L’Illustre Maurin

Chapitre 36CHAPITRE XXXVI De l’agréable conversation que la jolie Corsoise eutavec son mousquetaire, et comment, en sa qualité de dragon chargéd’une reconnaissance, Parlo-Soulet se vit dans la nécessité derendre compte de sa mission et fut prolixe sans être ennuyeux, bienqu’il ne se parlât pas à lui-même.

À l’aubette, lorsque Saulnier se rendit à sontravail, Pastouré partit. Il se rendait aux Cabanes-Vieilles, pourchanger d’habits. Il devait au retour prendre à Cogolin ceux deMaurin et les lui rapporter aussitôt. Saulnier poussa lacomplaisance jusqu’à s’en aller, ce jour-là, travailler du côté dela cantine du Don. Il put de cette manière prévenir Tonia queMaurin s’ennuyait tout seul dans son cabanon, forcé, par son habit,de demeurer bien caché.

Elle vint le retrouver dès que cela futpossible, en se cachant elle aussi de son mieux, et elle s’étaitarrangée pour apporter à son Maurin de quoi boire et mangeragréablement.

De même qu’il lui plaisait à elle mieux qu’ungendarme, elle lui plaisait à lui mieux que toute autre, cettefille armée, et ils étaient très heureux quand ils étaientensemble. Vraiment il négligeait pour elle toutes les autres, maiselle n’y croyait guère. Il le lui répéta pourtant cette fois, maisces jalouses ne se contentent pas d’une parole.

« Quand je pense, dit-elle – en regardantautour d’elle, d’un air colère, les quatre murs de la cabane deSaulnier – quand je pense que tu as reçu ici cetteSecourgeon ! et que, pour jouer un tour à Sandri, tu t’es faitsurprendre avec une « serviciale » d’auberge !… Jene sais pas comment j’ai fait pour accepter de te rejoindre danscet endroit-ci. J’ai envie de tout prendre, tout ce qui s’y trouve,et de tout jeter dehors, puisque d’autres femmes sont pour toivenues ici !

– Garde-t’en bien », dit lemousquetaire, qui pour sa commodité s’était mis en bras de chemiseet n’avait plus d’un mousquetaire que la culotte…

Son épée était accrochée à un clou par-dessusson pourpoint, lequel était coiffé de son chapeau ; – et sesbottes évasées traînaient dans un coin, au pied de son tromblondebout et incliné contre le mur. Sa trompe de chasse ornait ledessus d’une méchante armoire…

« Songe que, excepté mes frusques demousquetaire qui n’ont commis aucun péché et qui viennent de mesancêtres, tout ici appartient à Saulnier… Il ne faut rien luiabîmer, pechère ! Il est si brave… quoiquebraconnier !

– Oui ! j’ai envie de m’en allerd’une maison où tu en as reçu d’autres, dit-elle, s’exaltant danssa rancune contre des choses passées… Tout ici me faithorreur !

– Voilà bien la jalousie ! dit lemousquetaire qui s’assit en attirant la belle fille sur ses genoux.Ça n’a pas de bon sens. Voyons ! Pourquoi t’en prendrais-tu àdes meubles ou à des murailles ? Il y aurait plus de raison àm’ôter la peau, car c’est elle qui est coupable, et après la peauce qui est dessous, l’âme ou le cœur ! Enfin, la jalousiedevrait tout détruire. Et si elle est, après tout, marque d’amour,on regretterait tout de suite de s’être privé de ce qu’onaime ; et je trouverais ça bien bête, Tonia, tout bête commeje suis moi-même. »

Elle boudait, farouche, excitée à sa rancunepar les images que présentait à son esprit cette chambre où ilsétaient.

Se levant avec violence, elle s’éloigna de luitout à coup.

« Il ne faudrait pas jouer avec ceschoses, Maurin cria rageusement la Corsoise. Ta peau dont tuparles, ta peau vivante qui a péché contre moi, je te l’arracheraistrès bien, dans une colère d’amour, comme à un lapin qu’ondépouille !

– Bougre ! dit-il, ça ne serait pasune petite besogne !… Allons ! allons ! du passé aumoins ne sois pas jalouse… Vrai, tu me plais tant, petite, qu’auxautres, depuis des jours, je ne pense plus.

– De sûr ? interrogea-t-elle,subitement radoucie.

– De sûr… Tiens, hier, je n’avais d’yeuxque pour toi.

– Oh ! tu ne me regardaisguère !

– C’est qu’il y avait beaucoup de chosesà regarder, dit Maurin : d’abord ces musiciens du diable, puisces gendarmes qui me guettaient, et encore toreros et taureaux etle reste – mais sur tant de belles filles qui grouillaientendimanchées, sois sûre qu’autrefois je m’en serais choisi au moinsune, tandis qu’hier, je n’y ai pas songé, ma foi de Maurin !Pas même les belles pipières de Cogolin, qui étaient toutesprésentes aux courses, ne m’ont détourné de penser à toi. Jepensais à toi dès que j’en avais loisir, et quand j’ai traité sibien les Espagnols, c’était à la vérité parce que j’étais grisé parla poudre et le besoin de faire du mouvement, mais c’était beaucoupaussi parce que je te sentais présente et témoin de tout, et que jevoulais te plaire !… N’est-ce pas qu’aux belles filles celaplaît toujours, de voir leur amoureux, l’épée à la main, se battreen homme hardiment ? »

Tonia souriait, charmée, domptée.

« C’est vrai que tu étais magnifique,Maurin ! Tu avais l’air de leur roi à tous. Et mon pèredisait : « Ah ! le bon bougre ! » Et lemonsieur sénateur et les maires ont applaudi… sans le vouloir, caril paraît que tu étais en faute.

– On est toujours en faute, dit lemousquetaire, dans ce pays-ci. En France, tout est défendu. Si jevoulais casser des cailloux à la place de Saulnier, il serait enfaute, je parie, et moi aussi. Si je voulais travailler ledimanche, je serais en faute, tout comme du temps où les curés nousgouvernaient. Sous la République, il faut être empereur pour toutse permettre.

– Empereur, dit-elle en riant, ouroi ! Roi des Maures ! »

Ils s’embrassèrent joyeusement. Puis elledit :

« Pour te revenir, le monsieur sénateur,pas loin duquel je passais, disait en sortant : « C’estun rude homme que ce Maurin ! Savez-vous bien que nous venonsd’assister à un duel pour de bon ?… Le toréador volontiers luiaurait piqué le ventre ! »

– Je me méfiais ! fit lemousquetaire.

– Et figure-toi, c’était si drôle, sidrôle – qu’on oubliait que vous couriez tous deux péril demort.

– C’est ça le mérite, affirma lemousquetaire. Nous avions chacun trois choses pointues à éviterpuisqu’il faut compter les deux poignards qu’un taureau porte sursa tête à la manière de Secourgeon mon compère. »

Elle lui tira la barbe, dans un mouvementd’irritation qui n’était pas chose feinte.

Lui, il aimait ces violences, lebravadeur.

« Il devait être bien drôle en effet, letoréador, reprit-il, quand mon pied crevait sa culotte et qu’iln’osait se retourner, occupé qu’il était à maintenir la bête àcornes en respect. Il est clair qu’à ce moment-là, s’il s’étaitoccupé de son derrière, il était perdu. »

Et dans la cabane de Saulnier, le mousquetaireet la belle fille riaient follement et entremêlaient de baisersleurs rires jeunes, leurs rires fous.

Elle lui dit :

« Je ne riais pas tout le temps, moi, jet’assure !… J’avais peur pour toi, je tremblais toute… Avectout ça, acheva-t-elle, te voilà encore dans de beaux draps !On va t’accuser d’avoir excité le monde à mettre le feu auxarènes !…

– On m’accuse de tout, dit Maurin. Un peuplus, un peu moins, à présent, qu’est-ce que ça peut faire ?Tout prend fin à la fin, et nous verrons la suite, et la fin aussinous la verrons. Mais ce qu’il y a de bien sûr, c’est qu’ils nem’auront pas de sitôt.

– Et que vas-tu fairemaintenant ?

– Mon prince russe veut maintenantcollectionner, après les oiseaux, les bêtes puantes de lamontagne ; il lui faut des fouines, des belettes, des martres,et jusqu’à des musaraignes et des tortues des Maures ! Jem’associerai Lagarrigue qui est un piégeur fameux et, pendant toutjuillet et jusqu’à l’ouverture de la chasse, nous piégerons decompagnie toute cette vermine. Et pour quant à l’ouverture, j’aipromis de la faire avec de beaux messieurs et notredéputé… »

Ainsi ils passèrent, à deviser, deux heuresbien agréables.

Tonia dut le quitter enfin, lui laissant debonnes provisions de bouche et promettant de revenir lelendemain.

Le lendemain, vers la fin du jour, elle étaitlà, lorsque reparut Pastouré.

« Eh bien ? dit Maurin, et mesfrusques ? Tu arrives sans ?…

– Il a bien fallu ! j’ai dû leslaisser dans les bois !… Les gendarmes en sont la cause.

– Mais Sacrebleu ! s’écria Maurin,je ne peux pourtant pas passer ma vie habillé enmousquetaire !… Si Saulnier avait deux pantalons il m’enprêterait un, mais il n’en a qu’un, pechère et qui lui est bienutile pour être convenable sur la route publique. Je ne peux pasrester avec ces bottes du temps d’Hérode et ce chapeau à plume quiferait courir, devant moi, même les tortues des Maures ! J’ail’air d’un de ces fantômes qu’on met debout au milieu d’un champ depetits pois pour épouvanter les moineaux. Trouve-moi un costume depersonne naturelle, poursuivit Maurin avec douleur. Le mousquetaireque je suis commence à m’embêter autant qu’un Espagnol ! Et jem’ennuie à la fin d’être ici prisonnier par la faute du grandSaint-Tropez !

– Tu t’emballes, déclara Pastouré… Teshabits ne sont pas très loin.

– Et où sont-ils ?

– Je vais te le dire.

– Allons les retrouver, s’écria Maurinqui enfila les manches de son pourpoint et qui mit ses bottes.Là-bas, je laisserai le costume de mes ancêtres… Tu le rapporteraschez moi.

– Allons-y ! allons-y ! grognaPastouré en secouant la tête… C’est facile à dire. Écoute d’abordmes explications. En te quittant, j’ai pris la diligence ; jesuis allé aux Cabanes-Vieilles, chez moi ; j’ai remis dans lecoffre mon costume de dragon et je suis revenu à Cogolin…

– Chez moi ?

– Chez toi ; j’entre ; jeprends tes habits de tous les jours, je ressors… un gendarme que tuconnais se présente à moi !

– Nom de pas Dieu ! nous y voilàencore ! dit Maurin en soupirant. Elle ne pense donc qu’à moi,la gendarmerie ? Et qu’est-ce qu’il t’a dit,celui-là ?

– Ils étaient deux, comme de juste« Nous savons que Maurin s’est enfui en tenue de bravadeur.Vous venez, c’est clair, chercher ses vêtements de tous les jours.Vous êtes requis de nous dire en quel endroit Maurin se cache àcette heure. »

– Tu n’as pas voulu me vendre, pardi etque leur as-tu répliqué ?

– Espère un peu ! –« Volontiers je vous le dirais, gendarmes, si je le savais. –Allons donc ! puisque vous portez ses habits, vous ne pouvezpas ignorer où il se trouve ! – C’est ce qui vous trompe,gendarmes, comme je vais vous le faire comprendre. L’ami Maurin estbeaucoup trop intelligent, voyez-vous, beaucoup trop pour ne pasprévoir que vous pouviez me rencontrer par hasard et me poser desquestions à son endroit ; et pour m’éviter l’ennui de vousmentir ou de le trahir sans le vouloir, il a pris la précaution dene pas me dire où il fait son gîte. – Et où était-il quand il nevous l’a pas dit ? – Il était à cheval. – Mais où ? – Surla route qui va de Saint-Tropez à Cogolin. – Et où alliez-vousprésentement ? – Ah ! voilà ! J’allais comme il mel’a demandé, déposer ce paquet dans un endroit du bois qu’il m’aexpliqué, et où, à son loisir, je ne sais pas quand il viendra lequérir. – Et quel est cet endroit ? » – Je voulus rire unpeu et je répondis : « À la Fontaine des Darnagas. – Jene connais pas cet endroit. Il n’est pas sur la carte. – Vous leconnaîtrez quand vous y serez. C’est un endroit qui s’appelle commeça sans le faire exprès, vu que c’est nous, Maurin et moi, quil’avons baptisé de la manière. – Marchez, nous vous suivons. »Ils me suivirent en effet, et je les ai conduits sous le Chêne desPalombes que tu connais, près de la source, dans le bois desArnaud.

« Arrivé près de la source, j’ai déposéle paquet ! et ils sont en train de le regarder, postés àquelques pas de là, comme des chasseurs à l’affût. Ils comptent,comme deux imbéciles, que tu viendras chercher tes habits et tefaire prendre au piège.

– Et comment est-ce qu’ils n’ont pasdeviné que tu allais m’avertir ?

– Ils ont cru se précautionnersuffisamment en me mettant dans la diligence qui retournait àCogolin… J’y suis monté par leur ordre, sous leurs yeux… mais j’ensuis redescendu un quart de lieue plus loin, j’ai pris par nossentiers d’escourche (de raccourci) et me voilà avec toi !C’est étonnant tout de même, à la réflexion, qu’ils n’aient pas eul’idée de venir te chercher dans le cabanon de Saulnier.

– Le cabanon rappelle trop à Sandri unehistoire où je lui ai fait jouer un rôle d’imbécile.

– De manière, dit Tonia jusque-làsilencieuse et très attentive, de manière que ces deux pauvresgendarmes à l’espère dans la broussaille, sont en train de regardertout le temps un paquet de vieux habits ? »

Elle se mit à rire à pleine gorge. Pastourécompléta :

« En train de regarder fixement laculotte, la veste, le chapeau et les souliers de Maurin, proprementficelés en un joli paquet à longues oreilles !… Ilst’espèrent, Maurin, ils te guettent ; ils sont prêts, si tu yvas, à te mettre la main au collet. Ma foi, ils peuvent les gardertant qu’ils voudront, tes culottes, puisque tu n’es pasdedans !

– Mais j’ai besoin d’y être !s’écria Maurin, j’en ai assez, je te dis, du métier demousquetaire ! j’irai là-bas ; j’y vais ! jereprendrai mes effets à leur barbe. »

Tonia jusqu’à son départ, et Parlo-Soulet unepartie de la nuit, et, avec Pastouré, Saulnier – qui rentrait dutravail – tous eurent beau supplier Maurin de renoncer à sonpérilleux projet ; il s’entêtait…

« Tu te feras prendre !

– Non !

– Si !

– Enfin, dit Pastouré, demain il ferajour : nous verrons mieux l’affaire au soleil. »

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