Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre IX

Ma victoire contre le vicaire. Mon départ. Chambéri.

La fille de Des Armoises, M. Morin. M. M.. La pensionnaire Lyon. Paris

Surpris par cette citation qui ne me prédisait rien d’agréable, je m’habille, et je me fais porter au bureau du vicaire1. Il était assis devant une grande table, et il y avait là dix-huit à vingt personnes debout. C’était un homme de soixante ans qui avait la moitié du nez couverte de noir à cause d’un ulcère malin.

— Je vous ai fait, me dit-il, venir ici pour vous ordonner de partir dans trois jours tout au plus tard.

— Vous n’avez pas le droit, monsieur de me donner cet ordre ; ainsi je ne partirai qu’à ma commodité.

— Je vous ferai mettre dehors par force.

— À la bonne heure. Je ne peux pas résister à la force ; mais j’espère que vous y penserez, car on ne chasse pas d’une ville bien policée un homme qui ne fait rien contre les lois, et qui a 100 m. #2 chez un banquier.

— Fort bien. En trois jours vous pouvez faire vos paquets, et compter avec votre banquier. Je vous conseille d’obéir : c’est le roi3 qui vous l’ordonne.

— Si je partais, je deviendrais complice de votre injustice ; mais puisque vous me parlez au nom du roi, je vais sur-le-champ me présenter à S. M. Je suis sûr qu’il révoquera l’ordre injuste que vous venez de me donner ainsi publiquement.

— Est-ce que le roi n’est pas le maître de vous faire partir ?

— Oui ; mais employant la force, si je résiste. Il est aussi le maître de me condamner à mort ; mais il doit me fournir le bourreau.

J’avais connu le Ch.r Raiberti chez une danseuse qu’il entretenait : il était premier commis au département des affaires étrangères. Je me fais porter chez lui, et je lui conte [122v] toute cette histoire finissant par lui dire que j’avais besoin de parler au roi, car j’étais décidé à ne vouloir pas partir de bon gré. Ce brave homme me conseille d’aller plutôt parler au Chevalier Osorio4 qui tenait alors les affaires étrangères, et qui parlait au roi quand il voulait. Son conseil me plaît, et je vais d’abord chez le marquis Osorio : c’était un Sicilien qui avait beaucoup d’esprit. Après lui avoir conté tout, je le prie d’informer S. M., car trouvant l’ordre du vicaire injuste j’étais décidé à ne pas obéir. Il me promet de parler au roi, et il me dit de retourner chez lui le lendemain.

Je suis allé dîner avec l’abbé Gama croyant que mon affaire lui arriverait neuve ; mais point du tout. Il savait que j’avais eu ordre de partir, et de quelle façon j’avais répondu au vicaire, et quand il sut que je persistais dans la résolution de ne pas obéir, il n’osa pas condamner ma fermeté. Il m’assura qu’au cas de mon départ il m’enverrait toutes les instructions qui m’étaient nécessaires là où je lui dirais.

Le ch.r Osorio me reçut le lendemain d’un air plus affable. Le chevalier Raiberti lui avait parlé de moi. Il me dit qu’il avait parlé au roi, et au comte d’Agliè aussi, et que je pourrais rester ; mais que je devais aller d’abord parler de nouveau à ce dernier, qui m’accorderait le tempsb dont j’avais besoin pour finir les affaires que je pouvais avoir à Turin.

— J’attends, lui dis-je, des instructions de la cour de Portugal pour le congrès qu’on va tenir à Augsbourg, où je me trouverai.

— Vous croyez donc que ce congrès se tiendra ?

— Personne n’en doute.

— Quelqu’un croit qu’il ira en fumée. Je suis charmé de vous avoir été utile ; et je saurai avec plaisir comment le vicaire vous aura reçu.

Je vais doncc chez le vicaire, qui me dit d’abord qu’il me voit que le ch.r Osorio lui avait dit que j’avais des affaires qui m’obligeaient à passer encore quelques jours à Turin, et que je pouvais donc resterd.

— Mais vous pouvez me dire à peu près de combien de jours vous avez besoin.

— Je ne peux pas savoir cela précisément ; car j’attends des instructions de la cour de Portugal pour le congrès qu’on va tenir à Augsbourg. Je crois que je pourrai partir pour Paris dans un mois ; et si cela ira plus tard, j’aurai l’honneur de vous le faire savoir.

— Vous me ferez plaisir.

Je suis d’abord retourné chez le ch.r Osorio, qui me dit en souriant que j’avais attrapé le vicaire, car j’avais pris un temps indéfini. Mais quel plaisir pour le politique Gama quand je lui ai dit que le chevalier Osorio doutait de la tenue du congrès ; malgré cela je l’ai de nouveau assuré que j’irais à Augsbourg, et que je partirais en trois ou quatre semaines.

La R. me fit les plus grands compliments, car elle devait être enchantée que j’eusse humilié le vicaire ; mais nous crûmes de devoir suspendre les petits soupers chez moi avec ses filles. Les ayant déjà eues toutes, je ne fus pas beaucoup sensible à ce sacrificee. Ce fut ainsi que j’ai vécu jusqu’à la moitié du mois de Mai que j’ai quitté Turin après avoir reçu de l’abbé Gama une lettre pour Milord Stormon5, qui devait être à Augsbourg plénipotentiaire pour l’Angleterre. C’était avec lui que je devais me concerter dans ma commission.

M’étant déterminé à faire une visite à Madame d’Urfé avant d’aller en Allemagne,f je lui ai écrit de m’envoyer [123v] à Lyon une lettre pour M. de Rochebaron6, dont il pouvait m’arriver d’avoir besoin. Ayant aussi intention de m’arrêter trois ou quatre jours à Chambéri pour faire une visite à la grille à M. M., pour laquelle je soupirais toutes les fois que je la rappelais à mon souvenir, j’ai demandé une lettre pour cette ville à M. Raiberti ; et j’ai écrit à Grenoble à mon ami Valenglard de faire souvenir à madame Morin qu’elle m’avait promis de me faire voir une ressemblance à Chambéri7.

Mais voilà encore un événement fatal par rapport aux conséquences qu’il eut à mon grand préjudice.

Cinq ou six jours avant mon départ de Turin, je vois paraître devant moi à dix heures du matin Des armoises fort triste.

— Je viens, me dit-il, de recevoir ordre de partir de Turin dans l’espace de vingt-quatre heures.

— En savez-vous la raison ?

— Cela m’arrive parce que hier au café du commerce8 j’ai donné un démenti au comte Scarnafis9 qui a dit que la France soudoyait le gazetier de Berne : il est sorti du café en colère, je l’ai suivi pour lui faire entendre raison ; mais en vain : il est allé apparemment se plaindre, et demain de bonne heure je dois décamper.

— Vous êtes français, et pouvant réclamer la protection de l’ambassadeur, vous auriez tort de partir si précipitamment.

— Premièrement l’ambassadeur est absent, et en second lieu mon cruel père me désavoue. J’aime mieux partir. Je vous attendrai à Lyon. Je vous prie seulement de me prêter encore cent écus, dont je vous tiendrai compte.

Je lui ai donnég la petite somme, et il partit le lendemain [124r] à la pointe du jour. Je lui ai dit que je m’arrêterais quelques jours à Chambéri.

Après avoir pris une lettre de crédit sur Augsbourgh, je suis parti, et le lendemain j’ai passé le Moncenis10 sur des mulets moi, Costa, Le-duc, et ma voiture. Trois jours après, je me suis logé à Chambéri à la seule auberge où tous les passagers devaient se loger.

Voyant une très jolie demoiselle sortir de la chambre contiguë à la mienne, je demande à la servante qui c’était, et elle me dit qu’elle était la femme d’un jeune homme qui se tenait au lit pour guérir d’un coup d’épée qu’il avait reçu venant de France il y avait quatre jours.

Sortant de ma chambre pour aller prendre à la poste la lettre que Valenglard devait m’avoir écrite, je m’arrête devant celle de ma voisine, dont la porte était ouverte : je lui offre mes services en qualité de voisin ; elle me prie d’entrer ; je vois un beau jeune homme au lit sur son séant, je l’interroge sur son état. Sa femme me dit que le chirurgien lui avait défendu de parler,ià cause d’un coup d’épée qu’il avait reçu à la poitrine à une demi-lieue de là venant de France, dont il espérait de guérir dans peu de jours, et poursuivre son voyage à Genève. Dans le moment que j’allais partir, la servante entre, et me demande si je voulais souper seul dans ma chambre, ou avec madame. Je lui réponds, riant de sa bêtise, que je souperais dans ma chambre ajoutant que je n’avais pas le bonheur d’être connu de madame : elle me répond que je lui ferais honneur et plaisir, et son mari à voix basse me dit la même chose : je lui dis donc que je profiterai de sa bonté. Cette femme, ou fille était d’ailleurs charmante. [124v] M’ayant voulu conduire jusqu’à l’escalier, j’ai pris la liberté de lui baiser sa main, ce qui est en France une déclaration d’amour aussi respectueuse que tendre.

Je cours à la poste, et je trouve deux lettres ; une de Valenglard qui me dit que madame Morin était prête à venir à Chambéri si je voulais lui envoyer une voiture. J’ouvre l’autre lettre, et je vois signé Des-armoises. Il m’écrivait de Lyon. Il me disait que sortant de Chambéri il avait rencontréj sa fille dans une voiture avec un coquin qui l’avait enlevée, et qu’il lui avait enfoncék l’épée dans le corps ; mais qu’il n’avait pas pu arrêter la voiture qui les conduisait à Chambéri. Il me priait de m’informer, et de persuader sa fille à retourner à Lyon, et si elle ne voulait pas de demander main-forte prenant fait, et cause pour son malheureux père qui la réclamait : il m’assurait qu’ils n’étaient pas mariés, et il me conjurait de faire tout ce qui dépendait de moi pour lui donner cette marque d’amitié. Il me priait de lui répondre d’abord par exprès m’envoyant son adresse.

Je n’ai pas eu besoin de m’informer. Sa fille ne pouvait être que ma voisine ; mais j’étais bien éloigné de faire la moindre demande pour faire retourner à Lyon la charmante créature.

De retour à l’auberge, j’ai envoyé Le-duc à Grenoble avec une voiture à quatre places à M. de Valenglard, et une lettre, qui en contenait une autre que j’adressais à Mad. Morin, où je l’avertissais que ne m’étant arrêté à Chambéri que pour elle je l’attendrais à toute sa commodité. Après cela je me suis abandonné dans la joie de mon âme à la rare aventure que la fortune me présentait. Mademoiselle Des-Armoises, et son ravisseur m’avaient inspirél les sentiments de la plus tendre amitié : je ne me souciais pas de deviner, si ce qui me guidait était vertu, ou vice.

J’entre dans leur chambre, et je vois le chirurgien qui pansait le blessé. La blessure n’était pas dangereuse ; elle était en suppuration. Après le départ du chirurgien, je lui fais compliment, je lui conseille la diète, et le silence, et je vais passer dans ma chambre le reste de la journée jusqu’à l’heure de souper après avoir remism en sa présence à Mlle Desarmoises la lettre que je venais de recevoir de son père. J’étais sûr qu’elle viendrait me parler.

Je la vois, un quart d’heure après, paraître devant moi d’un air triste. Elle me rend la lettre, me demandant ce que je pensais de faire.

— Rien. Je me croirai heureux, si vous me mettrez dans le cas de vous être utile.

— Je respire.

— Pouviez-vous croire le contraire ? D’abord que je vous ai vue, vous m’avez intéressé. Êtes-vous mariés ?

— Non ; mais nous le serons d’abord que nous arriverons à Genève.

— Asseyez-vous, et informez-moi de tout ce fait. Je sais que votre père a le malheur d’être amoureux de vous, et que vous le fuyez.

— Il vous l’a donc dit, et j’en suis bien aise. Il y a un an qu’il est arrivé à Lyon, et un quart d’heure après je me suis retirée chez une amie de ma mère, car je ne peux rester une seule heure vis-à-vis de lui sans craindre la plus monstrueuse violence. Le jeune homme que vous avez vu au lit est fils unique d’un négociant de Genève ; mon père même l’a conduit chez nous il y a deux ans, et nous devînmes d’abord amoureux. Après le départ de mon père, il me demanda pour femme à ma mère qui mon père étant à Marseille crut de ne pas pouvoir disposer de moi. Elle lui écrivit à Marseille, et il lui répondit [125v] qu’à son retour à Lyon il se déterminerait. En attendant mon amant est allé à Genève où il obtint le consentement de son père à notre mariage, et il revint à Lyon avec tous les renseignements nécessaires bien recommandé à M. Tolosan. Quand mon père arriva l’année passée, je me suis sauvée, comme je vous ai dit, et mon amant me fit demander pour sa femme par M. Tolosan même. Mon père lui dit qu’il lui répondrait quand il m’aurait chez lui. M. Tolosan me dit que je devais retourner dans la maison paternelle, et je lui ai répondu que j’étais prête, si ma mère voulait bien venir me prendre, et me tenir sous sa garde ; mais quand M. Tolosan lui en parla, elle lui dit qu’elle connaissait trop son mari pour me faire retourner à la maison. Il parla de nouveau à mon père pour avoir son consentement ; mais en vain. Huit à dix jours après il partit, puis nous sûmes qu’il était à Aix en Savoye, puis à Turin, et enfin voyant que mon père ne voulait se déterminer à rien, mon amant me proposa de partir avec lui me faisant assurer par M. Tolosan même qu’il m’épouserait à Genève : ma mère y consentit. Nous partîmes donc il y a huit jours. Le malheur a voulu que nous prenions la route de la Savoye, et que nous rencontrions mon père à peu de distance de cette ville. Il nous connut, il fit arrêter la voiture, il vient à moi, il veut me forcer à descendre, je crie, mon amant me prend entre ses bras,n mon père se saisit de son épée, et ilo la lui enfonce dans le corps. Voyant du monde qui accourait à mes cris, et à ceux du voiturier, et croyant d’avoir tué mon amant, il remonta à cheval, se sauvant à bride abattue. Je vous montrerai l’épée ensanglantée jusqu’à la moitié, malgré que la blessure n’est que de trois pouces11.

— Je suis obligé de répondre à sa lettre. Je pense au moyen de vous obtenir son consentement.

— Il n’est pas nécessaire. Nous serons tout de même bien mariés, et heureux.

— C’est vrai ; mais enfin vous ne pouvez pas mépriser votre dot.

— Quelle dot ? Il n’a rien.

— Mais à la mort du marquis Des armoises votre grand-père il sera riche.

— C’est une fable. Mon père n’a qu’une petite pension viagère pour avoir servi trente ans comme courrier. Il y a vingt ans que son père est mort. Ma mère et ma sœur vivent du travail de leurs mains.

Très surpris de l’impudente effronterie de cet homme qui après m’en avoir imposé ainsi me mettait à portée de découvrir toute son imposture, je n’ai plus rien dit. Nous sommes allés souper, et nous restâmes trois heures à table. Nous ne fîmes que parler de cette affaire, et le blessé n’eut besoin que de m’écouter pour connaître ma façon de penser. La Desarmoises âgée de dix-neuf ans avait tout pour plaire. Elle plaisanta avec esprit sur la folle passion de son père, qui, me dit-elle, l’avait aimée en fou depuis l’âge de onze ans.

— Et vous lui avez toujours résisté ?

— Je ne lui ai résisté que quand il a voulu pousser le badinage trop loin.

— Et le badinage a-t-il duré longtemps ?

— Deux ans. J’avais treize ans, quand me trouvant mûre il tenta de me croquer ; mais j’ai crié, et je suis sortie toute nue de son lit allant me sauver dans celui de ma mère qui depuis ce jour-là ne voulut plus que je couchasse avec lui.

— Vous couchiez donc avec lui ? Comment votre mère pouvait-elle le souffrir ?

— Elle ne pensait pas qu’il pût m’aimer comme amoureux : et moi-même je [126v] n’y entendais pas malice. Je croyais que tout ce qu’il me faisait, et qu’il voulait que je lui fisse n’étaitp que bagatelles.

— Mais vous avez sauvé le bijou.

— Je l’ai gardé pour mon amant.

Le pauvre blessé exténué par la faim rit alors, et elle se leva de table pour aller lui donner force baisers. J’étais dans un état violent, car la fidélité de cette narration avait mis devant les yeux de mon âme la Desarmoises plus que toute nue. Il me semblait qu’étant à la place de son père elle ne serait pas sortie de mes mains avec tant de facilité, et je lui pardonnais si l’aimant il avait oubliéq qu’elle était sa fille. Quand elle vint me reconduire dans ma chambre je lui ai fait sentir la force que sa narration avait exercéer sur moi, et elle en rit ; mais mes domestiques étant là j’ai dû la laisser partir.

Le lendemain j’ai écrit de très bonne heure à son père que sa fille était très décidée à ne plus quitter son amant, qui n’était que légèrement blessé, et qu’à Chambéri elle était en pleine sûreté sous la protection des lois. Je suis allé à sa chambre pour lui faire lire ma lettre, et la voyant embarrassée à m’expliquer les sentiments de sa reconnaissance j’ai prié son amant de me permettre de l’embrasser : il ouvrit ses bras me disant : Et moi aussi. Mon amour hypocrite se couvrit alors avec le masque de la tendresse paternelle. Je les ai appelés mes enfants, et je leur ai offert ma bourse pleine d’or s’ils en avaient besoin.s Le chirurgien vient, et je retourne dans ma chambret.

Madame Morin arriva à onze heures avec sa fille précédée par Le-duc qui faisait claquer son fouet. J’ai couru la prendre entre mes bras lui rendant mille grâces du plaisir qu’elle avait bien voulu me faire. La première nouvelle qu’elle me donna fut que Mlle Roman sa nièce était maîtresse du roi, demeurait dans une belle maison à Passi et était grosse en cinq mois12, et sur le chemin de devenir reine de France comme mon divin horoscope l’avait prédit.

— À Grenoble, me dit-elle, on ne parle que de vous, et je vous conseille de ne pas y revenir, car on ne vous laissera pas partir. Vous aurez à vos pieds toute la noblesse, et toutes les femmes curieuses de savoir la destinée de leurs filles. Tout le monde actuellement croit à l’astrologie judiciaire, et Valenglard triomphe. Il a parié cent louis contre cinquante qu’elle accouchera d’un prince : il est sûr de gagner : s’il perd on se moquera de lui.

— Il gagnera. Je vais à Paris, et j’espère que vous me donnerez une lettre pour madame Varnier, qui me procurera le plaisir de voir votre nièce.

— C’est juste ; et je vous la donnerai demain.

Je lui ai présentéu Mlle Desarmoises sous le nom de famille de son amant après lui avoir demandé si elle voulait dîner avec nous. Nous dînâmes donc en quatre, et après dîner nous allâmes au couvent de M. M., qui, d’abord qu’on lui annonça sa tante, descendit à la grille très surprise de cette visite ; et encore plus quand elle me vit. Quand madame Morin me présenta, elle me dit qu’elle m’avait vu cinq ou six fois à la fontaine d’Aix, mais que je ne pouvais pas la reconnaître, car elle n’y avait jamais été que couverte d’un voile. J’ai admiré la présence, et la finesse de son esprit. Elle me paraissait [127v] devenue plus belle. Après avoir passév une heure à parler de Grenoble, et des anciennes connaissances de M. M., elle nous laissa pour aller prier l’abbesse de descendre, et pour aller prendre une jeune pensionnaire qu’elle aimait, et qu’elle voulut lui présenter.

J’ai saisi ce temps pour dire à la Morin qu’elle avait raison sur l’article de la ressemblance, et pour la prier de me procurer le plaisir de me faire déjeuner avec elle le lendemain, lui faisant présent de douze livres de chocolat que j’avais chez moi. Elle m’encouragea à lui en faire présent moi-même.

Elle revint à la grille avec l’abbesse, deux autres jeunes religieuses, et la pensionnaire qui était lyonnaise, et jolie à croquer. Ce fut alors à moi à faire la chouette à toutes ces nonnes ; et ce fut la Morin qui dit à sa nièce que je désirais d’essayer du chocolat, que j’avais porté de Turin fait parw sa converse. M. M. me dit de lui envoyer le chocolat, et qu’elle déjeunerait avec plaisir avec nous le lendemain et avec les religieuses qui étaient là.

Je le lui ai envoyé d’abord que nous fûmes de retour à l’auberge, et nous soupâmes dans la chambre de la Morin toujours avec la Desarmoises, dont les charmes m’éblouissaient toujours plus ;x mais je ne lui ai parlé que de M. M. avec laquelle elle se tenait pour sûre que j’avais euy une intrigue à Aix.

Le lendemain, après le déjeuner, je lui ai dit qu’il ne lui serait pas si facile de me donner à dîner à une table de douze couverts, où nous serions tous assis les uns à côté des autres : elle me répondit que nous serions tous assis à la même table avec la seule différence que la moitié serait dans le couvent, et l’autre moitié séparée par une grille, dans le parloir. Je lui ai alors dit que je serais curieux de voir cela, si elle voulait bien me permettre d’en faire les frais ; et elle y consentit. Ce dîner fut donc fixé au lendemain. M. M. se chargea de tout, et d’inviter six religieuses : je lui ai dit que je lui enverrais les vins. Ce fut la Morin qui connaissant mon goût avertit M. M. de ne rien épargner.

Après avoir reconduit à l’auberge Ma. Morin, sa fille et la Desarmoises, je suis allé chez M. Magnan13, auquel le Ch.r Raiberti m’avait recommandé, pour le prier de me trouver des bons vins, et il m’en donna copieusement de toutes les qualités. Je les ai envoyés à M. M.

M. Magnan était homme d’esprit, aimable de figure, très à son aise, habitant dans une maison fort commode hors de la ville, ayant une aimable épouse encore fraîche, et neuf ou dix enfants, entre lesquels quatre fort jolies filles, dont l’aînée avait dix-neuf ans. Il aimait passionnément la bonne chère ; et pour m’en convaincre il m’invita à dîner pour le surlendemain.

Après avoir passé toute la journée au parloir nousz aurions soupé dans la chambre du blessé pour ne pas laisser seul, si le chirurgien ne nous eût dit qu’il fallait le laisser dormir.

Le lendemain nous allâmes au parloir à onze heures ; et à midi on vint nous dire qu’on avait servi. La table offrait un joli coup d’œil. Les convives étant douze, deux tiers étaient au-delà de la grille parce que les religieuses, comptant la pensionnaire, étaient huit, et nous n’étions que quatre ; la grille nous séparait ; mais dans sa continuation la table ne paraissait qu’une. J’étais assis à côté de M. M. ; mais en pure perte, car il y avait entre nous jusqu’à la hauteur d’appui de la fenêtre le mur, et au-dessus il y avait la grille. À ma gauche j’avais la Desarmoises, qui seule amusa toutes les religieuses par des contes plaisants. Ceux qui nous servaient dehors étaient Costa, et Le-duc, et les religieuses dedans [128v] étaient servies par leurs converses. L’abondance des mets, les bouteilles, les discours firent durer ce repas trois heures ; nous étions tous gris ; et sans la grille j’aurais pu facilement m’emparer de toutes les onze femelles qui étaient là, et qui ne raisonnaient plus. La Desarmoises était devenue si folle, que si je ne l’avais pas tenue en frein elle aurait scandaliséaa toutes les nonnes. Il me tardait de l’avoir vis-à-vis de moi en pleine liberté pour l’obliger à éteindre le feu qu’elle avait impunément allumé dans mon âme du commencement jusqu’à la fin de ce repas unique dans son espèce.

Nous passâmes après le café dans un autre parloir, où nous restâmes jusqu’à l’entrée de la nuit. Madame Morin prit congé de sa nièce, et la guerre de remerciements entre les nonnes et moi dura un quart d’heure. Après avoir dit en public à M. M. qu’avant mon départ j’aurais encore l’honneur de la voir, nous retournâmes chez nous très contents de cette partie de plaisir, dont je jouis encore toutes les fois que je me la rappelle.

Mad. Morin me laissa une lettre pour Mad. Varnier sa cousine14, et je lui ai donné parole de lui écrire de Paris en détail tout ce que je pourrais découvrir qui regarderait sa nièce. Elle partit à huit heures du matin précédée par mon Espagnol que j’ai chargé d’aller faire mes compliments à toute la famille du concierge. Je suis allé dîner chez le voluptueux Magnan, où j’ai trouvé tout délicieux. Je lui ai promis d’aller loger chez lui toutes les fois que je passerais par Chambéri, et je lui ai tenu parole.

Sortant de la maison de Magnan je suis allé faire une visite à M. M., qui vint d’abord à la grille toute seule.

Après s’être déclarée reconnaissante de la visite que je lui avais faite, et à la façon, dont je m’étais pris pour la lui faire avec un tel éclat sous l’ombre de sa tante, elle me dit que j’étais allé troubler sa tranquillité.

— Je suis prêt, ma chère amie, à escalader le jardin plus lestement que ton fatal ami.

— Hélas ! Crois-moi que tu as déjà des espions. On est sûr ici que nous nous connûmes à Aix. Oublions tout, mon cher ami, pour nous épargner le tourment de vains désirs.

— Donne-moi ta main.

— Non c’est fini. Je t’aime encore ; mais il me tarde de te savoir parti. Tu me donneras par ton départ une véritable marque de ta tendresse.

— Tu m’étonnes. Tu parais jouir d’une santé parfaite ; tu me sembles devenue plus belle ; je sais que tu es faite pour l’amour. Je ne comprends pas comment tu puisses vivre contente dans une continuelle abstinence.

— Hélas ! quand on ne peut pas faire tout de bon on badine. Je ne te cacherai pas que j’aime ma jeune pensionnaire. C’est un amour fait pour nourrir ma tranquillité : c’est une passion innocente : ses caresses suffisent à assouvir un feu qui me conduirait à la mort si je ne diminuais sa force par des badinages.

— Et ta conscience n’en souffre pas.

— Je n’en suis pas inquiète.

— Mais tu sais que tu pèches.

— Aussi je m’en confesse.

— Et que dit le confesseur ?

— Rien. Il m’absout ; et je suis heureuse.

— Et la petite pensionnaire se confesse aussi.

— Sûrement ; mais elle ne s’avise pas de dire au confesseur ce qu’elle ne croit pas un péché.

— Je m’étonne que le confesseur même ne l’ait pas instruite, car celui d’instruire est un grand plaisir15.

— Notre confesseur est un sage vieillard.

— Je partirai donc sans avoir reçu de toi au moins un baiser ?

— Rien.

— Puis-je [129v] venir demain ? Je partirai après-demain.

— Viens ; mais je ne descendrai pas seule, car on pourrait s’imaginer quelque chose. Je viendrai avec ma petite. Pour lors on ne pourra rien dire : tu viendras après dîner ; mais dans l’autre parloir.

Si je n’avais pas connuab M. M. à Aix sa religion m’aurait surpris ; mais tel était son caractère. Elle aimait Dieu, et elle ne croyait pas qu’il manquerait de miséricorde parce qu’elle n’avait pas la force de dompter la nature. Je suis retourné à l’auberge fâché qu’elle ne voulût plus de moi ; mais sûr que la Desarmoises me dédommagerait.

Je l’ai trouvée assise sur le lit de sonac amant, que la diète, et la fièvre avaient rendu extrêmement faible ; elle me dit qu’elle viendrait souper dans ma chambre pour laisser le malade tranquille, et le malade me serra la main voulant par là me témoigner sa reconnaissance.

Ayant fait chez Magnan trop bonne chère, je n’ai mangé que très peu ; mais la Desarmoises, qui n’avait pas dîné, mangea, et but avec un appétit dévorant. Elle jouissait de mon étonnement. Après que mes domestiques me quittèrent, je l’ai défiée à me tenir tête au punch, qui la mit dansad cette espèce de gaieté, qui ne demande qu’à rire, et qui rit de se trouver entièrement destituée de force, et d’usage de raison. Je ne peux cependant pas dire d’avoir abusé de son ivresse, car dans toute la volupté de son âme elle alla au-devant de toutes les jouissances auxquelles je l’ai excitée jusqu’à deux heures du matin que n’en pouvant plus tous les deux nous séparâmes16.

Après avoir dormi jusqu’à onze heures je suis allé la voir dans sa chambre où je l’ai trouvée fraîche comme une rose. Quand je lui ai demandé à quelle heure elle voulait dîner, elle me répondit avec des grâces enchanteresses qu’elle aimait mieux ménager son appétit pour le souper. Son amant me dit d’un air poli, et tranquille qu’il était impossible de lui tenir tête :

— À boire, lui dis-je.

— À boire, me répondit-il, et à autre chose aussi.

Elle rit, et elle alla l’embrasser.

Ce court dialogue m’a convaincu que la Desarmoises devait adorer ce garçon, car outre qu’il était fort joli, c’était le caractère d’homme qu’il lui fallait. Je suis allé dîner tout seul. Le-duc arriva de Grenoble dans le moment que j’allais voir M. M.. Il me dit que les filles du concierge l’avaient obligé à différer son départ pour m’écrire ; et il me présenta trois lettres, et trois douzaines de gants, dont elles me faisaient présent. Ces lettres ne contenaient que des fortes instances pour me déterminer à aller passer un mois chez elles. Je n’étais pas assez hardi pour retourner dans cette ville-là, où avec la réputation que je m’étais faite, j’aurais dû tirer l’horoscope de toutes les filles ou devenir le plus impoli des hommes leur refusant cette satisfaction.

Après avoir fait avertir M. M. je suis entré dans le parloir qu’elle m’avait indiqué, et un moment après je l’ai vue devant moi avec la pensionnaire objet de sa tendresse. Elle n’avait pas encore accompliae sa douzième année, et elle portait sur sa figure le caractère de la douceur alliée à la finesse : brune, grande, bien faite, et serrée en cors17 elle montrait toute sa poitrine, enchantée que ceux qui la voyaient ne pussent juger qu’elle en fût vaine puisqu’elle ne laissait voir que la place de ce que l’amour pouvait y désirer. Il était facile de deviner comment tout le reste de sa personne qu’on ne voyait pas était fait, et son intéressante figure ne pouvait manquer de faire juger de tout à son plus grand avantage. Je lui ai d’abord dit qu’elle était très jolie, et qu’elleaf était faite pour rendre heureux l’homme que Dieu lui avait destiné [130v] pour époux. Je savais que ce compliment devait la faire rougir. C’est cruel ; mais c’est par là que le langage de la séduction commence. Une fille du même âge qui ne rougirait pas serait imbécile, ou entièrement endoctrinée, et experte dans tous les exploits du libertinage. Malgré cela laag source de la rougeur qui éclate sur un jeune visage à l’approche d’une idée alarmante est un sujet de problème. Elle peut être pudicité18, elle peut être honte, et elle peut être un mélange de l’un, et de l’autre. C’est un combat entre la vertu, et le vice, dans lequel ordinairement la vertu succombe ; les satellites du vice l’écrasent : ce sont les désirs. Connaissant la pensionnaire par ce que M. M. m’avait dit, je ne pouvais pas ignorer d’où sa rougeur procédait.

Faisant semblant de ne l’avoir pas vue rougir, j’ai adressé pour un moment le discours à M. M. ; puis je suis retourné à l’assaut. Elle avait déjà repris contenance.

— Quel âge avez-vous charmante enfant ?

— Treize ans.

— Tu te trompes, mon cœur, lui dit M. M.. Tu n’as pas encore accompliah ta douzième.

— Le temps viendra, lui dis-je, qu’au lieu d’augmenter votre âge, vous le diminuerez.

— Je ne mentirai jamais ; et j’en suis bien sûre.

— Vous voulez donc vous faire religieuse ?

— Je n’ai pas encore cette vocation ; mais rien ne m’obligera à mentir même vivant dans le monde.

— Vous commencerez à mentir d’abord que vous aurez un amant.

— Mon amant donc mentira aussi ?

— N’en doutez pas.

— Si la choseai était ainsi, l’amouraj serait donc une vilaine chose ; mais je ne le crois pas ; car j’aime ma bonne amie, et je ne lui déguise jamais la vérité.

— Mais vous n’aimerez pas un homme, comme vous [131r] aimez une femme.

— Tout de même.

— Non car vous ne couchez pas avec elle, et vous coucheriez avec votre amant.

— C’est égal. Mon amour serait le même.

— Comment ! Vous ne coucheriez pas plus volontiers avec moi qu’avec M. M. ?

— Non en vérité, car vous êtes un homme, et vous me verriez.

— Vous savez donc d’être laide.

Elle se tourna alors à M. M. avec son joli visage tout enflammé lui demandant si elle était bien laide. Elle lui répondit se pâmant de rire qu’elle était au contraire très jolie, et elle la prit entre ses genoux. Je lui ai dit que son cors la serrait trop, car il était impossible qu’elle eût la taille si fine. Elle me répondit que son cors la serrait si peu que ma main pourrait y passer dessous. Je lui ai dit que je n’en croyais rien, et pour lors elle tourna en flanc19 près de la grille sa chère pensionnaire, et elle me dit d’allonger le bras ; et en même temps elle troussa sa robe. J’y ai mis ma main, et j’ai trouvé que M. M. avait raison, mais maudissant la chemise, et la grille qui empêchait mon bras d’aller plus en avant.akJe crois, dis-je à M. M., sans retirer ma main, que c’est un petit homme. Oserais-je m’en convaincre ?

Mais en même temps que je demandais cette permission, ma main travailla si bien sans attendre qu’on me l’accordât que jeal me suis convaincu, et très convaincu non seulement que la pensionnaire était une charmante pouponne, mais que M. M. également qu’elle avait plaisir que j’en fusse curieux. La petite se retira donnant un baiser à sa bonne amie, dont l’air riant la rassura qu’elle n’avait pas commis une grande faute se laissant ainsi parcourir ; mais de mon côté la surprise m’avait rendu presque stupide. La petite nous demanda la permission de s’absenter [131v] pour un moment. Je devais en avoir été la cause.

— Sais-tu bien, dis-je à M. M., que l’éclaircissement que tu m’as procuré me rend malheureux ?

— Pourquoi ?

— Parce qu’ayant trouvéam ta pensionnaire charmante, je meurs d’envie de la dévorer.

— J’en suis fâchée, car tu ne pourrais pas faire plus de20 ce que tu as fait ; mais quand même cela serait possible, je ne te l’abandonnerais pas, car tu me la gâterais.

— Donne-moi ta main.

— Point du tout. Je ne veux pas voir.

— Mais tu n’en veux pas à ma main, ni à mes yeux.

— Au contraire. Si tu as eu du plaisir j’en suis bien aise : et si tu lui as donné des désirs elle m’aimera davantage.

— Que ne pouvons-nous être tous les trois ensemble en pleine liberté !

— Cela n’est pas possible.

— Es-tu sûre que personne ne nous a vus ?

— Très sûre.

— La hauteur d’appui de cette grille m’a dérobé bien desan charmes.

— Pourquoi ne t’es-tu pas placé à l’autre ? Elle est plus basse.

— Allons-y.

— Non ; car je ne saurais inventer une raison.

— Je viendrai demain, et je partirai pour Lyon à l’entrée de la nuit.

La petite revint, et je me suis mis debout devant elle. J’avais aux chaînes de mes montres une quantité de breloques, et je n’avais pas eu le temps de me remettre parfaitement bien en état de décence. Elle s’en aperçut d’abord ; et mes breloques fournirent un très plausible prétexte à sa curiosité.

— Vous avez là bien de jolies choses, me dit-elle. Puis-je voir ?

— Tant qu’il vous plaira, et y toucher aussi.

M. M. pour lors prévoyant ce qui allait arriver nous dit qu’elle allait revenir. J’ai fait perdre dans un instant à la trop curieuse pensionnaire tout l’intérêt qu’elle pouvait prendre aux breloques. Elle ne dissimula pas sa merveille, ni le plaisir qu’elle ressentait à satisfaire sa curiosité sur un objet tout à fait nouveau dont elle se voyait maîtresse d’examiner toutes les parties. Elle suspendit ses recherches à la surprise que lui causa une éruption, dont je lui ai ménagé avec le plus grand plaisir l’agréable spectacle.

Voyant M. M. qui revenait à pas lents, j’ai vite baisséao la toile, et je me suis assis. Mes montres étant encore sur la hauteur d’appui, elle demanda à la petite si elle avait trouvéap les breloques jolies, elle lui répondit qu’oui ; mais tristement. Elle venait de faire en moins de deux heures un si long voyage qu’elle avait raison d’y faire des réflexions. J’ai passé le reste de la journée à conter à M. M. toute l’histoire de mon voyage à Grenoble, à Marseille, à Gênes, à Rome, et à Naples, lui promettant d’aller le lendemain à la même heure pour la lui finir. La petite me dit qu’elle était curieuse de savoir comment j’avais fini avec la maîtresse du duc de Matalone.

De retour à l’auberge, j’ai soupé avec la Desarmoises, et après lui avoir renduaq mes devoirs en amoureux, je suis allé me coucher l’assurant que ce n’était que pour elle que je différais encore mon départ. Le lendemain après avoir dîné avec elle je suis allé auar parloir. Après avoir faitas appeler M. M. je suis allé me mettre à la grille qui avait la hauteur d’appui basse.

Elle vint seule ; mais elle me dit d’abord que la petite ne tarderait pas.

— Hier, me dit-elle, tu lui as mis l’âme en feu ; elle m’a dit tout, et elle fit cent folies m’appelant toujours son mari. Tu l’as séduite, et je suis charmée que tu partes, car je crois qu’elle deviendrait folle. Tu verras comme elle s’est mise.

— Tu es sûre de sa discrétion ?

— Très sûre. Je te prie seulement de ne lui rien faire à ma présence. Quand je verrai le moment je m’en irai.

] La voilà toute gaie avec une robe ouverte par-devant, et une jupe qui ne lui arrivait qu’à la moitié des jambes. À peine assise, elle me rappelle l’endroit où j’avais laissé D. Leonilda au lit, et je poursuis jusqu’à la fin quand sa mère étant entre mes bras me la fit voir toute nue. M. M. alors sortit, et la petite me demanda viteat comment j’avais fait pour m’assurer que ma fille était pucelle. Allongeant alors mon bras, et introduisant ma main dans l’ouverture de sa jupe, je lui ai fait sentir comment j’avais fait jouissant de son émotion qu’elle ne se souciait pas de me cacher. Elle me donna alors sa main pour que je m’en servisse pour la même fonction ; mais M. M. revenait. N’importe, me dit la petite, je lui ai dit tout : elle est bonne ; elle ne dira rien.

J’ai poursuivi mon histoire, et quand enfin je suis venu à l’endroit, où je leur ai faitau la description de la charmante barrée, et de toutes les peines que je me suis données en vain pour la satisfaire, la petite devint curieuse au point que pour que je pusse l’instruire parfaitement elle s’offrit à mes yeux dans la plus charmante de toutes les postures. M. M. se sauva me voyant debout, et dans le moment que j’allais lui manquer de parole ; mais la pensionnaire me dit de me mettre à genoux sur la hauteur d’appui, et de la laisser faire. Je l’ai obéie devinant tout. Il lui vint envie de me manger, et elle se flatta peut-être de parvenir à m’avaler ; mais l’excès du plaisir qu’elle réveilla dans mon âme me distilla le cœur. Elle ne me quitta que quand elle fut convaincue de ma défaillance. Je me suis assis, et par sentiment de reconnaissance j’ai colléav mes lèvres sur la bouche délicieuse qui avait sucé la quintessence de monawâme, et de mon cœur.

J’ai quittéax ces anges vers la fin du jour21 prenant congé, et leur promettant de les revoir dans l’année suivante.

De retour à l’auberge, j’ai pris congé du blessé, que j’ai prié en vain de disposer de ma bourse ; il m’assura qu’il n’avait pas besoin d’argent. Je lui ai promis d’obliger Desarmoises à se désister de toute poursuite si jamais il retournait à Lyon, et je lui ai tenuay ma parole. Sa future vint souper avec moi, et à rire jusqu’à minuit qu’elle me quitta pour me laisser dormir jusqu’à la pointe du jour que22 j’avais ordonné les chevaux.

Je suis arrivé le lendemain à Lyon allant me loger au parc23, et faisant d’abord avertir Desarmoises. Je lui ai dit, sans lui rien déguiser, que les charmes de sa fille m’avaient séduit, que son futur était un très aimable garçon, et qu’il devait consentir à son mariage pour toutes les raisons, malgré qu’il n’eût aucun besoin de son consentement. Il fit tout ce que j’ai voulu quand je lui ai dit que je ne pouvais poursuivre à être son ami qu’à cette condition. Il me fit une écriture signée par deux témoins que j’ai envoyée par un exprès à Chambéri au blessé dans le même jour.

Desarmoises voulut me donner à dîner avec sa femme, et sa fille cadette dans sa pauvre maison. Cette fille n’avait aucun charme, et sa femme me fit pitié.

Étant obligé d’aller à Paris, je lui ai donné l’argent qu’il lui fallait pour aller m’attendre à Strasbourg [133v] avec mon valet de chambre espagnol. M. de Rochebaron était à la campagne. J’ai cru de bien faire ne conduisant avec moi que Costa, et j’ai mal fait. J’ai pris la route du Bourbonnais, et je suis arrivé à Paris le troisième jour allant me loger à l’hôtel du S.t Esprit, rue S.t Esprit24.

Ayant besoin d’aller me coucher, j’ai d’abord écrit un billet à Madame d’Urfé, le lui envoyant par Costa. Je lui promettais d’aller dîner le lendemain avec elle. Costa était assez joli garçon ; mais parlant fort mal français, et étant un peu bête, j’étais sûr que madame d’Urfé le prendrait pour un être extraordinaire. Elle me répondit qu’elle m’attendait avec la plus grande impatience.

— Dites-moi, dis-je à Costa, comment cette dame vous a reçu, et comment elle a lu mon billet.

— Elle m’a regardé à travers d’un miroir, prononçant des mots que je n’ai pas pu comprendre : puis elle fit un parfum25 faisant trois fois le tour de la chambre. Elle me regarda ensuite attentivement, et après un sourire elle me dit poliment d’attendre dehors sa réponse.

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