur le foin, dans la manzoire duceval de mon ami Tintidret, qui me l’a prêté ce matin, son ceval,avecque son çar, pour aller au duel !

« – Vous n’avez point d’adresse,lace ? (lâche) mais vous m’éçaperrez pasainsi ! »

« Alors il me monte au nez comme uneodeur de moutarde et ze lui dis comme ça, ze lui dis,dis :

« – Mossieu, pas besoin de tantd’histoires. Vous voulez vous battre avec moi ?J’accète. Demain matin à huit heures et demie battantes,ze serai avecque mes armes et mes témoins dans le pré deMartin-l’aï, que tout le monde vous l’indiquera, à troiskilomètres du villaze. Ayez comme moi vos témoins et vos armes, etsoyez éza que la politesse du peuple, c’est l’ézatitude ! Etdormez bien pour être fré.

« – C’est entendu, qu’il me répondavec son assent francihot ; z’aurai messabres ! »

« J’ai bien pensé à t’aller conter toutça tout de suite, mais il aurait fallu savoir où tu étais caché. Jeme disais : Ils sont peut-être partis pour la montagne,rapport aux gendarmes. Enfin je vous ai trouvés ce matin et z’ensuis bien content, car ça m’embêtait d’y aller tout seul, à ceduel.

– Comment ! tu n’en aurais pas prisdeux autres, de témoins ?

– Oh ! non ! car il m’enfallait deux bien intelligents et de votre caractère, et ça ne serencontre pas dans la « piade » d’une bourrique.

– Alors, dit Maurin, c’est que tu asimaginé quelque chose pour te tirer de là ? Mets-moi aucourant.

– Voilà, dit Marlusse. Tu sais que z’aiété quinze ans entrepreneur de diligences, en Alzer ? J’allaisd’Alzer à Constantine et ze conduisais moi-même une de mesvoitures…

– Bon ; après ?

– Après ?… Voilà un monsieur, cemilitaire, qui avait pour métier de porter un sabre pendu à sonderrière – que, de sabre, moi, ce n’est pas pour de dire etpourtant c’est – de ma sainte vie je n’en ai pas touché le fourreaud’un – vu que z’ai été ézenté du service parce que j’ai une jambeplus courte ou plus longue que l’autre – comme on veut. Bon. Cemonsieur militaire ne me demande pas si ze connais son instrumentet il veut que z’en zoue ! Et si z’en zoue mal, il me veuttuer ! Alors, par le fait, c’est qu’il veut me tuer à sacommodité, je veux dire sans danzer pour lui, et cependant il secroit du couraze en m’attaquant sans que ze puisse medéfendre ! Eh bien, pendant qu’en se conduisant de cettemanière il se croit courazeux, ze dis, moi, qu’il donne la marquede la plus grande laceté qui soit dans le monde ! – Alorsvoilà, j’ai pensé que pour me défendre contre son sabre, qui est uninstrument dont il a l’habitude, je n’avais qu’à prendre, moi,celui dont j’ai accoutumé le maniement – et je veux conséquemmentme battre au fouett !… Eh bien, il n’y a que toi, Maurin, pourlui expliquer convenablemein la çose et il n’y a que Pastouré pour,sans rien dire, lui faire sentir qu’il m’approuve égalemein.

– Compris ! dit Maurin en riant… OMarlusse, tu as un génie qui est bien agréable ! »

Marlusse regarda Pastouré qui, en silence,étendit le bras droit et leva le pouce de son poing fermé.

Marlusse rayonnait. Clic ! clac !clac ! le fouet battit la générale et, au bout de quelquesminutes, le char quittait la grande route et entrait dans un étroitchemin qui aboutissait au pré de Martin-l’aï.

Au bord du pré, une large allée sous de grandsormes. Un pré artificiel, au bord de la rivière, un pré magnifiquecomme il y en a peu en Provence !

« Nous sommes les premiers, dit Marlusse.Tant mieux. Attaçons le ceval à l’arbre que voici. »

Ils le firent et Marlusse eut tout le temps dedonner à ses deux amis les explications suprêmes. Son adversaire netarda pas à arriver, en voiture lui aussi, avec deux témoins,porteurs d’une paire de sabres.

Le capitaine Desacier s’était mis dès laveille à la recherche de deux anciens sous-officiers ; il lesavait trouvés au café du village et les avait priés de lui servirde témoins.

Tous ces messieurs s’entre-saluèrent, Marlusseet le capitaine restant un peu séparés de leurs témoins quis’abordèrent.

« Messieurs, dit Maurin aux deux témoinsdu capitaine, je m’appelle Maurin et voici mon amiM. Pastouré, chasseur comme moi. À qui avons-nousl’honneur ? »

Les autres se nommèrent : Rompinaz etCassadan, anciens sous-officiers de dragons, l’un actuellementbourrelier, l’autre épicier et marchand de faïences.

« Messieurs, j’ai été au service dans lamarine, dit Maurin, et je suis, d’autre part, prévôtd’armes. »

Les deux anciens sous-officiers resaluèrent,militairement cette fois. Maurin et Pastouré touchèrent le bord deleur chapeau. Le capitaine fit de même, et Marlusse le dernier.

« Messieurs, dit Maurin aux témoins ducapitaine, voici ce que je suis chargé de vous dire et que je vousprie d’écouter de toutes vos oreilles : mon client n’a jamaistenu un sabre. Je sais bien que, dans les usages du duel, celui desdeux adversaires qui sait jouer de son arme ne tient pas comptegénéralement de l’ignorance de l’autre ; mais, en même tempsque gensses d’honneur, nous sommes des gensses de progrès, nousautres, et vous aussi, je l’espère ! Voilà pourquoi nous avonspensé que vous n’accepteriez pas la responsabilité de mettre enprésence d’un adversaire bien armé un homme dont on pourrait, parle fait, dire qu’il est désarmé, vu et attendu qu’il tiendrait sonsabre comme une dévote tient un cierge.

– Ceci veut dire ? s’exclamainvolontairement le capitaine.

– Vous n’avez pas la parole, dit Maurinprésidentiel ; mais quel honneur pourriez-vous tirer d’unevictoire si facile contre un ennemi vaincu d’avance ?… En unmot comme en dix mille, poursuivit-il en se tournant de nouveauvers les témoins du capitaine, jamais nos deux hommes, dont l’unsait et dont l’autre ne sait pas l’escrime, n’arriveront à sebattre à armes égales, quand bien même leurs deux armes seraientd’égale longueur au millimètre et de poids égal au milligramme.

– Où voulez-vous en venir ? grognale capitaine ; vous ne m’avez pas dérangé pour rien,j’espère ?

– Vous n’avez pas la parole ! ditPastouré grave comme un chanoine, et dont la haute stature en eûtimposé à Rodomont en personne.

– Pour terminer, reprit Maurin, nousdemandons à égaliser la partie, et chacun de ces messieurs sebattra avec l’arme qu’il connaît le mieux.

– C’est-à-dire… ?

– C’est-à-dire que le capitaine qui a étélongtemps militaire pourra se battre avec son sabre…

– Et l’autre avec un pistoletpeut-être ? proféra rageusement l’ancien officier.

– L’autre, qui a été longtemps conducteurde diligence, se battra avec son fouett…

– C’est de l’insolence ! del’impertinence ! hurla le capitaine exaspéré.

– Permettez ! c’est de la justice,dit Maurin, d’autant plus que (si vous continuez à trouver justeque l’un de vous deux se serve d’une arme dont il ne connaît pasl’usage), nous vous permettons, bien entendu, – à vous, capitaine –de vous battre au fouett. »

Le capitaine piaffait de rage.

« Et, poursuivit Maurin tranquillement,pensant que vous arriveriez peut-être dans votre voiture avec unfouett de luxe, nous avons apporté deux fouetts decombat !

– C’est moi qui les ai vendus àM. Marlusse, déclara le bourrelier ; quarante-cinq souspièce, quarante sous en en prenant deux.

– J’en ai pour mes beaux quatrefrancs ! soupira Marlusse.

– Donc ce sont des fouetts honorables,reprit Maurin imperturbable. Allons, messieurs, commençons.

– Messieurs, grogna le capitaine, ça nese passera pas comme ça ! Je ne suis pas ici pour rire.

– Et tanbien nous ne rions pas, ditMaurin. Fourrez-vous bien dans le coco qu’entre les mains deM. Marlusse le fouet est une arme de mort !

– Allons donc ! fit le capitaine enhaussant les épaules.

– Monsieur, répliqua Maurin, trouvantdans son génie particulier le mot qui emporte les situations, je meconnais en armes et en courage. Le sabre, c’est une arme ; laconnaissance de l’arme en est une autre. Si vous prenez le sabreque nous ne connaissons pas et que vous connaissez, vous aurez deuxarmes et nous une seulemein !

« Est-ce juste cela, je vous le demandede bonne foi ? Répondez-nous, vous que vous êtesFrançais ! »

Le capitaine était, au fond, un brave homme etde bon sens. Cela lui tint lieu d’esprit.

« C’est pourtant vrai, dit-il, ça n’estpas très juste ! ».

Et il se mit à rire.

« Ah ! fit Pastouré, d’un ton desoulagement.

– Si ça vous amuse de vous battre avecmoi, je veux bien, déclara Maurin, à l’épée, au sabre, au fusil,même au canon ! mais je crois qu’il nous sera plus agréable àtous de voir comment M. Marlusse se débrouille avec lefouett ! Et vous me direz alors si ça ne serait pas du couragepour deux bons Français de se battre à cette arme-là, comme c’estla mode entre charretiers ! »

Le capitaine finit par comprendre qu’ilfallait rire de l’aventure…

« Voyons ça ! » dit-il, prenantson parti.

Dès qu’il eut prononcé ce mot :

« Allume ! » commanda d’unevoix retentissante Marlusse à Pastouré.

Alors, Pastouré, conformément aux instructionsque lui avait données Marlusse, alla ouvrir le caisson du char,sous le siège, et en tira trois paquets de bougies.

Après les bougies, il tira du caisson depetits chandeliers de faïence jaune qu’avec l’aide de Marlusse ildéposa ici, là, à droite, à gauche, quelques-uns sur le char,d’autres à terre, un peu au hasard, dans un espace assezétroit.

Le capitaine déjà amusé se prit à regardercette manœuvre avec plus d’étonnement que de rancune.

« Les chandeliers, dit l’épicier, c’estmoi qui les ai vendus : un sou pièce. Dix sous les douze.

– J’en ai pour mes beaux trentesous ! » soupira Marlusse…

Et se tournant vers son ennemi :

« À présent, aregardez-moi bien !J’accommence ! »

Il campa son chapeau sur sa nuque et, fouet enmain, il prit la position d’un duelliste en garde.

« Voyez-vous, dit-il, avec ce fouett à lamain, je ne crains personne. Montrez-moi un tavan (un taon) sur lacroupe de mon cheval, je peux vous le tuer sans que le cheval sentetant seulement le fin du fin bout de la mèche de mon fouett ;tenez, cette sauterelle au bout de cette herbe, lavoyez-vous ? clac ! elle y est ! cherchez, vous latrouverez… Avant que vous ayez pu avancer d’un seul pas, si vousêtes (une supposition !) en garde contre moi avec votre sabre,clic ! je vous l’entortille du fouett et je vous le tire enl’air, comme un rouquier au bout d’une ligne à pêcher, et prenezgarde qu’en retombant, la pointe en bas, il ne vous entre dans lecrâne ! du second coup, je vous crève l’œil droit, clac !et du troisième coup, l’œil gauche, clic ! Du quatrième coup,je vous entortille les deux jambes, je tire à moi, et vous tombezle nez par terre, pouf ! Alors vous êtes perdu, pechère !vu que, en quelques coups, clic, clac ! clic, clac ! jevous laisse pour mort… Un lion, monsieur ! quand j’ai mon armenaturelle en main, un lion je ne le craindrais pas, pourvu qu’ilfût borgne, car alors d’un coup unique je te le rendrais aveugle,clac !… Et maintenant, je vais finalement vous donner lapreuve de mon adresse terrible, puisque vous n’avez pas trouvé lasauterelle… vous n’avez pas bien cherché… nous la trouverons tout àl’heure…

« Première bougie ! clic !… jevous l’ai éteinte sans la faire remuer, sans renverser lechandelier, sans avoir rien touché que la flamme ! deuxièmebougie… prends-la en main, Pastouré ; non, non, n’étends pasle bras, mets-la près de ton nez, aye pas peur ! tu es sûr demoi !… clac !… éteinte, mieux qu’avec unéteignoir !… Maintenant numérotez dans votre esprit celles quirestent, en comptant à partir de celle-ci… là… oui… je vais vouséteindre tous les numéros pairs : 2, clic ! 4,clac ! 6, clic ! 8, clac !… »

Marlusse allait, venait, bondissait, selon ladistance qui le séparait de la bougie visée…

« 16, clic ! 24, clac !… Ehbien, messieurs… j’aurais pu, vous le voyez, 32, clic !m’engager dans un cirque, 34, clac ! mais ma pauvre mèren’aimait pas les comédiens ! !… Un temps de repos… latrente-sixième, clic, clac, éteinte !… Eh bien, qu’endites-vous, monsieur le capitaine ? je vous avais promis devous faire voir trente-six chandelles… Vous les avez vues !…faut-il éteindre les dernières ?

– Ça suffit, dit le capitaineréjoui ; allons déjeuner : je régale !… C’estmerveilleux !

– J’avais bien pensé que ça finiraitcomme ça, monsieur, dit Marlusse avec noblesse, car je lis lesjournaux et on y raconte beaucoup de duels qui tous, même à Paris,se terminent par une bouille-abaisse. Alors, j’ai mis dans lecaisson de ma voiture tout ce qu’il faut pour déjeuner en bienbuvant… Serre les bougies, Pastouré, que M. le témoin qui meles a vendues ne me les a pas fait payer au prix de lachandelle.

– C’est merveilleux ! dit lecapitaine. Je n’aurais jamais cru ça possible ! »

Tous riaient ; ils déjeunèrent sous lesgrands ormes, dans l’herbe, tandis que les chevaux dételésbroutaient à belles dents.

Au dessert, le capitaine, qui était un peugris, répétait sans fin le même mot : « C’estmerveilleux ! merveilleux ! »

Marlusse, qui semblait définitivement ivre, semit tout à coup à pleurer à chaudes larmes.

« Voyons, voyons, mon ami, lui ditaffectueusement le capitaine, vous n’avez pas de raison pour vousattrister ainsi ?… c’est merveilleux…

– Sian touti d’amis ! » ditPastouré avec un sérieux parfait.

Mais Marlusse se jeta dans les bras ducapitaine et, la tête contre son épaule :

« Jamais, monsieur, jamais je ne mesoûle, parce que dans ce pays-ci ce n’est pas la mode, mais j’aicompris à votre assent que vous êtes Bourguignon et que vous ne memépriseriez pas en me voyant empégué comme un de vos compatriotes…Ah ! quel malheur, monsieur ! quel malheur !…

– Un malheur ? dit le capitaine,plus ivre qu’il n’eût voulu… c’est merveilleux… contez-moi ça, jevous consolerai. C’est merveilleux…

– Ah ! monsieur le capitaine, ditMarlusse, je pleure, parce que avant dix ans, personne en France nesaura plus tirer le fouett. C’est une science qu’elle seperd ! Les totos mobiles l’ont tuée ! »

Et lui sanglota amèrement.

« Monsieur, lui dit le capitaine, je vousdois un déjeuner. C’est merveilleux…

– Il n’y a que les montagnes qui ne seretrouvent plus, après avoir trinqué ensemble », dit Marlussequi se souciait comme d’une nèfle de l’accord des métaphores.

Quand les deux groupes se furentquittés : « C’est égal, dit Maurin à Marlusse subitementdégrisé, tu étais bougrement soûl tout à l’heure.

– Hélas ! dit Marlusse avec un grandcalme, c’est ma destinée, pauvre moi, d’être toujours pris pour unautre. Toutes les fois que je le fais, on croit que je le suis. Etmême toi, ô Màourin ! même toi !… Comment ! tu n’aspas vu que je truffais de lui ? galéjàvi ! (jegaléjais !). »

À ce mot, le silencieux Pastouré étendit sonbras au bout duquel son poing fermé relevait le pouce, bienraide !

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