Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre IX

Je suis allé chez elle le lendemain de grand matin. Le cas étant pressant je l’ai fait réveiller, et je l’ai informée exactement de tout. Elle me dit qu’il n’y avait pas à balancer, qu’il fallait mettre au fait de tout le lieutenant criminel, et qu’elle-même irait lui parler. Elle lui écrivit d’abord qu’elle irait lui parler d’affaire de conséquence à trois heures de l’après dîner, et il lui répondit qu’il l’attendrait.

Elle y fut : l’informa de tout,a elle lui dit qu’elle était prête à accoucher, et qu’après ses couches, elle retournerait chez sa mère sans cependant lui confesser qu’elle avait été grosse. Elle m’assura que je n’avais plus rien à craindre ; mais que le procès allant toujours, je serais cité au greffe le surlendemain. Elle me conseilla d’aller voir le greffier, et de trouver quelque prétexte de lui donner de l’argent.

Je fus cité, et j’ai comparu. J’ai vu M. de Sartine sedentem pro tribunali [en sa qualité de juge]1. À la fin de la séance il me dit qu’il était obligé de me décréter d’ajournement personnel2. Il m’avertit que je ne pouvais pas m’absenter de Paris, ni me marier pendant mon ajournement, car tout procès criminel portait interdiction de tout contrat civil. À mon interrogatoire j’ai convenu que je suis allé au bal en domino noir la nuit qu’on nommait en procès3 ; mais j’ai nié tout le reste. Par rapport à Miss XCV j’ai dit que ni moi, ni personne de sa famille l’ont crueb jamais grosse.

Devant craindre en qualité d’étranger que Vauversin ne me fît décréter de prise de corps, me dénonçant comme prêt à m’enfuir ; j’ai saisi ce prétexte pour aller faire une visite au greffier, et déposer entre ses mains sans exiger quittance trois cents louis4 comme caution des frais du procès, s’il arrivait que ce fût à moi à les payer. Il me conseilla de [144v] prétendre caution de la part de la sage-femme, et j’en ai chargé mon procureur ; mais voilà ce qui est arrivé quatre jours après.

Un savoyard5 m’approcha sur le boulevard vis-à-vis la rue du Temple pendant que je me promenais à pied, et mit entre mes mains un billet. Je lis, et je trouve qu’une personne, qui se tenait dans une allée à cinquante pas de là, désirait me parler. Je fais arrêter ma voiture qui me suivait, et je vais à l’allée.

Ma surprise fut forte quand j’ai vu Castel-Bajac. Il me dit d’abord qu’il n’avait que peu de mots à me dire, et que nous étions sûr de n’être vus de personne. Je viens vous proposer, me dit-il, le moyen sûr de finirc un procès qui doit vous inquiéter, et vous coûter beaucoup d’argent. La sage-femme est sûre que c’est vous qui êtes allé chez elle avec une femme grosse, et elle est fâchée actuellement d’être la cause qu’on vous accuse de l’avoir enlevée. Donnez-lui cent louis, et elle dira au greffe qu’elle s’est trompée. Vous ne payerez cette somme qu’après. Venez avec moi parler à l’avocat Vauversin, et il vous persuadera. Je sais où il est. Allons. Suivez-moi de loin.

Enchanté de la facilité avec laquelle les coquins allaient se découvrir, et curieux de leurs moyens, j’ai suivi cet homme jusqu’au troisième étage d’une maison dans la rue aux ours6, où j’ai trouvé l’avocat Vauversin. D’abord qu’il me vit il vint au fait. Il me dit que la sage-femme passerait chez moi avec un témoin pour me soutenir en face que j’avais été chez elle avec une femme grosse, et qu’elle ne me reconnaîtrait pas. Cette démarche suffisait, à son avis, pour que le lieutenant criminel suspendît toutes les poursuites, et pour me mettre en état de gagner le procès contre la mère de la demoiselle. Trouvant cela bien imaginé, je lui ai dit que je me laisserais trouver à ma maison au Temple tous les jours jusqu’à midi. Il me dit alors que la sage-femme avait besoin de cent louis, et je les lui ai promis après qu’elle aurait noté au greffe sa méprise, et il med répondit qu’elle se fierait à ma parole ; mais que je devais d’abord débourser un quart de la somme, qu’il devait recevoir lui-même pour frais, et honoraires. Je me suis déclaré prêt à la lui payer s’il voulait me livrer quittance, et sur cet article nous eûmes une longue discussion ; mais enfin il me la donna dans la plus grande simplicité ; et je lui ai compté vingt-cinq louis. Il me dit que très secrètement il me donnera des conseils faits pour déjouer toutes les procédures de la mère XCV, malgré qu’elle fût sa cliente, car il me croyait innocent. Je me suis recommandé à lui, et je suis allé chez moi écrire tout ce fait, que j’ai d’abord envoyé à M. de Sartine.

Trois jours après on m’annonça une femme accompagnée d’un homme : elle demandait à me parler. Je sors, je lui demande ce qu’elle voulait, et elle me répond qu’elle voulait parler à M. Casanova.

— C’est moi.

— Je me suis donc trompée.

L’homme qui était avec elle fit un sourire, et ils partirent. Dans le même jour madame du Rumain reçut une lettre de l’abbesse dans laquelle elle lui donnait la nouvelle que sa protégée s’était délivrée très heureusemente d’un beau poupon7 qu’elle avait déjà envoyé là où on en aurait suffisamment soin. Elle lui disait que l’accouchée ne quitterait le couvent qu’au bout de six semaines pour aller chez sa mère avec un certificat qui la garantirait de toutes sortes de désagréments.

Deux ou trois jours après la sage-femme fut mise au cachot, et au secret8 ; Castel-Bajac fut envoyé à Bicêtre9, et Vauversin fut rayé du tableau des avocats10. Les poursuites contre moi de madame XCV durèrent jusqu’à l’apparition de sa fille11 ; mais toujours sans force. Miss XCV retourna à l’hôtel de Bretagne vers la fin d’Août12 se présentant à sa mère avec le certificat de l’abbesse13 qui disait qu’elle l’avait gardée quatre mois dans lesquels elle n’était jamais sortie, et elle n’avait reçu aucune visite.

] Elle retournait chez elle actuellement qu’elle ne pouvait plus craindre qu’on la forçât à épouser la Popelinière. Elle obligea sa mère à aller en personne porter au lieutenant criminel le même certificat, se désistant par conséquent de toutes ses poursuites contre moi. Il la conseilla de garder sur cette affaire pour l’avenir un prudent silence, et de me donner quelque satisfaction, parce que j’aurais eu raison de réclamer, ce qui aurait préjudicié encoref plus à l’honneur de sa fille.

Sa fille, malgré qu’elle n’eût pas cette crainte, l’obligea à me faire ample réparation par écrit, que j’ai fait enregistrer au greffe, et qui me servit à finir le procès dans toutes les formes. Je ne suis plus allé chez elle pour ne pas me rencontrer avec Farsetti, qui se chargea de conduire Miss à Bruxelles, l’honneur ne lui permettant pas de se montrer à Paris, où son histoire n’était ignorée de personne. Elle resta à Bruxelles avec Farsetti et Magdelaine jusqu’au moment que sa mère alla avec toute la famille la rejoindre, et la reconduire à Venise, où trois ans après elle devint grande dame14. Je l’ai revue quinze ans après veuve, et assez heureuse par rapport à la considération dont elle jouissait par rapport à sa qualité, à son esprit, et à ses vertus sociales ; mais je n’ai plus eu avec elle la moindre liaison15. Dans quatre ans d’ici le lecteur saura où, et comment j’ai revu Castel-Bajac16.gVers la fin de cette même année 1759 avant mon départ pour la Hollande j’ai encore déboursé une somme pour faire sortir de prison la sage-femme.

La vie que je menais était celle d’un heureux ; mais je ne l’étais pas. La grande dépense que je faisais me faisait prévoir des désagréments. Ma manufacture m’aurait mis en état de la soutenir, si le débit ne m’eût manqué à cause de la guerre. J’avais dans mon magasin quatre cents pièces d’étoffes peintes, et il n’y avait pas apparence de les vendre avant la paix, et cette paix tant désirée ne se faisant pas je devais faire point17. J’ai écrit à Esther d’engager son père, et me fournir la moitié de mes fonds, m’envoyer un commis, et se mettre de moitié avec moi. M. D. O. me répondit que si je voulais transporter la manufacture en Hollande il se chargerait de tout, et me donnerait la moitié des profits. J’aimais Paris, et je n’y ai pas consenti.

[146r] Je dépensais beaucoup à ma maison de la petite Pologne, mais la dépense qui me minait, et que personne ne connaissait était beaucoup plus forte. Je devenais curieux de toutes mes ouvrières dans lesquelles je trouvais du mérite, et n’ayant pas la patience de me les procurer à bon marché, c’était à elles à me faire payer cher ma curiosité. L’exemple de la première suffit à toutes pour prétendre maison, et meubles d’abord qu’elles s’apercevaient de m’avoir inspiré des désirs. Mon caprice ne durait souvent que trois jours, et la nouvelle substituée me semblait toujours plus digne de moi que celle qui l’avait précédée. Je ne la voyais plus ; mais je poursuivais à l’entretenir. Madame d’Urfé, me croyant opulent, ne me gênait pas : je la rendais heureuse secondant avec mes oracles ses opérations magiques. Manon Balletti me désolait avec ses jalousies, et avec ses justes reproches. Elle ne concevait pas comment je pusse différer à l’épouser, s’il était vrai que je l’aimais : elle me disait que je la trompais. Sa mère mourut étique dans ce même temps entre ses bras et les miens18. Dix minutes avant d’expirer elle me recommanda sa fille. Je lui ai promis dans la vérité de mon âme que j’en ferais ma femme ; mais le destin, comme on dit toujours, s’y opposa. Je suis resté trois jours avec cette famille affligée partageant sa douleur.

Une forte maladie conduisit au tombeau dans ces mêmes jours la maîtresse de mon ami Tireta. Quatre jours avant sa mort elle le congédia pour penser uniquement à son âme, lui faisant présent d’une bague de prix, et de deux cents louis. Tireta après lui avoir demandé pardon plia bagage, et vint me porter à la petite Pologne la triste nouvelle. Je l’ai logé au Temple, et quatre semaines après, approuvant sa vocation d’aller chercher fortune aux Indes, je lui ai donné une lettre de recommandation pour M. D. O. à Amsterdam. Il le plaça en moins de quinze jours en qualité d’écrivain19 sur un vaisseau de la compagnie des Indes qui allait à Batavia20. Il serait devenu riche s’il eût eu une bonne conduite : il trempa dans une conspiration, il dut se sauver, et essuyer des grandes vicissitudes. J’ai su d’un de ses parents dans l’année 1788 qu’il était à Bengale, et qu’il était assez riche ; mais dans l’impuissance de se mettre en possession de ses capitaux pour retourner à sa patrie, [146v] et y vivre heureux. Je ne sais pas ce qu’il est devenu.

Au commencement du mois de Novembre21, un officier d’économie de la cour du duc d’Elbeuf22 vint à ma manufacture avec sa fille pour lui acheter un habit pour le jour de ses noces. La charmante figure de cette fille m’éblouit. Elle choisit une pièce de satin très brillante, et je voyais le contentement de son âme, et sa satisfaction quand elle vit son père content du prix ; mais je n’ai pas pu résister à la peine que me fit sa tristesse quand elle entendit le commis écrivain23 dire à son père qu’il devait acheter toute la pièce. C’était une loi dans mon magasin : on ne pouvait vendre que toute la pièce. Je suis allé dans mon cabinet pour ne pas me voir forcé à faire une exception à cette loi ; et rien ne serait arrivé si la fille n’eût prié le directeur de la conduire où j’étais. Elle entra avec les yeux gros de larmes me disant de but en blanc que j’étais riche, et que je pouvais acheter moi-même toute la pièce lui cédant les aunes qui lui étaient nécessaires pour sa robe. J’ai observé son père qui avait l’air de me prier de pardonner à la hardiesse de sa fille que cette démarche déclarait encore enfant. Je lui ai dit que j’aimais la franchise, et j’ai d’abord ordonné qu’on lui coupe ce qu’il lui fallait pour sa robe. Elle finit alors de m’ensorceler venant m’embrasser, tandis que son père trouvant cela fort plaisant se pâmait de rire. Après avoir payé ce que l’étoffe coûtait il m’invita à la noce. Je la marie, me dit-il, dimanche : on soupera, on dansera, et vous m’honorerez. Je m’appelle Gilbert ; je suis contrôleur chez M. le duc d’Elbeuf, rue S. Nicaise24. Je lui ai donné parole d’y aller.

J’y fus ; mais je n’ai pu ni manger, ni danser. La charmante Gilbert me tint comme en extase tout le temps que j’ai passé dans cette compagnie, où d’ailleurs je n’aurais jamais pu me faire au ton25. Ce n’était qu’une foule d’officiers de maisons avec leurs femmes, et leurs filles, je ne connaissais personne, personne ne me connaissait, j’étais bête. Dans des assemblées pareilles celui qui a le plus d’esprit est souvent celui qui devient le plus sot. Chacun disait son mot à la nouvelle mariée, elle répondait à tout le monde, et on riait beaucoup quand on ne s’entendait pas. L’époux maigre, et triste applaudissait l’épouse de ce qu’elle tenait toute la compagnie gaie. Cet homme bien loin de me rendre jaloux de son sort me faisait pitié : je trouvais évident qu’il se mariait pour améliorer son sort : il me vint envie d’interroger [147r] l’épouse, et elle m’en donna l’occasion venant s’asseoir près de moi après une contredanse. Elle me remercia de ce que j’avais fait pour elle, lui faisant avoir la belle robe qui lui attirait les compliments de tout le monde.

— Mais je suis sûr qu’il vous tarde de l’ôter, car je connais l’amour.

— C’est drôle que tout le monde s’obstine à me croire amoureuse, tandis qu’il n’y a que huit jours qu’on m’a présenté monsieur Baret que voilà, et dont j’ignorais l’existence.

— Et pourquoi vous marie-t-on si à la hâte ?

— Parce que mon père fait tout à la hâte.

— Votre mari est riche sans doute ?

— Non ; mais il pourra le devenir. Nous ouvrons après-demain une boutique de bas de soie au coin de la rue S.t Honoré, et des Prouvères26. J’espère que vous achèterezh vos bas chez nous.

— Soyez-en sûre, et je vous promets même de vous étrenner quand je devrais dormir sur la porte de votre boutique.

Elle fit une risée ; elle appela le mari, elle le lui dit, et il répondit, me remerciant, que cela lui porterait bonheur. Il m’assura que ses bas ne cotonnaient jamais.

Le mardi au point du jour j’ai attendu dans la rue des Prouvères que la boutique s’ouvre, et j’y suis entré. La servante me demande ce que je voulais me disant de retourner plus tard parce que ses bourgeois dormaient.

— J’attendrai ici. Allez me chercher du café.

— Je ne suis pasi assez bête pour vous laisser seul dans ma boutique.

Elle avait raison.

Baret enfin descend, la gronde de ne l’avoir pas appelé, lui dit d’aller dire à sa femme que j’étais là, et me déploie des paquets, me fait voir des gilets, des gants, des pantalons jusqu’à ce que sa femme descend fraîche comme une rose, blanche d’une blancheur qu’il n’était pas possible de voir la plus éblouissante, me priant d’excuser son grand négligé, et me remerciant de lui avoir tenu parole.

La Baret était de moyenne taille, avait l’âge de dix-sept ans, et sans être une beauté parfaite, elle était tout ce qu’un Raffael27 aurait pu imaginer, et produire de plus joli, ce qui est beaucoup plus puissant que le beau pour enflammer un cœur, dont l’amour est la passion dominante. Ses yeux, son rire, sa bouche toujours entrouverte, l’attention avec laquelle elle écoutait, sa douceur pétillante, sa vivacité douteuse28, le peu de prétention qu’elle montrait par rapport à ses charmes, [147v] dont elle paraissait ne connaître point du tout la force, me tenaient extasié dans l’admiration de ce petit chef-d’œuvre de la nature, dont le hasard, ou des vils intérêts avaient rendu possesseur le pauvre homme que je voyais là frêle, fluet, et tout attentif à ses bas dont il faisait beaucoup plus de cas que du joyau que l’Hymen lui avait donné.

Après avoir choisi des bas, et des gilets jusqu’au montant de la somme de 25 louis29, et avoir joui du plaisir que je voyais peint sur la figure de la jolie marchande j’ai dit à la servante que je lui donnerais six francs30 quand elle me porterait le paquet à la petite Pologne. Je suis parti plein d’amour ; mais sans projet, puisque dans un commencement de mariage il me semblait de voir trop d’embarras.

Ce fut le dimanche suivant que Baret vint en personne me porter mon paquet. Je lui ai donné six francs le priant de lesj remettre à sa servante : il me répondit qu’il ne serait pas honteux de les garder pour lui. Je l’ai fait déjeuner avec des œufs frais, et du beurre lui demandant pourquoi il n’était pas venu avec sa femme ; il me répondit qu’elle l’en avait prié ; mais qu’il n’avait pas osé de crainte que cela pût me faire de la peine. Je l’ai assuré qu’elle m’aurait fait plaisir car je la trouvais charmante. — Vous avez bien de la bonté.

Quand je passais devant sa boutique dans ma voiture qui allait comme le vent je lui faisais des baisemains31 ne pensant pas à m’arrêter, car je n’avais pas besoin de bas, et je me serais ennuyé me mêlant aux freluquets32 que je voyais toujours à son comptoir. On parlait au palais royal, et aux Tuileries de cette nouvelle jolie marchande, et j’étais bien aise d’entendre dire qu’elle ne se tenait en réserve qu’en attendant une bonne dupe.

Huit à dix jours après me voyant venir du côté du pont-neuf, elle me fit signe de la main. Je tire le cordon33, et elle me prie de descendre. Son mari me dit, après m’avoir demandé beaucoup de pardons qu’il désirait que je fusse le premier à voir des pantalons de plusieurs couleurs qu’il venait de recevoir. C’était alors à Paris la grande mode. [148r] Aucun homme du bel air n’osait sortir habillé de matin qu’en pantalon34. C’était fort joli quand le jeune homme était bien fait ; mais le pantalon devait n’être ni trop long ni trop court ; ni trop large ni trop étroit. Je lui dis qu’il devait m’en faire faire exprès trois ou quatre, et que j’étais prêt à lui en donner l’argent d’avance. Il m’assure que j’en voyais là de toutes les mesures, et il m’excite à monter pour aller en essayer priant sa femme d’aller m’aider.

Le moment était de conséquence. Je monte, elle me suit, je la prie de me pardonner si je devais me déchausser tout à fait, et elle me répond qu’elle s’imaginerait d’être mon valet de chambre, et qu’elle en ferait volontiers les fonctions. J’ai acquiescé sans façon débouclant vite mes souliers, et cédant à son empressement lorsqu’elle voulut accompagner par le bas mes culottes : j’ai eu soin de m’en défaire avec décence, et de rester en caleçons. Ce fut elle alors qui fit toute la besogne pour me passer des pantalons, et pour m’en déchausser35 quand ils n’allaient pas bien toujours décente autant que moi qui m’étais faitk une loi de l’être du commencement jusqu’à la fin de l’agréable manège. Elle trouva que quatre m’allaient parfaitement bien, et je n’ai pas osé la contredire. Après lui avoir donné les seize louis qu’elle me demanda je lui ai dit que je me croirais heureux si elle se donnerait la peine de me lesl porter à sa commodité. Elle s’empressa de descendre pour consoler36 son mari, et pour le convaincre qu’elle savait vendre. Quandm il me vit paraître, il me dit qu’il irait me porter mes pantalons le dimanche suivant avec sa petite femme : je lui ai dit qu’il me fera plaisir, et plus encore s’il restera à dîner avec moi. Il me répondit qu’ayant une affaire pressante à deux heures il ne pouvait s’engager que sous condition que je lui permettrais d’aller s’en acquitter m’assurant qu’il retournerait sur les cinq heures pour prendre sa femme. Je lui ai dit qu’il en serait le maître n’étant moi-même obligé de sortir qu’à six. Cela fut donc fixé ainsi à ma grande satisfaction.

Le dimanche le couple ne me manqua pas de parole. J’ai [148v] d’abord fait fermer ma porte, et impatient de voir ce qui devait arriver après le dîner, j’ai fait servir à midi. La chère exquise, et les bons vins ayant égayé les époux, ce fut le mari qui proposa à sa femme de retourner à la maison toute seule si par hasard il tardait à retourner. Dans ce cas, lui dis-je, je la reconduirai chez vous moi-même à six heures après avoir fait un tour sur les boulevards. Ce fut donc décidé qu’il la trouverait à la maison sur la brune, et il partit très content quand il trouva à ma porte un fiacre, et que je lui ai dit qu’il était payé pour toute la journée. Me voilà donc resté tout seul avec ce bijou, et sûr de le posséder jusqu’au soir.

À peine fut-il parti que j’ai fait compliment à la femme sur la bonté du mari que le sort lui avait fait tomber en partage.

— Avec un homme de ce caractère vous devez être heureuse.

— Heureuse est bientôt dit ; mais pour l’être il faut le sentir, et jouir de la tranquillité de l’esprit. Mon mari a une santé si délicate que je dois le regarder comme malade, et des dettes qui nous forcent à observer une économie très sévère. Nous sommes venus ici à pied pour épargner vingt-quatre sous. Le produit de notre métier, qui nous suffirait si nous n’avions pas des dettes, ne nous suffit pas. Nous ne vendons pas assez.

— Vous avez cependant beaucoup de chalands : toutes les fois que je passe devant vous je vois votre boutique pleine.

— Ce ne sont pas des chalands ; mais des fainéants, des mauvais plaisants, des libertins qui m’ennuient avec des platitudes. Ils n’ont pas le sou, et nous tenons les yeux sur eux craignant toujours qu’ils nous volent. Si nous avions voulu leur vendre à crédit nous n’aurions plus rien dans notre boutique. Tout ce qui dépend de moi pour me défaire d’eux est d’être maussade ; mais je le suis en vain. Ils sont intrépides. Quand mon mari est dans la boutique je me retire ; mais le plus souvent il n’y est pas. Outre cela la disette d’argent fait que nous ne vendons pas, et nous devons payer tous les samedis nos ouvriers. Nous serons obligés à les congédier, car nous avons des billets à l’ordre dont l’échéance est imminente37. Nous devons payer samedi 600 #, et nous n’en avons que 200.

— Je m’étonne de votre détresse dans les [149r] premiers jours de votre mariage. Votre père devait savoir tout ; et vous lui avez certainement porté une dot.

— Ma dot est de 6 000 #38, et 4 000 il les reçut comptant. Il les a employés à ouvrir la boutique, et à payer des dettes. Nous avons en marchandises trois fois plus que nous ne devons ; mais quand on ne vend pas le capital est mort.

— Tout ce que vous me dites m’afflige, et si la paix ne se fait pas, je prévois votre détresse s’augmenter tous les jours, et vos besoins devenir peut-être plus grands.

— Oui : car quand mon mari se portera bien il est facile que nous ayons des enfants.

— Quoi ! Sa santé lui empêche39 de vous rendre les devoirs de mari ?

— Certainement, mais je ne m’en soucie pas.

— Cela me surprend. Il me semble qu’un homme près de vous nen puisse pas se trouver malade, à moins qu’il ne le soit à la mort.

— Il n’est pas à la mort ; mais il ne donne pas des signes de vie.

Cette saillie m’autorisa à rire, et à l’applaudir par des embrassements qui devinrent tendres d’abord que douce comme un mouton elle ne leur mit aucune opposition. Je l’ai encouragéeo lui disant que je pourrai l’aider pour le billet à l’ordre qu’elle devait escompter samedi ; et je l’ai introduite dans un boudoir où rien ne manquait pour venir à une conclusion amoureuse.

Elle m’enchanta d’abord par la complaisance avec laquelle elle ne mit aucun obstacle ni à mes caresses, ni à ma curiosité ; mais elle me surprit quand elle prit un air différent de celui qui devait être l’avant-coureur de la grande jouissance.

— Quoi ! lui dis-je, pouvais-je m’attendre à ce refus dans ce moment, où je croyais voir dans vos yeux que vous partagiez mes désirs ?

— Mes yeux ne vous ont pas trompé ; mais que dirait mon mari s’il me trouvait différente de ce que j’étais hier ?

Elle me voit étonné, et elle m’excite à m’en convaincre.

— Suis-je la maîtresse, me dit-elle, de disposer d’un fruit qui appartient à l’Hymen avant que l’Hymen ne l’ait au moins une fois savouré ?

— Non, mon ange, non, je te plains, et je t’adore, viens entre mes bras, et ne crains rien. Le fruit sera respecté ; mais c’est incroyable.

[149v] Nous avons passé trois heures à faire cent folies délicieuses faites pour rendre notre flamme plus ardente quoi qu’on en dise. Une promesse solennelle d’être toute à moi d’abord qu’elle se serait trouvée en état de faire croire à Baret qu’il avait retrouvé sa santé me tint lieu de tout ce que je pouvais désirer. Après l’avoir promenée sur les boulevards je l’ai conduite à sa porte mettant entre ses mains un rouleau de vingt-cinq louis.

Amoureux d’elle comme il me semblait de ne l’avoir jamais été d’aucune femme je passais trois ou quatre fois par jour devant sa boutique laissant dire mon cocher qui me répétait que les longs détours crevaient mes chevaux. J’aimais ses baisemains, et l’attention avec laquelle elle guettait de loin mon passage. Nous étions convenus qu’elle ne me ferait signe de descendre que quand son mari l’aurait mise en état de pouvoir nous rendre heureux sans rien craindre. Ce fatal jour n’a pas tardé. À un signe qu’elle me fit je me suis arrêté. Elle me dit, étant montée sur le marchepied, d’aller l’attendre à la porte de l’église de S. Germain Lauxerois40. Curieux de ce qu’elle avait à me dire, j’y vais, et un quart d’heure après je la vois couverte de son capuchon ; elle monte dans ma voiture, et me disant qu’elle avait quelques emplettes à faire, elle me prie de la conduire au palais marchand41. J’avais des affaires ; mais amare et sapere vix deo conceditur [aimer et garder raison en même temps, un dieu le peut à peine]42. J’ordonne au cocher de me conduire à la place dauphine. C’en était fait de ma bourse ; mais l’amour voulait que je la contentasse.

Au palais marchand elle entra dans toutes les boutiques, où la jolie maîtresse l’invitait l’appelant princesse. Pouvais-je m’opposer ? Il ne s’agissait que de voir tous les bijoux, les colifichets, les ajustements43 qu’on nous étalait avec rapidité, et avec des paroles de sucre : Voyez ceci, ma belle princesse, voyez cela. Ah ! Que cela vous siérait bien ! C’est pour le demi-deuil, et on l’éclairera après-demain44. La Baret me [150r] regardait alors me disant qu’il fallait en convenir que c’était fort joli, si ce ne fût pas trop cher : et dupe volontaire je devais la convaincre que quand quelque chose lui plaisait, elle ne pouvait jamais être trop chère. Mais tandis qu’elle choisissait des gants et des mitaines, voici ce que la fatale destinée amena pour que je dusse me trouver fort à plaindre quatre ans après. La chaîne des combinaisons ne se brise jamais.

J’observe à ma gauche une fille de douze à treize ans d’une figure très intéressante avec une vieille femme laide qui méprisait une paire de boucles de Strass45 que la fille tenait entre ses mains admirant leur beauté : elle paraissait triste de ce qu’elle ne pouvait pas les acheter. Je l’entends dire à la vieille que ces boucles feraient son bonheur. La vieille les lui arrache des mains, et veut s’en aller. La marchande dit à la petite qu’elle lui en donnerait à meilleur marché, et celle-ci lui répond qu’elle ne s’en souciait pas. En sortant de la boutique elle fait une profonde révérence à ma princesse Baret, qui appelant la petite jeune reine lui dit qu’elle était jolie comme un ange, et l’embrasse. Elle demande à la vieille qui elle était, et elle lui répond que c’était mademoiselle de Boulainvilier sa nièce46. Et vous avez la cruauté, dis-je à cette vieille tante, de refuser à une si jolie nièce ces boucles qui feraient son bonheur ? Me permettez-vous de lui en faire présent ?

Disant cela je mets les boucles entre les mains de la demoiselle, qui devenue rouge comme du feu regarde sa tante. Celle-ci lui dit d’un ton doux de les accepter, et de m’embrasser. La marchande me dit que les boucles ne coûtaient que trois louis, et voilà l’affaire qui devient comique, car la tante en colère lui dit qu’elle voulait les lui donner pour deux. La marchande lui soutient qu’elle lui avait dit trois. La vieille alors qui avait raison, et qui ne pouvait pas souffrir que la marchande friponne profitât si ouvertement de ma politesse, dit à la petite de laisser là les boucles, et cela était bien ; mais elle gâta tout me disant que si je voulais [150v] donner les trois louis à sa nièce, elle irait acheter des boucles deux fois plus jolies dans une autre boutique. Cela m’étant égal, je mets, non sans sourire, les trois louis devant la demoiselle, qui tenait encore les boucles dans sa main ; mais la marchande les prend disant que le marché était fait et fini, que les boucles appartenaient à la demoiselle, et l’argent à elle. La tante alors l’appela friponne, la marchande la nomma maq….…, les passants s’arrêtèrent, et prévoyant des désagréments, j’ai conduit dehors avec douceur la tante, et la nièce qui contente d’avoir les belles boucles ne se souciait pas qu’on me les eût fait payer un louis de plus. Nous retournerons à cette fille à temps, et lieu.

J’ai reconduit à la porte de l’église la Baret, qui m’avait fait jeter ainsi vingt louis, que son pauvre mari aurait regrettésp plus que moi. Elle me dit chemin faisant qu’elle se trouvait en état de venir passer à la petite Pologne cinq à six jours, et que ce serait son mari même qui me demanderait cette grâce.

— Quand ?

— Pas plus tard que demain. Venez acheter quelque paire de bas, j’aurai la migraine, et mon mari vous parlera.

J’y fus, et ne la voyant pas, je lui ai demandé où elle était. Il me dit qu’elle était au lit malade, et qu’elle avait besoin d’aller prendre le bon air à la campagne pour quelques jours. Je lui ai offert un appartement à la petite Pologne, et il fit la bouche riante. Je vais la prier de l’accepter, lui dis-je ; en attendant empaquetez-moi une douzaine de paires de bas.

Je monte ; je la trouve au lit riante, malgré sa migraine de commande. Je lui dis que c’était fait ; et qu’elle allait le savoir dans la minute. Le mari monte avec mes bas, et lui dit que j’aurais la bonté de la garder quelques jours chez moi ; elle se montre reconnaissante, elle est sûre de regagner sa santé respirant le bon air, et je lui demande excuse d’avance si mes affaires m’empêcheront de lui tenir exactement compagnie ; mais que rien ne lui manquerait, et que son mari pourrait venir tous les jours souper avec nous, et partir le matin tant de bonne heure qu’il lui plairait47. Après bien des compliments Baret conclut qu’il ferait venir sa [151r] sœur pendant tout le temps qu’elle resterait chez moi. Je suis parti leur disant que je donnerais mes ordres dans le même jour, et qu’on les servirait quand on les verrait paraître, que je fusse à la maison ou non. Le surlendemain entrant chez moi vers minuit j’ai su de ma cuisinière que les époux après avoir bien soupé étaient allés se coucher. Je l’ai avertie que je dînerais, et souperais tous les jours, et que je ne serais à la maison pour personne.

Le lendemain à mon réveil j’ai su que Baret était parti au point du jour, qu’il avait dit qu’il ne reviendrait qu’à l’heure de souper, et que sa femme dormait encore. Je suis d’abord allé lui faire ma première visite ; et après nous être cent fois félicités de nous voir en pleine liberté l’un en possession de l’autre nous déjeunâmes, puis j’ai fermé ma porte, et nous nous livrâmes à l’Amour.

Surpris de la trouver comme je l’avais laissée la dernière fois que je l’avais eue entre mes bras, je lui ai dit que j’espérais….. mais elle ne me laissa pas finir ma remontrance. Elle me dit que son mari croyait d’avoir fait ce qu’il n’avait pas fait, et que nous devions le mettre en état de ne pas en douter à l’avenir. C’était effectivement lui rendre un service essentiel. L’amour ainsi fut le ministre de ce premier sacrifice que la Baret fit à l’Hymen, et je n’ai jamais vu l’autel tant ensanglanté.qJ’ai remarqué dans la jeune personne le plus grand contentement dépendant de l’essai qu’elle me donnait de son courage, et de la conviction qu’elle introduisait dans mon âme de sa véritable passion. Je lui ai cent fois juré une constance éternelle ; et elle me combla de joie m’assurant qu’elle y comptait dessus. Nous ne sortîmes du lit que pour aller faire nos toilettes, et nous dînâmes heureux l’un vis-à-vis de l’autre sûrs de renouveler des désirs pour avoir le plaisir de les éteindre par des nouvelles jouissances.

— Comment as-tu fait, lui dis-je au dessert, remplie de feu de Vénus, comme je viens de te connaître, à te garder pour l’Hymen jusqu’à l’âge de dix-sept ans ?

— Je n’ai jamais aimé : voilà tout. On m’a aimée ; mais on m’a sollicitéer en vain. Mon père a peut-être cru le contraire quand je l’ai prié, il y a un mois, de me marier bien vite.

— [151v] Pourquoi l’as-tu donc tant pressé ?

— Parce que je savais que le duc d’Elbeuf à son retour de la campagne m’aurait obligée à devenir la femme d’un homme que j’abhorrais, et qui me voulait à toute force.

— Qui est donc cet homme qui te faisait horreur ?

— C’est un de ses mignons48. Un lâche infâme cochon. Monstre ! Il couche avec son maître qui à l’âge de quatre-vingt-quatre ans prétend d’être devenu femme, et de ne pouvoir vivre qu’avec un pareil époux.

— Est-il bel homme ?

— Tout le monde le dit ; mais je le trouve horrible.

La charmante Baret passa chez moi huit jours tous aussi heureux que le premier. J’ai peu de fois vu des femmes aussi jolies qu’elle, et jamais d’aussi blanches. Ses seins mignons, son ventre égal, ses hanches arrondies qui s’élevaient sur les flancs pour achever une courbe qui allait finir à l’extrémité des cuisses qu’aucun géomètre n’aurait jamais pu démontrer offraient à mes yeux avides la beauté qu’aucun philosophe n’a jamais su définir. Je ne cessais de la contempler que lorsque l’impuissance de satisfaire aux désirs qu’elle m’inspirait me rendait malheureux. La frise de l’autel, où ma flamme s’était élevée au ciel, n’était composée que de petites boucles du plus fin or49, dont on ne saurait imaginer le plus pâle. En vain mes doigts les maniaient pour les défaire : les boucles me démontraient prenant une forme différente l’impossibilité de les défriser. La Baret partageait mon ivresse, et mes transports dans le plus grand calme, ne se livrants à l’empire de Vénus que lorsqu’elle sentait tout ce qui composait son charmant individu en tumulte. Elle devenait alors comme morte ; et elle paraissait ne reprendre ses sens que pour me rassurer qu’elle ne l’était pas50. Deux ou trois jours après son retour chez elle, je lui ai donné deux billets de Mézières de 5 m. # chacun51. Son mari resta franc de dettes, et se vit en état de poursuivre sa fabrique conservant ses ouvriers, et d’attendre la fin de la guerre52.

Au commencement de novembre j’ai vendu dix sous de ma fabrique au sieur Garnier de la rue du Mail53 pour 50 m. #, lui cédant le tiers des étoffes peintes qui se trouvaient dans mon magasin, et acceptant un contrôleur mis par lui, et payé par la société. Trois jours après avoir signé à ce contrat54 j’ai reçu l’argent ; mais le médecin garde magasin [152r] le vida, et partit : vol inconcevable à moins qu’il ne fût d’intelligence avec le peintre. Pour me rendre ce coup plus sensible Garnier me somma par un acte de justice de lui rendre les 50 m. #. Je lui ai répondu que je ne lui devais rien puisque son contrôleur était déjà installé : le malheur donc devait tomber en proportion sur tous les associés. On me conseilla de plaider. Garnier commença par déclarer nul le contrat me faisant même soupçonner de fraude. La caution du médecin ne se trouva plus. Elle était d’un marchand qui venait de faire banqueroute. Garnier fit séquestrer tout ce qu’il y avait dans l’hôtel de la manufacture, et dans les mains du roi de beurre mes chevaux, et mes voitures que j’avais à la petite Pologne. Au milieu de tant de désagréments j’ai congédié les ouvrières, et tous les employés, et domestiques que j’avais à ma manufacture. Le seul peintre resta dans la maison ne pouvant se plaindre de rien, puisqu’il avait eu toujours soin de se payer de sa portion dans les ventes des étoffes. Mon procureur était honnête homme ; mais mon avocat qui m’assurait tous les jours que mon procès était imperdable était un fourbe. Dans le cours de la procédure Garnier m’envoya un maudit exploit55 qui me condamnait à payer, et que j’ai d’abord porté à l’avocat, qui m’assura de noter appellation56 dans le même jour, et qui n’en fit rien s’appropriant ainsi tous les frais que j’ai payés pour me réaldir57. On m’a soufflé58 les deux autres assignations d’ordre59, et sans que je le sache on m’a décrété de prise de corps par défaut de comparaître60. On m’a arrêté à huit heures du matin dans la rue S. Denis dans mon propre équipage, le chef de sbires s’étant assis à mon côté, tandis qu’un autre sbire s’étant assis près du cocher l’obligea à me conduire à Fort-l’Évêque61.

D’abord que j’y fus, le greffier me dit que payant 50 m. #, ou étant cautionné je pourrais d’abord retourner chez moi ; mais n’ayant ni la somme ni la caution prête, je suis resté en prison. Quand j’ai dit au greffier que je n’avais reçu qu’une seule [152v] assignation, il me dit que cela n’arrivait que trop souvent ; mais que c’était difficile à prouver. J’ai demandé dans la chambre où on me mit tout le nécessaire pour écrire, et j’ai averti mon avocat, et mon procureur, et ensuite tous mes amis commençant par madame d’Urfé, et finissant par mon frère qui venait de se marier62. Le procureur vint d’abord ; mais l’avocat ne fit que m’écrire m’assurant qu’il avait fait noter l’appellation, et que mon arrestation étant par conséquent illégale, je pourrais la faire coûter cher à ma partie adverse, ayant cependant patience quelques jours, et le laissant agir. Manon Balletti m’envoya par son frère ses boucles d’oreillest, madame du Rumain m’envoya son avocat d’une probité reconnue, m’écrivant que si j’avais besoin de 500 louis elle pourrait me les envoyer le lendemain ; mon frère ne me répondit pas. Madame d’Urfé me répondit qu’elle m’attendrait à dîner. Je l’ai crue devenueu folle. À onze heures j’avais ma chambre remplie de monde. Baret qui avait su ma détention était venu en pleurant m’offrir toute sa boutique. On m’annonça une dame arrivée dans un fiacre, et ne la voyant pas paraître j’ai demandé pourquoi on ne la laissait pas monter. On me répondit qu’elle était partie après s’être abouchée avec le greffier. À la description qu’on m’en fit j’ai deviné que c’était madame d’Urfé.

J’étais fort fâché de me voir là-dedans, car cela devait me décréditer63 dans tout Paris, outre que l’incommodité de la prison me désolait. Ayant 30 m. # tout prêts, et des bijoux pour 60 m., j’aurais pu déposer le payement, et sortir d’abord ; mais je ne pouvais pas m’y résoudre, malgré l’avocat de madame du Rumain qui voulait me persuader à sortir de quelque façon que ce fût. Je n’avais besoin selon lui que de déposer la moitié de la somme qu’il clouerait64 au greffe, jusqu’à une sentence d’appellation qu’il me garantissait favorable.

Dans le moment que nous discutions la matière, le concierge de la prison vint me dire que j’étais libre, et qu’une dame m’attendait à la porte dans son équipage. J’ai envoyé Leduc, [153r] c’était le nom de mon valet de chambre, pour savoir qui était cette dame, et quand j’ai su que c’était madame d’Urfé j’ai tiré ma révérence à tout le monde. C’était midi. J’ai passé là-dedans quatre heures fort désagréables65.

Madame d’Urfé me reçut dans sa berline avec beaucoup de dignité. Un président à mortier66 qui était avec elle me demanda excuse pour sa nation67, et pour son pays où souvent des étrangers se voyaient exposés à des pareils désagréments. J’ai remercié madame en peu de paroles lui disant que je me voyais avec plaisir devenu son débiteur, mais que c’était Garnier qui profitait de sa noble générosité. Elle me répondit souriant qu’il n’en profiterait pas si facilement, et que nous parlerions de cela à dîner. Elle me conseilla d’aller d’abord me promener aux Tuileries, et au palais royal pour convaincre le public que le bruit de ma détention était faux. J’ai suivi son conseil lui disant qu’elle me reverrait à deux heures.

Après m’être bien montré aux deux grandes promenades, où j’ai vu, faisant semblant de ne pas y faire attention, tous ceux qui me connaissaient étonnés de me voir, je suis allé rendre ses boucles à ma chère Manon, qui à mon apparition fit un cri. Après l’avoir remerciée, et assuré toute la famille que j’avais été arrêté par une trahison que je ferais coûter cher à ceux qui l’avaient ourdie, je l’ai laissée lui promettant d’aller souper avec elle, et je suis allé dîner avec madame d’Urfé, qui me fit d’abord rire me jurant que son Génie l’avait informée que je m’étais fait arrêter exprès pour faire parler de moi par des raisons qui n’étaient connues que de moi. Elle me dit qu’après avoir su du greffier de Fort-l’Évêque de quoi il s’agissait, elle était retournée chez elle pour prendre des octrois qu’elle avait sur l’hôtel de ville68 qui auraient suffi pour 100 m. #, et qu’elle les avait déposés ; mais que Garnier aurait affairev à elle avant de se payer dans le cas que je ne fusse pas en état de me faire faire raison.

[153v] Elle me dit que je devais commencer par attaquer l’avocat au criminel69, car c’était évident qu’il n’avait pas noté mon appellation. Je l’ai quittée l’assurant qu’elle retirerait dans peu de jours sa caution.

Après m’être montré aux foyers des deux théâtres70, je suis allé souper avec Manon Balletti qui était enchantée d’avoir saisi l’occasion de me donner une preuve de sa tendresse. Je l’ai comblée de joie quand je lui ai dit que j’allais quitter ma manufacture, car elle pensait que mes ouvrières étaient la cause que je ne pouvais pas me déterminer à l’épouser.

J’ai passéw toute la journée suivante chez madame du Rumain. Je sentais tout ce que je lui devais ; mais elle ne sentait pas cela : il lui semblait au contraire de ne pouvoir jamais me donner assez des marques de sa reconnaissance pour les oraclesx qui la rendaient sûre de ne s’exposer jamais à faire des faux pas. Malgré tout l’esprit que cette dame avait, elle donnait cependant là-dedans. J’étais fâché de ne pas pouvoir la désabuser, et mortifié quand je pensais que je la trompais, et que sans cette tromperie elle n’aurait pas pour moi les égards qu’elle avait.

Mon emprisonnement quoique de peu d’heures me dégoûta de Paris, et me fit concevoir une haine invincible contre tous les procès que je conserve encore. Je me voyais engagé dans deux, un contre Garnier, l’autre au criminel contre l’avocat. Le chagrin me rongeait l’âme toutes les fois que je devais aller solliciter, dépenser mon argent chez des avocats, et perdre mon temps qui ne me semblait bien employé qu’à me procurer des plaisirs. Dans cet état violent je me suis déterminé à me faire un état solide propre à me faire jouir d’une paix parfaite. J’ai décidé de quitter tout : d’aller faire un second voyage en Hollande pour me remettre en fonds, [154r] et de retourner à Paris placer en rente viagère sur deux têtes tout le capital que j’aurais pu amasser. Les deux têtes devaient être la mienne, et celle de ma femme ; et cette femme devait être Manon Balletti. Je lui ai communiqué mon projet, et il lui tardait de me voir le mettre en exécution.

J’ai commencé par renoncer à ma maison de la petite Pologne qui ne devait me rester que jusqu’à la fin de l’année71 ; et j’ai retiré 80 m. # de l’École militaire qui me servaient de caution pour le bureau que j’avais dans la rue S. Denis. Ainsi j’ai résigné mon ridicule emploi de receveur de la loterie. J’ai fait présent de mon bureau à mon commis qui s’était marié, et moyennant cela j’ai fait sa petite fortune. Celui qui lui fit caution, fut, comme toujours, un ami de sa femme ; mais le pauvre homme mourut deux ans après.

Ne voulant pas laisser madame d’Urfé dans l’embarras d’un procès contre Garnier, je suis allé à Versailles pour engager l’abbé de Laville son grand ami à devenir le médiateur d’un accommodement. Cet abbé qui reconnut son tort, s’en chargea, et m’écrivit quelques jours après d’aller parler à Garnier en personne m’assurant que je le trouverais disposé à entendre raison. Il était à Ruelle72, et j’y fus. C’était une maison de plaisance à quatre lieues de Paris qui lui avait coûté 400 m. #. Cet homme, qui avait été cuisinier de M. d’Argenson, avait fait fortune dans les vivres à l’avant-dernière guerre73. Il vivait dans l’opulence ; mais ayant le malheur d’avoir soixante et dix ans, et d’aimer encore les femmes, il ne pouvait pas se reconnaître pour heureux. Je l’ai trouvé avec trois jeunes filles [154v] sœurs, jolies, et de bonne famille comme je l’ai su après. Elles étaient pauvres, et il les soutenait. À table, je leur ai trouvé un ton noble, et modeste à travers d’un air d’humiliation que cause l’indigence dans tous les cœurs sensibles. Le besoin les forçait à faire leur cour à ce vieux garçon libertin avec lequel elles devaient peut-être souffrir des désagréables tête-à-tête.

Après dîner il s’endormit me laissant le soin d’entretenir les demoiselles, et à son réveil nous nous retirâmes pour conférer sur notre affaire.

Quand il apprit que j’allais partir pour, peut-être, ne plus retourner à Paris, et qu’il ne pouvait pas me l’empêcher74, il prévit que la marquise d’Urfé le chicanerait au point qu’elle traînerait l’affaire en longueur tant qu’elle voudrait, et gagner75 peut-être le procès. J’ai dû passer la nuit chez lui. Il me répondit le matin pour son dernier mot qu’il voulait 25 m. #, ou qu’il plaiderait jusqu’à la mort. Je lui ai répondu qu’il trouverait la somme chez le notaire de madame d’Urfé après qu’il aurait délivré la caution au greffe de Fort-l’Évêque.

Madame d’Urfé ne fut persuadée que j’eusse bien fait à finir avec Garnier que quand je lui ai dit que l’ordre exigeait que je ne partisse de Paris sans avoir auparavant arrangé toutes les affaires qui pouvaient faire juger que j’étais parti pour ne pas pouvoir payer mes dettes.

Je suis allé prendre congé de M. le duc de Choiseul, qui me dit qu’ily écrirait à M. d’Affri de me seconder dans toutes mes négociations76, si je pouvais arranger un emprunt au 5-p-100 fût-ce des états généraux, ou d’une compagnie de particuliers77. Il me dit que je pouvaisz assurer tout le monde que dans l’hiver on concluraitaa la paix, et que je devais être aussi sûr qu’il ne permettrait pas qu’on me frustrât de mes droits à mon retour en France. Il me parlait ainsi ; et il savait queab la paix ne se ferait pas ; mais je n’avais [155r] aucun projet, et j’étais fâché d’avoir livré à M. de Boulogne mon projet sur les testaments, dont le nouveau contrôleur Silhouette montrait de ne faire aucun cas.

J’ai vendu mes chevaux, mes voitures, et tous mes meubles, et je me suis rendu caution pour mon frère qui s’était endetté avec un tailleur78, mais il était sûr de se trouver en peu de temps en état de payer ses dettes ayant plusieurs tableaux à finir que ceux qui les lui avaient ordonnés attendaient avec impatience.

J’ai laissé Manon toute en larmes ; mais j’étais sûr de la rendre heureuse à mon retour à Paris.

Je suis parti avec 100 m. # en lettres de change, et autant en bijoux tout seul dans ma chaise de poste précédé par Leduc qui aimait aller à franc étrier. C’était un Espagnolac qui avait dix-huit ans, et que j’aimais parce que personne ne coiffait mieux que lui. Un laquais suisse était aussi à cheval me servant de courrier. C’était le premier de décembre de l’an 175979. J’ai mis dans ma voiture l’Esprit d’Helvétius80 que je n’avais pas encore eu le temps de lire. Après l’avoir lu je fus plus encore surpris du bruit qu’il avait fait que du parlement qui l’avait condamné, et fait tout ce qu’il fallait pour ruiner l’auteur qui était un très aimable homme, et qui avait beaucoup plus d’esprit que son livre. Je n’y ai rien trouvé de nouveau ni dans la partie historique à l’égard des mœurs des nations où j’ai trouvé des contes, ni dans la morale dépendante du raisonnement. C’étaient des choses dites et redites, et Blaise Pascal avait dit beaucoup plus quoiqu’avec plus de ménagement. Si Helvétius voulut poursuivre à demeurer en France, il dut se rétracter. Il préféra la douce vie qu’il y menait à l’honneur, et à son propre système : c’est-à-dire à son propre esprit. Sa femme avec une âme plus grande81 que celle du mari inclinait à vendre tous les biens qu’ils y avaient, et aller demeurer en Hollande plutôt que se soumettre à la flétrissante palinodie ; mais [155v] l’homme crut de devoir tout préférer à l’exil. Il aurait peut-être suivi le conseil de sa femme s’il eût pu deviner que sa rétractation allait faire devenir son livre une bouffonnerie. Il parut dire se rétractant qu’il n’avait pas su ce qu’il avait écrit, qu’il avait badiné, et que tous ses raisonnements n’étaient que des paralogismes82. Mais plusieurs bons esprits n’ont pas attendu qu’il se démentît pour mépriser son système. Quoi ! parce que l’homme dans tout ce qu’il faitad est toujours l’esclave de son propre intérêt il s’en suivra que tout sentiment de reconnaissance devient ridicule, et qu’aucune action ne peut ni nous faire mériter ni démériter ? Les scélérats neae seront pas faits pour être détestés, et les honnêtes gens pour être chéris ? Pitoyable système !

Onaf aurait pu démontrer à Helvétius que c’est faux que dans tout ce que nous faisons notre propre intérêt soit notre premier mobile, et le premier à être consulté. Helvétius n’admettait donc pas la vertu. C’est singulier. Il était lui-même très vertueux. C’est-il possible qu’il ne se soit jamais reconnu pour honnête homme ? Ce serait plaisant si ce qui lui a fait publier son livre eût été un sentiment de modestie. A-t-il eu raison de se rendre méprisable pour éviter la tache d’orgueilleux ? La modestie n’est une vertu que quand elle est naturelle ; si elle est jouée, ou mise en exercice par précepte d’éducation elle n’est qu’hypocrisie. Je n’ai connu un homme plus naturellement modeste que le célèbre d’Alembert83.

Je me suis arrêté deux jours à Bruxelles logé par hasard à l’impératrice84 où se trouvait Miss XCV avec Farsetti. J’ai fait semblant de l’ignorer. Je suis allé au Mordick85, et je l’ai passé laissant en deçà ma chaise de poste. À La Haye je suis allé me loger au prince d’Orange. L’hôte me persuada à manger à la grande table quand il me dit quelles étaient les personnes qui la composaient. [156r] Il me dit que c’étaient des officiers généraux de l’armée hanoverienne86, des dames anglaises, et un prince Piccolomini87 avec son épouse. J’ai d’abord décidé de descendre à souper.

Inconnu de tous, et gardant le silence, j’ai examiné avec la plus grande attention la figure, les manières, et le maintien de la prétendue princesse italienne assez jolie, et plus particulièrement son mari qu’il me semblait de connaître. J’ai su à table que le fameux S. Germain était logé à la même auberge.

Dans le moment que j’allais me coucher, voilà le prince Piccolomini qui entre dans ma chambre, et qui m’embrasse comme vieille connaissance. Un seul coup d’œil, me dit-il, que vous m’avez donné me fit voir que vous m’avez d’abord reconnu. Je vous ai aussi reconnu dans l’instant malgré les seize ans qui se sont écoulés après88 notre dernière entrevue à Vicence89. Demainag vous pourrez dire à tout le monde que nous nous sommes reconnus ;ah que je ne suis pas prince, mais comte Piccolomini, et voilà mon passeport du roi de Naples que je vous prie de lire.

Il ne m’avait pas laissé dire un seul mot, et je ne pouvais pas me le remettre. Je lis le passeport, et je trouve Ruggero di Rocco comte Piccolomini. Je me souviens alors d’un Rocco Ruggeri qui faisait le métier de maître en fait d’armes dans la ville de Vicence, je le regarde, et je me le rappelle. Je lui fais compliment de ce qu’il ne faisait plus ce métier-là. Il me répond que son père vivant encore dans ce temps-là, et ne lui donnant pas de quoi vivre, il faisait ceai métier pour ne pas mourir de faim déguisant son nom, et sa qualité. Après sa mort, il était allé se mettre en possession de ses biens, et il avait épouséaj à Rome la belle [156v] dame que j’avais vue. Il finit par me prier d’aller dans sa chambre après le dîner, où je trouverais belle compagnie, et une banque de Pharaon qu’il tenait lui-même. Il me dit sans façon que si je voulais il me prendrait de moitié, et que j’y trouverais mon compte. Je lui ai promis d’aller lui faire une visite.

Après avoir fait une visite au juif Boaz, et avoir poliment refusé le logement qu’il m’offrit je suis allé faire ma révérence au comte d’Affri, qui après la mort de madame la princesse d’Orange gouvernante des Pays-Bas avait déployé le caractère d’ambassadeur90. Il me reçut très bien me disant que si j’étais retourné là espérant de faire quelque bonne affaire à l’avantage de la France je perdais mon temps. Il me dit que l’opération du contrôleur général Silhouetteak avait décrédité la nation au point qu’on s’attendait à une banqueroute91. Cela le désolait. Il avait beau dire que les payements n’étaient suspendus que pour une année, que c’était égal. On faisait les hauts cris.

Après s’être plaint ainsi, il me demanda si je connaissais un certain comte de S. Germain arrivéal à La Haye depuis peu qu’il n’avait jamais vu, et qui se disait chargé par le roi d’un emprunt de cent millions92. Quand on vient chez moi, me dit-il, pour prendre information de cet homme, je suis obligé de répondre que je ne le connais pas, car j’ai peur de me compromettre. Vous sentez que ma réponse ne peut que diminuer de vigueur sa négociation ; mais c’est sa faute. Pourquoi ne m’a-t-il pas porté une lettre du duc de Choiseul, ou de madame la marquise ? Je crois cet homme imposteur ; mais dans huit à dix jours j’en aurai des nouvelles.

[157r] Je lui ai alors dit tout ce qu’on savait de cet homme singulier, et extraordinaire, et il fut surpris d’apprendre que le roi lui eut donné un appartement à Chambord ; mais quand je lui ai appris qu’il avait le secret de faire des diamants, il rit, et il me dit qu’il ne doutait plus qu’il pût trouver les cent millions. Il me pria à dîner pour le lendemain.

À peine retourné à l’auberge je me suis fait annoncer au comte de S. Germain, qui avait dans son antichambre deux Aiducs93. Il me reçut me disant que je l’avais prévenu94.

— J’imagine, me dit-il, que vous êtes venu ici pour faire quelque chose pour notre cour ; mais cela vous sera difficile ; car la Bourse est scandalisée de l’opération que ce fou de Silhouette vient de faire. Cela cependant ne m’empêchera pas de trouver cent millions : j’en ai donné ma parole à Louis XV que je peux appeler mon ami, et dans trois ou quatre semaines mon affaire sera faite.

— M. d’Affri vous aidera à réussir.

— Je n’ai pas besoin de lui. Je ne le verrai pas même, car il pourrait se vanter de m’avoir aidé.

— Vous allez à la cour, je pense, et le duc de Brunswick95 pourra vous être utile.

— Je n’ai que faire de lui. Je ne me soucie pas de faire sa connaissance. Je n’ai besoin que d’aller à Amsterdam. Mon crédit me suffit. J’aime le roi de France, car il n’y a pas dans tout le royaume un plus honnête homme que lui.

— Venez donc dîner à la table là-bas, vous y trouverez des gens comme il faut.

— Vous savez que je ne mange pas ; et d’ailleurs je ne m’assiedsam jamais à une table où je peux trouver des inconnus.

— Adieu donc, monsieur le comte, nous nous verrons aussi à Amsterdam.

[157v] Je suis descendu à la salle, où en attendant qu’on servît, j’ai fait connaissance en paroles avec les officiers qui étaient là. Quand on me demanda, si je connaissais le prince Piccolomini, j’ai répondu que je l’avais reconnu après souperan ; et qu’il était comte, et non pas prince.

Il descendit avec sa femme qui ne parlait qu’italien. Je lui ai fait compliment, et nous nous mîmes à table [162r].

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