Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre XII1

Mon départ de Marseille, Henriette à Aix, Irène à Avignon Trahison de Passano. Départ de Lyon de Madame d’Urfé

Ce repas de noces ne m’amusa que par l’intérêt que j’y prenais. La profusion, la compagnie bruyante, les compliments, les propos interrompus, les plates plaisanteries, les rires à gorge déployée de choses insipides m’auraient mis aux abois2 sans madame Audibert que je n’ai jamais quittéeb. Marcoline se tint toujours près de l’épouse, qui devant retourner à Gênes huit jours après voulait la conduire avec elle, se chargeant de l’envoyer à Venise, la consignant entre des mains sûres ; mais Marcoline ne pouvait pas souffrir des projets dont le but était celui de la séparer de moi. Elle me disait qu’elle irait à Venise, lorsque je l’y enverrais de mon propre mouvement. La belle noce qu’elle vit ne lui causa aucun repentir d’avoir refusé le bon parti que Madame Audibert lui avait proposéc. La nouvelle mariée laissait voir sur sa figure le contentement de son âme, je lui en ai fait compliment cent fois, elle en convenait, et elle me disait que sa satisfaction venait principalement de ce qu’elle était sûre d’avoir à Gênes une véritable amie dans Rosalied.

Le lendemain de ces noces je me suis disposé à partir. J’ai commencé par défaire la caisse qui contenait les offrandes aux planètes en conservant les diamants, et en portant tout mon argent à Rousse de Corse3 qui avait encore toute la somme, dont Greppi m’avait accrédité : j’ai pris une lettre de crédit sur Tourton et Baur4 ; car Madame d’Urfé étant à Lyon je ne pouvais pas y avoir besoin d’argent. Trois cents louis que j’avais dans ma bourse me suffisaient pour le courant. Mais j’en ai agi différemment pour ce qui regardait Marcoline. Je me suis fait donner les six cents louis qu’elle avait, et j’en ai ajouté vingt-cinq pour lui faire faire une lettre de change de 15 000 #5 sur Lyon, car [170v] je pensais toujours à saisir une bonne occasion de l’envoyer chez elle. Dans cette occasion je lui ai fait une malle à part où j’ai voulu qu’elle mette toutes les robes, et le linge que je lui avais fait. Marcoline était devenue une beauté, et elle avait pris le ton de la bonne compagniee.

La veille def notre départ nous avons pris congé de Madame N. N. en soupant chez elle avec son mari, et toute la famille. Elle embrassa tendrement Marcoline, mais elle ne se montra pas moins tendre avec moi auteur de tout son bonheur, malgré la présence de son mari, qui me témoigna la plus grande amitié.

Nous partîmes le lendemaing avec intention d’aller toute la nuit pour ne nous arrêter qu’à Avignon, mais à cinq heures et demie une lieue au-delà de la croix d’or6 le châssis du timon de ma voiture se rompit de façon que nous eûmes besoin du charron. Nous dûmes nous disposer à attendre jusqu’à ce que le plus voisin deh l’endroit où nous étions viendrait à notre secours. Clairmont alla s’informer à une jolie maison que nous avions à notre droite au bout d’une alléei de 300 pas côtoyée d’arbres. Je n’avais qu’un seul postillon, auquel je n’ai pas permis d’abandonner lesj quatre chevaux trop vifs. Il retourna avec deux domestiques de la maison que nous voyions, dont un m’invita de la part de son maîtrek d’aller attendre le charron chez lui. J’aurais été impoli si j’avais refusé une pareille politesse, très naturelle d’ailleurs à la nation, et principalement à la noblessel. On lie le timon avec des cordes, et laissant tout à la garde de Clairmont je m’achemine à pied à cette maison avec Marcoline. On avait envoyé quérir le charron, et la voiture nous suivait lentement.

Trois dames7 accompagnées de deux nobles personnages nous viennent au-devant, dont un me ditm qu’on ne pouvait pas être bien fâché du malheur qui m’était arrivé,n puisqu’il procurait le plaisir à [171r] madame de m’offrir sa maison, et ses services. Je me tourne à la dame indiquée, et je lui dis que j’espérais de ne l’incommoder que pour une petite heure. Elle me fait la révérence, mais je ne lui vois pas la physionomie. Le vent de Provence soufflant fort ce jour-là, elle avait, comme les deux autres, le capuchon fort en avant, Marcoline avait sa tête découverte, et ses beaux cheveux flottaient. Elle répond par des révérences, et des sourires aux beaux compliments qu’on faisait à ses charmes qui bravaient le vent. Le même personnage, qui m’avait reçu, me demande lui offrant son bras, si madame était ma fille : Marcolineo sourit, et je réponds qu’elle était map cousine ; et que nous étions vénitiens.

Le plus poli de tous les Français est si empressé deq flatter la jolie femme que souvent il ne se soucie pas que le compliment qu’il lui faitr soit aux dépens d’un tiers. Il ne pouvait pas en conscience supposer Marcoline ma fille, car malgrés les vingt ans que j’avais plus qu’elle, je n’en montrais que dix, aussi a-t-elle ri. Nous allions entrer, lorsqu’un gros mâtint courant après à8 un joli épagneul à longues oreilles,u faisant craindre à madame qu’il ne le morde elle courut au secours du petit, et mettant un pied à faux, elle tomba. Nous courûmes tous pour la relever ; mais en se relevant elle dit d’abord qu’elle s’était donnév une entorse, et en boitant elle monta à son appartement avec le même seigneur qui m’avait parlé. À peine assis, on nous porta de la limonade, et voyant Marcoline restée courte9 vis-à-vis une de ces dames qui lui parlait je lui ai fait ses excuses lui disant la vérité. Elle commençait à baragouiner ; mais si mal que j’avais pris le parti de la prier de ne jamais parler. Cela valait mieux que faire rire par desw phrases étrangères. Une des deux dames,x la plus laide, me dit qu’il était étonnant qu’on négligeât à Venise l’éducation des filles à ce point-là.

—y On ne leur fait pas apprendre le français !

— On a tort [171v] Madame ; mais dans ma patrie on ne met dans la classe de l’éducation des filles ni l’étude des langues étrangères, ni celle des jeux de commerce : cela vient lorsque l’éducation est déjà finie.

— Vous êtes donc aussi vénitien ?

— Oui Madame.

— En vérité on ne le croirait pas.

J’ai fait une révérence à cet indigne compliment, car quoique flatteur pour moi il maltraitait mes compatriotes, mais il n’échappa pas à Marcoline qui fit un petit rire.

— Mademoiselle comprend donc le français, me dit la complimenteuse, puisqu’elle rit.

— Oui, madame, elle comprend tout, et elle a ri parce qu’elle sait que je suis fait comme tous les autres Vénitiens.

— Non, madame ; non madame, dit alors Marcoline, et elle fit rire.

Le chevalier10 qui avait accompagné la dame blessée à sa chambre retourna, et nous dit que madame ayant trouvé sa cheville enflée s’était mise au lit ; et nous priait de monterzà son appartement.

Elle était couchée dans un grand lit au fond d’une alcôve que des rideaux de taffetas cramoisi rendaient encore plus obscure. Elle était sans capuchon ; mais il était impossible de la voir au point de savoir si elle était laide ou jolie, jeune ou d’un certain âge. Je lui ai dit que j’étais au désespoir de me reconnaître pour la cause de son malheur, et elle me répondit en italien vénitien que ce ne sera rien.

Enchanté de l’entendre parleraa ma langue par rapport à Marcoline, je la lui présenteab lui disant que ne parlant pas français, elle pourra lui faire sa cour, et Marcoline alors lui parla ; et mit la gaieté dans son âme par des naïvetés, que pour trouver plaisantes ilac fallait absolument entendre le gracieux dialecte de ma patrie.

— Madame la comtesse donc, lui dis-je, a été à Venise quelque temps ?

— Jamais monsieur ; mais j’ai beaucoup parlé à des Vénitiens.

Un domestique alors entra pour me dire que le charron était dans la cour, et qu’il disait qu’il avait besoin de quatre heures pour le moins pour remettre la voiture en état [172r] d’aller. J’ai alors demandé la permission de descendre, et j’ai tout vu. Le charron demeurait à un quart de lieue, et je pensais d’y aller dans la voiture même en liant le timon à l’avant-train avec des cordes, lorsque le même personnage qui faisait les honneurs de la maison me pria de la part de la comtesse de souper, et passer la nuit chez elle, puisqu’allant chez le charron je me dérouterais, je n’y arriverais que la nuit, et le charron même devant travailler à la clarté de la chandelle ferait tout mal.adMe trouvant convaincu, j’ai dit au charron d’aller chez lui, et de revenir à la pointe du jour avec tout ce qu’il fallait pour me mettre en état de partir. Clairmont alors porta dans l’appartement que je devais occuper tout ce qu’il y avait de déliéae. Je suis allé témoigner ma sensibilité à la comtesse en interrompant les risées que les choses que Marcoline disait, et que la comtesse traduisait, excitaient dans la compagnie. Je ne fus pas surpris de voir Marcoline déjà parvenue aux tendres caresses avec la comtesse que j’étais fâché de ne pas voir, car jeaf connaissais son faible. On dressa une table avec sept couverts, et j’espérais de la voirag ; mais point du tout ; elle ne voulut pas souper. Elle ne fit que parler tantôt à Marcoline, tantôt à moi avec beaucoup d’esprit, et très correctement. J’ai appris qu’elle était veuve par un mot de feu mon mari qui lui échappa. Je n’ai jamais osé demander chez qui j’étais. Je n’ai su son nom que de Clairmont lorsque je suis allé me coucher ; mais ce fut égal, car je n’avais aucune idée de la famille que ce nom m’indiquait.

Après souper Marcoline retourna se mettre près de la comtesse tout droit sur son lit sans façonah. Personne ne pouvait parler, car le dialogue entre les deux nouvelles amies était continuel, et très vif. Lorsqu’il me parut que la politesse voulait que je [172v]ai me retirasse ; je fus très surpris d’entendre ma prétendueaj cousine me dire qu’elle coucherait avec la comtesse. Le rire de celle-ci, et les oui oui m’empêchèrent de dire à l’étourdie que son projet était presqu’impertinent. Les embrassementsak réciproques me firent voir qu’elles étaient d’accord ;al je n’ai dit à la comtesse autre chose en lui souhaitant la bonne nuit sinon que je n’étais pas garant du sexe de l’individu qu’elle admettait dans son lit. Elle me répondit très clairement qu’elle ne risquait que de gagner.

Je riais, allant me coucher, du goût de Marcoline, qui avait gagné par le même moyen la tendre amitié de Mademoiselle P.P. à Gênes. Les femmes provençalesam inclinent presque toutes à ce goût-là ; elles n’en sont que plus aimables.

Le matin je me suis levéan au point du jour pour hâter le travail du charron. On me porta du café près de ma voiture, et lorsque tout fut prêt j’ai demandé si madame était visible pourao aller la remercier. Marcoline sortit avec le chevalier, qui me pria d’excuser, si madame ne pouvait pas me recevoir. Elle est, me dit-il avec la plus grande politesse, dans son lit si négligée qu’elle n’ose se montrer à personne ; mais elle vous prie, si vous repassez par ici, d’honorer toujours sa maison soit que vous soyez seul, soit que vous soyez en compagnieap.

Ce refus, malgré que doré, me déplut beaucoup ; mais j’ai dissimulé. Je ne pouvais en attribuer la cause qu’à l’effronterie de Marcoline, que je voyais fort gaie, et que cependant je ne voulais pas mortifier. Après m’être répandu en compliments, et avoir donné un louis à chaque domestique qui s’est présenté je suis parti.

Un peu de mauvaise humeur ; mais sachant me cacher, j’ai prié Marcoline, après l’avoir tendrement embrassée, de me dire sincèrement comment elle avait passé la nuit avec la comtesse, [173r] que je n’avais pas vue.

— Très bien, mon ami, nous avons fait toutes les folies que tu sais que les femmes qui s’aiment font quand elles couchent ensemble.

— Est-elle jolie ? Est-elle vieille ?

— Elle est jeune, elle n’a que trente-trois à trente-quatre ans, et je t’assure qu’elle est toute aussi belle que ma mie P. P. – Je l’ai vue toute entière ce matin, et nous nous sommes baisées partout.

— Tu es singulière. Tu m’as fait cocu avec une femme, me laissant coucher seul. Scélérate, infidèle, tu me préfères une femme.

— Ce fut un caprice. Mais songe que je lui devais cette complaisance, car elle se déclara amoureuse de moi la première.

— Comment cela ?

— Quand dans le transport du rire je l’ai embrassée, comme tu as vu, elle mit sa langue entre mes lèvres11. Tu sens que je devais la traiter de même. Après souper quand je me suis mise sur son lit je l’ai adroitement chatouillée là où tu sais, et elle m’en fit autant. Comment faire alors à ne pas prévenir son désir disant que je veux coucher avec elle ? Je l’ai rendue heureuse. Tiens. Voilà la marque de son contentement.

Marcoline me montre une bague de quatre pierres de première eau de deux à trois carats chacune. Je reste étonné. Voilà une femme qui aime le plaisir, et quiaq mérite qu’on lui en donne. J’ai donné cent tendres baisers à ma belle écolière de Sapho, et je lui ai tout pardonné ;

— Mais je ne conçois pas, lui disais-je, pourquoi elle n’a pas vouluar que je la voie. Il me semble, d’une certaine façon, que la généreuse comtesse m’a un peu traité en maq…..

— Point du tout. Je crois plutôt qu’elle a eu honte de se laisser voir par mon amant, car j’ai dû lui avouer que tu l’étais.

— Cela se peut. Cette bague, ma chère amie, vaut deux cents louis12. Que je suis charmé de te voir heureuse !

— Mène-moi en Angleterre. Mon oncle doit y être ; et je retournerai à Venise avec lui.

[173v] — Tu as un oncle en Angleterre ? Est-ce vrai ? Cela a l’air d’un conte. Tu ne m’as jamais rien dit de cela.

— Je ne t’ai rien dit, parce que j’ai eu toujours peur que ce serait précisément à cause de cela que tu ne voudrais pas m’y conduire.

— Il est vénitien ; que fait-il en Angleterre ? Es-tu sûre qu’il te fera bon accueil ? Comment sais-tu qu’il y est à présent, et qu’il va retourner à Venise ? Comment s’appelle-t-il, et comment ferais-je à Londres où il y a un million d’âmes13 pour le trouver ?

— Mon oncle est tout trouvé. Il s’appelle Mattio Bosi, et il est valet de chambreas de Monsieur Querini ambassadeur de Venise qui est allé faire compliment au nouveau Roi d’Angleterre avec le procurateur Morosini14. C’est le frère de ma mère, il est parti l’année passée, et il lui a dit à ma présence qu’il sera de retour à Venise dans le mois de Juillet cette année. Tu vois que nous le trouverons précisément sur son départ. Mon oncle Mattio est un brave homme qui a cinquante ans, qui m’aime, et qui pardonnera à ma folie quand il me verra riche.

Tout cela était à la lettre pour ce qui regardait l’ambassade : je le savais de M. de Bragadin, et dans tout le reste que Marcoline me disait jeat voyais le caractère de la vérité. Son projet me paraît beau, et sage, je lui donne parole de la conduire à Londres, charmé de l’avoir ainsi avec moi cinq à six semaines davantage. Il me paraissait en la possédant de voyager avec le bonheur à mon côté.

Nous sommes arrivés à Avignon vers la fin du jour.au Nous avions grand appétit, Marcoline m’avait rempli d’amour, l’auberge de S.t Homer15 était excellenteav, je dis à Clairmont deaw prendre hors de la voiture tout notre nécessaire, et d’ordonner quatre chevaux pour cinq heures du matin.axLa satisfaction de Marcoline qui n’aimait pas aller la nuit m’enchante ; mais voilà le discours qu’elle me tient [174r] en attendant qu’on nous faisait à souper.

— Sommes-nous à Avignon ?

— Oui ma chère Marcoline.

— Eh bien, mon cher Giacometto, c’est actuellement qu’en caractère d’honnête fille je dois exécuter la commission que la comtesse m’a donnéeay ce matin avant de m’embrasser pour la dernière fois. Elle m’a fait jurer de ne te rien dire avant ce moment.

— Cela m’intéresse beaucoup. Parle.

— C’est une lettre qu’elle t’écrit.

— Une lettre ?

— Me pardonnes-tu, si je ne te l’ai pas donnée avant ce moment ?

— Sûrement ; si tu lui en as donné parole. Où est cette lettre ?

— Attends.

Elle tire alors de sa poche son paquet de papiers.

—azCelui-ci est mon extrait baptistaire.

— Je vois : tu es née l’année 46.

— Celui-ci est mon certificat de bonnes mœurs.

— Garde-le.

—baCelui-ci atteste mon pucelage de ce temps-là.

— Excellent. Est-cebb une sage-femme qui l’a fait ?

— C’est le patriarche de Venise16.

— Où est la lettre ?

— Je ne l’ai pas perdue.

— Dieubc t’en garde. Je te renvoie à Aix.

— Celui-ci est le serment que ton frère m’a fait de m’épouser d’abord qu’il serait réformé.

— Donne-le moi.

— Que veut dire réformé ?

— Je te le dirai après. Où est la lettre ?

— La voilà.

— Sans adresse.

Le cœur me battait. Je la décachette, et je vois l’adresse en italien au plus honnête homme que j’aie connu au monde. Je déploie, et je vois au bas de la feuille Henriette. C’était tout. Elle avait laissé la feuille en blanc. À cette vue je suis resté immobile en corps, et en âme. Io non morii, e non rimasi vivo [Je ne mourus point, et je ne restai point en vie]17. Henriette ! C’était son style, son laconisme. Je me suis rappelé sa dernière lettre de Pontarlier, que j’ai reçuebd à Genève, qui ne me disait autre chose qu’Adieu. Chère Henriette que j’avais tant aimée, et qu’il me paraissait d’aimer encore avec le même [174v] feu. Tu m’a vu, et tu n’as pas voulu que je te voie ? – Tu as peut-être cru que tes charmes puissent avoir perdu la force avec laquelle ils enchaînèrent mon âme il y abe seize ans, et tu n’as pas voulu que je voie qu’en toi je n’ai aimé qu’une mortelle. Ah cruelle Henriette, injuste Henriette ! Tu m’as vu, et tu n’as pas voulu savoir si je t’aime encore. Jebf ne t’ai pas vue, et je n’ai pas pu savoir de ta belle bouche, si tu es heureuse. C’est la seule question que je t’aurais faitebg. Je ne t’aurais pas demandé si tu m’aimes encore, car je m’en connais indigne ayant pu aimer d’autres femmes après avoir aimé en toi tout ce que la nature a produit de plus parfait. Adorable, et généreuse Henriette ! Tu n’as voulu que je sache que tu existesbh qu’étant arrivé ici, parce que tu as craint que je retourne sur mes pas pour avoir la satisfaction de te voir ; mais je te verrai demain. Tu m’as fait dire que ta maison me sera toujours ouverte. Mais non. L’ordre que tu as donné à Marcoline me démontre que tu ne veux pas me revoir à présent. Tu es peut-être partie ce matin Dieu sait pour aller où. Tu es veuve Henriette. Tu es riche. Laisse que j’imagine que tu es heureuse. Tu n’as ri peut-être avec Marcoline que pour me faire savoir que tu l’es. Ma chère, ma noble, ma divine Henriette !

Marcoline étonnée de ma longue extase n’a jamais osé m’en distraire. Je n’ai bougé de ma position que lorsque l’hôte vint me faire compliment, et me dire qu’il m’avait fait un souper à mon ancien goût. Je l’ai remercié, et j’ai rendu l’âme à Marcoline en l’embrassant tendrement avant que de me mettre à table.

— Sais-tu, me dit-elle, que tu m’as fait peur ? Tu as pâli, tubi as passé ce quart d’heure [175r] comme un imbécile18. Qu’est-ce que cela ? Je savais bien que la comtesse te connaissait, mais je ne pouvais pas deviner que son seul nom pouvait faire sur toi un si grand effet.

— Comment savais-tu qu’elle me connaissait ?

— Elle me l’a dit cent fois cette nuit, mais elle m’a ordonné de ne te rien dire qu’après que tu aurais ouvertbj sa lettre.

— Que t’a-t-elle dit ?

— Ce que dit cette adresse. C’est drôle. Toute la lettre consiste dans l’adresse. Le dedans ne contient que son nom.

— Mais ce nom, mon ange, dit tout.

— Elle me dit que si je veux être toujours heureuse je ne dois jamais te quitter. Je lui ai répondu que j’en étais sûre ; mais que tu voulais me renvoyer chez moi, malgré que tu m’aimais uniquement. Je vois, et je devine que vous avez été tendres amants. Dis-moi s’il y a longtemps.

—bkSeize à Dix-sept ans.

— Elle ne peut pas avoir été plus belle.

— Tais-toi.

— Et votre amitié a-t-elle été longue.

—blQuatre mois de joie parfaite, et continuelle.

— Je ne serai pas heureuse si longtemps.

— Tu le seras, ma chère Marcoline avec un autre honnête homme, beau, et de ton même âge. Je vais en Angleterre pour tâcher de retirer ma fille des mains de sa mère.

— Tu as une fille ? La comtesse m’a demandé si tu es marié, et je lui ai dit que non.

— Tu as dit vrai. Cette fille n’est pas légitime ; elle a dix ans19. Je te la ferai voir. Tu jureras qu’elle est ma fille.

Dans le moment que nous allions nous mettre à table, quelqu’un descendait du second étage pour aller souper en bas à la table d’hôte, où le lecteur se souviendra que j’avais connu Madame Stuard20. Comme notre porte était ouvertebm et que nous regardions les personnes qui descendaient,bn notre surprise fut singulière, lorsque nous ouïmes un cri, et que nous vîmesbo la jeune fille qui [175v] l’avait fait courir à nous, et me prendre la main pour me la baiser, m’appelantbp son cher papa. Je me tourne vers la lumière, et je vois Irène qu’à Gênes j’avais brusquée, à l’occasion du ton que son père avait pris en me parlant du Biribi que j’avais débanqué chez la Signora Isolabella. Je retire ma main, comme de raison, et je l’embrasse. La petite rusée, contrefaisant la surprise, fait une profonde révérence à Marcoline ; qui la lui rend d’un air noble, et se tient attentive au dialogue qui devait succéder après cette entrevue entre la belle jolie personne, et moi, principalement quand elle m’entend lui parler vénitien.

— Comment ici, ma belle Irène ?

— Nous y sommes depuis quinze jours. Dieu ! Que je suis heureuse de vousbq rencontrer ! J’ai une forte palpitation. Oserai-je m’asseoir Madame ?

— Oui : asseyez-vous, lui dis-je,br lui faisant boire un peu de vin qui la ranime.

Un valet monte, et lui dit qu’on l’attend ; elle répond vivement qu’elle ne veut pas souper. Marcoline, toujours singulière21,bs ordonne au valet de mettre un autre couvert, et se montre bien aise voyant que son ordre ne m’a pas déplu. La soupe étant servie, je me mets à table vis-à-vis de ces deux filles disant à Irène de manger, car nous avions grand appétit. Je lui dis qu’elle nous dira après par quel hasard elle était à Avignon.

Marcoline voyant qu’elle mangeait bien lui dit qu’elle aurait mal fait à ne pas souper, l’autre contente de l’entendre lui parler vénitien la remercie de l’intérêt qu’elle prend à elle, et les voilà dans trois ou quatre minutes devenues bonnes amies jusqu’à s’embrasser. Je ris de Marcoline, qui toujours la même devenait amoureuse à vue de toutes les jolies femelles qu’elle voyait. Dans les dialogues non suivis que nous [176r] faisions en mangeant, j’entends que son père, et sa mère étaient à la table d’hôte, et par les exclamations qu’elle faisait de temps en temps que c’était Dieu quibt ayant pitié d’elle m’avait envoyé à Avignon, je comprends qu’elle devait être dans la détresse. Malgré cela Irène, toujours très jolie, avait pris un air de contentement qui répondait à merveille aux propos joyeux que Marcoline lui tenait, très satisfaite d’avoir su d’elle-même qu’elle ne m’avait appelé papa que parce que sa mère lui avait dit à Milan qu’elle était ma fille. Marcoline riait de tout son cœur de cette belle aventure, et s’attendait à voir cette mère qui soupait là-bas, et dontbu je devais avoir été l’amant.

Nous n’étions pas encore au rôti lorsque le comte Rinaldi entra avec sa femme. Je les ai priés de s’asseoir. Sans Irène j’aurais mal reçu ce vieux fripon qui avait tenté de me mettre en contribution à cause de ma victoire. Il fit des reproches à Irène sur la hardiesse qu’elle avait euebv d’entrer chez moi ne réfléchissant pas qu’elle ne pouvait être que de trop dans la belle compagnie que j’avaisbw ; mais Marcoline le rassura en lui disant qu’Irène ne pouvait que m’avoir faitbx plaisir, puisqu’étant son oncle je ne pouvais qu’être bien aise de voir une aimable fille en compagnie avec elle. J’espère même, lui ajouta-t-elle, que vous lui permettrez de coucher avec moi cette nuit, si cela ne déplaît pas à Mademoiselle. Oui, oui, de part, et d’autre, les nouvelles amies s’embrassent, et je dois en rire, malgré que pour le coup cela ne m’ait pas plu, car je n’avais envie que de Marcoline ; mais j’ai toujours su m’adapter aux circonstances.

[176v] Lorsque ces deux filles furent sûres qu’elles devaient passer la nuit ensemble elles devinrent folles de joie ;by j’ai aidé leur joie avec du bon champagne, et j’ai fait faire une grande jatte de Punch. M. Rinaldi, et sa femme montèrent gris dans leur chambre. Irène après leur départ nous dit qu’un Français devenu son amant à Gênes avait persuadé son père d’aller à Nice, où il y avait grand jeu : qu’à Nicebz n’ayant trouvé rien de ce que le Français leur avait promis, elle avait dû vendre des effets pour payer l’auberge, assurée par son amant qu’il la dédommagerait à Aix où il était sûr de recevoir une somme. À Aix l’amantca n’ayant pas trouvé les personnes qui devaient le remettre en fonds elle avait dû lui donner encore des effets,cb pour se rendre à Avignon, où, à ce qu’il disait rien de ce qui lui était nécessaire ne pouvait lui manquer.

— Mais ici,cc me dit-elle, n’ayant pas trouvé non plus ce qu’il espérait, et aucun de nous n’ayant plus rien à vendre, mon père lui fit tant de reproches, que le pauvre jeune homme allait se tuer, si je ne l’avais pas empêché en lui donnant, sous condition qu’il s’en aille, le mantelet doublé de loups cerviers que tu m’as fait à Milancd. Il l’a pris, ilce l’a mis en gage pour quatre louis, et il m’a envoyé le billet, en m’assurant dans une lettre toute tendre qu’il allait à Lyon se mettre en fonds, et qu’il allait revenir pour nous conduire à Bordeau, où nous gagnerions des trésors. Il y a douze jours qu’il est parti, et nous n’avons plus reçu de ses nouvelles. Nous n’avons pas le sou, nous n’avons plus rien à vendre, et l’hôte menace de nous mettre à la porte sans chemise, si nous ne le payons pas demain.

— Quel est le parti que ton père a pris ?

— Aucun. Il prétend que la providence de Dieu aura soin de [177r] nous.

— Que dit ta mère ?

— Elle est toujours tranquille.

— Et toi ?

— J’essuie continuellement des mortifications, car ils disent que si je n’étais pas devenue amoureuse de ce malheureux nous serions encore à Gênes.

— Étais-tu vraiment amoureuse ?

— Hélas oui.

— Tu es donc malheureuse actuellement ?

— Beaucoup ; mais non pas à cause de l’amour, car je n’y pense plus ; mais à cause de ce qui arrivera demain.

— Et à la table d’hôtecf personne n’est devenu amoureux de toi ?

— Il y en a trois ou quatre qui me font des avances en paroles ; mais sachant que nous sommes dans le besoin ils n’osent pas venir dans notre chambre.

— Malgré cela tu es gaie, tu n’as pas l’air triste que l’état de détresse donne, et je t’en fais compliment.

C’était la même aventure de22 la Stuard.

Marcoline, toute grise qu’elle était, se montra fort sensible à cette narration d’Irène. Elle l’embrassa, et elle lui dit que si j’étais son père je ne devais pas l’abandonner, et qu’elle ne devait penser qu’à bien dormir. Elles commencèrent alors à se déshabiller, comme moi qui n’ayant pas envie de me battre contre deux, je leur ai dit de me laisser en repos. Marcoline me répondit en éclatant de rire que je n’avais qu’à aller me coucher,cg comme j’ai fait, ne regardant que par oisiveté ce que Marcoline faisait de lach gentille Irène, qui se trouvait peut-être pour la première fois de sa vieci dans un combat de cette espèce.

C’était Marcoline qui la déshabillait en même temps qu’elle se déshabillait aussi. Lorsqu’elles furent toutes les deux en chemise, Marcoline, grande rieuse, vint à mon lit tenant Irène entre ses bras, et m’ordonnant de l’embrasser : je lui ai dit qu’elle était grise, et que je voulais dormir : se trouvant offensée, elle excita Irène à l’imiter, et elles se couchèrent par force [177v] près de moi, où, la place n’étant pas suffisante, Marcoline se mit sur Irène l’appelant sa femme,cj tandis que l’autre en jouait très bien le personnage. J’ai eu la vertu de rester une heure, et davantage spectateur d’un tableau toujours nouveau, malgré que je l’avais vu tant de fois ; mais enfin devenues affamées elles s’acharnèrent toutes les deux contre moi avec tant de violence que tout d’un coup j’ai perdu la force de résister, et j’ai passé presque toute la nuit en secondant les fureurs de ces deuxckBacchantes, qui ne me quittèrent que lorsqu’elles me virent devenu rien, et ne donnant plus aucune espérance de résurrection. Nous nous endormîmes, et je fus surpris en me réveillant de voir qu’il était midi. Elles dormaient encore entortillées l’une à l’autre comme des anguilles. J’ai soupiré en les voyant, songeant au vrai bonheur dans lequel ces deux jeunes créatures nageaient dans ce moment-là. Je me suis levé sans troubler leur sommeil,cl et je suis sorti pour renvoyer les chevaux, et pour dire à l’hôte que je voulais un bon dîner à cinq heures, et du café au lait quand je le demanderais. L’hôte qui me connaissait, et qui se souvenait de ce que j’avais fait pour Stuard,cm devina que j’en ferais autant pour le comtecnRinaldi.

En rentrant dans la chambre les deux héroïnes me fêtèrent par des ris, et par la belle démonstration de confiance que la nature leur enseigna qu’elles devaient me donner en m’étalant toutes les deux d’accord et sans nulle jalousie les beautés, dont elles m’avaient prodigué la jouissance ; moyen sûr dans le système de l’humanité de m’exciter à leur donner le bonjour de l’amour. Je m’en sentis tenté ; mais l’âge commençait où insensiblement je m’habituais à l’épargne. J’ai passé sur le lit un quart d’heure [178r] voluptueux à comparer toutes leurs richesses, et souffrant en paix qu’elles m’appelassent avare, je leur ai dit de se lever.

— Nous devions partir, dis-je à Marcoline, à cinq heures du matin et une heure va sonner bientôt.

— Nous avons joui, me répondit-elle ; et le temps qu’on emploie à la jouissance n’est jamais perdu. Les chevaux sont-ils là ? Nous prendrons du café, j’espère.

Elles s’habillèrent, et en attendant le café j’ai donné à Irène douze doubles louis, et encore quatre pour dégager son mantelet23. Son père, et sa mère entrèrent, venant de dîner, pour nous donner le bonjour. Irène ne perdit pas une minute ; elle lui donna les douze pièces d’un air fier, et elle lui dit de l’aimer un peu plus à l’avenir. Il rit, puis il pleura, et il sortit. Il rentra une demi-heure après pour dire à Irène qu’il avait trouvé une occasion d’aller à Antibes pour très peu d’argent ; mais qu’il fallait partir d’abord, car le voiturier voulait coucher à S. Andiol24.

— Je suis prête.

— Non, mon ange, lui dis-je, tu dîneras avec ta bonne amie à cinq heures, et le voiturier attendra. Faites qu’il attende, M. Rinaldi, ma nièce lui payera une journée : n’est-ce pas Marcoline ?

— Sûrement : je suis bien aise de dîner ici. Je prévois que nous ne partirons que demain.

Elle a bien prévu. Nous dînâmes à cinq heures, nous nous couchâmes à huit, et nous fîmes des folies comme dans la nuit précédente ; mais à cinq heures du matin nous fûmes tous prêts. J’ai vu Irène avec son beau mantelet se séparer de Marcoline en pleurant, et l’autre en faire autant. Le vieux Rinaldi me pronostiqua en Angleterre des bonheurs prodigieux, et Irène pleurait de ce qu’elle n’occupait pas près de moi la place de Marcoline. Nousco trouverons Irène dans dix ans d’ici25. Une demi-heure après nous partîmes, et courûmes quinze postes26 sans jamais nous arrêter. Nous restâmes à Valence la nuit, où nous [178v] fîmes mauvaise chère ; mais Marcoline était toujours contente. Elle ne fit que me parler d’Irène dans toute la journée ; elle me dit sincèrement que si elle en avait eu le pouvoir, elle l’aurait enlevée à son père pour la conduire avec elle. Elle disait qu’elle la croyait ma fille malgré qu’elle ne me ressemblait pas dans la figure, à cause du grand attachement qu’elle se sentait pour elle.

— Comment veux-tu que je la croie ma fille,cp tandis que je n’ai jamais eu affaire à sa mère ?

— Elle m’a dit la même chose : elle m’a dit que tu ne l’as aimée que trois jours, et que tu as acheté son pucelage pour deux cents sequins.

— C’est vrai ; mais j’avais un autre amour dans ces jours-là : sans cela je l’aurais achetéecq de son père pour mille sequins.

— Tu as raison. Il me semble, mon cher ami, que restant avec toi je ne serais jamais jalouse de tes maîtresses pourvu que tu mecr laisses coucher aussi avec elles. Il me semble que ce soit un indice de mon bon caractère. Dis-moi si je raisonne juste.

— Tu es bonne ; mais tu le pourrais être aussi sans le furieux tempérament qui te domine.

— Ce n’est pas tempérament, car je ne suis tentée de faire cela qu’avec la personne que j’aime : si c’est une femme, je m’en moque : je ris tout de même.

— Qui t’a donné ce goûtcs ?

— La nature. J’ai commencé à l’âge de sept ans. Dans dix ans j’ai certainement eu plus de trois ou quatre cents amies.

— Et quand as-tu commencé à faire cela avec des hommes ?

— À l’âge de onze ans le père Molin mon confesseur moine de S. Jean, et Paul27 voulut connaître la fille avec laquelle je couchais alors : c’était en carnaval. Il nous fit au confessionnal une correction paternelle, et il nous flatta de nous conduire ensemble à la comédie, si nous voulions nous déterminer à quitter ce badinage seulement huit jours : nous le lui promîmes ; et au bout de huit jours nous nous présentâmes à lui pour l’assurer que nous nous en étions abstenues. Le lendemain, il vint en masque [179r] chez la tante de ma mie, qui le connaissait, et qui nous laissa aller sans penser au mal, car outre qu’il était moine, et confesseur de toutes les deux, nous étions trop enfants ; ma mie n’avait que douze ans. Après la comédie il nous mena à souper à une hôtellerie, et après souper il nous parla de notre crime, et il voulut voir comment nous étions faites. Il nous dit que ce péché-là entre filles était très grand, tandis qu’entre fille et homme c’était peu de chose ; et il nous demanda si nous savions comment un homme était fait : nous le savions ; mais nous lui dîmes que non. Il nous dit alors que si nous lui promettions le secret il pourrait satisfaire à notre curiosité ; et nous le lui promîmes. Le confesseur pour lors nous fit voir sa richesse, et dans une heure il nous fit femmes ; et il sut si bien faire que nous le priâmes. Trois ans après je suis devenue amoureuse d’un orfèvre, puis ton frère me fit rire en devenant amoureux de moi, et me disant qu’il ne pouvait en conscience me demander des faveurs qu’en devenant mon mari. Il me dit que cela pouvait se faire en allant à Genève, et il m’a étonnée par me proposer28 d’aller faire ce voyage avec lui. Je m’y suis déterminée en folle, et tu sais le reste. Une marque que je ne l’ai jamais aimé c’est que je n’ai jamais été curieuse de savoir comment il était fait. Il me dit à Padoue, où je l’ai battu, que j’étais excommuniée. J’ai bien ri.

Nous partîmes de Valence à cinq heures du matin, et nous arrivâmes à Lyonct sur la brune allant nous loger au Parc29. Je suis d’abord allé à Bellecour chez Madame d’Urfé qui me ditcu comme toujours qu’elle était sûre que j’arriverais ce jour-là. [179v]cvElle voulut savoir si elle avait bien exécuté ses cultes, et Paralis comme de raison, trouva tout bien, dont elle fut très flattée ;cw après avoir embrassé le petit d’Aranda qui était avec elle,cx je lui ai promis d’être chez elle à dix heures du lendemain.cy

Nous l’employâmes à travailler tête-à-tête pour recevoir de l’oracle toutes les instructions nécessaires pour ses couches, pour son testament, et pour trouver le moyen de faire, qu’en renaissant homme, elle ne se trouverait pas dans la misèrecz. L’oracle décida qu’elle devait mourir à Paris, qu’elle devait laisser tout à son filsda, et que le fruit ne serait pas bâtard, car Paralis s’engageait qu’à mon arrivée à Londres je lui enverrais un gentilhomme qui l’épouserait. Le dernier oracle fut qu’elle devait se disposer à partir pour Paris en trois jours etdb mener avec elle le petit d’Aranda, que je devaisdc remettre à Londres entre les bras de sa mère.ddSa véritable qualité n’était plus un mystère, car le petit coquin avait tout dit. Mais j’y avais mis le même remède que j’avais employé pour déjouer [180r] l’indiscrétion de la Corticelli, et de Passano. Il me tardait de rendre le petit ingrat à sa mère, qui m’écrivait toujours des lettres impertinentes. J’avais dans la tête le projet d’ôter de ses mains ma fille, qui devait avoir dix ans, et qui était devenue, comme sa mère me le mandait un prodige en beauté, en grâces, et en talents.

Après ces dispositions, je suis allé au parc pour dîner avec Marcoline. Il était fort tard, et ne pouvant pas la conduire ce jour-là à la comédie, je suis allé chez M. Bono pour savoirde s’il avait envoyé mon frère à Paris. Il me dit qu’il était parti la veille après lui avoir fait connaître un certain Passano, mon grand ennemi, et que je devais craindre30.

— J’ai vu cet homme, me dit-il, pâle, défait, ne pouvant pas se tenir debout : il me dit qu’il allait mourir quelque part, et que c’était sûr,df puisque vous l’aviez fait empoisonner31 ; mais il est certain, à ce qu’il dit, de vous faire payer cher votre crime, et qu’il se verra vengé avant de mourir ici à Lyon où il était sûr que vous deviez arriver. Il me dit dans une demi-heure avec la rage sur les lèvres tout ce qu’il y a de plus exécrable contre vous. Il veut que le public sache que vous êtes le plus grand scélérat qui existe, que vous ruinez Madame d’Urfé par des mensonges impies, que vous êtes sorcier, faussaire, voleur, espion, rogneur des monnaies, traître, joueur fripon, calomniateur, faiseur de fausses lettres de change, contrefacteur de caractères32, le plus abominable enfin de tous les hommes, et qu’il veut vous faire connaître au public, non pas par le moyen d’un libelle, mais par une dénonciation formelle à la justice, où il veut recourir pour demander une juste réparation aux torts que vous avez faits à sa personne, à son honneur, et enfin à sa vie, car vous l’avez tué par un poison lent. Il dit qu’il [180v] est en état de prouver tout ce qu’il avance. L’estime, et l’amitié que j’ai pour vous m’obligent à vous faire savoir tout ce que cet homme m’a dit pour que vous tâchiez d’y mettre remède. Ce n’est pas le cas de mépriser33, car vous connaissez la force des calomnies.

— Où est donc ce traître.

— Je n’en sais rien.

— Comment puis-je faire à le savoir ?

— S’il se tient caché exprès pour que vous ne puissiez pas découvrir sa demeure, il sera bien difficile que vous puissiez y parvenir. Rien n’est si facile que de se tenir caché à Lyon ; principalement quand on a de l’argent ; et Passano en a.

— Que peut-il faire contre moi, ayant le dessein de me faire de la peine.

— Vous intenter un procès criminel, qui vous déchirera le cœur, qui vous prostituera34 quand même vous seriez le plus honnête de tous les hommes.

— Il me semble que je dois le prévenir35.

— C’est le parti que vous devez prendre ne sachant pas où il est ; mais vous ne pouvez pas éviter la publicité.

— Vous n’aurez pas de difficulté, j’espère, à témoigner en justice tout ce que ce traître calomniateur vous a dit.

— Aucune.

— Donnez-moi le nom d’un bon avocat.

— Le voilà ; mais pensez-y bien ; car cela fera parler.

— Ne sachant pas où le coquin est caché, je n’ai point d’autre parti à prendre.

dgSi j’avais su où il demeurait, Madame d’Urfé, parente de M. de la Rochebaron, qui commandait à Lyon me l’aurait fait chasser.

Avec cette puce à l’oreille36 je suis allé au Parc, où j’ai fait un réquisitoire sur la matière. Je demandais au tribunal de la police sûretédh contre un traître qui se tenait caché à Lyon, et qui en voulait à ma vie, et à mon honneur ; mais le lendemain M. Bono, étant venu me voir de très bonne heure me déconseilla, car, me dit-il, la police fera d’abord des perquisitions pour découvrir où il loge, et d’abord que votre ennemi en aura le vent37, il vous attaquera au criminel, et pour lors il ne se tiendra [181r] plus caché. Ce sera lui-même qui demandera d’être garanti de violence de votre part. Il me semble que si vous n’avez pas à Lyon des affaires de conséquence vous pourriez hâter votre départ.

— C’est un parti qui insulte mon âme. Je mourrais plutôt qu’accélérer mon départ d’une seule heure à cause de ce coquin. Que ne sais-je où il est fourré ! Je donnerais cent louis pour le savoir.

— Je suis charmé de l’ignorer, car si [je]38 le savais je vous le dirais, et Dieu sait ce que vous feriez. Si vous ne voulez pas hâter votre départ, prévenez son accusation, et je dirai quand il vous plaira, et je mettrai même par écrit tout ce qu’il m’a dit.

Je suis allé chez l’avocat que Bono m’a indiqué pour suivre son conseil. Je lui ai dit avant que de lui communiquer mon affaire que M. Bono était celui qui m’avait fait l’éloge de sa probité, et de son habileté. Cet avocat après avoir entendu tout ce que je lui ai dit, me répondit qu’il ne pouvait être ni mon avocat, ni mon conseil, puisqu’il l’était de la partie adversaire ;

— Mais, me dit-il, ne soyez pas fâché de m’avoir fait part de ce que vous voulez faire, car cela doit être tout comme si vous ne m’en aviez rien dit. La plainte, ou l’accusation de M. Passano ne sera rédigée qu’après-demain, je ne lui dirai même rien39 qu’il doit se hâter puisque vous pouvez le prévenir, car c’est une circonstance que je ne sais que subrepticement, et par surprise. Allez Monsieur. Vous trouverez à Lyon d’autres avocats plus, ou aussi honnêtes que moi.

— Voudriez-vous m’en nommer un ?

— Je ne le peux pas ; mais M. Bono même pourra vous en indiquer.

— Vous serait-il permis de me dire où votre client demeure ?

— Son principal empressement est celui de se tenir caché, et il a raison. Vous sentez que je ne peux pas le dire.

— Vous avez raison.

J’ai mis un louis sur sa table ; et il me courut après pour me le rendre. Voilà pour le coup un avocat honnête homme. J’ai d’abord pensé à lui mettre aux trousses un espion ; car j’avais envie d’aller égorger en personne le monstre ; mais où trouver cet espion ? Je cours chez [181v] Bono, qui me donne le nom d’un autre avocat, et qui me conseille de me hâter ; car en affaire criminelle le premier recourant a toujours la balance en faveur. Je demande à Bono des traces40 pour avoir un espion fidèle, qui aux trousses de l’avocat saurait certainement m’instruire de la demeure du scélérat ; mais Bono se dispense de m’aider en cela. Il me démontre même qu’en faisant espionner l’avocat, je faisais une action malhonnête ; et je le savais ; mais quel est l’homme que la colère juste, ou injuste ne rende pas violent ?

Je vais chez le second avocat vieillard respectabledi par sa figure, et plus encore par sa prudence. Après avoir entendu toute mon affaire, il me dit qu’il me servira, et que ce sera dans la journée même qu’il présentera ma plainte. Je lui ai dit qu’il fallait se hâter, parce que j’avais su de l’avocat même du calomniateur que l’accusation serait présentée le surlendemain. — Ce ne doit pas être la raison, Monsieur, de notre hâte, car vous ne pouvez pas abuser de la confidence que mon camarade vous a faitedj. Nous devons nous hâter parce que la nature de l’affaire l’exige. Prior in tempore potior in jure [Le premier en date est le premier en droit]41. La prudence veut qu’on attaque l’ennemi. Vous aurez, si cela vous plaît, la bonté de passer ici à trois heures de relevée42. Je lui ai laissé six louis, et il m’a dit qu’il m’en tiendra compte.

J’y fus l’après-dîner pour lire la plainte, que j’ai trouvée exacte, et je suis allé après chez Madame d’Urfé, où je suis resté quatre heures faisant des Pyramides pour mettre la joie dans son âme : malgré ma mauvaise humeur je devais rire des discours qu’elle me faisait sur sa grossesse ; de la certitude qu’elle en avait à cause des symptômes qu’elle ressentait, et de la douleur qu’elle avait de mourir parce qu’elle ne pourrait pas rire de tout ce que les physiciens de Paris diraient sur ses couches, qu’on trouverait fort extraordinaires à son âge.

Au parc j’ai trouvé Marcoline triste.

— Tu m’as dit que nous irions à la comédie, et je t’ai attendu. Il ne fallait pas me faire attendre.

— Tu as raison. Pardon mon cœur. Une affaire pressante m’a tenu chez [182r] madame d’Urfé. Sois gaie.

J’en avais besoin, car cette affaire me tracassait. La colère avait sur moi la même force que l’amour. J’ai très mal dormi. Le lendemain matin je fus chez mon avocat qui me dit que ma requête était déjà au greffe du Lieutenant criminel43.

— Nous n’avons, me dit-il, autre chose à faire pour le présent, parce que ne sachant pas où il est nous ne pouvons pas le citer.

— Ne pourrais-je pas faire que la police fît diligence pour le déterrer.

— Vous le pouvez très bien ; mais je ne vous le conseille pas. Voyons-le venir. L’accusateur se trouvant accusé, devra penser à se défendre, et à prouver les crimes qu’il vous attribue. S’il ne se montre pas, nous le ferons condamner absent à toutes les peinesdk qu’on inflige aux calomniateurs. Son conseil même l’abandonnera s’il ne se montre pas comme vous.

Un peu tranquillisé par cet avocat j’aidl passé toute la journée chez Madame d’Urfé qui devait partir le lendemain ;dm je lui ai promis d’être chez elle à Paris d’abord que je me serais débarrassé de quelques affaires qui regardaient l’ordre44. Sa maxime principale était celle de respecter mes secrets, et de ne jamais me gêner. Marcoline qui s’était ennuyé toute seule tout le long de la journée respira lorsque je lui ai dit, que j’allais devenir tout à elle.

Le lendemain M. Bono vint chez moi pour me prier d’aller avec lui chez l’avocat de Passano, qui désirait de me parlerdn. Cet avocat nous dit que son client était un fou qui de bonne foi se croyait empoisonné, et par cette raison se trouvant au désespoir il était prêt à tout.

— Il soutient, me dit-il, que quand même vous l’auriez prévenu ; il vous fera condamner à mort, car il est prêt à aller en prison, et il soutient qu’il en sortira victorieux,do ayant des témoins de tout ce qu’il dépose. Il montredp25 louis d’or que vous lui avez donnésdq à Marseille tous moindres de poids, et il a deux certificats de Gênes que vous avez rogné une quantité de pièces d’or, qu’un noble Grimaldi a fait fondre à un orfèvre pour qu’on ne vous les trouve pas à la perquisition que le gouvernement allait faire chez vous pour vous convaincre de votre crime. Il a [182v] même une lettre de votre frère abbé qui dépose contre vous. C’est un enragé très malade de la v….., qui veut s’il est possible vous voir mort avant lui. Je prends la liberté de vous conseiller à lui donner de l’argent pour vous en délivrer. Il m’a dit qu’il a famille, et que si M. Bono voulait lui donner mille louis il sacrifierait à ses besoins toutes ses justes plaintes. J’ai eu ordre de lui-même d’en parler à M. Bono. Que répondez-vous ?

— Que je ne veuxdr lui donner le sou. Je n’en démordrai pas. C’est un infâme calomniateur, et je me sens outré de ce qu’il dit des monnaies de Gênes que M. Grimaldi a portéesds à l’orfèvre. Le fait est vrai ; mais l’infâme l’aggrave par la calomnie. J’espère de savoir aujourd’hui où il loge. L’infâme ! Pourquoi se tient-il caché ?

— J’ai différé à présenter sa plainte pour voir si je pouvais remédier au scandale qui en dérivera. Je m’en vais la présenter.

— Je vous en prie. Je vous suis d’ailleurs très obligé.

Nous partîmes ; et Bono était fâché de ce que cette affaire allait faire du fracas. Je suis allé chez mon avocat lui rendre compte de la proposition de mon coquin. L’avocat me loua de ce que je n’aidt consenti à payer la moindre somme pour faire taire l’accusateur. Il me dit même, qu’ayant Bono pour témoin je pouvais obliger l’avocat à ne pas différer à présenter l’écriture de plainte qu’il devait avoir déjà toute prête ; et je l’ai d’abord sommé de faire cet acte. Il expédia d’abord un commis pour obtenir l’ordre du Lieutenant criminel qui enjoignait à l’avocat de présenter, temps trois jours45, une plainte criminelle qui devait exister entre ses mains d’un quidamdu soi-disant tantôt Ascanio Pogomas, tantôt Giacomo Passano contre moi. J’ai signé.

J’étais fâché des trois jours. Il me répondit que cela ne pouvait pas se faire autrement ; mais que jacta erat alea [le dé était jeté]46, et que je devais me disposer à tous les désagréments que ce procès allait me causer même ayant toutes les victoires possiblesdv.

[183r] Madame d’Urfé étant partie je suis allé au Parc où après avoir bien dîné, et m’être égayé par tous les moyens possibles, je suis sorti avec Marcoline. Je l’ai conduite à voir des modes47 chez les célèbres marchandes ; je lui ai acheté tout ce qu’elle a pu désirer, je l’ai conduite après à la comédie, où elle dut se plaire en se voyant l’objet des yeux de tous les spectateurs. Madame Pernon étant à côté de la loge où nous étions m’obligea à la lui présenter ; elle l’embrassa très tendrement après le spectacle, et à la mine de toutes les deux j’ai prévu que la grande connaissance allait naître ; et elle serait née si Marcoline avait pu parler français, ou Madame Pernon italien. Les bras tombèrent à l’une, et à l’autre, lorsqu’elles reconnurent leur respective ignorance. Une femme qui n’entend pas l’amoureux, et qui ne peut pas se faire entendre devient froide. Marcoline à la maison m’avoua en riant que Madame Pernon en la quittant l’avait baisée à la florentine. C’était le mot du jupon48. Égayée par les colifichets que je lui avais achetés nous soupâmes, et nous nous fêtâmes en amoureux. Le lendemain matin j’ai conduit Marcoline à voir les fabriques49, et je lui donné une jolie robe. L’après-dîner nous fûmes invités à souper chez Madame Pernon, où Marcoline n’a pas pu briller, car personne ne parlait italien. M. Bono qui parlait italien, et qui était l’adorateur de la Pernon n’y était pas : on nous dit qu’il était malade.

Mais le lendemain je l’ai vu de bonne heure dans ma chambredw d’un air gai quoiqu’abattu : il me dit de sortir avec lui en frac qu’il avait des bonnes choses à me dire. Il me mena dans un café, et il me montra une lettre du coquin dans laquelle il lui disait qu’il était prêt à se désister de tout, ainsi conseillé par son avocat, qui avait trouvé une accusation contre lui à laquelle il ne voulait pas s’opposer. Cela étant, lui disait l’infâme, faites en sorte que Monsieur de Saingalt me donne cent louis, et je partirai d’abord. Tout sera fini. — Je serais bien fou, lui dis-je, à lui donner encore de l’argent pour qu’il s’échappe à la justice50. Qu’il s’en aille s’il veut ; et s’il peut ; mais je ne lui donnerai rien.dxJe lui ferai demain sortir un décret de prise de corps. Je veux le voir flétri par les mains du bourreau51. Les calomnies qu’il m’a donnéesdy sont trop fortes ; mon [183v] honneur veut que je le force à prouver tout.

Bono ne m’a répondu autre chose sinon qu’il croyait qu’un bon désistement pourrait me tenir lieu de satisfaction, et que je devais le préférer à une condamnation solennelle qui me ferait du tort même dans le triomphe de la victoire ; et il me disait encore que les cent louis n’étaient rien en comparaison de ce qui52 me coûterait le procès. Je l’ai laissé en lui demandant excuse si je ne pouvais pas être de son avis. Je fus rendre compte à mon avocat de cette proposition que j’ai rejetée ; et je lui ai dit, de le faire décréter de prise de corps après les pas légaux53.

J’ai donné à souper le même jour à Madame Pernon ; et M. Bono y étant, Marcoline brilla, et nous fûmes fort gais. Le surlendemain Bono m’écrivit que Passano était parti pour ne plus revenir à Lyon. Qu’avant partir il avait fait par écrit une rétractation dont je serais fort content quand je la verrais.

Je trouvais naturelle sa fuite ; mais je trouvais aussi invraisemblable sa rétractation d’abord qu’il s’en allait de bon gré. Je fus donc chez Bono qui m’étonna en me la faisant voir aussi ample que possible. Il me demanda si j’en étais content, et je lui ai répondu que non seulement j’en étais content ; mais que je lui pardonnais.

— Je trouve seulement singulier, lui dis-je, qu’il n’ait pas insisté sur les cent louis.

— Les cent louis il les a eusdz ; mais de moi : je les ai déboursés avec plaisir pour ne pas voir devenueea publique une infamie qui nous aurait fait du tort à tous ; et à moi beaucoup de peine, car enfin, vous n’auriez rien fait, si je ne vous avais rien dit. Je ne vous aurais rien dit, si vous ne m’aviez pas dit que vous êtes content de la rétractation, et que vous lui avez pardonné. Pour les cent louis que cela me coûte, je suis charmé d’avoir saisi une occasion de vous donner une petite marque de mon amitié. N’en parlons plus, je vous en prie.

Je l’ai embrassé tendrement.

Je suis allé dîner avec Marcoline, et je lui ai dit que nous partirions pour Paris dans trois jours.

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