L’Illustre Maurin

Chapitre 10Où l’on verra l’humeur batailleuse et justicière du Roi des Maures,et même la moralité du don Juan des Bois, mettre de nouveau Maurinen fâcheuse posture vis-à-vis des lois de son pays.

Maurin ne fut pas longtemps en paix avec lagendarmerie. De nouvelles aventures ne devaient pas tarder à lesignaler encore aux officiers de justice…

Maurin battait avec Pastouré les marais deFréjus. Ils y firent la rencontre d’un chasseur qui, non loind’eux, tira et manqua une bécassine, que Maurin très distinctementput voir, après son troisième crochet, filer et se perdre au loin.L’homme, une manière de rustre, vêtu en bourgeois cossu, taillé enhercule quoique pas très grand, avec un front bas et têtu, cria àson chien :

« Cherche !apporte ! »

« Monsieur, dit poliment Maurin, labécassine est manquée. Votre chien ni aucun chien du monde ne vousla pourrait rapporter.

– La bécassine est manquée, confirmaPastouré.

– Cherche ! apporte ! répéta lebourgeois à son chien.

– Vous avez là, dit Maurin, une bêtemagnifique !

– C’est vrai, dit l’autre ; il m’acoûté cher, et je ne le possède pas depuis longtemps ; aussiil ne m’obéit guère. Cherche, Faraud ! »

Le chien cherchait patiemment et, bienentendu, ne trouvait rien.

« Il est aussi bête que joli »grogna son maître.

Et comme le chien ne trouvait toujours pas labécassine envolée, il le frappa stupidement du pied. Le chien,plaintif, se réfugia dans les jambes de Maurin.

L’homme accourut pour l’y prendre, plein demenaces :

« Attends, coquin ! attends un peu,rosse ! Tu le connais déjà, hein, mon pied ? Eh bien, levoilà qui arrive ! »

Rouge de colère, il avançait la main vers lecollier de la malheureuse bête qui, de peur, se coucha sur ledos.

« Vous ne battrez pas ce chien, ditfroidement Maurin, parce qu’il n’est pas dans son tort et parcequ’il me demande de le défendre.

– Et nous sommes deuss ! appuyaPastouré laconique.

– Mon chien est à moi, jepense !

– Jusqu’à un certain point, oui, ditMaurin ; mais un chien est un chien. C’est pas un esclave,preutêtre.

– Allez au diable ! hurla l’autre,je ne vous connais pas.

– Eh bien, dit Maurin, vous meconnaîtrez ! »

Et comme, de nouveau, l’homme étendait la mainpour s’emparer de son chien, Maurin prit l’homme par l’épaule et lefit pirouetter comme un toton.

Alors, exaspéré, le rustaud sanguin seretourna et mit le bout du canon de son fusil sur la poitrine deson adversaire improvisé.

Maurin détourna le canon qu’il avait saisi àplein poing, en criant :

« Lâche ton arme ! »

Le ton d’autorité de Maurin eut un effetsingulier :

L’homme involontairement obéit et abandonnason fusil que Maurin déposa à terre, auprès du sien ; puis ilse débarrassa de son carnier et dit à l’homme :

« Avance donc, espèce debrute ! »

Un moment décontenancé, le personnage avaitrepris ses idées.

À son tour il se débarrassa de son carnier etse mit en posture de combat.

Pastouré, tranquille, dit :

« Tu m’en laisseras un peu, hé ?

– Les lâches, c’est vous, proféral’autre ; vous êtes deux !

– Oh ! moi, dit Pastouré, je gardeles armes. »

Les deux lutteurs s’étreignirent. Ce ne futpas long : Maurin souleva de terre son adversaire et le jeta,de dos, dans l’herbe et la boue.

L’homme se releva, et, menaçant, courut denouveau sur son ennemi.

« Tu en reveux ? cria Maurin. Prendsgarde ! Cette fois, je cognerai ! »

Mais son ennemi était devenu comme fou derage ; il se précipita sur Maurin, tête baissée. Maurin pritla tête de l’homme, la mit sous son bras gauche serré contre soncorps comme un étau et frappant à grands coups, du plat de sa main,sur le derrière de l’inconnu :

« Ah ! tu veux battre tonchien ? ah ! tu y tiens donc beaucoup, à battre tonchien ? Souviens-toi qu’il ne faut pas battre son chien !Je t’apprendrai la justice, brute ! La sens-tu entrer,bestiasse, dans ton derrière, la justice ? Battras-tu encoreton chien, bête brute ? En as-tu assez, batteur dechien ? »

Quand il le lâcha, l’homme, ivre de fureur,revint encore sur Maurin, un couteau ouvert à la main. AlorsMaurin, du poing, lui ensanglanta la figure et lui dit :

« As-tu ton compte ?… Tiens,reprends ton fusil.

« Décharge-le d’abord, Pastouré, etconfisque ses cartouches, qu’il nousassassinerait ! »

Le battu se le tint pour dit cette fois ets’éloigna ; mais, à la mairie voisine, il porta contre Maurinune plainte en règle. Coups et blessures, vol de cartouches et volde chien ! car le chien du chasseur avait refusé de le suivreet obstinément, malgré les ordres réitérés de Maurin et dePastouré, il s’attachait à leurs talons, suppliant qu’on le gardât.C’est d’une si douce voix que ses deux amis lui disaient :« Allons, va-t’en, mon brave ; suis ton maître, mon bonchien ! » tandis qu’à l’ordinaire son maître l’appelaitd’un ton qui le faisait fuir.

« Pas moins, dit Pastouré, nous y voilàretombés, dans leurs satanés procès-verbaux !

– Aussi, répliquait Maurin, fallait-illaisser battre ce brave animal ?

– Non, pour sûr ! ditPastouré ; mais n’empêche qu’il eût mieux valu ne rencontrerni lui ni son maître. »

Ils devisaient ainsi lorsque, au beau milieude la plaine, ils aperçurent un autre chasseur assez semblable aupremier et qui se trouvait être un riche marchand de porcs, venu deNice pour chasser la bécassine. Cet homme, son fusil entre lesjambes, portant sur le flanc un carnier neuf orné d’un filet àfranges, était assis sur un tronc d’arbre abattu et de minute enminute il tirait, d’un sifflet d’argent suspendu à son cou, un sonprolongé, aigu et strident.

En faisant cela, il paraissait s’acquitterd’une besogne importante dont il ne verrait jamais la fin et quiabsorbait toute son attention.

La chose aux deux braconniers parut sicurieuse qu’ils s’arrêtèrent pour la contempler. L’homme nesemblait pas les voir et continuait son manège. Visiblement il enperdait la respiration et se fatiguait beaucoup.

« Eh ! l’ami ! fit le familierMaurin, que faites-vous donc là ?

– Vous le voyez, dit l’autre, jesiffle. »

Et il siffla.

« Que vous sifflez, je le vois, ditMaurin, mais pourquoi sifflez-vous ? Il y a, à vous entendre,de quoi mettre en fuite jusqu’aux poissons sous l’eau de lamer ! »

L’homme, imperturbable, siffla encore, puis ilprononça :

« Je siffle mon chien. Je le siffle commeça depuis ce matin.

– Vous avez tous les deux une bravepatience, car il est tout à l’heure midi… Et alors, il vous aquitté depuis ce matin, votre chien ?

– Oui, dit l’homme (toujours sifflant detemps en temps), c’est un chien tout neuf (coup de sifflet) qui,hier, à Nice, m’a coûté bien cher (coup de sifflet) et qu’on m’adonné pour excellent (coup de sifflet), c’est un chien à grandequête… Nous avons pris le train pour venir ici chasser ensemble. Àla gare de Fréjus, ce matin à huit heures, mon chien m’a quitté(coup de sifflet) et depuis ce temps je le siffle… (coup desifflet). Et mon chien n’est toujours pas là. »

Et s’épongeant le front, il soupira tout àcoup, avec une résignation vraiment touchante :

« Qu’heureusement il n’y a pas dezibier ! qu’en courant comme il court, mon chien, s’il étaitlà, me le lèverait tout de devant !

– Moussu, dit Maurin, tirant son chapeauavec une extrême politesse : aï vi fouàsso couyouns dins mapùto dé vido, maï coumo vous, jamaï ! c’est-à-dire : j’aivu beaucoup d’imbéciles dans ma malheureuse vie mais d’aussi beauque vous jamais ! »

L’homme, ahuri, leva les yeux sur Maurin quiajouta en souriant :

« Il faut croire que votre chien, commemoi, vous a assez vu ! Bonsoir, la compagnie. »

L’homme se fâcha : querelles, bourrades.Si bien qu’une heure après, toujours sifflant son chien, il allaporter plainte à la gendarmerie de Fréjus, où il donna par surcroîtle signalement de sa bête.

On reconnut aisément Maurin aux renseignementsdes deux plaignants successifs et il fut entendu que le Roi desMaures, désirant exploiter à lui tout seul les marais de Fréjus,cherchait à tous les chasseurs honorables des querellesd’Allemand.

Et le soir, en quittant Maurin, Pastouré sedisait tout haut.

« Ils en diraient de belles, s’ilsparlaient, les chiens ! Les chiens vous aiment par amour. Lanourriture pour eux vient après l’amour. Offrez un gigot à monchien et moi je lui offrirai une caresse. Il me suivra, moi, malgrévotre gigot… Battre un chien, c’est un crime. Battre un homme qui abattu un chien, c’est une bénédiction. Mais les hommes ont fait laloi, et la loi n’est pas pour les chiens. Alors, cogne sur l’homme,mon homme, quand il bat le chien, car en frappant sur le chien, ila frappé sur mieux qu’un homme. Le chien ne parle pas, il jappe, etquand il le voudrait, il ne trahirait pas le secret delui-même.

– Encore une journée comme celle-là etSandri va bien rire », se disait Maurin.

Malheureusement cette journée n’était pasfinie. Le soir même, comme Maurin portait un héron magnifique à lavilla de son prince russe, à Saint-Raphaël, il aperçut devant luisa fille…

Il hâtait le pas dans l’obscurité commençante,pour la rejoindre, quand un homme bien mis s’approcha de lafillette qui retournait à la villa du prince chez lequel, depuisquelque temps, elle était placée comme lingère.

Thérèse fit un petit cri et pressa le pas.L’homme la suivit, avec toutes les allures de ceux qui, malgréelles, suivent les femmes. Elle lui échappa enfin et disparutprestement sous le portail du parc de la villa.

Maurin aborda le monsieur qui, inquiet,s’exclama :

« Que me voulez-vous ?

– Monsieur, dit Maurin, lorsque, tout enétant un brave homme, on fait son métier de coq, qui est derechercher les poulettes, – c’est la force de la nature ! – ilfaut, si l’on est un brave homme, s’adresser à celles qui nedemandent pas mieux. »

Et comme le monsieur voulait s’esquiver,Maurin d’une main ferme le maintint par le collet et gravement luidit :

« Vous entendrez ma leçon, jeunehomme ! Je vous dis de vous adresser à celles à qui plairavotre vilaine figure. Je n’ai jamais fait autrement. Il faut êtreun peu honnête, hé ? mon brave monsieur ! Quand lesfilles malhonnêtes nous poursuivent et se veulent faire épouser enjurant qu’elles sont sages, alors contre elles tout est bon, carelles essaient de nous prendre en traître et de nous faire perdrela tranquillité de la vie. Mais ici c’est vous qui cherchez àprendre une femme en traîtrise ! Vous entendez, mon beaupitoua ?… Vous m’avez l’air d’un chaud lapin. Mais dans lesmêmes occasions, j’en ai vu refroidir de plus chauds quevous ! »

Ayant prononcé ces mémorables paroles, Maurinlâcha son prisonnier qui, très pâle, balbutia :

« Ah ! çà, que me voulez-vous ?Qui êtes-vous ?

– Ce que je veux ? vous dire ça, pasplus… Je suis Maurin, le père de la fillette. Tenez-le-vous pourdit. »

L’inconnu se sauva.

Maurin avait cru faire une allusion biencachée à l’affaire Grondard ; mais le propos, répété, futdiscuté, interprété, et de plaignant en gendarme et de brigade enbrigade arriva aux oreilles de Sandri qui s’écria :« C’est l’aveu ! » Les affaires du donQuichotte-paysan se gâtaient de nouveau. Ordre fut donné del’arrêter. La persécution recommençait. On se garda d’avertir lepréfet… On se cacha de Cabissol.

« Il a encore trop parlé, disaitPastouré, parlant tout seul… Quand je vous dis qu’un… soupir deCaboufigue, on peut le retourner contre vous ! Avant de luilaisser sa liberté, regarde autour de toi, si tu es en plein champ,et sous ton lit si tu es couché, car sous ton lit, il pourrait yavoir… qui sait ? un de tes meilleurs amis ! Et qu’est-cetrop souvent que nos amis eux-mêmes ? des gens – pauvremoi ! – qui de vos confidences se font des fusils contrevous !… Vive Bassompierre ! »

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