Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre III

Entrant dans la salle je vois madame=dans un coin attentive à lire à une lettre. Je l’approche pour lui demander excuse de ne l’avoir pas attendue pour déjeuner avec elle : elle me répond que j’ai bien fait ; et elle me dit que si je n’avais pas encore prisa la maison de campagne qui m’était nécessaire, je lui ferais plaisir à me déterminer pour celle que me proposera son mari vraisemblablement le même [soir]b pendant le souper.

Elle ne put pas me dire davantage, car on l’appela à un quadrille1. Je me suis dispensé de jouer. À table tout le monde me parla de ma santé, et des bains que je voulais faire dans une maison de campagne que je voulais louer. M.=, comme son épouse m’avait prévenu me parla d’une près de l’Aar, qui était charmante ; mais on veut, me dit-il, la louer au moins pour six mois. Je lui ai répondu que pourvu qu’elle me plaise, et que je sois le maître de partir quand je veux je payerai les six mois d’avance.

— Il y a une salle, dont on ne connaît pas la plus belle dans tout le canton.

— Tant mieux : j’y donnerai un bal. Allons la voir demain matin pas plus tard. J’irai vous prendre chez vous à huit heures.

— Je vous attendrai avec plaisir.

J’ai ordonné avant de me coucher une berline à quatre chevaux, et à huit heures j’ai trouvé Monsieur=tout prêt. Il me dit qu’il avait voulu engager sa femme à venir avec nous ; mais que c’était une paresseuse qui aimait le lit. Nous arrivâmes à la belle maison en moins d’une heure ; et je l’ai trouvée merveilleuse. On aurait pu y loger vingt maîtres. Outre la salle que j’ai admirée, il y avait un cabinet tapissé d’estampes choisies. Grand jardin, beau potager, jeux d’eaux, et un corps de logis très commode pour faire des bains. Après avoir trouvé tout beau, nous retournâmes à Soleure. J’ai prié M.=de se charger de tout pour que je pusse y aller le surlendemain.cJ’ai trouvé madame son épouse, qui se montra enchantée quand son mari lui dit que la maison m’avait plu. Je leur ai dit que j’espérais qu’ils viendraient souvent me faire l’honneur d’y dîner, et M.=m’en donna parole. Après lui avoir payé les cent louis qu’on voulait pour le loyer de six mois, je l’ai embrassé, et je suis allé dîner, comme toujours, avec l’ambassadeur.

D’abord que je lui ai dit que j’avais louéd la maison que M.=m’avait proposée pour complaire à sa femme qui m’avait prévenu, il n’y trouva rien à redire.

— Mais est-ce tout de bon, me dit-il, que vous pensez d’y donner un bal ?

— Tout de bon, si je peux avoir pour mon argent tout ce qu’il me faut.

— Vous ne serez pas embarrassé pour cela, car vous trouverez chez moi tout ce que vous ne pourriez pas trouver pour votre argent. Je vois que vous avez envie de dépenser. En attendant vous aurez deux laquais, la gouvernante, et le cuisinier, mon maître d’hôtel les payera, et vous le rembourserez ; il est honnête homme. J’irai manger quelquefois votre soupe2, et j’écouterai avec plaisir la jolie histoire de l’intrigue courante. J’estime beaucoup cette jeune femme ; sa conduite est au-dessus de son âge, et les marques d’amour qu’elle vous donne doivent vous la faire respecter. Sait-elle que je sais tout ?

— Elle ne sait autre chose sinon que V. E. sait que nous nous aimons, et elle [43r] n’en est pas fâchée, car elle est sûre de votre discrétion.

— C’est une femme charmante.

Un apothicaire, auquel le médecin m’avait recommandé, est parti le même jour pour aller me composer les bains, qui devaient me guérir d’une maladie que je n’avais pas ; et le surlendemain j’y suis allé aussi après avoir ordonné à Leduc de me suivre avec tout mon bagage.

Mais ma surprise ne fut pas petite, lorsqu’entrant dans l’appartement que je devais occuper j’ai vu une jeune femme ou fille d’une très jolie figure qui étant venue à moi voulait me baiser la main. Je la retire, et mon air d’étonnement la fait rougir.

— Êtes-vous de la maison ? Mademoiselle.

— Le maître d’hôtel de monseigneur l’ambassadeur m’a engagée à votre service en qualité de gouvernante.

— Pardonnez à ma surprise. Allons dans ma chambre.

D’abord que je fus seul, je lui dis de s’asseoir près de moi sur le canapé. Elle me répond avec douceur, et de l’air le plus modeste qu’elle ne pouvait pas recevoir cet honneur.

— Comme il vous plaira ; mais vous n’aurez pas de difficulté, j’espère, à manger avec moi quand je vous prierai, car quand je mange seul je m’ennuie.

— Je vous obéirai.

— Où est votre chambre ?

— La voilà. C’est le maître d’hôtel qui me l’a montrée ; mais c’est à vous à commander.

Elle était derrière l’alcôve où il y avait mon lit. J’y entre avec elle ; et je vois des robes sur un sopha : un cabinet de toilette attenant avec tout l’attirail d’usage, jupes, bonnets, souliers, pantoufles, et une belle malle ouverte où je vois du linge en abondance. Je la regarde, je la considère dans son maintien sérieux, et j’approuve sa morgue ; [43v] mais il me semble de devoir lui faire un rigoureux examen, car elle était trop intéressante, et trop bien nippée pour n’être qu’une femme de chambre. J’imagine que c’est un tour que M. de Chavigni m’a joué, car une pareille fille qui ne pouvait avoir que vingt-quatre à vingt-six ans, et qui avait la garde-robe que je voyais, me paraissait plus faite pour être la maîtresse d’un homme comme moi que la gouvernante. Je lui demande si elle connaît l’ambassadeur, et quels gages on lui avait accordés ; et elle me répond qu’elle ne connaissait l’ambassadeur que de vue, et que le maître d’hôtel lui avait dit qu’elle aurait deux louis par mois outre la table dans sa chambre. Elle me dit qu’elle était lyonnaise, qu’elle était veuve, et qu’elle s’appelait Dubois.

Je la laisse sans pouvoir décider ce qui arrivera, car plus je la regardais, et lui parlais plus je la trouvais intéressante. Je vais dans la cuisine, et je vois un jeune homme qui travaillait à de la pâte. Il s’appelait du Rosier. J’avais connu son frère au service de l’ambassadeur de France à Venise3. Il me dit qu’à neuf heures mon souper serait prêt.

— Je ne mange jamais seul.

— Je le sais.

— Combien avez-vous par mois ?

— Quatre louis4.

Je vois deux domestiques de bonne mine, bien vêtus. Un d’eux me dit qu’il me donnerait le vin que je lui demanderais. Je vais à la petite maison des bains, où je trouve le garçon apothicaire qui travaillait à composer le bain que je devaise prendre le lendemain, et tous les jours.

Après avoir passéf une heure au jardin, je vais chez le concierge, où je vois une nombreuse famille, et des filles qui n’étaient pas méprisables. Je passe deux heures à causer avec elles, enchanté que tout le monde parlât français. Ayant envie de voir toute ma maison, la femme du concierge me conduisit partout. Je suis retourné à mon appartement où [44r] j’ai trouvé Leduc qui vidait mes malles. Après lui avoir dit de donner mon linge à Madame Dubois je suis allé écrire. C’était un joli cabinet au Nord à une seule fenêtre. Une perspective enchanteresse paraissait faite pour faire naître dans l’âme d’un poète les idées plus heureuses engendrées par la fraîcheur de l’air, et par le silence sensible qui flatte l’ouïe dans une riante campagne. Je sentais que pour jouir de la simplicité de certains plaisirs l’homme a besoin d’être amoureux, et heureux. Je me félicitais.

J’entends frapper. Je vois ma belle gouvernante qui d’un air riant, qui ne ressemblait en rien à celui qu’on a quand on va se plaindre, me prie de dire à mon valet de chambre d’être poli avec elle.

— En quoi vous a-t-il manqué ?

— Peut-être en rien, selon lui. Il voulait m’embrasser, je m’y suis refusée, et lui croyant d’en avoir le droit devint un peu insolent.

— De quelle façon ?

— Se moquant de moi. Excusez monsieur, si j’y fus sensible. Le ricanement me déplaît.

— Vous avez raison ma bonne5. Il ne sort que de la sottise, ou de la malice. Leduc saura d’abord qu’il doit vous respecter. Vous souperez avec moi.

Une demi-heure après, étant venu me demander quelque chose, je lui ai dit qu’il devait respecter la Dubois.

— C’est une bégueule, qui n’a pas voulu que je l’embrasse.

— Tu n’es qu’un faquin.

— Est-ce votre femme de chambre, ou votre maîtresse ?

— C’est peut-être ma femme.

— Ça suffit. J’irai m’amuser chez le concierge.

Je me suis trouvé très satisfait de mon petit souper, et d’un excellent vin de Neufchâtel. Ma gouvernante était habituée au vin de la côte6, qui était aussi exquis. Je fus à la fin très content et du cuisinier, et de la modestie de ma bonne, et de mon Espagnol qui la changea d’assiette sans nulle affectation. J’ai dit à mes gens de s’en aller après avoir ordonné mon bain pour six heures du matin. Étant resté seul à table avec cette trop belle personne, je l’ai priée de me conter son histoire.

[44v] Mon histoire est fort courte. Je suis née à Lyon. Mon père, et ma mère me conduisirent avec eux à Lausanne, comme je l’ai su d’eux-mêmes, car je ne m’en souviens pas. Je sais que j’avais quatorze ans quand mon père qui était cocher chez madame d’Ermance mourut7. Cette dame me prit chez elle, et trois ou quatre ans après je suis entrée au service de Miladi Montaigu8 comme fille de chambre, et son vieux valet de chambre Dubois m’épousa. Trois ans après je suis restée veuve à Windsorg, où il est mort. L’air d’Angleterre me menaçant la consomption9 j’ai demandé mon congé à ma généreuse maîtresse qui me l’accorda me payant mon voyage, et me faisant des présents considérables. Je suis retournéeh à Lausanne chez ma mère, où je suis entrée au service d’une dame anglaise, qui m’aimait beaucoup, et qui m’aurait conduitei en Italie avec elle si elle n’avait conçu des soupçons par rapport au jeune duc de Rosburi quij paraissait amoureux de moi. Elle l’aimait, et elle me croyait secrètement sa rivale. Elle se trompait. Elle me combla de présents, et elle me renvoya à ma mère, où j’ai vécu deux ans du travail de mes mains. Monsieur Lebel maître d’hôtel de l’ambassadeur me demanda il y a quatre jours, si je voulais entrer au service d’un seigneur italien en qualité de gouvernante, et il me dit les conditions. J’y ai consenti, ayant toujours eu une grande envie de voir l’Italie ; cette envie fut la cause de mon étourderie : je suis partie d’abord ; et me voilà.

— De quelle étourderie parlez-vous ?

— D’être venue chez vous sans vous connaître auparavant.

— Vous ne seriez donc pas venue, si vous m’aviez connu auparavant ?

— Non certainement, car je ne trouverai plus de condition chez des femmes. [45r] Vous semble-t-il d’être fait pour avoir une gouvernante comme moi sans qu’on dise que vous me tenez pour autre chose ?

— Je m’y attends, car vous êtes fort jolie, et je n’ai pas l’air d’un polype10 ; mais je m’en moque.

— Je m’en moquerais aussi, si mon état me permettait de braver certains préjugés.

— C’est-à-dire, ma belle dame, que vous seriez bien aise de retourner à Lausanne.

— Pas actuellement, car cela vous ferait du tort. On pourrait croire que vous m’avez déplu par des procédés trop libres, et vous porteriez aussi sur moi peut-être un faux jugement.

— Que jugerais-je ? Je vous prie.

— Vous jugeriez que je veuxk vous en imposer.

— Cela pourrait être, car votre départ brusque, et déraisonnable me piquerait au vif. Mais tout de même je suis fâché pour vous. Telle étant votre façon de penser vous ne pouvez ni rester volontiers avec moi, ni vous en aller. Vous devez cependant prendre un parti.

— Je l’ai déjà pris. Je reste, et je suis presque sûre que je ne m’en repentirai pas.

— Votre espoir me plaît ; mais il y a une difficulté.

— Aurez-vous la bonté de me la déclarer ?

— Je le dois, ma chère Dubois. Point de tristesse, et point de certains scrupules.

— Vous ne me trouverez jamais triste ; mais expliquons-nous de grâce sur l’article des scrupules. Qu’entendez-vous par scrupules ?

— J’aime cela. Ce mot scrupule dans l’acception ordinaire signifie une malice superstitieuse qui croit vicieuse une action qui peut être innocente.

— Si l’action me laisse dans le doute, je ne me sens pas portée à en juger sinistrement11. Mon devoir ne m’ordonne que de veiller sur moi.

— Vous avez beaucoup lu je crois.

— Je ne fais que lire même, car sans cela je m’ennuierais.

— Vous avez donc des livres ?

— Beaucoup. Entendez-vous l’anglais ?

— Pas un mot.

— J’en suis fâchée, car ils vous amuseraient.

— Je n’aime pas les romans12.

— Ni moi non plus. J’aime bien cela. Par quoi, s’il vous plaît, m’avez-vous ainsi à la hâte jugée romanesque ?

— Voilà ce que j’aime aussi. Cette incartade me plaît ; et je suis charmé de commencer moi-même à vous faire rire.

— Excusez, si je ris, car…..

— Point de car. Riez à tort, et à travers, et vous ne trouverez jamais un meilleur moyen de me gouverner. Je trouve que vous vous êtes donnée à moi à trop bon marché.

— Je dois encore rire, car il ne tient qu’à vous d’augmenter mes appointements.

Je me suis levé de table fort surpris de cette jeune femme, qui avait tout l’air de parvenir à me prendre par mon faible. Elle raisonnait ; et dans ce premier dialogue elle m’avait déjà mis au sec13. Jeune, belle, mise avec élégance, et de l’esprit, je ne pouvais pas deviner où elle me mènerait. Il me tardait de parler à ce M. Lebel qui m’avait procuré un pareil meuble14.

Après avoir ôté le couvert, et avoir porté tout dans sa chambre, elle vint me demander si je mettais des papillotes sous mon bonnet de nuit. Cette affaire regardait Leduc ; mais je lui ai donné avec plaisir la préférence. Elle s’en acquitta très bien.

— Je prévois, lui dis-je, que vous me servirez comme miladi Montaigu.

— Pas tout à fait ; mais puisque vous n’aimez pas la tristesse, je dois vous demander une grâce.

— Demandez ma chère.

— Je ne voudrais pas vous servir au bain.

— [46r] Que je meure, si j’y ai seulement pensé. Ce serait scandaleux. Ce sera l’affaire de Leduc.

— Je vous prie donc de me pardonner, et j’ose vous demander une autre grâce.

— Dites-moi librement tout ce que vous désirez.

— Puis-je faire coucher avec moi une des filles du concierge ?

— Je vous jure en vérité que si j’y avais pensé un seul moment je vous en aurais priée. Est-elle dans votre chambre ?

— Non.

— Allez l’appeler.

— Je ferai cela demain, car si j’y allais à présent on pourrait inventer des raisons. Je vous remercie.

— Ma chère amie, vous êtes sage. Soyez sûre que je ne vous empêcherai jamais de l’être.

Elle m’aida à me déshabiller, et elle dut m’avoir trouvé très décent ; mais, pensant à mon procédé avant de m’endormir, j’ai vu qu’il ne dérivait pas de vertu. J’avais le cœur pris de madame=, et la Dubois même m’en avait imposé : j’en étais peut-être la dupe ; mais je nel m’arrêtais pas à cette pensée.

Le matin j’ai sonné Leduc, qui me dit qu’il n’espérait pas d’avoir cet honneur. Je l’ai appelé sot. Après avoir fait un bain froid, je me suis recouché, lui ordonnant deux tasses de chocolat. Ma bonne entra dans un déshabillé fort galant, et toute riante.

— Vous êtes gaie ma belle gouvernante.

— Gaie, parce que je suis très contente d’être avec vous, j’ai bien dormi, je me suis promenée, et j’ai dans ma chambre une fille qui est fort jolie, et qui couchera avec moi.

— Faites-la entrer.

J’ai ri voyant une laideron à l’air farouche. Je lui ai dit qu’elle prendra avec moi tous les matins du chocolat, et elle s’en montra bien aise me disant qu’elle l’aimait beaucoup. L’après-dîner M. de Chavigni vint passer avec moi [46v] trois heures, et il fut content de toute la maison ; mais très surpris de la gouvernante, dont Lebel m’avait pourvu. Il ne lui en avait rien dit. Il trouva que c’était le vrai remède pour me guérir aussi de l’amour que mad.=m’avait inspiré. Je l’ai assuré qu’il se trompait. Il lui dit tout ce qu’il pouvait lui dire de plus honnête.

Pas plus tard que le lendemain, précisément dans le moment que j’allais me mettre à table avec ma bonne, une voiture entre dans ma cour, et je vois Madame F.. qui en sort. J’en fus surpris, et fâché ; mais je ne pouvais pas me dispenser de lui aller au-devant.

— Je ne m’attendais pas, madame, à l’honneur que vous me faites.

— Je suis venue vous demander un plaisir après que nous aurons dîné.

— Venez donc d’abord, car la soupe est sur la table. Je vous présente madame Dubois. Madame de F…, dis-je à celle-ci, dînera avec nous.

Ma bonne fit les honneurs de la table jouant le rôle de maîtresse comme un ange, et la F…, malgré sa morgue, ne s’est donné le moindre air. Je n’ai pas dit vingt paroles pendant tout le dîner, ni eu pour cette folle aucune attention, étant impatient de savoir de quelle espèce était le plaisir qu’elle voulait me demander.

D’abord que la Dubois nous quitta, elle me dit sans détour qu’elle était venue me prier de lui donner deux chambres pour trois ou quatre semaines. Très surpris de son effronterie, je lui réponds que je ne pouvais pas lui faire ce plaisir.

— Vous me le ferez, car toute la ville sait que je suis venue vous le demander.

— Et toute la ville saura que je vous l’ai refusé. Je veux être seul, et [47r] en pleine liberté : la moindre compagnie me gênerait.

— Je ne vous gênerai pas ; et il ne tiendra qu’à vous de ne pas savoir que je suis chez vous. Je ne trouverai pas mauvais que vous ne vous informiez pas même de ma santé, et je ne m’informerai pas de la vôtre quand même vous tomberiez malade. Je me ferai faire à manger par ma servante dans la petite cuisine, et je n’irai pas me promener au jardin quand je saurai que vous y êtes. L’appartement que je vous demande sont les deux dernières chambres au premier, où je peux entrer, et sortir par le petit escalier sans être vue, et sans voir personne. Dites-moi actuellement si en stricte politesse vous pouvez me refuser ce plaisir.

— Si vous connaissiez les seuls principes de la politesse vous ne l’exigeriez pas, et vous n’insisteriez pas après m’avoir entendu vous le refuser.

Elle ne me répond pas, et je me promène par la chambre en long, et en large comme un forcené. Je pense à la faire mettre à la porte. Il me semble d’avoir droit de la traiter comme une folle, puis je réfléchis qu’elle avait des parents, et qu’elle-même traitée sans aucun ménagement deviendrait mon ennemie, et exécuterait peut-être quelqu’horrible vengeance. Je pense à la fin que madame=condamnerait toute résolution violente que je pourrais prendre pour me délivrer de cette vipère.

— Eh bien madame, lui dis-je, vous aurez l’appartement, et une heure après que vous y serez entrée je retournerai à Soleure.

— J’accepte donc l’appartement, et j’y [47v] entrerai après-demain, et je ne crois pas que vous ferez la folie de retourner pour cela à Soleure. Vous feriez rire toute la ville.

Disant cela, elle se leva, et elle partit. Je l’ai laissée aller sans bouger ; mais un moment après je me suis repenti d’avoir cédé, car sa démarche, et son effronterie étaient inouïesm, et sans exemple. Je me trouvais fou, lâche, et bête. Je ne devais pas prendre la chose au sérieux, mais en rire, la bafouer, lui dire clairement qu’elle était folle, et l’obliger à partir appelant en qualité de témoins toute la famille du concierge, et mes domestiques. Quand j’ai conté ce fait à la Dubois je l’ai vue étonnée. Elle me dit qu’une démarche de cette espèce n’était pas vraisemblable, et que mon consentement à une pareille violence ne l’était pas non plus à moins que je n’eusse des forts motifs capables de me justifier.

Voyant qu’elle raisonnait juste, et ne voulant l’informer de rien, j’ai pris le parti de ne plus lui en parler. Je suis allé me promener jusqu’à l’heure du souper, et je suis resté à table avec elle jusqu’à minuit la trouvant toujours plus aimable, remplie d’esprit, et très plaisante dans toutes les petites histoires qu’elle me conta, et qui la regardaient. Elle avait l’esprit très dégagé, mais elle trouvait que n’adoptant pas les maximes qu’on appelle de la sagesse, et de l’honneur elle deviendrait malheureuse. Elle était donc sage plus en force de son système que de sa vertu ; mais si elle n’avait pas eu de la vertu, elle n’aurait pas eu la force de soutenir son système.

[48r] J’ai trouvé mon aventure avec la F… si extraordinaire que je n’ai pu m’empêcher d’aller le lendemain de bonne heure en régaler M. de Chavigni. J’ai dit à ma bonne, qu’elle pouvait dîner sans m’attendre, si elle ne me voyait pas de retour à l’heure ordinaire.

L’ambassadeur avait su que la F… allait venir chez moi ; mais il éclata de rire quand je lui ai dit de quelle façon elle était réussie.

— V. E. trouve cela comique, et moi pas.

— Je le vois ; mais croyez-moi, que vous devez faire semblant d’en rire aussi. Faites en toute occasion comme si vous ne saviez pas qu’ellen est chez vous, et elle se trouvera punie. On dira qu’elle est amoureuse de vous, et que vous la méprisez. Je vous conseille d’aller conter toute cette histoire à M.=, et rester à dîner avec lui sans façono. J’ai parlé de votre belle gouvernante à Lebel. Il n’y a pas entendu malice. Étant parti pour Lausanne une heure après que je lui ai donné la commission de vous trouver une honnête femme de chambre, il s’en souvint, il vous proposa à la Dubois, et tout fut fait. C’est une trouvaille pour vous, car quand vous deviendrez amoureux elle ne vous fera pas languir.

— Je ne sais pas, car elle a des maximes.

— Je suis sûr que vous n’en serez pas la dupe. Je viendrai demain dîner chez vous, et je l’entendrai jaser avec plaisir.

— Votre E. me fera un très sensible plaisir.

M.=me fit l’accueil de l’amitié ; et me félicita d’abord sur la belle conquête qui devait rendre heureux mon séjour à la campagne. Son épouse, malgré qu’elle s’imaginât la vérité m’en faisait aussi compliment ; mais je les ai vus tous les deux ébahis quand je leur ai conté en détail toute l’histoire. M.=me dit que si cette femme me devenait véritablement à charge il ne tenait qu’à moi de lui faire d’abord parvenir un ordre du gouvernement de ne jamais mettre les pieds chez moi. Je lui [48v] ai dit que je ne voulais pas me servir de ce moyen, car outre qu’il la déshonorerait, il me déclarerait faible, car tout le monde devait savoir que j’étais le maître chez moi, et qu’elle ne pourrait jamais entrer chez moi pour y loger sans mon consentement. Son épouse me dit sérieusement que j’avais bien fait à lui accorder l’appartement, et qu’elle irait lui faire une visite, car elle-même lui avait dit qu’elle aurait un appartement chez moi le lendemain. Je n’en ai plus parlé ; et invité à manger leur soupe à la fortune du pot, j’y suis resté. Mes procédés avec madame n’ayant été que ceux de la politesse ordinaire son mari ne put concevoir le moindre soupçon de notre intelligence. Elle saisit un moment pour me dire que j’avais bien fait à accorder l’appartement à cette méchante femme, et que je pourrais inviter son mari à venir passer deux ou trois jours chez moi après que M. de Chauvelin qu’on attendait serait parti. Elle me dit aussi que la concierge de ma maison était sa nourrice, et qu’elle m’écrirait par son moyen quand elle en aurait besoin.

Après avoir été faire une visite à deux jésuites italiens qui étaient alors de passage à Soleure, et les avoir priés à dînerp pour le lendemain je suis retourné chez moi. Ma bonne m’amusa jusqu’à minuit par des questions philosophiques. Elle aimait Loke. Elle disait que la faculté de penser n’était pas une preuve de la spiritualité de notre âme, puisque Dieu pouvait avoir donnéq la propriété de penser à la matière15. J’ai beaucoup ri quand elle m’a dit qu’il y avait une différence entre penser et raisonner.

— Je pense, lui dis-je, que vous raisonneriez bien vous laissant persuader à coucher avec moi, et vous croyez de raisonner très bien n’y consentant pas.

— Croyez-moi, me répondit-elle, qu’entre la raison d’un homme, et celle d’une femme il y a la même différence qui passe entre les deux sexes.

[49r] Nous prenions notre chocolat le lendemain à neuf heures, quand madame F… arriva. Je ne me suis pas seulement mis à la fenêtre. Elle renvoya sa voiture, et elle alla à son appartement avec sa femme de chambre.

Ayant envoyé Leduc à Soleure pour attendre mes lettres, j’ai prié la bonne de me coiffer, lui disant que nous aurions à dîner l’ambassadeur, et deux jésuites italiens. J’avais déjà dit à mon cuisinier de nous faire faire bonne chère gras, et maigre, c’étant un vendredi. Je l’ai vue ravie d’aise, et elle me peigna à la perfection. Après m’être rasé, je lui ai offert mes étrennes16, et elle les accepta de très bonne grâce me dérobant cependant sa belle bouche. Ce fut la première fois que j’ai baisér ses joues. C’est sur ce ton que nous vivions ensemble. Nous nous aimions, et nous étions vertueux ; mais elle devait souffrir moins que moi à cause de la coquetterie trop naturelle au sexe, et souvent plus puissante que l’amour.

M. de Chavigni arriva à onze heures. Je n’avais prié à dîner les jésuites qu’après l’avoir prévenu et je leur avais envoyés ma voiture ;t en attendant nous allâmes nous promener. Il pria ma bonne de venir nous rejoindre d’abord qu’elle aurait mis ordre à tout ce qui regardait le ménage. Cet homme était un de ceux que la France, lorsqu’elle était monarchie, gardait, pour les envoyer à propos, et selon les circonstances là où elle avait besoin qu’ils séduisissent les puissances qu’elle voulait mettre dans ses intérêts. Tel fut M. de l’Hôpital qui sut se gagner le cœur d’Elisabeth Petrowna, du duc de Nivernois17 qui fit ce qu’il voulut du cabinet de S. James18 l’année 1762, et de plusieurs autres que j’ai connus. Le marquis de Chavigni se promenant dans mon jardin trouva dans le caractère de ma bonne tout ce qu’il fallait pour rendre un garçon heureux ; et elle finit de l’enchanter à table, où elle mit aux abois les deux jésuites par des propos, dont la seule bonne plaisanterie était l’âme. Après avoir passéu toute la journée avec le plus grand plaisir il retourna à Soleure me priant d’aller dîner chez lui d’abord qu’il m’enverrait dire que M. de Chauvelin était arrivé.

Cet aimable homme que j’avais connu chez le duc de Choiseul à Versailles19 arriva deux jours après. Il me reconnut d’abord, et il me présenta à sa charmante femme, qui ne me connaissait pas. Comme le hasard fit que je me trouvasse assis à table à côté de madame=la gaieté m’a pris de façon que j’ai conté des choses fort plaisantes. M. de Chauvelin dit qu’il savait des fort jolies histoires qui me regardaient. Mais vous ne savez pas, lui dit M. de Chavigni, celle de Zurick, et il la lui conta. M. de Chauvelin dit à Madame=que pour avoir l’honneur de la servir il se serait fait cocher, mais M.=lui répond que mon goût était beaucoup plus délicat, car celle qui m’avait frappé était logée chez moi à une maison que j’avais à la campagne.

— Nous irons vous faire une visite, me dit M. de Chauvelin.

— Oui, lui répond M. de Chavigni, nous irons tous ensemble.

Et dans l’instant il me prie de lui prêter ma belle salle pour donner un bal pas plus tard que le dimanche suivant.

C’est ainsi que ce vieux courtisan m’a empêché de m’engager à donner le bal moi-même. C’était une fanfaronnade qui m’aurait fait du tort. J’aurais empiété sur le droit que le seul ambassadeur avait de traiter ces illustres étrangers dans les cinq à six jours qu’ils voulaient passer à Soleure ; et outre cela je me serais embarqué dans une sottise très dispendieuse.

À propos des comédies qu’on jouait chez M. de Voltaire on parla de l’Écossaise, et on fit l’éloge de ma voisine qui rougit, et devint belle comme un astre. L’ambassadeur nous invita tous au bal pour le lendemain. Je suis retourné chez moi éperdument [50r] amoureux de cette charmante femme que le ciel avait fait naître pour me causer le plus grand chagrin que j’ai eu dans toute ma vie. Le lecteur en jugera.

Ma bonne à mon retour était couchée, et j’en fus bien aise, car les yeux de madame=ne m’avaient pas laissé l’ombre de la raison. Elle me trouva triste le lendemain, et elle m’en fit avec esprit une douce guerre. Dans le moment que nous déjeunions, voilà la femme de chambre de madame F…, qui me remet un billet. Je lui ai dit que je lui enverrai la réponse. Je le décachette, et je trouve :

« L’ambassadeur a envoyé m’inviter au bal. J’ai répondu que je ne me portais pas bien ; mais que si vers le soir je me porterai mieux, j’irai. Il me semble qu’étant chez vous, je dois y aller avec vous, ou ne point y aller. Si vous n’avez donc pas envie de me faire le plaisir de m’y mener, je vous prie de me faire celui de dire que je suis malade. Excusez si j’ai cru de pouvoir contrevenir à nos conditions dans ce cas unique, car il s’agit d’exposer au public au moins l’apparence des bons procédés. »

Outré de colère, je prends la plume, et je lui réponds : « Vous avez pris, madame, un bon expédient. On dira que vous êtes malade, car je me dispense d’avoir l’honneur de vous servir dans la maxime de jouir de toute ma liberté. »

Ma bonne rit du billet que la dame m’écrivit, et trouva qu’elle avait méritév ma réponse. Je l’ai cachetée, et je la lui ai envoyée. J’ai passéw à ce bal une nuit très agréable, car j’ai beaucoup causé avec l’objet de ma flamme. Elle a ri de ma réponse au billet de la F…, mais elle l’a désapprouvée, car, me dit-elle, le poison de la colère circulera dans ses veines, et Dieu sait quel ravage il fera à l’explosion.

[50v] J’ai passéx chez moi les deux journées suivantes, et le dimanche de grand matin les gens de l’ambassadeur vinrent porter tout ce qui était nécessaire pour le bal, et pour le souper, et mettre tout en ordre pour l’orchestre, et pour éclairer toute la maison. Le maître d’hôtel vint me faire sa révérence dans le temps que j’étais à table. Je l’ai fait asseoir, et je l’ai remercié du beau présent qu’il m’avait fait me donnant une si aimable gouvernante. C’était un bel homme qui n’était plus jeune, qui était honnête, plaisant, et avait tout l’esprit de son métier.

— Quel est de vous deux, nous dit-il, le plus attrapé ?

— Aucun, dit la Dubois, car nous sommes également contents l’un de l’autre.

La première arrivée vers le soir fut madame=avec son mari. Elle parla très honnêtement à ma bonne sans marquer la moindre surprise quand je lui ai dit que c’était ma gouvernante. Elle me dit que c’était absolument à moi à la conduire chez la F…, et j’ai dû l’obéir20. Elle nous reçut avec l’apparence de la plus grande amitié, et elle sortit avec nous pour se promener étant servie par M.=. Après avoir fait un tour du jardin, madame=me dit de l’accompagner chez sa nourrice.

— Qui est donc votre nourrice ?

— C’est la concierge, me dit M.=, nous vous attendrons chez madame.

—yDites-moi ; me dit-elle chemin faisant ; votre gouvernante couche certainement avec vous.

— Non je vous jure. Je ne peux aimer que vous.

— Si la chose est ainsi vous avez tort de la garder, car personne ne peut croire cela.

— Il me suffit que ce ne soit pas vous, qui puisse m’en croire amoureux.

— Je ne veux [51r] croire que ce que vous me dites. Elle est très jolie.

Nous entrons chez la concierge qui l’appelant sa fille lui fait cent caresses ; puis elle nous laisse pour aller nous faire de la limonade. Étant restés seuls, je n’ai pu lui donner que des baisers de feu qui faisaient la guerre aux siens. Elle n’avait qu’un léger jupon sous une robe de taffetas. Dieu ! Que des charmes ! Je suis sûr que l’excellente nourrice ne serait pas revenue si tôt, si elle avait pu deviner combien nous avions besoin qu’elle tardât. Mais point du tout. On n’a jamais rempli si vite deux verres de limonade.

— Elle était donc faite ? dis-je à la nourrice.

— Point du tout monseigneur ; mais je fais vite.

La simplicité de la demande, et de la réponse fit éclater de rire mon bel ange. Retournant chez madame F…, elle me dit que le temps nous faisant toujours la guerre, nous devions attendre à nous en emparer quand son mari se déterminerait à venir passer chez moi trois ou quatre jours. Je l’avais déjà prié, et il me l’avait promis.

Madame F… mit devant nous des confitures, dont elle nous fit l’éloge, et principalement d’une marmelade de coings qu’elle nous priait de goûter. Nous nous dispensâmes, et madame=me marcha sur le pied. Elle me dit après qu’on la soupçonnait d’avoir empoisonné son mari.

Le bal fut magnifique, comme le souper sur deux tables de trente couverts chacune, outre le buffet où mangèrent cent et plus personnes. Je n’ai dansé qu’un seul menuet avec madame de Chauvelin ayant passéz presque toute la nuit à parler à son époux rempli d’esprit. Je lui ai fait présent de ma traduction de son petit poème des sept péchés capitaux qu’il a beaucoup agréée21. Quand je lui ai promis d’aller lui faire [51v] une visite à Turin il me demanda si j’y conduirais ma gouvernante, et lui ayant répondu que non, il me dit que j’avais tort. Tout le monde la trouvait charmante. On la sollicita en vain à danser ; elle me dit après que si elle s’était rendue elle se serait fait haïr de toutes les dames. Elle dansait d’ailleurs très bien.

M. de Chauvelin est parti le mardi, et à la fin de la semaine j’ai reçu une lettre de madame d’Urfé, qui me disait d’avoir passéaa deux jours à Versailles pour mon affaire. Elle m’envoyait la copie de la lettre de grâce signée par le roi en faveur du cousin de monsieur=. Elle me disait que le ministre l’avait déjà expédiée au régiment pour remettre le coupable à la même place qu’il occupait avant le duel.

Cette lettre à peine reçue je fais atteler pour aller en porter la nouvelle à M. de Chavigni. La joie inondait mon âme, et je ne l’ai pas dissimulée avec le ministre qui me fit les plus grands compliments, parce que M.=avait obtenu par mon moyen, et sans qu’il lui en coûtât une oboleab ce qu’il aurait payé fort cher s’il s’eût agi de l’obtenir pour de l’argent. Pour donner à la chose un plus grand air d’importance, j’ai prié l’ambassadeur d’en donner lui-même la nouvelle à M.=. Il le pria dans l’instant par billet de venir d’abord chez lui.

L’ambassadeur le reçut lui remettant la copie de la lettre de grâce, lui disant en même temps que c’était à moi qu’il en avait l’obligation. Ce brave homme égaré par le contentement me demanda combien il me devait.

— Rien que votre amitié ; mais si vous voulez m’en donner une marque, faites-moi l’honneur de venir passer quelques jours [52r] chez moi, car je morfonds d’ennui. L’affaire dont vous m’avez chargé doit être peu de chose, car vous voyez avec quelle vitesse on vous a servi.

— Peu de chose ? J’y travaille depuis un an mettant sens dessus dessous ciel et terre sans pouvoir y réussir ; et en quinze jours vous avez tout fait. Disposez de ma vie.

— Embrassez-moi, et venez me voir. Je me trouve le plus heureux des hommes quand je peux obliger des personnes comme vous.

— Je vais donner cette nouvelle à ma femme qui sautera de joie.

— Oui, allez ; lui dit l’ambassadeur, et venez demain dîner avec nous en partie carrée22.

Le marquis de Chavigni vieux courtisan, et homme d’esprit fit des réflexions sur la cour d’un monarque, où en soi il n’y avait rien de facile ni de difficile, car à tout moment l’un devenait l’autre. Il connaissait madame d’Urfé pour lui avoir fait sa cour lorsque le régent l’aimait en cachette. C’était lui qui lui avait donné le sobriquet d’Égérie23 parce qu’elle disait qu’elle savait tout d’un Génie qui passait avec elle toutes les nuits quand elle couchait seule. Il me parla après de M.=qui devait avoir conçu pour moi la plus grande amitié. Il était convaincu que le vrai moyen de parvenir à une femme qui avait un mari jaloux était celui de conquérir le mari, puisque l’amitié par sa propre nature excluait la jalousie. Le lendemain en partie carrée madame=me donna en présence de son mari les témoignages d’une amitié égale à la sienne, et ils me promirent de venir passer trois jours chez moi dans la semaine suivante.

[52v] Je les ai vus arriver un après-dîner sans qu’ils m’en eussent fait avertir. Quand j’ai vu descendre de voiture la femme de chambre aussi mon cœur tressaillit de joie : elle fut cependant modérée par deux annonces désagréables : le premier24 que me donna M=qu’il devait retourner à Soleure le quatrième jour ; l’autre donné par madame qu’il fallait absolument mettre toujours dans notre société madame F…. Je les ai d’abord conduits à l’appartement que je leur avais destiné, et qui était le plus propre à mes desseins. Il était rez-de-chaussée du côté opposé au mien. La chambre à coucher avait une alcôve à deux lits séparés par une cloison qui avait une porte de communication. On y entrait par deux antichambres dont la première avait la porte sur le jardin. J’avais la clef de toutes ces portes. C’était au-delà de la chambre à coucher que la femme de chambre devait loger.

En conséquence de la volonté de ma déesse nous allâmes chez la F… qui nous reçut très bien ; mais qui sous prétexte de nous laisser en liberté ne voulait pas consentir à être tous ces trois jours de notre société. Elle crut cependant de devoir se rendre à mes remontrances quand je lui ai dit que nos conditions ne devaient tenir que lorsque j’étais seul. Ma gouvernante soupa dans sa chambre sans avoir eu besoin que je le lui disse, et les dames ne demandèrent pas d’elle25. Après souper j’ai conduit madame, et M.=dans leur appartement, et après je n’ai pu me dispenser de conduire la F… dans le sien ; mais je me suis dispensé d’assister à sa toilette de nuit malgré ses instances. Elle me dit d’un air malin, quand je lui ai souhaité une heureuse nuit, [53r] qu’après m’être très bien conduit je méritais d’être parvenu à ce que je désirais. Je ne lui ai rien répondu.

Le lendemain vers le soir j’ai dit à madame=qu’ayant toutes les clefs je pouvais entrer chez elle, et dans son lit à toute heure. Elle me répondit qu’elle s’attendait à avoir près d’elle son mari, car il lui avait dit les douceurs qu’il était accoutumé à lui dire lorsqu’il en avait fait le projet ; mais que cela pourrait se faire dans la nuit suivante, car il ne lui était jamais arrivé d’avoir envie de rire deux jours de suite.

Vers midi nous vîmes arriver M. de Chavigni. On mit vite un cinquième couvert ; mais il fit tapage quand il sut que ma bonne allait dîner seule dans sa chambre. Les dames dirent qu’il avait raison, et nous allâmes tous la forcer à quitter son ouvrage. Elle fut l’âme de notre dîner : elle nous amusa merveilleusement par des jolies histoires qui regardaient miladi Montaigu. Madame=quand personne ne fut à portée de nous entendre me dit qu’il était impossible que je ne l’aimasse. Après lui avoir dit, que je la désabuserais, je lui ai demandé la confirmation de la permission d’aller passer deux heures entre ses bras.

— Non, mon cher ami, car il me dit ce matin que la Lune se faisait aujourd’hui à midi26.

— Il a donc besoin d’une permission de la Lune pour vous rendre ses devoirs ?

— Précisément. C’est, selon son astrologie, le moyen de se conserver la santé, et d’avoir un garçon que le ciel veuille bien lui accorder, car à moins que le ciel s’en mêle, je n’y vois pas d’apparence.

J’ai dû en rire, et me disposer à attendre le lendemain. Elle me dit à la promenade, que le sacrifice à la Lune avait été fait, et que pour se rendre sûre, et libre de toute crainte, elle lui en ferait faire un extraordinaire après lequel il s’endormirait. En conséquence elle me dit que je pouvais y aller une heure après minuit.

[53v] Sûr de mon bonheur imminent, je me livre à la joie qu’une pareille certitude inspire à un amant qui a longtemps désiré. C’était l’unique nuit dans laquelle je pouvais espérer, car le lendemain M. avait décidé d’aller dormir à Soleure : je ne pouvais pas me flatter d’une seconde qui aurait été plus vive que la première.

Après souper, je conduis les dames à leur appartement, puis je me retire dans ma chambre, et je dis à ma bonne qu’elle aille se coucher ayant beaucoup à écrire.

Cinq minutes avant une heure je sors, et la nuit étant obscure, je fais à tâtons le tour de la moitié de la maison. Je veux ouvrir la porte de l’appartement où était mon ange ; mais je la trouve ouverte, et je ne me soucie pas d’en deviner la raison. J’ouvre la porte de la seconde antichambre, et je me sens saisi. La main qu’elle met sur ma bouche m’instruit que je dois m’abstenir de parler. Nous nous laissons tomber sur un grand canapé, et dans le moment je me trouve au comble de mes vœux. Nous étions au solstice. N’ayant devant moi que deux heures je n’en ai pas perdu une seule minute : je les ai employées àac réitérer les témoignages du feu qui me dévorait à la femme divine que j’étais sûr de serrer entre mes bras. Je trouvais que le parti qu’elle avait pris de ne pas m’attendre dans son lit avait été unique, puisque le bruit des baisers aurait pu réveiller le mari. Ses fureurs qui paraissaient surpasser les miennes élevaient mon âme au ciel, et je me tenais pour convaincu qu’entre toutes les conquêtes que j’avais faites celle-là était la première dont à juste titre je pouvais me glorifier.

[54r] La pendule m’indique que je dois partir ; je me lève après lui avoir donné le plus doux des baisers, et je retourne dans ma chambre, où dans le plus grand contentement de mon cœur je me livre au sommeil. Je me réveille à neuf heures, et je vois M.=qui avec l’air de la plus grande satisfaction me montre une lettre qu’il venait de recevoir de son cousin qui lui annonçait son bonheur. Il me prie d’aller prendre du chocolat dans sa chambre, sa femme étant encore à sa toilette. Je me mets à la hâte en robe de chambre, et dans le moment que j’allais sortir avec M.=, je vois entrer la F…, qui d’un air enjoué me dit qu’elle me remerciait, et qu’elle allait chez elle à Soleure.

— Attendez un quart d’heure : nous allons déjeunerad avec madame=.

—aeNon ; je viens de lui souhaiter le bonjour ; et je pars. Adieu.

— Adieu madame.

À peine partie, M.=me demande si elle était devenue folle. On pouvait le croire, car n’ayant reçu que des politesses, elle devait attendre au moins jusqu’au soir pour partir avec M. et madame=.

Nous allâmes déjeuner, et faire des commentaires à ce brusque départ. Puis nous sortîmes pour nous promener au jardin où nous trouvâmes ma bonne que M=approcha. Madame=me paraissant un peu abattue, je lui demande si elle avait bien dormi. — Je ne me suis endormie qu’à quatre heures après vous avoir attendu en vain sur mon séant. Quel contretemps a donc pu vous empêcher de venir ?

Cette question à laquelle je ne pouvais jamais m’attendre me glace le sang. Je la regarde ; je ne lui réponds pas, et je ne peux revenir de ma surprise. Je n’en reviens que me sentant saisi d’horreur, et devinant que celle que j’avais [54v] eue entre mes bras avait été la F…. Je me retire dans l’instant derrière la charmille pour me remettre d’un trouble, dont personne ne peut avoir une idée juste. Je me sentais mourir. Pour me soutenir debout j’ai appuyéaf ma tête à un arbre. La première idée qui se présenta à mon esprit ; mais que j’ai d’abord rejetée, fut que madame=voulût se désavouer : toute femme qui s’abandonne à quelqu’un dans un endroit obscur a le droit de se renier, et l’impossibilité de la convaincre de mensonge peut exister ; mais je connaissais trop bien madame=pour la supposer capable d’une si basse perfidie inconnue à toutes les femmes de la terre, excepté aux véritables monstres horreur, et opprobre du genre humain. J’ai dans le même instant vu queag si elle m’avait dit qu’elle m’avait attendu en vain pour se divertir de ma surprise, elle aurait manqué de délicatesse, car dans une matière de cette espèce le moindre doute suffit à dégrader le sentiment. J’ai donc vu la vérité. La F…. l’avait supplantée. Comment avait-elle fait ? Comment l’avait-elle su ? C’est ce qui dépend du raisonnement, et le raisonnement ne vient à la suite d’une idée qui opprime l’esprit que lorsque l’oppression a perdu la plus grande partie de sa force. Je me trouve donc dans l’affreuse certitude d’avoir passéah deux heures avec un monstre sorti de l’enfer, et la pensée qui me tue c’est que je ne peux pas nier de m’être trouvé heureux. C’est ce que je ne peux pas me pardonner, car la différence d’une à l’autre était immense, et sujette au jugement infaillible de tous mes sens, dont cependant la vue, et l’ouïe ne pouvaient pas être de la partie. Mais cela ne suffit pas pour que je puisse me pardonner. Le [55r] seul tact devait me suffire. J’ai maudit l’amour, la nature, et ma lâche faiblesse quand j’ai consenti à recevoir chez moi le monstre qui avait déshonoré mon ange, et qui m’avait rendu méprisable à moi-même. Je me suis dans ce moment-là condamné à mort ; mais bien déterminé à mettre en morceaux avec mes propres mains, avant de cesser de vivre, la Mégère27 qui m’avait rendu le plus malheureux des hommes.

Pendant que je flottais dans ce Styx28, voilà M.=qui vient me demander si je me trouvais mal, et qui s’épouvante me voyant pâle : il me dit que sa femme en était inquiète : je lui réponds que je l’avais quittée à cause d’un petit étourdissement qui m’avait pris, et que je me portais déjà bien. Nous allons les rejoindre. Ma bonne me donne de l’eau des carmes29, et dit en badinant que ce qui m’avait touché si fort était le départ de la F….

Me trouvant de nouveau avec madameai éloigné de son mari qui causait avec la Dubois, je lui dis que ce qui m’avait troublé était ce qu’elle avait dit certainement pour badiner. — Je n’ai pas badiné, mon cher ami, dites-moi donc pourquoi vous n’êtes pas venu cette nuit.

À cette réplique, j’ai cru de tomber mort. Je ne pouvais pas me déterminer à lui conter le fait, et je ne savais ce que je devais inventer pour me justifier de n’être pas allé à son lit, comme nous étions convenusaj. J’étais ainsi sombre, irrésolu, et muet, lorsque la petite servante de la Dubois vint lui remettre une lettre que Madame F… lui envoyait par un exprès. Elle l’ouvre, et elle me donne l’incluse qui m’était adressée. Je la mets dans ma poche disant que je la lirais à ma commodité, on ne me presse pas, on rit. M.=dit que c’était de l’amour ; je laisse dire, je prends sur moi, on a servi, nous allons dîner ; je [55v] ne peux pas manger ; mais on l’attribue à mon indisposition. Il me tardait de lire cette lettre, et il fallait trouver le temps. Après nous être levés de table, je dis que je me porte mieux, et je prends du café.

Au lieu de faire un piquet comme toujours, madame=dit que sous l’allée couverte il faisait frais, et que nous devrions aller le prendre. Je lui donne le bras, son mari le donne à la Dubois, et nous y allons.

D’abord qu’elle fut sûre qu’on ne pouvait pas entendre ce qu’elle allait me dire, elle débuta ainsi :

— Je suis sûre que vous avez passéak la nuit avec cette mauvaise femme ; et je suis peut-être, je ne sais pas comment, compromise. Dites-moi tout, mon cher ami, c’est ma première intrigue ; mais si elle doit me servir d’école, je ne dois rien ignorer. Je suis sûre que vous m’avez aimée : faites hélas ! que je ne vous croie à présent devenu mon ennemi.

— Juste ciel ! Moi votre ennemi !

— Dites-moi donc la vérité de tout, et surtoutal avant que vous lisiez la lettre que vous avez reçue. Je vous conjure au nom de l’amour de ne me rien déguiser.

— Voilà tout en peu de mots. J’entre chez vous à une heure ; et dans la seconde antichambre, je me sens pris, une main qui me couvre la bouche m’indique de ne pas parler, je vous serre entre mes bras, et nous nous laissons tomber sur le canapé. Sentez-vous que je dois être sûr que c’est vous, et qu’il est impossible que j’en doute ? J’ai donc passéam avec vous, sans jamais vous dire un seul mot, et sans en avoir jamais entendu un seul de vous-même les plus délicieuses deux heures que j’aie passées dans toute ma vie ; maudites deux heures, dont l’affreux souvenir me fera trouver l’enfer dans ce monde jusqu’à mon dernier soupir. À trois heures et un quart je vous ai quittée. Vous savez tout le reste.

— Qui peut avoir dit à ce monstre que vous deviez venir dans ma chambre à une heure ?

— Je n’en sais rien.

— Convenez que de nous trois je suis la plus, et peut-être la seule malheureuse.

— Au nom de Dieu ne croyez pas cela, car je pense d’aller la poignarder, [56r] et de me tuer après.

— Et dans la publicité de ce fait de me laisser la plus malheureuse de toutes les femmes. Modérons-nous. Donnez-moi la lettre qu’elle vous a écrite. Je vais la lire entre les arbres ; vous la lirez après. Si on nous voyait la lire, il faudrait la leur laisser lire aussi.

Je la lui donne, et je rejoins M.=, que ma bonne faisait pâmer de rire. Après ce dialogue je me trouvais un peu plus en état de raison. La confiance avec laquelle elle exigea que je lui donnasse la lettre du monstre m’avait plu. J’en étais curieux, et j’avais cependant de la répugnance à la lire. Elle ne pouvait que m’irriter, et je craignais les effets d’une juste colère.

Madame=vint nous rejoindre, et après nous être écartés de nouveau, elle me rendit la lettre, me disant de la lire seul, et à tête reposée. Elle me demanda ma parole d’honneur que dans cette affaire, je ne ferais rien sans l’avoir auparavant consultée lui communiquant toutes mes idées par le moyen de la concierge. Elle me dit que nous ne pouvions pas craindre que la F…. publierait ce fait, puisqu’elle se prostituerait30 la première ; et que le meilleur parti que nous pouvions prendre était celui de dissimuler. Elle augmenta ma curiosité de lire la lettre me disant que la méchante femme me donnait un avertissement que je ne devais pas mépriser.

Ce qui me perçait l’âme dans ce raisonnement très sage de mon ange étaient ses larmes, qui sans nulle grimace sortaient copieusement de ses beaux yeux. Elle tâchait de tempérer ma douleur trop visible mêlant les ris à ses pleurs ; mais je voyais trop ce qui se passait dans son âme noble, et généreuse pour ne pas connaître l’état déplorable de son cœur dépendant de la certitude où elle était que l’indigne F…. savait à ne pas pouvoir l’en faire douter qu’il y avait entre elle et moi une intelligence criminelle. C’était ce qui faisait que mon désespoir était extrême.

Elle partit à sept heures avec son mari que j’ai remercié avec des paroles si vraies qu’il ne put pas douter qu’elles n’eussent leur source dans l’amitié la plus pure ; et réellement je ne le trompais pas. Quel est le sentiment de nature qui puisse faire qu’un homme qui aime une femme ne puisse nourrir la plus sincère, et la plus tendre amitié pour son mari, si elle en a un ? Plusieurs lois ne servent qu’à augmenter les préjugés. Je l’ai embrassé, et lorsque j’ai voulu baiser la main à madame il me pria noblement de lui faire le même honneur. Je suis allé dans ma chambre impatient de lire la lettre de la harpie qui m’avait fait devenir le plus malheureux des hommes. La voici fidèlement copiée à quelques phrases près que j’ai corrigées.

« Je suis sortie, monsieur, de votre maison assez satisfaite, non pas d’avoir passéan deux heures avec vous, car vous n’êtes pas différent des autres hommes, et mon caprice d’ailleurs ne m’a servi qu’à me faire rire ; mais de m’être vengée des marques publiques de mépris que vous m’avez données, car je vous ai pardonnéao les particulières. Je me suis vengée de votre politique en démasquant vos desseins, et de l’hypocrisie de la=, qui ne pourra plus me regarder à l’avenir de l’air de supériorité qu’elle empruntait de sa fausse vertu. Je me suis vengée en ce qu’elle doit vous avoir attendu toute la nuit, et en ce que ce matin unap dialogue comique entre vous deux doit lui avoir fait connaître que je me suis appropriée ce qui était destiné pour elle, et en ce que vous ne pourrez plus la croire un miracle de la nature, puisque si vous m’avez priseaq pour elle, je ne peux donc être en rien différente d’elle, et vous devrez par conséquent guérir de la folle passion qui vous possédait, et vous forçait à l’adorer de préférence à toutes les [57r] autres femmes. Si je vous ai désabusé, vous m’êtes redevable d’un bienfait ; mais je vous dispense de la reconnaissance, et je vous permets même de me haïr pourvu que votre haine me laisse en paix, car si à l’avenir vos procédés me paraîtront insultants je suis capable de publier le fait n’ayant pour moi rien à craindre, car je suis veuve, ma maîtresse, et en état de me moquer de tout ce qu’on dira de moi. Je n’ai besoin de personne. La=au contraire a grande nécessité d’en imposer. Mais voici un avertissement que je vous donne fait pour vous convaincre que je suis bonne.

« Sachez monsieur, que depuis dix ans j’ai une petite indisposition, dont je n’ai jamais pu guérir. Vous avez assez fait cette nuit pour l’avoir contractée : je vous conseille à prendre d’abord des remèdes. Je vous en avertis pour que vous vous gardiez de la communiquer à votre belle, qui dans l’ignorance pourrait la donner à son mari, et à d’autres, ce qui la rendrait malheureuse, et j’en serais fâchée, car elle ne m’a jamais fait aucun mal ni aucun tort. Me paraissant impossible que vous ne trompassiez tous les deux le bonhomme=, je ne suis venue demeurer chez vous que pour me convaincre par l’évidence que mon jugement n’était pas mal fondé. J’ai exécuté mon projet sans avoir eu besoin d’être aidée par personne. Après avoir passéar deux nuits en pure perte sur le canapé que vous connaissez,as je me suis déterminée à y passer la troisième aussi qui couronna mon entreprise. Personne de la maison ne m’a jamais vue, et ma femme de chambre même ignore le but de mes voyages nocturnes. Vous êtes donc le maître d’ensevelir cette histoire dans le silence ; et je vous le conseille.

« P.S. Si vous avez besoin d’un médecin recommandez-lui la discrétion, [57v] car on sait à Soleure que j’ai cette petite maladie, et on pourrait dire que vous l’avez reçue de moi. Cela me ferait du tort. »

J’ai trouvé l’effronterie de cette lettre si monstrueuse qu’elle m’a presque donné envie de rire. Je savais bien que la F…. ne pouvait que me haïr après les procédés que j’avais eus vis-à-vis d’elle ; mais je n’aurais jamais cru qu’elle pût pousser si loin la vengeance. Elle m’avait donnéat sa maladie, je ne pouvais pas encore en voir les symptômes ; mais je n’en doutais pas : la tristesse de devoir en guérir me possédait déjà. Je devais abandonner mon amour et même aller en guérir ailleurs pour éviter le babil des mauvais plaisants. Le parti que j’ai pris dans une sombre méditation de deux heures fut le prudent de me taire ; mais déterminé fermement à me venger d’abord que l’opportunité se présenterait.

N’ayant rien mangé à dîner, j’avais un véritable besoin de bien souper, et de me procurer un bon sommeil. Je me suis mis à table avec ma bonne que dans le triste état de mon âme je n’ai jamais regardéeau au visage pendant tout le souper.

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