Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre premiera

Ma mauvaise conduite à Stutgard. Zurick.

a. 1760b

À cette époque la plus brillante cour de toute l’Europe était celle du duc de Wurtembergc. Il la tenait moyennant les gros subsides que la France lui payait pour disposer de dix mille hommes. C’était un beau corps qui dans toute la guerre ne s’était distingué que par des fautes1.

Les grandes dépenses que le duc faisait consistaient en traitements magnifiques, en bâtiments superbes, en équipages de chasse, et en caprices de toutes les espèces ; mais ce qui lui coûtait des trésors était le spectacle. Il avait comédie française, et opéra comique, opéra italien sérieux, et bouffon, et dix couples de danseurs italiens, dont chacun avait eu le rang de premier dans quelque fameux théâtre d’Italie2. Le compositeur de ses ballets était Novers3, qui employait souvent cent figurants ; et un machiniste lui faisait des décorations qui tentaient les spectateurs de croire à la magie. Toutes ses danseuses étaient jolies, et elles se vantaient toutes d’avoir fait au moins une fois les délices de monseigneur amoureux. La principale était une Vénitienne, fille du gondolier Gardello ; la même que le sénateur vénitien Malipiero,d qui m’a donnée le premier une bonne éducation, a élevée pour le théâtre lui payant un maître de danse. Le lecteur peut se souvenir que je l’ai trouvée à Munick en fuyant des plombs mariée au danseur Michel da l’Agata4. Le duc de Wurtemberg, devenu amoureux d’elle, la demanda à son mari, qui se crut heureux de pouvoir la lui céder ; mais un an aprèsf ne l’aimant plus, il lui donna le titre de madame, et elle fut jubilée5. Par cette exaltation6 il avait rendu jalouses toutes les autres, qui croyant de mériter de devenir ses maîtressesg plus [4v] que la régnante qui enfin n’en avait que le titre, et les honneurs, faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour la culbuter7. Mais la Gardella avait l’art de se soutenir. Bien loin d’ennuyer le duc lui reprochant ses infidélités, elle lui en faisait compliment. Ne l’aimant pas, elle se trouvait beaucoup plus heureuse se voyant négligée que si elle eût dû le souffrir amoureux. Remplie d’ambition, les honneurs qu’il lui faisait lui suffisaient. Elle voyait avec plaisir toutes les danseuses qui aspiraient à plaire au duc se recommander à elle : elle leur faisait bon accueil, et elle les encourageait à rendre amoureux d’elles le souverain, qui à son tour trouvant cette tolérance de la favorite admirable, et héroïque, croyait de devoir par tous les moyens la convaincre de sa parfaite estime. Il lui faisait en public tous les honneurs que selon l’usage il ne pouvait faire qu’aux princesses.

Ce que j’ai clairement connu en peu de jours fut que tout ce que ce prince faisait n’était que pour faire parler de lui. Il voulait qu’on dît qu’aucun prince son contemporain n’avait ni plus d’esprit, ni plus de talent que lui, ni plus l’art d’inventer des plaisirs, et d’en jouir, ni plus de capacité pour régner, ni un plus fort tempérament pour suffire à tous les plaisirs de la table, de Baccus, et de Vénus sans jamais empiéter sur le temps qui lui était nécessaire à gouverner son État, et à en régir tous les départements dont il voulait être à la tête. Pour en avoir le temps il s’était déterminé à frustrer la nature de celui qui lui était nécessaire pour dormir. Il croyait d’en être le maître, et il disgraciait le valet qui ne pouvait pas venir à bout de le faire sortir du lit après trois ou quatre heures de sommeil, [5r] auquel il avait dû s’abandonner. Ce valet chargé de le réveiller avait l’autorité de faire tout ce qu’il voulait de sa souveraine personne pour la délivrer des pavots de Morphée. Il le secouait, il lui faisait avaler force café, il parvenait à le mettre dans un bain froid. Lorsqu’enfin S. A. Sérénissime ne dormait plus, elle assemblait ses ministres pour dépêcher les affaires courantes ; puis elle donnait audience à tous ceux qui se présentaient, dont la plus grande partie était des paysans durs, sots, obstinés, qui, ayant des griefs, croyaient de n’avoir besoin que de parler au souverain pour qu’on leur fît raison dans la minute. Mais il n’y avait rien de plus comique que cette audience que le duc donnait à ses pauvres sujets. Il enrageait pour leur faire entendre raison, et ils sortaient de sa présence épouvantés, et désespérés. Il en agissait différemment avec les jolies paysannes. Il examinait leurs griefs tête-à-tête, et malgré qu’il ne leur accordât rien elles sortaient cependant consolées.

Les subsides de la France ne suffisant pas aux grandes dépenses qu’il faisait, il accablait ses sujets par des corvées auxquelles à la fin ne pouvant plus résister ils recoururent quelques années après à la chambre de Wesslar8 qui le força à changer de système. Sa marotte était de gouverner marchant sur les brisées du roi de Prusse qui s’est toujours moqué de lui. Ce prince avait épouséh la fille du Margrave de Bayreuth9, qui était la plus belle, et la plus accomplie princesse de toute l’Allemagne. Elle s’était sauvée dans ce temps-là chez son père n’ayant pas pu souffrir un sanglant affront, que son mari, qui ne la méritait pas, lui fit10. Ceux qui dirent qu’elle l’a quitté ne pouvant plus souffrir ses infidélités, furent mal informés.

[5v] M’étant logé à l’Ours ; après avoir dîné tout seul, je m’habille, et je vais à l’opéra sérieux italien que le duc faisait donner gratis au public dans le beau théâtre qu’il avait fait bâtir. Il était au cercle devant l’orchestre entouré de sa cour. Je suis allé me placer tout seul dans une loge au premier rang enchanté de pouvoir entendre sans la moindre distraction la musique du fameux Jumella11 que le duc avait à son service. Un air chanté par un célèbre castrato12 m’ayant fait beaucoup de plaisir, je claque des mains. Une minute après un homme vient me parler allemand d’un ton impoli. Je lui réponds les quatre mots qui signifient : je n’entends pas l’allemand. Il s’en va ; et un autre vient me dire en français que le souverain se trouvant à l’opéra, il n’était pas permis de claquer. — Fort bien. Je viendrai donc quand le souverain n’y sera pas, car quand un air me fait plaisir, je ne peux m’empêcher de claquer.

Après avoir répondu ainsi, je vais faire appeler ma voiture ; mais voilà le même officier qui me dit que le duc voulait me parler. Je vais avec lui au cercle.

— Vous êtes donc M. Casanova.

— Oui Monseigneur.

— D’où venez-vous ?

— De Cologne.

— Est-ce la première fois que vous venez à Stutgard ?

— Oui monseigneur.

— Comptez-vous d’y faire un long séjour ?

— Cinq à six jours, si V. A. me le permet.

— Tant qu’il vous plaira, et il vous sera aussi permis de claquer.

À l’air suivant le duc claqua, et tout le monde en fit de même ; mais l’air ne m’ayant pas fait plaisir je me suis tenu tranquille. Après le ballet, le duc est allé faire une visite à sa favorite jubilée,i où je l’ai vu lui baiser la main ; puis partir.

Un officier, qui ne savait pas que je la connaissais, me dit [6r] que c’était Madame, et qu’ayant eu l’honneur de parler au prince, je pouvais aussi avoir celui d’aller lui baiser la main dans sa loge. Le caprice me vient de lui répondre, que je croyais pouvoir me dispenser, parce qu’elle était ma parente. Mensonge inconcevable qui ne pouvait que me faire du tort. Je le vois surpris : il me laisse, et il va dans la loge de ma parente qu’il informe de mon apparition. Elle tourne la tête vers moi, et elle m’appelle de l’éventail. J’y vais, riant en moi-même du sot rôle que j’allais jouer. À peine entré, elle me donne la main que je lui baisej l’appelant ma cousine. Elle me demande, si je m’étais annoncé pourk son cousin au duc, je lui dis que non ; mais elle s’en charge, et m’invite à dîner le lendemain avec elle.

À la fin de l’opéra elle part, et je vais faire des visites aux danseuses qui se déshabillaient. La Binetti, qui était ma plus ancienne connaissance, se montre, me voyant, transportée de joie, et me prie à manger chez elle tous les jours. Le joueur de violon Curtz, qui avait été mon camarade dans l’orchestre de S. Samuel13, me présente sa fille prodigieusement jolie14, me disant d’un ton de maître que le duc ne l’aura pas ; mais peu de temps après il l’eut, et il en fut aimé : elle lui donna deux poupons ; elle était faite pour le rendre constant, car elle joignait à la beauté l’esprit ; mais le duc avait alors besoin d’être inconstant. Après la Curtz j’ai vu la petite Vulcani que j’avais connuel à Dresde qui me surprit me présentant son mari qui me sauta au cou. C’était Balletti le cadet, frère de mon infidèle, garçon rempli de talent, et d’esprit que j’aimais à la folie15. Toutes ces connaissances me firent cercle, et l’officier auquel je m’étais annoncé comme [6v] parent de la Gardella étant arrivé dans ce moment-là conta à la compagnie toute l’histoire ; mais la Binetti dit net, et clair que ce n’était pas vrai ; et elle me rit au nez quand je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas en savoir assez pour me donner un démenti. La Binetti, en qualité de fille de gondolier comme l’autre, trouvait que j’aurais dû lui donner la préférence, et elle avait peut-être raison.

Le lendemain j’ai dîné fort gaiement avec la favorite, malgré qu’elle m’ait dit que n’ayant pas vu le duc elle ne savait pas comment il prendrait la chose. Sa mère trouvait cette plaisanterie de cousin, et cousine indigne de son approbation. Elle me dit que ses parents n’avaient jamais joué la comédie : je lui ai demandé si sa sœur vivait encore, et cette question lui a fort déplu. Cette sœur était une grosse gueuse aveugle, qui demandait l’aumône sur un pont de Venise.

Après avoir passé toute la journée avec plaisir en compagnie de cette favorite qui était la plus ancienne de toutes mes connaissances de cette espèce je l’ai laissée l’assurant que j’irais le lendemain déjeuner avec elle ; mais en sortant de la maison son portier à moustaches me fit de la plus mauvaise grâce un fort grossier compliment. Il m’ordonna, sans me dire de la part de qui, de ne plus remettre les pieds dans cette maison-là. Reconnaissant alors la grosse bêtise que j’avais faite, je suis retourné de mauvaise humeur à mon auberge. Si je n’avais pas promis à la Binetti de dîner avec elle le lendemain, j’aurais pris la porte sur-le-champ, et j’aurais ainsi évité tous les désagréments que j’ai eus par ma faute dans cette ville.

La Binetti demeurait dans la maison de son amant qui était l’envoyé de Vienne16. Cette maison faisait partie du rempart [7r] de sorte qu’en escaladant ses fenêtres on était hors de la ville. Si dans ce moment-là j’avais été capable de devenir amoureux, toute mon ancienne tendresse se serait réveillée, car elle possédait des appas enchanteurs. L’envoyé de Vienne était tolérant ; et son mari était un vrai animal qui courait les mauvais lieux. Nous dînâmes dans la plus grande gaieté, et n’ayant plus rien à faire dans le Wirtemberg je me suis déterminé à partir le surlendemain, car dans le jour suivant je devais aller voir Louisbourg17 avec la Toscani, et sa fille. Cette partie était déjàm fixée ; et le lendemain nous devions être ensemble à cinq heures du matin ; mais voilà ce qui m’est arrivé sortant vers le soir de la maison de la Binetti.

Trois officiers très prévenants avec lesquels j’avais fait connaissance au café m’approchent, et je fais avec eux deux ou trois tours de promenade. Ils me disent qu’ils avaient une partie faite avec des filles, et ils m’assurent que si je voulais y être je leur ferais plaisir. Je leur dis que ne parlant pas allemand, je m’ennuierais ; et ils me répondent que les filles avec lesquelles ils s’étaient engagés étaient italiennes ; et ils me persuadent.

Sur la brune nous rentrons en ville, et nous allons au troisième étage d’une maison de mauvaise mine, où je trouve dans une vilaine chambre les deux prétendues nièces de Pocchini18, et un moment après je vois Pocchini lui-même, qui vient avec beaucoup d’effronterie m’embrasser m’appelant [7v] son meilleur ami. Les caresses que les filles me font confirment l’ancienne connaissance ; et tout cela me fait prendre le parti de dissimuler.

Les officiers commencent à boucaner, je ne les imite pas ; mais cela ne les gêne pas. Je me repens trop tard de la complaisance que j’avaisn eue d’aller là avec des inconnus ; mais c’était fait. Tout ce qui m’est arrivé de malheureux à Stutgard n’est dérivé que de ma mauvaise conduite.

On sert un souper de gargote, je ne mange pas, mais pour ne pas passer pour malhonnête, je bois deux ou trois verres de vin de Hongrie. On porte des cartes, un officier fait une banque, je ponte, la tête me tournait ; je perds cinquante ou soixante louis que j’avais. Je ne veux plus jouer ; mais les nobles officiers ne veulent pas souffrir que je parteo fâché d’avoir soupé avec eux. Ils me persuadent à faire une banque de cent louis, et ils me les donnent en marques. Je les perds ; je renouvelle la banque, et je la perds, puis je la fais plus forte, et toujours plus forte perdant toujours, et à minuit on me dit en voilà assez. On compte toutes les marques, et on me trouve débiteur de quatre mille louis à peu près19. La tête me tournait si fort, qu’on dut envoyer chercher une chaise à porteurs pour me faire reconduire à mon auberge. Mon valet me dit, me déshabillant que je n’avais ni mes montres, ni une tabatière d’or. Je n’oublie pas de lui dire de me réveiller à quatre heures, et je m’endors.

Il n’y manque pas. Je reste étonné de trouver dans ma poche [8r] une centaine de louis ; me souvenant cependant très bien de la grosse perte que j’avais faite sur ma parole ; mais je diffère à y penser dans un autre moment, comme à mes montres, et à ma tabatière. J’en prends une autre, je vais chez la Toscani, nous allons à Louisbourg, on me fait voir tout, nous dînons très bien, et nous retournons à Stutgard. Je fus de si bonne humeur que personne de la compagnie n’aurait jamais pu se figurer le malheur considérable qui m’était arrivé la veille.

La première chose que mon Espagnol me dit fut que dans la maison où j’avais soupé personne ne savait rien ni de mes montres, ni de ma tabatière ; et la seconde, que trois officiers étaient venus à neuf heures du matin pour me faire une visite, et qu’ils lui dirent qu’ils viendraient déjeuner avec moi le lendemain. Ils n’y manquèrent pas.

Messieurs, leur dis-je, j’ai perdu une somme que je ne peux pas payer, et que certainement je n’aurais pas perdue sans le poison que vous m’avez fait avaler dans le vin de Hongrie. Dans le bordel où vous m’avez conduit on m’a volé pour la valeur de trois cents louis ; mais je ne m’en plaindrai à personne. Si j’avais été sage, il ne me serait rien arrivé.

Ils commencèrent à faire les hauts cris. Ils me parlèrent en conséquence du rôle que l’apparence de l’honneur les obligeaitp à jouer ; mais tous leurs discours furent vains, car je m’étais déjà déterminé à ne rien payer. Dans la chaleur de notre dispute arrivèrent Balletti, la Toscani mère, et le danseur Binetti qui entendirent tout ce dont il y avait question. Ils partirent après avoir déjeuné ; et un des trois officiers [8v] me fit alors ce projet d’accommodement.

Ils recevraient à leur juste valeur tous les effets que j’avais en bijoux d’or, et en diamants, et si les effets ne suffisaient pas à faire la somme dont j’étais débiteur, ils prendraient une obligation écrite par laquelle je m’engagerais à les payer dans un temps déterminé.

Je leur ai répondu que je ne pouvais les payer d’aucune façon ; et pour lors les menaces de leur part commencèrent. Je leur ai dit du plus grand sang-froid que pour me faire payer ils n’avaient que deux moyens. Le premier pouvait être celui de me faire des actes en justice ; et que dans ce cas je trouverais un avocat qui me défendrait. L’autre que je leur ai offert de l’air le plus modeste fut de les payer de ma personne en tout honneur, et très secrètement un à la fois l’épée à la main. Ils me répondirent, comme toujours, et comme de raison, qu’ils me feraient l’honneur de me tuer après que je les aurais payés. Ils s’en allèrent en jurant, et m’assurant que je me repentirais.

Je suis sorti pour aller chez la Toscani, où j’ai passéq toute la journée dans une gaieté qui dans le cas où j’étais paraissait folie ; mais tel était le pouvoir des charmes de sa fille : et mon âme d’ailleurs avait besoin de s’égayer.

La Toscani cependant, qui avait été témoin de la fureur des trois intrépides joueurs, me démontra que je devais être le premier à les attaquer en justice, car si je les laissais prendre le devant ils pourraient gagner sur moi un grand avantage : elle envoya donc chercher un avocat, qui après l’information me dit que [9r] je devais aller tout droit au souverain. Ils m’avaient conduit au tripot, ils m’avaient fait boire unr vin frelaté qui m’avait fait perdre l’usage de la raison, ils avaient joué, et le jeu était défendu20, ils m’avaient gagné une somme exorbitante, et dans le mauvais lieu on m’avait volé mes effets, ce dont étant ivre je ne me suis aperçu que de retour à l’auberge. Le fait était criant. Au souverain, au souverain, au souverain.

Je m’y détermine le lendemain, et puisqu’il écoute tout le monde je ne crois pas avoir besoin d’écrire : je vais à la cour pour lui parler. À vingt pas de la porte du château je rencontre deux de ces messieurs, qui m’affrontent21, et me disent que je dois penser à les payer, je veux aller mon chemin sans leur répondre ;s je me sens saisi par le bras gauche ;t par un mouvement naturel je tire furieusement mon épée, l’officier de garde accourt,u je crie qu’on veut m’empêcher d’aller porter devant le souverain une juste plainte. L’officier entendv de la sentinelle, et de tout le monde qui m’entourait, que je n’avais tiré l’épée que pour me défendre,w il décide que personne ne pouvait m’empêcher de monter.

Je monte ; on me laisse pénétrer jusqu’à la dernière antichambre, je demande audience, on m’assure que je l’aurais ;x l’officier qui m’avait saisi par le bras vient aussi, il narre en allemand un fait, comme il veut à l’officier qui faisait la fonction de chambellan, et qui apparemment était de la clique ; et une heure s’écoule sans que je puisse avoir audience. Le même officier enfin qui m’avait assuré que le souverain m’écouterait, vient me dire que le souverain savait déjà tout, que je pouvais retourner chez moi, me tenir tranquille, et être sûr qu’on me rendrait justice.

[9v] Je sors donc du château pour retourner à l’auberge ; mais je rencontre le danseur Binetti qui informé de tout me persuade à aller dîner chez lui, où l’envoyé de Vienne me prendrait sous sa protection pour me garantir des violences que les fripons pouvaient me faire, malgré ce que l’autre dans l’antichambre du duc m’avait dit. J’y vais ;y la Binetti prenant mon affaire avec feu,z va en informer l’envoyé quiaa après avoir tout su de moi-même me dit que le duc n’en savait, peut-être, rien ;ab et queac je devais donc écrire en bref mon fait, et le lui faire parvenir.adJe devenais sûr par là, selon l’idée de l’envoyé, qu’on me ferait raison.

J’écris vite la vilaine histoire, et l’envoyé m’assure qu’elle ira en moins d’une heure entre les mains du prince. La Binetti à dîner me donne les assurances les plus positives que l’envoyé de Vienne sera mon protecteur, et nous passons la journée assez gaiement ; mais vers le soir mon Espagnol vient m’assurer que si j’allais àae l’auberge je me verrais arrêté, car un officier était allé à ma chambre où ne m’ayant point trouvé, il s’était mis à la porte de la rue :af il s’y tenait depuis deux heures, et il avait au bas de l’escalier deux soldats à ses ordres. La Binetti ne veut pas que je retourne à l’auberge : elle me force à rester chez elle, et mon valet de chambreag s’en va retournant avec tout mon nécessaire pour me déshabiller, et me loger chez ma bonne amie, où je n’avais rien à craindre de la violence. L’envoyé entre à minuit, il n’est pas fâché que la Binetti m’ait donné asile, et il nous dit que mon placet22 a été sans nul doute lu du souverain. Je vais donc me coucher assez tranquille, et trois jours s’écoulent sans que je voie aucun résultat du placet, et sans que j’entende personne parler de mon affaire. La Binetti n’a jamais voulu me permettre de sortir.

[10r] Le quatrième jour, lorsque je consultais toute la maison sur le parti que je devais prendre, M. l’envoyé reçut une lettre du ministre d’État23 dans laquelle il le priait de la part du Souverain de me congédier de sa maison, car j’avais un procès à démêler avec des officiers de S. A., et étant dans sa maison le cours ne restait pas libre à la justice pour procéder ni en faveur de l’une, ni en faveur de l’autre parties dont elle devait examiner la question. Dans cette lettre que j’ai lue le ministre assurait l’Envoyé qu’on me rendrait exacte justice. Il a fallu donc que je me détermine à retourner dans mon auberge. La Binetti en était furieuse au point qu’elle dit des injures à l’Envoyé qui en rit,ah lui disant qu’il ne pouvait pas me garder malgré le Duc.

Après dîner, lorsque je pensaisai d’aller chez mon avocat un huissier me porte une assignationaj que mon hôte m’interpréta24. Je devais aller sur l’heure chez je ne sais quel notaire qui devait recevoir, et écrire ma déposition. J’y fus avec le porteur de l’assignation, et j’ai passé deux heures avecak cet homme qui écrivit en allemand tout ce que je lui ai dit en latin. Il me dit de signer,al mais je lui ai représenté que je ne pouvais pas signer un écrit dont je ne savais pas le contenu, et nous eûmes ici une longue dispute à laquelle je fus inébranlable. Ilam se mit en colère me disant que je ne pouvais pas révoquer en doute la foi d’un notaire : je lui ai répondu qu’il pouvait donc se passer de ma signature, et en partant de chez lui, je me suis fait conduire chez mon avocat qui me dit que j’ai eu raison de ne pas signer,an qu’il passerait chez moi le lendemain pour recevoir ma procuration, et que pour lors mon affaire deviendrait la sienne.

Consolé par cet homme qui me paraissait honnête je suis allé souper, et dormir chez moi avec la plus grande tranquillité ; mais le lendemainao mon valet entra avec unap officier qui assez poliment me dit en bon français que je ne devais pas m’étonner si je me trouvais arrêté dans ma chambre avec une sentinelle à ma porte,aq car étant étranger c’était dans l’ordrear que ma partie adverse s’assurât que je ne m’évaderais pas dans le temps de l’information25 du procès. Il me demanda mon épée, que j’ai dû lui remettre à mon grand regret. Elle était d’acier, et elleas [10v] valait cinquante louis : c’était un présent que m’avait fait Madame d’Urfé. J’ai d’abord fait savoir mon arrêt à mon avocat, qui m’assura qu’il ne durerait que très peu de jours.atDevant rester chez moi j’ai commencé à recevoir les visites des danseurs, et des danseuses, qui étaient les seules honnêtes gens que je connaissais. Empoisonné par un verre de vin, triché, volé je me trouvais privé de ma liberté, et dans la crainte d’être condamné à payer cent mille francs pour lesquels j’aurais dû me laisser mettre en chemise, puisque personne ne savait ce que j’avais dans mon portefeuille. J’étais comme étourdi par cette oppression ; j’avais écrit à Madame la Gardella, et je n’avais pas eu de réponse. La Binetti, la Toscani, et Balletti qui dînaient, ou soupaient chez moi,au faisaient ma seule consolation. Les officiersav capons étaient venus tous un à la fois me parler pour m’engager à leur donner de l’argent à l’insu des deux autres,aw me promettant chacun en particulier de me faire sortir d’embarras. On était content de trois ou quatre cents louis26 ; mais quand même je les aurais donnésax à un, je n’étais pas sûr que les autres deux ne reviendraient à la charge. Je leur ai dit un à un qu’ils m’ennuyaient, et qu’ils me feraient plaisir à ne pas s’incommoder venant me voir.

Le cinquième jour de mon arrêt le Duc de Wurtemberg partit de Stutgard pour allerayà Francfort27, et dans le même jour la Binetti vint me dire que l’Envoyé de Vienne lui avait dit deaz m’avertir que le Souverain avait promis aux officiersba de ne pas se mêler de cette affaire, et que par là il me voyait en danger de devenir la victime d’une sentence inique. Il mebb conseillait donc de tâcher de me tirer d’embarrasbc sacrifiant tout ce que j’avais en or, et en diamants en recevant le désistement de mes prétendus créanciers en bonne forme. La Binetti n’était pas de cet avis ; mais elle se crut obligée de me dire ce que l’Envoyé lui avait donné ordre de me faire savoir.

Je ne pouvais pas me résoudre à me priver de mes bagues, et à vider ma cassette, où j’avais montres, tabatières, autres boîtes, étuis, et portraits qui valaient plus que quarante mille francs ; mais celui qui me força à prendre une résolution vigoureuse fut mon avocat, qui tête-à-tête me dit net et clair que si je ne pouvais pas réussir à m’accommoder en payant je devais penser à me sauver, car sans cela j’étais perdu. La sentence du juge de police, me dit-il, sera sommaire, car vous, étant étranger, vous ne pouvez pas prétendre de mettre votre affaire dans l’ordre ordinaire de la chicane. Vous devriez commencer par donner caution. On a fait conster28 par des témoins qui sont ici que vous êtes joueur de profession, que c’est vous qui avez attirébd les officiers chez votre compatriote Pocchini, qu’il n’est pas vrai qu’on vous ait soûlé, et qu’il n’est pas vrai qu’on vous ait volé montres, et tabatière. On soutient qu’on trouvera tout cela dans vos coffres, lorsque la justice ordonnera qu’on inventorie tous vos effets. Attendez-vous à cela demain ou après-demain, et gardez-vous de douter de tout ce que je vous dis. On viendra ici vider vos deux malles, votre cassette, et vos poches, on écrira tout, et tout sera mis à l’encan29 dans le même jour ; et si l’argent qu’on retirera ne suffira pas à payer votre dette, et tous les frais de justice, et de votre arrêt,be on vous enrôlera monsieur soldat dans les troupes de S. A. Sérénissime. J’ai entendu moi-même l’officier votre plus gros créancier dire en riant qu’on mettra en ligne de compte quatre louis qu’on vous donnera pour votre engagement, et que le duc sera enchanté d’avoir fait l’acquisition d’un très bel homme.

L’avocat partit, et me laissa pétrifié. Sa narration me mit dans un si fort orgasme30 qu’en moins d’une heure il me parut que tous les fluides de mon individu cherchaient une issue pour évacuer la place qu’ils occupaient. Moi, réduit en chemise, et fait soldat ! Moi ! Cela ne sera pas. Cherchons quelque moyen de gagner du temps.

J’ai d’abord écrit à l’officier mon principal créancier que je m’accommoderais31 ; mais tous les trois se trouvant ensemble en présence d’un notaire, et de témoins pour légaliser leur désistement, et me mettre en état de pouvoir partir d’abord.

[11v] Il était difficile qu’un des trois ne fût de garde le lendemain, ainsi je me flattais de gagner au moins un jour ; en attendant je confiais que mon bon Dieu m’enverrait quelques lumières.

J’ai écrit une lettre au président à la police32, l’appelant monseigneur, et réclamant sa puissante protection. Je lui disais que m’étant déterminé à vendre mes effets pour faire finir les actes de justice avec lesquels on voulait m’accabler, je le priais de faire suspendre les procédures, dont les dépens tombaient à ma charge. Outre cela je le priais de m’envoyer un homme loyal qui estimerait mes effets à leur juste valeur d’abord que je l’avertirais de m’être accordé avec les officiers mes créanciers avec lesquels je le suppliais d’interposer ses bons offices. Ce fut mon valet de chambre qui remit mes lettres à l’un et à l’autre.

Après dîner l’officier qui avait reçu ma lettre, et qui prétendait deux mille louis vint dans ma chambre. Il me trouva au lit, je lui dis que je croyais avoir la fièvre, et je l’ai entendu avec plaisir me parler sentiments. Il me dit qu’il venait de parler au président de la police, qui lui avait fait lire ma lettre.

— Venant, me dit-il, à un accommodement, vous prenez le bon parti ; mais vous n’avez pas besoin que nous soyons tous les trois ensemble. J’aurai un plein pouvoir de mes deux camarades que le notaire reconnaîtra.

— Monsieur, je ne demande que la satisfaction de vous voir ensemble, et je crois que vous ne pouvez pas me la refuser.

— Vous l’aurez ; mais si vous êtes pressé, je vous avertis que vous ne pourrez nous avoir que lundi, car un de nous est de garde dans les quatre jours suivants.

— J’attendraibf jusqu’à Lundi ; mais donnez-moi votre parole d’honneur que tout acte de justice sera suspendu jusqu’à ce terme.

— Je vous la donne, et voilà ma main. Je [12r] vous demande à mon tour un petit plaisir. J’aime votre chaise de poste. Je vous la demande pour le prix qu’elle vous coûte.

— Volontiers.

— Appelez l’hôte, et dites-lui qu’elle m’appartient.

— Bien volontiers.

Il fait monter l’hôte : je lui dis que ma chaise appartenait à monsieur, et il me répond que je serai le maître d’en disposer quand je l’aurai payé, et après avoir dit cela il s’en va. L’officier rit, il me dit qu’il était sûr d’avoir la chaise, il me remercie, il m’embrasse, et il part.

Deux heures après, un homme de bonne mine, qui parlait bien italien, vient me dire de la part dubg chef de la police que mes créanciers se trouveraient ensemble lundi prochain ; et qu’il était le même qui estimerait mes effets. Il me conseille de mettre dans mon accommodement la condition que mes effets n’iraient pas à l’enchère, et que mes créanciers se tiendraientbh au prix auquel il les mettrait. Il me promet que je me trouverais content. Après lui avoir dit que je lui ferais présent de cent louis, je me lève, et je veux qu’il donne un coup d’œil à tout ce que j’avais dans mes deux malles, et à mes bijoux.

Après avoir tout vu, et avoir dit que mes seules dentelles valaient vingt mille francs, il m’assure que j’avais pour au-delà de cent mille francs33 ; et qu’il dirait tout le contraire dans le plus grand secret aux officiers.

— Moyennant cela, me dit-il, tâchez de les réduire à se contenter de la moitié de ce que vous leur devez, et vous partirez avec la moitié de vos effets.

— Dans ce cas vous aurez cinquante louis, et en voilà six en attendant.

— Je les accepte. Comptez sur mon amitié. Tout Stutgard sait que vos créanciers sont fripons ; et le duc les connaît ; mais il se croit obligé à faire semblant d’ignorer leur brigandage.

[12v] Après ces deux exploits j’ai respiré. Ayant devant moi cinq jours, je devais les employer à m’assurer la fuite avec tout mon petit équipage, ma voiture exceptée. Elle était difficile ; mais moins que celle des plombs. Je ne devais doncbi manquer ni de courage, ni de moyens. J’ai envoyé prier à souper avec moi la Toscani, Balletti, et le danseur Binetti. J’avais besoin de consulter la matière avec des gens qui n’avaient rien à craindre de la colère de mes trois persécuteurs.

Après avoir donc bien soupé, j’informe ces trois amis de toutes les circonstances de ma situation, et de ma délibération à me sauver sans rien perdre de mes effets.

Binetti parle le premier. Il me dit que si je peux sortir de l’auberge, et aller chez lui, je pourrais sortir par une des fenêtres de sa maison, que je me trouverais en pleine campagne, et à cent pas du grand chemin d’où je pourrais aller en poste hors de l’État du Duc. Balletti regarde de la fenêtre de ma chambre qui donnait sur la rue, et décide que je ne pourrais pas en sortir à cause d’un toit de planches qui était au-dessus d’une boutique. Je trouve sa raison bonne, et je dis que je trouverais un autre moyen pour sortir de l’auberge ; et que ce qui m’embarrassait était mon bagage. La Toscani me dit que je devais abandonner mes malles, et envoyer tout ce que j’avais chez elle : qu’elle s’engageait à m’envoyer tout là où je m’arrêterais. J’emporterai tout, me dit-elle, un peu à la fois sous mes jupes. Balletti lui dit que sa femme l’aidera, et nous concluons. Je promets à Binetti d’être chez lui le dimanche à minuit quand je devrais [13r] tuer la sentinelle que j’avais toujours à la porte de ma chambre, mais non pas dans la nuit.bjLa sentinelle m’enfermait, allait se coucher, et revenait le matin. Balletti répond d’un fidèle domestique qu’il avait, et s’engage qu’il me le fera trouver sur le grand chemin dans un chariot de poste qui m’attendra. La Toscani ajoute qu’on pourra charger sur le même chariot tout mon équipage dans d’autres malles. Elle commença d’abord à emporter deux habits les arrangeant sous ses jupes. Trois femmes me servirent si bien dans les jours suivants, que le Samedi à minuit mes malles se trouvèrent vides, comme ma chatouille34, dont j’ai mis dans mes poches tout ce que j’avais de précieux.

Dans le jour de Dimanche la Toscani me porta les clefs de deux malles, où elle avait mis toutes mes hardes, et Balletti vint pour la dernière fois m’assurer qu’un chariot de poste serait sur le grand chemin à mes ordres gardé par son domestique. Sûr, et certain de tout cela, voilà comment je m’y suis pris pour sortir de mon auberge.

bkLe soldat, qui se promenaitblà la porte de ma chambre, était accoutumé à s’en aller d’abord qu’il me voyait au lit. Il me souhaitait une bonne nuit, il m’enfermait, et après avoir mis la clef dans sa poche, il s’en allait. Il revenait le matin ; mais il n’ouvrait ma porte que lorsque j’appelais. Alors mon valet de chambre entrait.

Le soldat de sentinelle était aussi accoutumé à souper sur une petite table qui était dehors de ce que je lui envoyais de ma propre table. Or voilàbm l’instruction que j’ai donnée à mon Espagnol.

[13v] Après avoir soupé, lui dis-je, au lieu d’aller me coucher, je me tiendrai prêt à sortir de ma chambre, et j’en sortirai d’abord que je ne verrai plus de lumière dehors. Étant sorti, je descendrai l’escalier, et je sortirai de l’auberge sans la moindre difficulté. J’irai tout droit chez Binetti, et de chez lui je sortirai de la ville, et j’irai t’attendre à Furstemberg35. Personne ne pourra t’empêcher de partir le lendemain ou le surlendemain. Tu dois donc, d’abord que tu me verras prêt dans ma chambre, éteindre la chandelle qui sera sur la table où la sentinelle soupera : tu l’éteindras facilement la mouchant. Tu la prendras pour aller l’allumer de nouveau dans ma chambre ; et je saisirai ce moment d’obscurité pour m’en aller. Quand tu aurasbn rallumé la chandelle, tu retourneras près du soldat pour finir de vider la bouteille. Quand tu lui diras que je suis couché, il viendra me souhaiter la bonne nuit comme il fait toujours puis il m’enfermera, et il s’en ira avec toi. Il n’est pas vraisemblable qu’il vienne me parler quand il me verra couché.

Pour tromper le soldat, j’ai placé sur le chevet une tête à perruque couverte d’un bonnet de nuit, et ramassé la couverture de façon que quiconque devait s’y méprendre ; et tout cela alla très heureusement, comme je l’ai su de Leduc lui-même trois jours après avec toutes les circonstances.

Tandis que Leduc buvait avec la sentinelle, j’étais avec ma pelisse sur le corps, un couteau de chasse en ceinture parce que je n’avais plus d’épée, et deux pistolets [14r] dans mes poches.

D’abord que l’obscurité dehors me rendit sûr que la chandelle était éteinte, je suis sorti de la chambre, j’ai descendu l’escalier, et je suis sorti de la porte de l’auberge sans rencontrer personne. C’était un quart d’heure avant minuit.

Je vais à longs pas à la maison de Binetti ; je vois au clair de Lune sa femme qui m’attendait à la fenêtre. Elle vient m’ouvrir la porte, je monte avec elle, et sans perdre le moindre temps, elle me mène à la fenêtre où je devais sortir ;bo la femme de Balletti était là pour l’aider à me couler bas, et son mari était dans la boue jusqu’à mi-jambe pour me recevoir entre ses bras. J’ai commencé par lui jeter ma pelisse.

Les deux charmantes femmes me passèrent une corde par-dessous les bras à travers la poitrine, et en tenant les deux bouts, elles accompagnèrent les lâchant peu à peu, ma très douce, et très commode descente exempte de tout danger. Jamais homme qui fuit ne fut mieux servi. Balletti qui me reçut entre ses bras, me donna ma pelisse, puis me dit de le suivre.

Bravant des bourbes36, où nous entrions jusqu’aux genoux, et passant par des trous de chiens là où nous trouvions l’obstacle des haies, et des échaliers37 faits pour empêcher l’entrée aux bestiaux, nous arrivâmes au grand chemin fort fatigués malgré qu’il n’était distant du rempart que de trois ou quatre cents pas. Nous en fîmes autant pour joindre la voiture qui était ferme38 à m’attendre à un cabaret isolé. Le laquais de Balletti y était assis. Il descendit d’abord nous disant que le postillon venait d’entrer dans le cabaret, et qu’il sortirait après avoir bu un pot de bière. Je me suis d’abord mis à sa place, et après l’avoir bien récompensé j’ai dit à son maître de partir avec lui, et de me laisser l’embarras de tout le reste.

C’était le deux du mois d’Avril de l’année 1760, jour de ma naissance remarquable dans toute ma vie à cause de quelqu’incident39.

Le postillon deux minutes après sort du cabaret, et me demande si nous attendrons longtemps croyant de parler à la même personne avec laquelle il était parti de Canstat. Je le laisse dans l’erreur, et je lui dis d’aller à Tubingen sans s’arrêter pour changer de chevaux à Valdembuk40, et il m’obéit ; mais j’ai ri voyant la mine qu’il fit à Tubingen quand il me vit. Le valet de Balletti était très jeune, et fort petit : quand il me dit que ce n’était pas moibp avec lequel il était parti je lui ai répondu qu’apparemment il était soûl, et content des deux florins pour boire que je lui ai donnésbq, il ne répliqua pas. Je suis d’abord parti, et je ne me suis arrêté qu’à Furstemberg, où j’étais sûr41.

Après avoir bien soupé, et mieux dormi, j’ai écrit aux trois officiers la même lettre à chacun. Je les ai appelés en duel tous les trois, leur disant clair et net que s’ils ne venaient pas, je ne les nommerais à l’avenir que les caractérisant de J… F….. Je leur promettais de les attendre trois jours datant du moment dans lequel je leur écrivais ;br espérant de les tuer tous les trois, et de me rendre par là célèbre dans toute l’Europe. J’ai aussi écrit à la Toscani, à Balletti, [15r] et à la Binetti leur recommandant mon domestique.

Les officiers ne vinrent pas ; mais dans ces trois jours les filles de l’hôte me firent passer mon temps avec tout le plaisir que je pouvais désirer.

Le quatrième jour à midi j’ai vu arriver Leduc à franc étrier avec sa malle liée à la selle. La première chose qu’il me dit fut que je devais aller en Suisse, car toute la ville de Stutgard savait que j’étais là, et que je devais craindre, car les trois officiers pouvaient fort bien par esprit de vengeance me faire assassiner. Après lui avoir dit que je ne voulais pas de ses conseils, voici l’exacte narration qu’il me fit de tout ce qui est arrivé après ma fuite.

Après votre départ, me dit-il, je suis allé me coucher. Le lendemain à neuf heures la sentinelle vint se promener devant votre porte, et à dix les trois officiers vinrent.

Quand je leur ai dit que vous dormiez encore, ils s’en allèrent me disant d’aller les appeler au café d’abord que votre chambre serait ouverte ; mais ne me voyant pas ils revinrent vers midi, et ils ordonnèrent au soldat de sentinelle d’ouvrir votre porte. J’ai joui de la belle scène.

On croit de vous voir dormant, on vous donne le bon jour, on s’approche de votre lit, on vous secoue, la paille cède, la tête à perruque tombe, et les voyant consternés je ne peux m’empêcher de pouffer. — Tu ris, maraud ? Tu nous diras où ton maître est allé.

Ces paroles étant accompagnées d’un coup de canne, je lui réponds avec un Sacr….. qu’ils n’avaient qu’à interroger la sentinelle. La sentinelle dit que vous ne pouviez être sorti que par la fenêtre ; mais on appelle le caporal, [15v] et on fait mettre tout de même l’innocent soldat aux arrêts. À ce bruit l’hôte monte, il ouvre les malles, et les voyant vides, il dit que votre chaise de poste le payera ; et il laisse que l’officier dise que vous la lui aviez cédée.

Un autre officier arrive, et ayant entendu le fait, il décide que vous ne pouviez être sorti que par la fenêtre, et partant il ordonne que le soldat soit relâché ; mais on se permet à mon égard la plus noire de toutes les injustices. Comme je poursuivais à dire que je ne savais pas où vous étiez allé, et que je ne pouvais pas m’empêcher de rire on trouva bon de me faire mettre en prison. On me dit qu’on m’y retiendra jusqu’à ce que je dise où vous étiez, et sinon vous, au moins vos effets.

Le lendemain un de ces officiers est venu me dire qu’on me condamnerait aux galères, si je m’obstinais à me taire. Je lui ai répondu que foi d’Espagnol je n’en savais rien ; mais que quand même je le saurais, je ne le dirais jamais, car en honneur je ne pouvais pas devenir espion contre mon maître. Un bourreau alors me donna par ordre de ce monsieur les étrivières42, et après cette cérémonie on me laissa libre. Je suis allé me coucher à l’auberge, et le lendemain tout Stutgard sut que vous étiez ici, d’où vous aviez défiébs les officiers de venir se battre. C’est une sottise, dit-on, qu’ils ne feront pas ; mais madame Binetti m’a dit de vous dire de vous en aller d’ici, car ils pourraient vous faire assassiner. L’hôte a vendu votre chaise de poste, et vos malles à l’envoyé de Vienne, qui vous a fait, dit-on, sortir des fenêtres de l’appartement qu’il loue à la Binetti. J’ai pris la poste sans que personne s’avise de s’y opposer, et me voilà.

Trois heures après son arrivée j’ai pris la poste jusqu’à [16r] Schaffausen, et de là je suis allé à Zuric en prenant des chevaux de louage parce qu’en Suisse il n’y a pas de poste43. Je me suis très bien logé à l’Épée44.

Seul après souper dans la plus riche ville de la Suisse, où je me voyais, comme tombé des nues, car j’y étais sans le moindre dessein prémédité, je m’abandonne à des réflexions sur ma situation actuelle, et sur ma vie passée. Je rappelle à ma mémoire mes malheurs, et mes bonheurs, et j’examine ma conduite. Je trouve de m’être attirébt tous les maux qui m’ont accablé, et d’avoir abusé de toutes les grâces que la Fortune m’a faites. Frappé par le malheur, que je venais de sauter à pieds joints, je frissonne ; etbu je décide de finir d’être le jouet de la Fortune sortant entièrement de ses mains. Étant possesseur debv cent mille écus je me détermine à me faire un état permanent exempt de toute vicissitude.bwUne paix parfaite est le plus grand de tous les biens45.

Occupé par cette pensée, je me couche, et des rêves fort agréables me rendent heureux dans des paisibles solitudes, dans l’abondance, et dans la tranquillité.bxIl me paraissait de jouir dans une belle campagne, dont j’étais le maître, d’une liberté,by qu’on cherche en vain dans la société. Je rêvais ; mais en rêvant même je me disais que je ne rêvais pas. Un réveil soudain à la pointe du jourbz vient me donner un démenti : je me fâche ; et déterminé à réaliser mon rêve, je me lève, je m’habille, et je sors sans me soucier de savoir où j’allais.

[16v] Une heure après être sorti de la ville, je me trouve entre plusieurs montagnes : je me serais cru égaré, si je n’avais pas vu toujours des ornières, qui m’assuraient que ce chemin-là devait me conduire dans quelqu’endroit hospitalier. Je rencontrais à chaque quart d’heure des paysans ; mais je me faisais un plaisir de ne prendre d’eux aucune information. Après avoir marché six heures à pas lents, je me suis vu tout d’un coup dans une grande plaine entre quatre montagnes. J’aperçois à ma gauche en belle perspective une grande église attenante à un grand bâtiment d’architecture régulière, qui invite les passants à y adresser leurs pas. Je vois m’y approchant que ce ne pouvait être qu’un couvent, et je me réjouis d’être dans un canton catholique.

J’entre dans l’église ; je la vois superbe par les marbres, et par les ornements des autels, et après avoir entendu la dernière messe, je vais dans la sacristie où je vois des moines bénédictins. Un d’entre eux qu’à la croix qu’il portait sur la poitrine je prends pour l’abbé, me demande si je désire voir tout ce qu’il y avait de digne d’être vu dans le sanctuaire sans sortir de la balustrade : je lui réponds qu’il me fera honneur et plaisir, et il vient lui-même accompagné de deux autres me faire voir des parements fort riches, des chasubles couvertesca de grosses perles, et des vases sacrés couverts de diamants et d’autres pierreries.

Comprenant fort peu l’allemand, et point du tout le patois suisse qui est à l’allemand comme le génois à l’italien, je demande en latin à l’abbé si l’église était bâtie depuis longtemps, et il me narre en détail l’histoire, finissant par me dire que c’était la seule église46 qui avait été sacrée par J. C. même en personne. [21r]cbIl observe mon étonnement, et pour me convaincre qu’il ne me disait que la pure, et simple vérité, il me conduit dans l’église, et il me montre sur la surface du marbre cinq marques concaves quecc les cinq doigts de J. C. y avaient laissées, lorsqu’il avait sacrécd l’église en personne. Il avait laissé ces marques pour que les mécréants ne pussent pas douter du miracle, et pour débarrasser le supérieur du soin qu’il devait avoir de faire venir l’évêque diocésain pour la sacrer. Le même supérieurce avait appris cette vérité par une divine révélation en songe qui lui disait en termes clairs de n’y plus penser, car l’église était divinitus consecrata [consacrée par Dieu] : et que c’était si vrai qu’il verrait dans le tel endroit de l’église les cinqcf concavités. Le supérieur y alla, les vit, et remercia le Seigneur.

Cet abbé, enchanté de la docile attention avec laquelle j’avais écouté son fagot47, me demanda où j’étais logé, et je lui ai répondu nulle part, car en arrivantcg de Zurick à pied j’étais entré dans l’église. Il joint alors sesch mains, et les élève en gardant en haut, comme pour remercier Dieu de m’avoir touché le cœur pour aller en pèlerinage porter là mes scélératesses, car à dire vrai j’ai toujours eu l’air d’un grand pécheur. Il me ditci qu’étant midi, je lui ferais honneur en allant manger la soupe avec lui, et j’ai accepté. Je ne savais pas encore où j’étais, et je ne voulais pas le demander,cj bien aise de laisser croire que j’étais allé là en pèlerinage exprès pour expier mes crimes. Il me dit chemin faisant que ses religieux faisaient maigre, mais que je pourrais manger gras avec lui, puisqu’il avait obtenu un bref48 de Benoît XIV qui lui permettait de manger gras tous les jours avec trois convives. Je lui ai répondu que je participerai volontiers de son privilège. D’abord entré dans son appartement il me montra le bref en cadre couvert d’une glace, qui était au-dessus de la tapisserie vis-à-vis de la table exposé à la lecture des curieux, et des scrupuleux.ckN’y ayant que deux couverts, un domestique à livrée en mit vite un autre. Il me présenta d’abord ce troisièmecl me disant qu’il était son chancelier49.cmJe dois avoir, me dit-il d’un air très modeste, une chancellerie, parce que en qualité d’Abbé de Notre Dame d’Einsiedel50, je suis aussi prince du [21v] saint Empire Romain51.

J’ai respiré. Je savais à la fin oùcn je me trouvais, et j’en étais enchanté car j’avais lu, et entendu parler de Notre Dame des Ermites. C’était le Loretto d’en deçà des monts52. À table l’Abbé prince crut de pouvoir me demander de quel pays j’étais,co si j’étais marié, et si je comptais de faire le tour de la Suisse en m’offrant des lettres partout où je voudrais aller. Je lui ai répondu que j’étais Vénitien, et garçon, et que j’accepterais les lettres dont il voulait m’honorer après que je lui aurais dit qui j’étais dans une conférence que j’espérais d’avoir avec lui, où je lui communiquerais toutes les affaires qui regardaient ma conscience.

Voilà comme je me suis engagé à me confesser à lui sans en avoir eu la pensée avant l’instant. C’était ma marotte53. Il me paraissait de ne faire que ce que Dieu voulait, lorsque j’exécutais une idée non préméditée tombée des nues. Après lui avoir ainsi dit assez clairement qu’il allait être mon confesseur, il me fit des discours pleins d’onction, qui ne m’ennuyaient pas pendant un dîner très délicat où entr’autres il y avait des bécasses, et des bécassines.

— Comment, mon très révérend père, de ce gibier dans cette saison ?

— C’est un secret, Monsieur, que je vous donnerai avec plaisir. Je conserve ce gibier six mois sans que l’air ait la force de le corrompre.

Ce prince abbé était un friand du premier ordre, et également gourmet affectant malgré cela l’air sobre. Son vin du Rhin était exquis. On servit une truite saumonée, il fit un sourire, il me dit en latin cicéronien qu’il y aurait de l’orgueil à ne pas vouloir en manger parce qu’elle était poisson, et il colora très bien son sophisme54.

Il m’observait attentivement, et en examinant mes atours il ne pouvait pas craindre que je lui demandasse de l’argent :cp je voyais que cela lui donnait un air d’assurance. Après dîner il congédia le chancelier, et il me conduisit par tout le monastère, et enfin dans la bibliothèque, où j’ai vu le portrait de l’Électeur de Cologne en évêque Électeur55. Je lui ai dit qu’il ressemblait, mais qu’on l’avait enlaidi dans la physionomie, et je lui ai dans le moment montré son portrait dans la belle tabatière, que pendant le dîner je n’avais jamais tiréecq de ma poche. Il loua gaiement le [22r]cr caprice de S. A. El.56 de se faire peindre en grand-maître, et il admira la beautécs de la tabatière augmentant toujours de plus en plus l’idée qu’il avait conçuect de mon personnage. Mais la bibliothèque m’aurait fait faire les hauts cris, si j’avais été seul. Il n’y avait que des in folio : les plus modernes étaient vieux d’un siècle, et tous ces gros livres ne traitaient d’autre chose que de religion : bibles, commentateurs, saints pères, plusieurs légistes en allemand, des annales, et le grand dictionnaire d’Offman57.

— Mais vos religieux, lui dis-je, auront dans leurs chambres des livres de physique, d’histoire, de voyages.

— Non, me dit-il, ce sont des bonnes gens qui ne se soucient de rien autre que de faire leur devoir, et de vivre en paix.

Ce fut dans ce moment-là qu’il me vint envie de me faire moine ; mais je ne lui ai rien dit. Je l’ai seulement prié de me conduire dans son cabinet, où je lui ferai une confession générale de mes égarements pour pouvoir le lendemain, absous de tous mes crimes prendre sa sainte Eucharistie, et il me mena d’abord dans un petit pavillon, où il ne voulut pas que je mecu misse à genoux. Il me fit asseoir vis-à-vis de lui, et en moins de trois heures, je lui ai conté une quantité d’histoires scandaleuses, mais sans grâce, puisque j’avais besoin d’employer le style d’un repenti,cv quoique lorsque je récapitulais mes espiègleries je ne mecw trouvasse pas en état de les réprouver. Malgré cela il ne douta pas au moins de mon attrition58 : il me dit que la contrition viendra quand par une conduite régulière j’aurais regagné la grâce ; car selon lui et plus encore selon moi sans la grâce il était impossible de sentir la contrition. Après avoir donc prononcé les paroles qui ont la force d’innocenter tout le genre humain il me conseilla de me retirer dans une chambre qu’il me fit donner,cx de passer le reste de la journée en prières, et de me coucher de bonne heure après avoir soupé, si j’étais accoutumé à soupercy. Il me dit que le lendemain à la première messe je communierais, et nous nous séparâmes.

[22v] Seul dans ma chambre j’ai suivi l’idée qui m’était venue avant de me confesser. J’ai cru de voir que j’étais dans le véritable endroit où je pourrais vivre heureux jusqu’à ma dernière heure ne donnant plus aucune prise à la Fortune. Il me parut que cela ne dépendait que de moi, car je me sentais sûr que l’Abbé ne me refuserait pas l’habit de son ordre une fois que je lui donnerais par exemple dix mille écus pour me faire une rente qui après ma mort resterait au monastère. Pour être heureux il me paraissait qu’il ne me fallait qu’une bibliothèque, et j’étais sûr qu’on me la laisserait faire à mon choix, une fois que j’en ferais un don au monastère ne m’en réservant que le très libre usage pendant toute ma vie. Pour ce qui regardait la société des moines, la discorde, les tracasseries inséparables de leur nature que je connaissais, j’étais sûr de n’en être pas incommodé, puisque ne voulant rien, et n’ayant aucune ambition qui pût exciter leur jalousie, je ne pouvais rien craindre. Je prévoyais la possibilité d’un repentir, et l’horreur me faisait trembler ; mais je me flattais encore d’y trouver un remède. En demandant l’habit de S. Benoît je demanderais dix années de temps avant que de me déterminer à devenir profès59. Si le repentir ne me venait pas en dix ans, je trouvais invraisemblable qu’il pût se déclarer après. C’était d’ailleurs décidé que je ne voulais aspirer à aucune charge, à aucune dignité dans la religion, je ne voulais que ma paix, et toute l’honnête liberté que je pouvais désirer sans susciter le moindre scandale. Pour que l’abbé m’accordât les dix années de noviciat que je lui demanderais, je luicz aurais fait une condition de perdre les dix mille écus que je luida aurais payés d’avance, si jedb vinsse à prendre la résolution de quitter l’habit. J’ai mis [23r] tout ce projet par écrit, j’y ai dormi dessus, et le lendemain après avoir pris le saint sacrement je l’ai présenté à l’abbé qui m’attendait à prendre une tasse de chocolat60.

Il le lut avant que nous déjeunassions,dc il ne me dit rien, etdd l’ayant relu après en se promenant,de il me dit qu’il me répondrait après dîner.

Après le dîner ce brave abbé me dit que sa voiture était prête pour me conduire à Zurick, où il me priait d’attendre quinze jours sa réponse. Il me promit de venir me la porterdf lui-même, et il me donna deux lettres cachetées en me priant de ne pas manquer de les porter en personne. Mon très révérend,dg j’ai une obligation infinie à Votre Altesse ; je porterai vos lettres, je vous attendrai à l’Épée, et j’espère que vous exaucerez mes vœux. Je lui ai pris la main que très modestement il se laissa baiser.

Quand mon Espagnol me vit de retour il fit un rire qui me découvrit sa pensée.

— De quoi ris-tu ?

— Je ris qu’à peine arrivé vous trouvâtes de quoi vous amuser deux jours.

— Dis à l’hôte que je veux une voiture à mes ordres tous les jours pour quinze jours de suite, et un bon domestique de louage.

L’hôte qui s’appelait Ote61, et qui avait titre de Capitaine, vint en personne me dire qu’il n’y avait à Zurick que des voitures ouvertes : je m’y suis accommodé, et il me fit caution de la fidélité du valet de louage. Le lendemain j’ai porté mes lettres à leurs adresses : c’était à M. Ô-reilli, et à M. Pestaluci62, qui n’étaient pas à leurs maisons. Je les ai eusdh tous les deux l’après-dîner chez moi ; ils m’invitèrent à dîner prenant leur jour, et ils me prièrent d’abord d’aller avec eux au concert de la ville, puisqu’il n’y avait autre spectacledi que celui-là, particulier cependant aux citoyens [23v] abonnés, et aux étrangers auxquels on faisait payer un écu ; mais ils me dirent que je devais y aller comme citoyen, et ils me firent à l’envi l’éloge de l’Abbé d’Einsidl.

À ce concert, qui n’était qu’instrumental, je me suis ennuyé. Les hommes étaient tous d’un côté où j’étais aussi entre mes deuxdj prôneurs63 ; les femmes étaient toutes de l’autre, et cela m’impatientait, car malgré ma récente conversion j’en voyais trois ou quatre qui medk revenaient, et qui avaient les yeux sur moi auxquelles j’aurais volontiers conté fleurette. À la fin du concert, la sortie du monde fit naître le pêle-mêle, et les deux citoyens me présentèrent leurs femmes, et leurs filles : ces filles étaient positivement les deux qui étaient les plus aimables de Zurick. Les cérémonies dans la rue sont fort courtes, ainsi après avoir remercié ces messieurs je suis rentré chez moi. Le lendemain j’ai dîné en famille chez M. Ô-reilli, où j’ai rendu justice au mérite de sa fille ; mais sans lui indiquer par la moindre agacerie d’usage que je pouvais avoir un goût pour elle. Le lendemain chez M. Pestaluci j’ai joué précisément le même rôle, malgré que Mademoiselle m’aurait très facilement monté l’esprit en galanterie. Je fus à mon grand étonnement fort sage, et en quatre jours tout Zurick savait que je l’étais. J’observais aux promenades qu’on me regardait avec une mine respectueuse, ce que je trouvais fort nouveau. Je me persuadais toujours plus que mon idée de me faire moine était une véritable vocation. Je m’ennuyais ; mais je voyais que dans un changement de mœurs si soudain cela devait être. Cet ennui disparaîtrait lorsque je me serais habitué à la sagesse. Je passais tous les matins trois heures avec un maître de langue qui m’enseignait l’allemand, il était Italien natif de Gênes, il s’appelait Giustiniani, il avait été Capucin, et le désespoir l’avait fait apostasier. Ce pauvre [24r] homme, auquel je donnais un écu de six francs tous les joursdl me regardait comme un ange ministre de la Providence, et dans ma folle prétendue vocation je le prenais pour un diable sorti de l’enfer, car il saisissait tous les moments où j’interrompais sa longue leçon pour me dire du mal de toutes les communautés religieuses, et celles qui avaient la meilleure apparence étaient selon lui les plus perverses, puisqu’elles étaient plus séduisantes. Il baptisait tous les moines pour la plus vile canaille de tout le genre humain.

— Mais, lui dis-je un jour, Notre Dame d’Einsidel par exemple ? Vous conviendrez…..

— Quoi ? C’est une union de quatre-vingts fainéants, ignorants, vicieux, hypocrites, vrais cochons qui…..

— Mais S. A. Révérendissime l’Abbé ?

— Paysan parvenu, qui joue le rôle de prince, et qui a la fatuité de se croire prince.

— Mais il l’est effectivement.

— Point du tout ; c’est un masque ; je ne le regarde que comme un bouffon.

— Que vous a-t-il fait ?

— Rien. Il est moine.

— Il est mon ami.

— Si cela est, pardonnez tout ce que j’ai dit.

Ce Giustiniani cependant me minait. Le quatorzième jour de ma prétendue conversion, veille du jour dans lequel l’abbé m’avait promis de me faire une visite,dm j’étais à six heures après midi à ma fenêtre sur le pont où je voyais les passants, et où je voyais aussi tous ceux qui arrivaient en voiture à mon auberge. Je vois une voiture à quatre chevaux qui arrive à grand trot, elle s’arrête à la portedn, le sommelier va ouvrir la portière, car derrière la voituredo il n’y avait aucun domestique ; et je vois quatre femmes bien mises qui en sortent. Je ne trouve rien de rare dans les trois premières, mais la quatrième, vêtue en ce qu’on appelait amazone, me frappe.dpCette jeune brune avec des yeux noirs très fendus à fleur de tête64 sous deux sourcils intrépides à teint de lis, et joues de rose coiffée par un bonnet de satin bleu d’où pendait une houppe d’argent qui lui tombait [24v] sur l’oreille est un talisman65 qui me rend stupide. Je mets ma poitrine sur la hauteur d’appui de la fenêtre pour gagner dix pouces66, et elle élève sa charmante tête, comme si je l’avais appelée. Ma position extraordinaire la force à me regarder avec attention une demi-minute : c’est trop pour une femme modeste. Elle entre,dq je cours à la fenêtre de mon antichambre qui donnait sur le corridor, et je la vois monter rapidement pour rejoindre ses trois compagnes qui étaient déjà passées. Quand elle est devant ma fenêtre elle tourne sa tête par hasard,dr et me voyant debout, elle recule d’un demi-pas,ds faisant un cri comme si elle avait vu un spectre ; mais elle se remet dans l’instant en pouffant de rire, et elle vole dans la chambre où étaient ses trois amies.

Défendez-vous mortels d’une pareille rencontre si vous en avez la force. Persistez fanatiques, si vous le pouvez, dans la folle idée d’aller vous ensevelir dans un cloître après avoir vu ce que j’ai vu dans ce moment-là à Zurick le 23 du mois d’Avril. Je suis allé me jeter sur le lit pour me calmer. Je retourne à la fenêtre du corridor cinq ou six minutes après,dt et voyant le sommelier qui sortait de la chambre de ces nouvelles arrivées,du je lui dis que je souperai à la table d’en bas avec tout le monde.

— Si vous voulez y souper pour être avec ces dames, c’est inutile. Elles souperont dans leur chambre à huit heures pour partir demain à la pointe du jour.

— Où vont-elles ?

— Elles vont à Einsidel faire leurs dévotions. Elles sont toutes les quatre catholiques.

— D’où sont-elles ?

— De Soleure.

— Comment s’appellent-elles ?

— Je n’en sais rien.

Je me remets sur le lit, je pense d’aller à Einsidel. Mais que ferai-je là ? Elles vont se confesser, communier, converser avec Dieu, avec les saints, avec les moines, quelle figure ferai-je là ? Il se peut encore que je rencontre l’abbé en chemin, et pour lors je dois malgré le ciel, et l’enfer retourner sur mes pas. Je rejette cette idée ; mais je vois [25r] que si j’avais eu un ami comme je l’aurais voulu je serais allé me mettre en embuscade pour enlever l’amazone, dont rien n’aurait été plus facile, car ellesdv n’avaient personne. Je pense d’aller hardiment leur demander à souper,dw mais j’ai peur que les trois autres dévotes me rejettent ;dx il me semblait que l’amazone ne pouvait être dévote que pardy manière d’acquit67, car sa physionomie était parlante ; etdz depuis longtemps il n’y avait plus pour moi au monde des physionomies trompeuses dans les femmes.

Mais tout d’un coup la plus heureuse de toutes les idées se présente à mon âme agitée. Je vais à ma fenêtre du corridor, et j’y reste jusqu’à ce que le sommelier passe ; je l’appelle dans ma chambre, je lui donne un louis, et je lui dis qu’il doit me prêter d’abord un tablier vert, comme le sien, car je voulais aller servir à table ces dames.

— Tu ris ?

— Je ris de votre caprice. Je vais vous prendre le tablier. La plus jolie m’a demandé qui vous êtes.

— Cela se peut ;ea car elle m’a vu en passant, mais elle ne me reconnaîtra pas. Que lui as-tu dit ?

— Que vous êtes un Italien, et voilà tout.

— Souviens-toi d’être discret.

— J’ai prié votre Espagnol de venir servir au souper, car je suis seul, et j’ai la table là-bas.

— Il ne doit pas venir dans la chambre tandis que je jouerai mon personnage, car ce fou ne pourrait se tenir de rire, et tout irait au diable. Appelle-le. Il aura soin d’aller dans la cuisine, et me porter les plats dehorseb.

Le sommelier remonte avec le tablier, et Leduc aussi. Je lui dis dans le plus grand sérieux ce que je veux qu’il fasse ; il rit comme un fou ;ec mais il m’assure qu’il m’obéira. Je me fais donner le couteau tranchant :ed je mets mes cheveux en catogan68, je me décollette, je mets le tablier par-dessus une veste d’écarlateee galonnée d’or à système69, je me regarde au miroir, et je me trouve l’airef ignoble et faux modeste du personnage que je devais représenter. Je nage dans la joie. Elles sont de Soleure. Elles parlent français70.

[25v] Leduc vient me dire que le sommelier va monter le souper. J’entre dans leur chambre, et je leur dis en regardant la table :

— On va vous servir d’abord Mesdames.

— Dépêchez-vous donc, dit la plus laide, car nous devons nous lever avant jour.

J’arrange des sièges, et je vois du coin de l’œil la belle immobile, je la lorgne comme un éclair, et je la vois ébahie. Je vais au-devant du sommelier, je l’aide à mettre les plats sur la table, et le sommelier s’en va en me disant : Reste ici toi, car je dois aller servir là-bas. Je prends une assiette, et je me mets devant celle qui m’a blessé sans la regarder, mais je la voyais parfaitement, je ne voyais même qu’elle seule. Elle était étonnée : les autres ne m’ont pas seulement observé. Je cours lui changer d’assiette, puis j’en change rapidement les autres, elles se servent le bouilli elles-mêmes, et en attendant je leur tranche en présence un chapon au gros sel avec une adresse merveilleuse.

— Voilà, dit la charmante, un sommelier qui sert bien. Est-il longtemps, mon cher, que vous servez dans cetteeg auberge ?

— Il n’y a que quelques semaines Madame. Vous avez bien de la bonté.

J’avais caché sous les manches de ma veste mes manchettes qui étaient de point à l’aiguille, et je l’avais boutonnée au poignet, mais le jabot71 sortant un peu de l’ouverture, elle l’aperçoit, et me dit :

— Attendez attendez.

— Que souhaitez-vous madame ?

— Laissez-moi voir donc. Voilà des dentelles superbes.

— Oui Madame, on me l’a dit ; mais elles sont vieilles. C’est un seigneur italien qui a logé ici qui m’en a fait présent.

En lui disant celaeh je laissai qu’elle tirât dehors toute la manchette ; ce qu’elle faisait lentement sans me regarder, en me mettant en même temps très à mon aise pour que je pusse me rassasier de sa charmante figure. Quel délicieux moment ! Je savais qu’elle m’avait reconnu, et en voyant qu’elle me gardait le secret, quelle peine [26r] je ressentaisei songeant que je ne pouvais pousser que jusqu’à un certain bout la mascarade. Une de ses amies à la fin lui fit terminer l’examen de ma manchetteej lui disant : Quelle curiosité ! il semble que tu n’aies jamais vu des dentelles. Mon héroïne rougit.ekLe souper fini, elles se mirent toutes dans leur coin pour se déshabiller, tandis que je débarrassais la table ; mais la belle se mit à écrire. J’ai manqué d’être assez fat pour me flatter que c’était à moi qu’elle écrivait. Après avoir emporté tout, je reste sur la porte.

— Qu’attendez-vous ? me dit-elle.

— Vous avez des bottes Madame. À moins que vous ne veuillez vous coucher toute bottée.

— Ma foi, vous avez raison. Je suis bien fâchée de devoirel laisser que vous vous donniez cette peine.

— Ne suis-je pas fait pour cela Madame ?

emM’étant alors mis à genoux devant elle, elle me livra ses jambesen poursuivant à écrire ;eo j’ai délacé ses bottes, je les lui ai ôtées,ep puis j’ai débouclé la jarretière de ses culottes pour les déchaussereq et me procurer le plaisir de voir, et encore plus de toucherer ses mollets ; mais elle me dit en interrompant son écriture :

— En voilà assez en voilà assez, je ne m’apercevais pas que vous vous donniezes tant de peine. Nous nous verrons demain au soir.

— Vous souperez donc ici Mesdames ?

— Certainement.

Je suis sortiet portant avec moi les bottes, et lui demandant, si elle voulait que je fermasseeu la chambre, ou si elle voulait que je misse la clef en dedans. — Mettez la clef dedans, mon cher, et je fermerai moi-même. Je suis sorti, et elle s’enferma d’abord. Mon Espagnol me prend les bottes d’abord, et me ditev riant comme un fou, qu’elle m’avait attrapé.

— Quoi ?

— J’ai tout vu. Vous avez joué votre rôle comme un ange, et je suis sûr que demain matin elle vous donne un louis pour boire, maisew si vous ne me le [26v] donnez pas je découvre tout.

— Tiens coquin, le voilà d’avance, porte-moi à souper.

Voilà les plaisirs de ma vie que je ne peux plus me procurer ; mais j’ai le plaisir d’en jouir encoreex me les rappelant. Et malgré cela il y a des monstres qui prêchent le repentir, et des sots philosophes, qui disent que ce ne sont que des vanités.

J’ai couché avec l’amazone en imagination : jouissance factice mais pure, et je me suis trouvé à sa porte, ses bottes nettoyées à la main précisément lorsque le cocher venait leur dire de se lever. Je leur ai demandé pour la forme si elles voulaient déjeuner, et elles me répondirent en riant qu’elles n’avaient pas d’appétit. Je suis sorti pour les laisserey habiller, mais la porte étant ouverte,ez mes yeux déjeunèrent sur un sein d’albâtre. Elle appela en demandant où étaient ses bottes, et je l’ai priée de permettre que je les lui lace. Comme elle était déjà chaussée, et qu’elle avait des culottes de velours, elle se donna des airs d’homme, et d’ailleurs qu’est-ce qu’un sommelier ? Tant pis pour lui s’il ose espérer quelque chose de solide en conséquence de quelque rien qu’on lui accorde. Il sera puni, car il ne sera jamais assez hardi pour aller en avant. Aujourd’hui devenu vieux j’ai quelques privilèges dans ce goût-là, et j’en jouisfa me méprisant, maisfb méprisant aussi celles qui me les accordent.

Après son départ,fc je me suis recouché, et à mon réveil j’ai appris que l’Abbé était à Zurick ;fdMonsieur Ote m’a dit une heure après qu’il dînerait avec moi tête-à-tête dans ma chambre. Je lui ai dit que c’était à moi à payer, et qu’il devait nous traiter comme des princesfe.

Ce brave prélat entra chez moi à midi, et me fit compliment sur la belle réputation que je m’étais faite à Zurick, ce qui le faisait juger que ma vocation durait encore.

— Voilà, me dit-il, un distique que vous ferez mettre au-dessus de la porte de votre appartement :

Inveni portum. Spes et fortuna valete ;

Nil mihi vobiscum est : ludite nunc alios.

[J’ai trouvé le port. Espérance et hasard, adieu,

Je n’ai plus rien à faire avec vous : jouez-vous des autres]72

— C’est la traduction, lui dis-je, de deux vers grecs d’Euripide ; mais ils seront bons dans un autre temps, Monseigneur, car j’ai changé d’avis depuis hier.

Il me félicita, et il me souhaita l’accomplissement de tous mes désirsff m’assurant en secret qu’il était plus facile de faire son salutfg restant dans le monde qu’en se confinant dans un cloître. Ce langage ne me parut pas celui d’un hypocrite, mais d’un honnête homme rempli de bon sens. Après dîner je lui ai fait tous les remerciements possibles, je l’ai accompagné jusqu’à la portière de sa voiture, et je l’ai vu partir très content. Je me suis d’abord mis à la fenêtre de ma chambre sur le pont attendant l’Ange qui était venu exprès de Soleure pour me délivrer de la tentation de me faire moine. Un château en Espagne des plus beaux fit mes délices jusqu’à l’arrivée de la voiture. Elle arrive à six heures, je me cache, mais en position de voir descendre les dames. Je les vois, et je me fâche de ce qu’elles regardent toutes les quatre la fenêtre où la belle m’avait vu la journée précédente. Cette curiosité qui ne pouvait exister à moins que la belle n’eût découvert tout le secret, me démontra qu’elle avait tout dit, et les bras me tombèrent. Je me voyais déçu non seulement de l’espoir de pousser plus loin la charmante aventure, mais de la confiance de bien jouer mon rôle ; je me prévoyais dans la possibilité de me décontenancer, de m’ennuyer, d’être bafoué, et sifflé : ces idées gâtèrent tout : je me suis déjà vu dans l’instant déterminé à ne pas leur donner une farce, dans laquelle je n’aurais pu rire que de mauvaise grâce. Sifh j’eusse intéressé l’amazone, comme elle m’avait intéressé, elle n’aurait pas révélé le jeu : [27v] elle avait tout dit ; elle ne se souciait donc pas de pousser la chose plus loin, ou manquant d’esprit elle n’a pas prévu que son indiscrétion me coupait bras, et jambes, car deux des trois autres me déplaisaient positivement, et si une femme qui me plaît me monte, une qui me déplaît me démonte.fiPrévoyant tout ce qui pouvait m’arriver d’ennuyeux, si je ne paraissais pas à table,fj je suis sorti. J’ai rencontré Giustiniani,fk et lui ayant confié l’envie que j’avais de passerfl[un] couple d’heures avec quelque beauté enfantine, et mercenaire,fm il me conduisit à une porte, où il me dit qu’au second étage je trouverais ce que je cherchais,fn disant son nom à l’oreille de la vieille femme que je verrais. Il n’osait pas venir avec moi, parce qu’on le pourrait savoir, et lui faire de la peine dans cette ville, où la police sur cet article-là était fort sévère. Il m’a même dit que je ne devais entrer dans la maison que sûr de n’être pas vu, et j’ai attendu la brune. J’y fus ; j’ai mal mangé ; mais je me suis assez bien amusé avec deux jeunes ouvrières jusqu’à minuit. Ma générosité inconnue dans ce pays-là me gagna l’amitié de cette femme qui me promit des trésors dans ce genre, si je poursuivais à aller chez elle avec toutes les précautions pour n’être pas vu.

De retour chez moi, Leduc me dit que j’avais bien fait de m’évader, car toute l’aubergefo avait su ma mascarade, et tout le monde jusqu’à Monsieur Ote se serait divertifp se tenant hors de la chambre à me voir jouer le rôle de sommelier, ce dont je me serais aperçu, et qui m’aurait fort déplu.

— C’est moi, me dit-il, qui ai occupé votre place. Cette dame s’appelle=73. Je n’ai jamais rien vu de si piquant.

— A-t-elle demandé où était l’autre sommelier ?

— Non. Ce sont les autres qui me firent cette question plusieurs fois.

— Et Madame de=a jamais rien dit ?

— Jamais ; elle fut triste, jusqu’à faire semblant de ne pas s’intéresser à vous, lorsque je lui ai dit que le sommelier de hier ne paraissait pas, parce qu’il était malade.

— Pourquoi lui as-tu dit que j’étais malade ?

— Il fallait bien lui dire quelque chose.

— Lui as-tu délacé ses bottes ?

— Elle n’a pas voulufq.

— Qui t’a dit son nom ?

— Le cocher. C’est une nouvelle mariée avec un homme avancé en âge.

Je me suis couché, et le lendemain de bonne heure, je me suis mis à la fenêtre pour les voir monter dans leur voiture ; mais je me suis tenu derrière le rideau. Madame=resta la dernière, et pour regarder en haut, elle demanda s’il pleuvait, et elle ôta son bonnet de satin. J’ai vite ôté le mien ; et elle me salua par un très gracieux sourire.

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