Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre X

Les filles du concierge. Les horoscopes

Mademoiselle Roman.

Je ne me suis arrêté à Chambéri que pour changer de chevaux, et suis arrivé à Grenoble où ayant intention de m’arrêter huit jours, et me voyant mal logé je n’ai pas fait délier mes malles. J’ai trouvéa à la poste toutes les lettres que j’attendais entre lesquelles une de madame d’Urfé, qui en contenait une autre adressée à un officier Lorrain nommé baron de Valenglar1. Elle me disait qu’il était savant, et qu’il me présenterait à toutes les bonnes maisons de la ville.

Je vais d’abord trouver cet officier,b qui après la lecture de la lettrec s’offre à mon service en tout ce qui dépendait de lui. C’était un aimable homme d’un certain âge, qui quinze ans avant ce temps-là avait été ami de madame d’Urfé, et beaucoup plus de la princesse de Toudeville sa fille2. Je l’ai prié de me trouver un bon gîte, car à l’auberge j’étais fort mal. Après y avoir un peu pensé, il me dit qu’il pouvait me faire loger dans une maison magnifique hors de la ville3, où je verrais l’Isère.d Le concierge était cuisinier, et pour avoir l’avantage de me faire la cuisine, il me logerait pour rien, car la maison étant à vendre il espérait de trouver celui qui en deviendrait amoureux, et l’achèterait. Elle appartenait à la veuve de je ne me souviens pas quel président. Nous allons la voir ; je prends un appartement de trois pièces, je lui ordonne à souper pour deux l’avertissant que [150v] j’étais friand, gourmet, et point du tout avare. Je prie en même temps M. de Valenglar de vouloir bien souper avec moi. Le concierge me dit que si je ne me trouverais pas content je le lui dirais : il a d’abord envoyé à l’auberge un homme avec mon billet, où j’ordonnais à Le-duc de passer à mon nouveau logement avec tout mon bagage : ainsi me voilà bien logé. Je vois rez-de-chaussée trois charmantes filles, et la femme du concierge qui me font la révérence. M. de Valenglard me mène au concert me disant qu’il me présenterait à tout le monde. Je l’ai prié de ne me présenter à personne me réservant à lui dire, quand j’aurais vue les dames, quelles seraient celles qui m’inspireraient le désir de les connaître.

La seule qui me frappa dans toute la grande compagnie fut une jeune, et grande demoiselle à l’air modeste, brune, très bien faite, et mise très simplement. Cette fille très intéressante, après avoir glisséf ses beaux yeux sur moi une seule fois, s’obstina à ne plus me regarder. Ma vanité me fit d’abord penser que ce n’était que pour me laisser en pleine liberté d’examiner la régularité de sa beauté. Ce fut sur cette fille que j’ai jeté dans l’instant un dévolu, comme si toute l’Europe ne fût que le sérail destiné à mes plaisirs. J’ai dit à Valenglar que je voudrais faire connaissance avec elle : il me répondit qu’elle était sage, qu’elle ne recevait personne, et qu’elle était fort pauvre.

— Ces trois qualités augmentent mon envie.

— Je vous assure qu’il n’y a rien à faire.

— C’est ce que je désire.

— Sortant du concert je vous présenterai à sa tante que voilà.

Après m’avoir fait cet honneur il vint souper avec moi. Ce concierge cuisinier me parut le pendant de Le-bel. Il me fit [151r] servir à table par ses deux filles qui étaient jolies comme des cœurs, et j’ai vu Valenglard enchanté de me voir content ; mais je l’ai vu fâché quand il vit en cinq fois quinze entrées.

— Cet homme, me dit-il, se moque de vous, et de moi.

— Cet homme, lui répondis-je, a deviné mon goût. N’avez-vous pas trouvé tout excellent ?

— C’est vrai. Mais….

— Ne craignez rien. J’aime la dépense.

— Excusez donc. Je désire que vous soyez content.

Il nous donna des vins exquis, et au dessert du ratafiat4 supérieur au visnat des Turcs que j’avais bu chez Josouf Ali dix-sept ans avant ce temps-là5. Quand il monta à la fin du souper, je lui ai dit en présence de ses filles qu’il méritait d’être le premier cuisinier de Louis XV.

— Faites toujours comme cela, et même mieux si vous le pouvez ; mais faites que j’aie la carte6 toujours le lendemain matin.

— C’est juste.

— Je vous prie aussi de me donner toujours des glaces, et de mettre sur ma table deux flambeaux de plus. Je vois là des chandelles7, si je ne me trompe, et je ne veux pas en voir. Je suis vénitien.

— C’est la faute, monsieur, de votre valet de chambre, qui se disant malade, s’est mis au lit ; maisg après avoir bien soupé.

— Il est malade imaginaire.

— Il a prié ma femme de vous faire demain matin du chocolat qu’il lui a donné ; mais je le battrai moi-même8.

Valenglard étonné, et tout content me dit qu’apparemment Madame d’Urfé s’était moquéeh de lui lui recommandant mon économie. Nous restâmes à table jusqu’à onze heures causant, et vidant une bouteille de la divine liqueur de Grenoble. Elle est composée d’eau-de-vie, de sucre, de cerises et de cannelle. Je l’ai remercié le conduisant jusqu’à ma voiture qui le ramena chez lui ; je l’ai prié d’être soir, et matin mon commensal, et il me le promit excepté les jours qu’il serait de garde. Je lui ai [151v] donné en soupant ma lettre de change sur Zappata9 que j’ai endosséei à sa présence avec le nom de Seingalt sous lequel madame d’Urfé m’annonçait. Il m’assura qu’il me la ferait escompter le lendemain ; et il m’a tenu parole. Un banquier me porta à neuf heures quatre cents louis. J’en avais treize cents dans ma cassette10. J’avais toujours peur d’épargner. Je ressentais le plus grand plaisir songeant que Valenglard écrirait tout ce qu’il avait vu et entendu à l’avare madame d’Urfé qui avait la rage de me prêcher toujours l’économie. J’ai ri rentrant dans mon appartement quand j’ai vu les deux filles du concierge.

Le-duc n’a pas attendu que je lui dise qu’il devait trouver un prétextej pour se dispenser de me servir. Il savait que quand dans les maisons où je logeais il y avait des jolies filles, je ne le voyais pas avec plaisir à ma présence.

Voyant ces deux filles, qui avaient l’apparence d’être très honnêtes, empressées à me servir avec l’air de la plus grande confiance,k le caprice me vint de les convaincre que je la méritais. Elles me déchaussèrent, elles me coiffèrent de nuit, et elles me passèrent en tout honneur la chemise. Quand je fus couché, je leur ai dit de m’enfermer, et de me porter mon chocolat à huit heures.

Je ne pouvais pas m’empêcher de descendre en moi-même pour me trouver heureux. Parfaite santé à la fleur de mon âge, sans nul devoir, sans avoir besoin de prévoir, pourvu de beaucoup d’or, ne dépendant de personne, heureux au jeu, et favorablement accueilli des femmes qui m’intéressaient, je n’avais pas tort de me dire saute marquis11.

Je me suis endormi pensant à la demoiselle qui m’avait frappé si fort au concert. Certain de faire connaissance avec elle j’étais curieux de voir ce qui en arriverait. Elle était sage, et pauvre, et moi sage, et riche : elle ne devait donc pas mépriser mon amitié.

Le lendemain à huit heures, je vois ma porte s’ouvrir, et une des deux filles du concierge qui me porte mon chocolat me disant que Le-duc avait eu la fièvre, et que sa cousine allait lui porter un bouillon à son lit. Je trouve mon chocolat très bien fait, je lui demande son nom, elle me répond qu’elle s’appelait Rose, et sa sœur Manon, et la voilà avec ma chemise qu’elle avait repassée. Je la remercie, et lui dis qu’elle ne devaitl s’incommoder que pour me repasser les chemises à dentelle. La gentille Manon me dit en rougissant qu’elle coiffait son père, et Rose me dit en riant qu’elle le rasait : ainsi, leur répondis-je, vous aurez toutes les deux la même bonté pour moi jusqu’à la guérison de Le-duc.

Curieux de me voir rasé par cette fille, je me lève à la hâte, tandis qu’elle va chercher de l’eau chaude. Manon arrange sur ma toilette poudre, pommade, et tout ce qu’il lui fallait. Rose revient, et après s’être acquittée à merveille, je lui offre mes étrennes lui présentant ma figure rasée, et lavée dans le moment ; elle ne pouvait pas être plus propre. Elle ne me comprend pas : je lui dis d’un ton sérieux quoique doux qu’elle me mortifierait, si elle refusait de m’embrasser. Elle s’excuse avec un fin sourire,m me disant que ce n’était pas la mode à Grenoble : j’insiste : je lui dis qu’elle ne me rasera plus ; son père entre avec la carte, il entend la question, il dit que c’était la mode à Paris, qu’elle l’embrassait aussi après l’avoir rasé, et qu’elle devait être avec moi aussi polie qu’elle l’était avec lui. Elle m’embrassa alors avec un air de soumission qui fit rire Manon. Ton tour viendra, lui dit-il, après que tu auras accommodén ses cheveux.

C’était le vrai moyen de neo me faire rien rabattre de son compte ; mais cela ne lui aurait pas été nécessaire, car je l’ai trouvé honnête, et ne lui ayant rien rabattu je l’ai vu partir très content. Je lui ai assigné un prix fixe pour l’avenir ne voulant pas avoir l’embarras d’examiner un compte tous les jours.

Manon me coiffa aussi bien que map feue gouvernante, dont [152v] je me souvenais toujours avec plaisir, et m’embrassa après se montrant moins gênéeq que sa sœur. J’ai très bien auguré de toutes les deux. Elles descendirent quand elles virent le banquier qui s’annonça me disant qu’il me portait quatre cents louis.

Ce banquier qui était un jeune homme, me dit, après m’avoir comptér la somme, que m’étant logé dans cette maison, je devais me trouver heureux.

— Certainement, lui répondis-je, car ces deux sœurs sont charmantes.

— Et leur cousine est encore plus jolie. Elles sont sages.

— Et je les crois aussi à leur aise.

— Leur père a deux mille livres de rente12 : elles deviendront femmes de marchands ; et elles seront maîtresses de choisir.

Après son départ, je descends curieux de voir la cousine. Je vois le concierge : je lui demande où était la chambre de Le-duc, et il me montre la porte. J’entre ; et je le vois au lit en robe de chambre, un livre à la main, et avec une face qui ne ressemblait pas à celle d’un malade.

— Qu’as-tu donc ?

— Je m’en donne13. Je suis devenu malade hier d’abord que j’ai vu ces trois princesses qui valent bien la gouvernante de Soleure, qui n’a pas voulu que je l’embrasse. On me fait cependant un peu trop attendre un bouillon.

— Monsieur Le-duc, tu es un faquin.

— Voulez-vous que je guérisse ?

— Je veux voir cette comédie finie, car elle m’ennuie.

Je vois arriver le bouillon porté par la cousine. Je trouve que le banquier avait raison. Je remarque que servant Le-duc elle avait un air de maîtresse, tandis que mon Espagnol n’avait l’air que de ce qu’il était.

— Je dînerai dans mon lit, lui dit-il.

— Vous serez servi.

Elle s’en va.

— Elle fait la princesse, me dit-il ; mais elle ne m’en impose pas. Vous la trouvez jolie, n’est-ce pas ?

— Je te trouve insolent. Tu fais le singe ; et tu me déplais. Lève-toi, et viens me servir à table. Après tu mangeras seul, et on te respectera ; mais tu ne logeras plus dans cette chambre. Le concierge te dira où tu trouveras ton lit.

Rencontrant cette cousine en sortant, je lui dis que j’étais jaloux de l’honneur qu’elle faisait à mon valet, et qu’ainsi je la priais de ne plus s’en donner la peine. Après cela j’ai dit au concierge de le faire coucher dans un cabinet où je pusse le sonner la nuit si j’avais besoin de lui. Je suis allé écrire jusqu’à l’arrivée de Valenglar.

Je l’ai reçu l’embrassant, et le remerciant de m’avoir logé comme je le désirais. Il me dit qu’il venait de faire une visite à la dame à laquelle il m’avait présenté. Elle était femme d’un avocat qui s’appelait Morin14, et tante de la demoiselle qui m’avait intéressé ; qu’il le lui avait dit, et qu’elle lui avait promiss de l’envoyer chercher, et de la faire rester avec elle toute la journée.

Après avoir fait excellente chère, nous allâmes chez madame Morin qui me reçut avec l’aisance parisienne. Elle était mère de sept enfants qu’elle me présenta. Sa fille aînée qui avait douze ans, et qui n’était ni jolie, ni laide, me parut en avoir quatorze, et je le lui ai dit. Elle alla alors chercher un petit livre dans lequel elle me fit lire l’année, le jour, l’heure, et la minute de sa naissance. Voyant cette exactitude, je lui demande, si on en avait tiré l’horoscope : elle me répond qu’elle n’avait trouvé personne capable de lui faire ce plaisir. Je lui réplique qu’il était toujours temps ; et Dieu a voulu que je lui ajoute que ce serait moi qui le lui feraist.

Dans cet instant, M. Morin entre, elle me le présente, et après les politesses d’usage, elle retourne sur le propos de l’Horoscope. Cet homme me dit sensément que l’astrologie judiciaire15 est une science sinon fausse, du moins très suspecte, qu’il y avait donné dedans quelque temps ; mais qu’à la fin il l’avait quittée se contentant des vérités non douteuses que lui apprenait l’astronomieu. Valenglar qui croyait à l’astrologie lui livre combat ; et en attendant je copie le moment de la naissance de mademoiselle Morin. Son père sourit baissant la tête, et je vois sa pensée ; mais je suis bien loin de me dédire. Je m’étais déterminé ce jour-là à devenir astrologue.

Mais voilà la belle demoiselle qui entre, et sa tante qui me la présente par le nom de Roman-Coupier fille de sa sœur16. Elle [153v] l’informe tout de suite de l’ardent désir de la connaître qu’elle m’avait inspiré au concert. Elle ne répond qu’en rougissant, me faisant une belle révérence, et baissant des yeux noirs dont je ne me souvenais pas d’avoir vu les plus beaux. Elle avait l’âge de dix-sept ans17, la peau très blanche, lesv cheveux noirs avec très peu de poudre, la taille avantageuse, les dents superbes, et sur sa bouche le gracieux rire de la modestie alliée à la complaisance.

Après plusieurs propos de société M. Morin étant allé à ses affaires on me proposa un quadrille où on trouva mon malheur incroyable ayant perdu un louis18. J’ai trouvé dans mademoiselle Roman un esprit sage, sans fard, sans brillant, et sans aucune prétention ; une gaieté toujours égale, et une adresse admirable à faire semblant de ne pas entendre dans la repartie un compliment trop flatteur ou un bon mot qu’elle n’aurait pu relever que se montrant instruite de cew qu’elle devait faire semblant d’ignorer. Habillée très proprement, elle n’avait sur elle rien de ce superflu qui indique une certaine aisance, point de boucles d’oreilles, point de bague, point de montre : elle n’avait au cou qu’un ruban noir d’où pendait une petite croix d’or. Sans cela je ne me serais pas permis de regarder sa belle gorge qui n’excédait en rien, et que la mode, et l’éducation l’avaient habituée à en laisser voir un tiers avec la même innocence qu’elle laissait voir à tout le monde ses joues où les roses se mêlaient aux lis. Examinant son maintien pour deviner si je pouvais espérer je n’y ai pu rien comprendre : elle ne fit aucun mouvement, elle ne me donna aucune réponse faite pour me donner la moindre espérance ; mais elle ne me donna non plus jamais le moindre motif de désespérer.xUne petite démarche m’a cependant fait un peu espérer. Pendant le souper sous le prétexte d’accommoder sa serviette, je lui ai serréy la cuisse sans avoir trouvé sur sa figure rien qui pût indiquer qu’elle désapprouvait la liberté que j’avais prisez. J’ai prié toute la compagnie à venir le lendemain dîner et souper chez moi, avertissant madame Morin que je ne sortirais pas, et qu’ainsi elle pourrait se servir de ma voiture qui serait à sa porte pour attendre sa commodité. Après avoir mis Valenglar chez lui, je suis allé à mon logis faisant des châteaux en Espagne sur la conquête de mademoiselle Roman.

J’ai d’abord averti le concierge que le lendemain nous serions six à dîner, et à souper. Le-duc me mit au lit me disant que pour le punir je m’étais puni, et me demandant s’il me coifferait. Je lui ai dit qu’il pouvait aller se promener par Grenoble ne se rendant à la maison qu’à l’heure de servir à table.

— J’irai prendre la v…..

— Je te ferai guérir à l’hôpital.

Hardi, insolent, malin, libertin ; mais obéissant, secret, et fidèle, je devais le souffrir. Le lendemain, Rose, venant me porter mon chocolat, me dit en riant que mon valet de chambre avait envoyé chercher une voiture, et un valet de louage, et qu’après s’être habillé en seigneur, l’épée à côté, il était allé, comme il l’avait dit lui-même, faire des visites. Nous avons ri. Une minute après entra Manon. J’ai d’abord vu que ces filles s’étaient donné le mot pour ne jamais se trouver tête-à-tête avec moi l’une sans l’autre. Je n’aimais pas cela. Deux ou trois minutes aprèsaa m’être levé, je vois entrer la cousine avec un paquet sous le bras.

— Je suis bien charmé de vous voir, ma belle demoiselle, et de vous voir riante, car hier vous me parûtes trop sérieuse.

— C’est que mons19 Le-duc est apparemment plus grand seigneur que vous, et vous sentez que je ne devais pas oser rire ; mais vous m’auriez vu rire il y a une demi-heure quand je l’ai vu tout doré monter en voiture.

— Vous a-t-il vue rire ?

— S’il n’a pas été aveugle.

— Il sera piqué.

— J’en suis bien aise. [154v]

— Vous êtes charmante. Qu’avez-vous dans ce paquet ?

— Des plats de notre métier20. Voyez. Ce sont des gants faits, et brodés par nous pour hommes, et pour femmes.

— Je les trouve beaux. Combien coûte donc toute cette marchandise ?

— Marchandez-vous ?

— Toujours.

— C’est bon à savoir.

Après avoir un peu parlé entr’elles, la cousine prend la plume, compte les douzaines, marque les différents prix, puis elle additionne, et elle me dit que tout cela coûtait deux cent dix livres. Je lui donne neuf louis, et je lui dis de me rendre quatre livres21.

— Vous m’avez dit que vous marchandez.

— Vous avez eu tort de le croire.

Elle rougit, et elle me donna les quatre livres. Après m’être fait raser par Rose, elles reçurent sans façon mes étrennes, et la cousine qui fut la dernière me fit sentir sa langue humectée de nectar. J’ai vu qu’elle serait bonne à la première occasion. Rose me demanda si elles oseraient venir servir à table.

— Je vous en prie.

— Mais nous voudrions savoir à qui vous donnez à dîner, car si c’est à des officiers de la garnison, ils sont presque tous si libertins que nous n’oserions.

Je leur ai alors dit que c’était à madame Morin, et à mademoiselle Roman, et elles en furent enchantées. La cousine me dit qu’il n’y avait pas à Grenoble une fille ni plus jolie ni plus sage de22 mademoiselle Roman, mais qu’elle trouverait difficilement un mari parce qu’elle n’avait rien : je lui ai répondu qu’elle trouverait un homme riche qui évaluerait à un million sa beauté, et sa sagesse. Après m’avoir coiffé Manon partit avec sa cousine, et Rose étant restée pour m’habiller je l’ai un tant soit peu attaquée ; mais s’étant trop bien défendue je lui ai demandé excuse l’assurant que cela n’arriverait plus. Quand je fus habillé, je me suis enfermé pour tirer l’horoscope que j’avais promis à madame Morin. J’ai rempli facilement huit pages de la savante charlatanerie. M’étant particulièrement appliqué à dire ce qui devait être arrivé à sa fille jusqu’à l’âge qu’elle avait alors, et ayant dit vrai, on n’a pas douté de mes prédictions. Je ne risquais rien, car elles étaient toutes étayées par des si. Les si firent toujours toute la science des astrologues tous fous, ou fripons. Relisant cet horoscope, et le trouvant éblouissant je ne m’en suis pas étonné. Étant savant dans la cabale, je devais l’être aussi dans l’astrologie.

À midi, et demi toute la compagnie arriva, et à une heure nous nous mîmes à table. J’ai connu que le concierge était un homme, dont il fallait plutôt diminuer le courage que tâcher de le lui augmenter. Madame Morin fut très gracieuse avec les trois filles qu’elle connaissait très bien, et Le-duc se tint toujours derrière sa chaise très attentif à la servir, vêtu avec un habit qui était plus beau que le mien. À la fin du dîner, mademoiselle Roman m’ayant fait compliment sur les trois beautés que j’avais à mon service dans cette jolie maison, j’ai parlé de leur talent, et étant allé prendre les gants que j’avais achetésab, quand je les ai vu loués, je me suis si bien pris qu’elle en a acceptéac une douzaine, encouragée par sa tante, et sa cousine qui me firent le même honneur. Après cela j’ai donné à Madame Morin l’horoscope de sa fille que son mari lut. Malgré qu’il n’y crût pas, il dut l’admirer, car tout était analogue à l’influence des planètes qui faisaient l’état du ciel dans la minute de la naissance de la fille. Après avoir passéad deux heures parlant d’astrologie, et deux autres à jouer au quadrille, nous allâmes nous promener au jardin où on eut la politesse de me laisser causer en toute liberté avec la belle Roman. Tous les propos que je lui ai tenus ne roulèrent que sur la passion qu’elle m’avait inspirée, sur sa beauté, sur sa sagesse, sur la pureté de mes intentions, et sur la nécessité [155v] que j’avais d’être aimé pour ne pas rester malheureux tout le reste de mes jours. Elle me répondit que si Dieu lui avait destiné un mari, elle se croirait heureuse s’il me ressemblait : j’ai collé mes lèvres sur sa main, et tout en flamme je lui ai dit que j’espérais qu’elle ne me ferait pas languir. Elle se tourna alors cherchant des yeux sa tante. L’air devenant obscur, elle craignait ce qui pouvait fort bien lui arriver.

Nous remontâmes dans l’appartement, où pour les amuser je leur ai fait une petite banque de Pharaon. Madame Morin donna de l’argent aux deux demoiselles qui n’avaient pas le sou, et Valenglard fit si bien leur jeu que quand j’ai fini de tailler pour aller souper j’ai eu le plaisir de voir que chacun avait gagné.

Nous restâmes à table jusqu’à minuit. Le vent qui venait des alpes étant trop fort, je n’ai pas osé insister sur une promenade au jardin. Madame Morin partit m’accablant de remerciements, et j’ai embrassé ; mais avec toute la décence.

Entendant chanter dans la cuisine, j’entre, et je vois que c’était Le-ducae ivre à ne pas pouvoir se tenir debout. Quand il me voit il s’avance pour me demander pardon, et il tombe, puis il vomit. On le porta au lit. J’ai cru cet accident favorable à l’envie que j’avais de rire ; et cela aurait pu être si les filles ne fussent venues toutes ensemble. Ce qui est bon une fois ne vaut rien une autre. Le caractère de ces filles était tel que je n’aurais jamais pu les avoir qu’une à la fois toujours à l’insu des deux autres. Je ne devais pas m’exposer à manquer une attaque qui ensuite m’aurait fait perdre l’espoir de les avoir une à une. Je voyais Rose qui ouvertement jalouse de la cousine espionnait mes regards. Quand je fus au lit je les ai remerciées, et elles s’en allèrent.

Le lendemain Rose entra seule, me demandant un bâton de chocolat, et me disant que Le-duc était malade tout de bon. Elle me porte ma cassette, et lui donnant le bâton de chocolat je lui prends la main, et je lui fais sentir que je l’aimais ; elle joue l’insultée, et elle s’en va. Manon vient à mon lit me montrant une manchette que j’avais déchirée, et me demandant si je voulais qu’elle l’accommodât. Je lui prends la main en biaisant, et quand elle voit que je veux la lui baiser elle la retire, elle se baisse, et elle me laisse prendre le baiser que je voyais sur ses lèvres entrouvertes : je reprends vite sa main, et la chose était déjà entamée lorsque la cousine entre. Manon retire sa main, et tenant la manchette a l’air d’attendre ma réponse. Je lui dis d’un air distrait, et faisant semblant de ne pas voir la cousine qu’elle me ferait plaisir à l’accommoder quand elle en aurait le temps, et elle s’en va.

Poussé à bout par ces deux contretemps, je pense que la cousine ne me fera pas faux bond, car j’en avais reçu des arrhes la veille. Je lui demande un mouchoir, elle me le donne, elle ne me dispute pas le baiser, et elle m’abandonne sa main, et cela allait être fait, si Rose n’était pas arrivée avec mon chocolat. Rien ne fut plus facile à la cousine, et à moi que reprendre bonne contenance dans l’instant ; mais ce troisième contretemps me mit en fureur. J’aurais volontiers tué Rose ; mais j’ai dû dissimuler : je boudai, mais j’en avais le droit en conséquence de la façon dont elle m’avait rebuté un quart d’heure auparavant. Le chocolat me parut mal fait : ce n’était pas vrai ; mais je le lui ai dit. Je me suis levé, je n’ai pas voulu qu’elle me rase ; mais j’ai laissé que Manon me coiffe : les deux autres descendirent faisant semblant de faire cause commune ; mais Rose en voulait à la cousine plus encore qu’à Manon. Dans ce moment voilà Valenglard.

Cet homme qui avait beaucoup d’honneur, et de bon sens, malgré qu’il donnât dans les sciences abstraites, me dit en dînant qu’il me trouvait un peu triste, et que si cela dérivait de quelqu’idée que je pusse avoir conçue sur la jeune Roman, il me conseillait à ne pas y penser, à moins que je ne me déterminasse à la demander pour ma femme. Je lui ai répondu que je partirai dans peu de jours. Nous la trouvâmes chez sa tante.

] Elle me reçoit avec l’air d’une amitié23 qui me flatte, et m’encourage à l’embrasser la faisant asseoir sur mon genou. Sa tante rit, elle rougit un peu, et elle me donne un petit papier, puis elle se sauve. J’y lis l’an, le jour, l’heure, et la minute de sa naissance ; j’entends tout. Sa fuite de mes bras voulait dire que je ne pouvais espérer quelques faveurs qu’en lui tirant l’horoscope. Pensant à en tirer parti, je lui dis que je lui dirais, si je pouvais lui faire ce plaisir ou non, le jour suivant chez moi, et la nuit pour y danser. Elle regarde sa tante, et ma proposition est acceptée.

On annonce le Russe. Je vois un homme de mon âge, très bien fait, vêtu de voyage, et un peu grêle24. Il se présente bien, madame Morin lui fait gracieux accueil, il parle bien,af il est tristement riant, il me regarde à peine, et il ne dit jamais le mot à mademoiselle Roman. Vers le soir, M. Morin arrive, et le Russe lui donne une fiole remplie d’une eau blanche ; puis il veut partir ; mais on le retient à souper.

On parle à table de son eau prodigieuse. M. Morin me dit qu’en trois minutes il avait fait disparaître une contusion au front à un jeune homme frappé par une bille sautée25 qu’on croyait lui avoir cassé l’os. M. le Russe n’avait fait que le frotter avec son eau. Il dit modestement que c’était une bagatelle de sa composition, et il parla beaucoup chimie avec Valenglar. Je ne me suis occupé que de ma belle, l’espoir de l’avoir le lendemain m’ayant ôté l’appétit. Reconduisant Valenglar à son quartier, il me dit que personne ne connaissait ce Russe, et que malgré cela on le recevait dans toutes les maisons.

— A-t-il un équipage ?

— Rien : ni domestique, ni argent, il est ici depuis quinze jours ; mais il ne demande rien à personne. À l’auberge on lui fait crédit : on suppose qu’il attend de quelque part ses domestiques, et son équipage.

— Il serait plus facile de le supposer vagabond.

— Il n’en a pas l’air comme vous avez vu, [157r] et encore, il a des boucles de pierres fines26. On les voit.

— On peut se tromper. Il les vendrait.

De retour chez moi, ce fut Rose toute seule qui vint me coiffer de nuit, mais poursuivant à bouder. Je l’ai excitée à devenir gaie, mais la trouvant résistante je lui ai dit de me laisser dormir, et de dire à son père que je voulais donner un bal dans la nuit suivante dans la salle rez-de-chaussée attenante au jardin, et un souper pour dix-huit à vingt personnes. Le lendemain matin, je lui ai confirmé l’ordre lui disant que je désirais que ses filles dansassent.

Dans le moment qu’il descendait avec Rose, Manon entra, et vint à mon lit pour savoir quelles dentelles je voulais ; mais ce ne fut qu’un prétexte : je l’ai trouvée douce comme un mouton, et amoureuse comme un pigeon, et nous finîmes ; mais un moment plus tard Rose nous aurait surpris. Elle entra avec Le-duc, qui vint me demander la permission de danser me promettant d’être sage, Rose faisant caution pour lui. J’y ai consenti, lui disant qu’il devait remercier mademoiselle Rose.

J’ai reçu un billet de madame Morin qui me demandait, si elle pouvaitag inviter à mon bal deux dames de sa connaissance avec leurs filles, et je lui ai répondu qu’elle me ferait plaisir engageant aussi des hommes ayant ordonné une table de vingt couverts.

Elle vint dîner avec sa nièce, et Valenglard, sa fille ayant à faire une longue toilette, et son mari ayant des affaires jusqu’à la nuit : ainsi nous ne fûmes que quatre à dîner ; mais elle m’assura que j’aurai nombreuse compagnie à souper.

La Roman avait la même robe, et était coiffée comme tous les jours ; mais elle n’aurait jamais pu me paraître plus belle. Debout, devant moi assis, appuyant ses genoux contre les miens, elle me demanda si j’avais pensé à son horoscope. Je lui ai [157v] répondu la prenant par une main, et la faisant tomber assise sur moi, qu’elle l’aurait le surlendemain. Dans cette position j’ai baisé dix fois la charmante bouche de cet être céleste dont j’étais né pour faire la destinée ; mais elle ne l’ouvrit que pour me prier de modérer mon feu. Elle était plus étonnée qu’effrayée de me voir tremblant ; mais se défendant de moi elle ne quitta jamais la sérénité de son front, elle ne détourna jamais son visage, elle ne détacha jamais ses yeux des miens. Me rendant à sa prière, je suis devenu calme, et elle ne bougea pas. J’ai vu sortir de ses yeux l’air de satisfaction que donne une victoire remportée par un ennemi généreux qui rend les armes au vaincu lui disant : Sers-t’en encore contre moi, si tu en as le courage. Mon silence applaudissait la vertu de la noble Roman.

Madame Morin vint s’asseoir sur mon autre genou pour me demander quelqu’explication sur l’horoscope de sa fille. Elle me dit que pour s’assurer que j’aurais à mon bal quatre beautés, elle n’avait eu besoin d’écrire que deux billets.

— Je n’en aurai qu’une, me suis-je écrié, regardant sa nièce.

— Dieu sait, dit Valenglar, ce que tout Grenoble spéculera demain sur ce bal.

— On dira, dit la Morin à sa nièce, qu’on a été à tes noces.

— Oui. On parlera de ma magnifique robe, de mes dentelles, et de mes diamants.

— De votre beauté, lui dis-je d’un air sérieux, de votre esprit, et de votre sagesse, qui feront le bonheur de l’homme qui vous possédera.

On se tut, parce qu’on crut que je parlais de moi. Si j’avais su comment m’y prendre, je lui aurais bien offert cinq cents louis ; mais la difficulté aurait consisté dans l’arrangement du contrat, car je n’aurais pas voulu les donner pour bagatelle.

Nous entrâmes dans ma chambre à coucher, et tandis que la Roman s’amusait à considérer les beaux bijoux que j’avais sur ma toilette, sa tante, et Valenglard examinaient les brochures que j’avais sur ma table de nuit. Je vois la dame qui s’approche [158r] de la fenêtre attentive à regarder quelque chose qu’elle tenait entre ses mains. Je me souviens d’avoir laissé là le portrait de M. M. Je cours vers elle, et je la supplie de me rendre ce portrait indécent. Elle me répond que l’indécence n’était rien ; mais que ce qui l’avait surprise était une ressemblance.

Je vois tout ; et je frémis de mon indiscrétion involontaire.

— Madame, lui dis-je, c’est le portrait d’une Vénitienne que j’ai aimée il y a sept ans.

— Je le crois ; mais c’est fort. Ces deux Me, ces dépouilles27 de la religion sacrifiées à l’amour tout concourt à augmenter ma surprise.

— Elle est religieuse, et elle s’appelle M. M.

— Et une nièce à la mode de Bretagne28 que j’ai à Chambéri s’appelle aussi M. M., et est religieuse du même ordre que la vôtre. Je vous dirai davantage. Elle a été à Aix, d’où vous venez, pour guérir d’une maladie.

— Je ne sais rien de tout cela.

— Si vous retournez à Chambéri, allez lui faire une visite de ma part, et votre surprise sera égale à la mienne.

— Madame, je vous promets d’y aller à mon retour d’Italie ; mais je ne lui ferai pas voir ce portrait que je vais d’abord enfermer.

— Ne le faites voir à personne, je vous prie.

À huit heures tous les invités arrivèrent, et j’ai vu chez moi tout ce qu’il y avait à Grenoble de plus joli en femmes, et de plus galant en hommes. La seule chose qui me gêna un peu furent les compliments dont on n’est pas chiche dans toutes les provinces de France.

J’ai ouvert le bal avec la dame que Valenglard m’a indiquée, et chacune à son tour j’ai dansé avec toutes ; mais avec la seule Roman les contredanses, qui précisément parce qu’elle était mise avec la plus grande simplicité brillait plus que toutes les autres.

Après une forte contredanse je monte à ma chambre pour me mettre un habit plus léger, et une minute après je vois la [158v] cousine qui me demande si j’avais besoin de quelque chose.

— Vous a-t-on vueah entrer ici ?

— Non, car je viens de là-haut. Mes cousines sont à la salle.

— Ma chère amie, vous êtes belle comme un astre, et voilà le moment où je dois vous prouver que je vous adore.

— Que faites-vous ? Non, non : quelqu’un peut venir. Éteignez la bougie.

Je l’éteins, et tout plein de la Roman, elle me trouve tel que je me serais trouvé avec elle ; mais je n’avais pas besoin d’illusion, car elle était charmante. Je n’aurais peut-être pas trouvéai la Roman si vive. Elle me pria de l’épargner, et ce fut dit dans le moment qu’il fallait le dire : je voulais recommencer ; mais elle eut peur, et elle s’en alla. J’ai rallumé ma bougie, et après m’être habillé je suis descendu.

Nous avons dansé jusqu’au moment que le roi des concierges vint me dire qu’on avait servi.

J’ai vu un ambigu composé de tout ce qu’il y avait de plus délicat, et qui couvrait toute la table ; mais ce qui plut à l’excès principalement aux dames fut la quantité de bougies. La compagnie étant de trente, je ne me suis pas mis à table, mais à une autre moins grande, où les vétérans s’assirent avec moi avec plaisir. Ils me firent tous les plus grandes instances de passer dans leur ville l’automne ; et je suis sûr qu’ils m’auraient fêté, car la noblesse de cette ville est accomplie. Je leur ai dit que si je pouvais m’arrêter je serais enchanté de connaître la famille d’un homme illustre qui avait été grand ami de mon père.

— Quelle est donc cette famille ? me demandèrent-ils tous à la fois.

— Bouchenu de Valbonnais29.

— C’était mon oncle. Hélas monsieur ! Venez chez nous. Vous avez dansé avec ma fille. Dites-moi de grâce, comment s’appelait monsieur votre père.

Cette fable que j’ai inventée sur-le-champ parut un coup de théâtre, et me fit devenir une merveille. Nous nous levâmes [159r] tous à la fois, et nous allâmes recommencer le bal.

Après une contredanse voyant madame Morin, sa nièce et Valenglard aller dehors pour prendre le frais, je suis sorti aussi, et nous promenant au clair de lune j’ai introduit la Roman sous une allée couverte ; mais les séduisants discours que je lui ai tenus furent tous vains. La tenant serrée entre mes bras transporté du plus ardent amour, elle ne put pas se dérober à la fougue de mes baisers, mais sa belle bouche ne m’en rendit pas un seul, et ses belles mains plus fortes que les miennes mirent toujours des obstacles à mes entreprises. Étant arrivé par un dernier effort, et par surprise à deux ou trois pouces de ce que je désirais, elle me pétrifia me disant avec un ton angélique : Ah ! Monsieur ! Soyez mon ami, et ne me perdez pas. Je lui ai demandé pardon à genoux,aj nous rejoignîmes sa tante ; et nous retournâmes à la salle ; mais j’étais en fureur.

Je vais m’asseoir dans un coin, je vois Rose, et je la prie de me porter une limonade. Elle me reproche, après me l’avoir portée, que je n’avais dansé ni avec elle, ni avec sa sœur, ni avec sa cousine. Je lui réponds que j’étais fatigué ; mais que si elle me promettait d’être bonne je danserais un menuet seulement avec elle.

— Que faut-il que je fasse ? me répondit-elle.

— Que vous alliez m’attendre sans lumière dans ma chambre à coucher, quand votre sœur, et votre cousine seront occupées à la contredanse.

— Et vous ne danserez après qu’avec moi.

— Je vous en donne ma parole.

— Je vous attendrai.

J’y fus : je l’ai trouvée amoureuse, etak je me suis senti satisfait. J’ai attendu à danser le menuet avec elle, lorsque je fus certain qu’on n’en danserait plus, car honnêtement je n’aurais jamais pu me dispenser de danser aussi avec les deux autres.

À la pointe du jour, les dames commencèrent à s’en aller sans [159v] façon. Mettant la Morin, et sa nièce dans la voiture, je leur ai dit que je ne les verrais pas dans la journée ; mais que si elles voulaient venir passer chez moi tout le lendemain, je leur donnerais l’horoscope qu’elles désiraient tant.

Je suis allé à l’office pour remercier le brave concierge de m’avoir fait briller, et j’ai vu là ses trois filles qui remplissaient leurs poches de sucreries : il leur dit plaisamment qu’en présence du maître elles pouvaient voler en bonne conscience. Je lui ai dit que je dînerais à six heures, et je suis allé me coucher.

Mais n’ayant dormi que jusqu’à midi, j’ai travaillé sans sortir de mon lit à l’horoscope. Je me suis déterminé à lui prédire que sa fortune l’attendait à Paris, où elle deviendrait maîtresse de son maître ; mais elle devait y aller sans perdre temps, puisque si elle laissait passer sa dix-huitième année sans aller où le monarque pourrait la voir, sa destinée prendrait une autre route. Pour donner à ma prédiction tout le crédit qui lui était nécessaire, jeal disais des choses étonnantes sur ce qui lui était arrivé jusqu’à l’âge de dix-sept ans qu’elle avait alors. Je les avais apprises à bâtons rompusam d’elle-même, ou de sa tante faisant semblant de ne pas y faire attention. Moyennant un livre d’éphémérides que j’avais30, et un autre qui ne traitait que d’astrologie, j’ai fait, et copié en net en moins de six heures l’horoscope de cette fille fait pour étonner Morin, et Valenglar, et pour rendre fanatiques les femmes. J’espérais de me voir prié de conduire moi-même à Paris le beau joyau, et je me sentais tout prêt à m’en charger : je me flattais qu’on me trouverait nécessaire au manège, et que, sinon l’amour, la reconnaissance au moins m’accorderait tout ce que je désirais : il me semblait même d’entrevoir ma grande fortune qui par contrecoup pouvait dépendre de mon entreprise. Le monarque devait en devenir amoureux à peine l’aurait-il vue ; je n’en doutais pas. Quel est d’ailleurs l’homme amoureux qui ne s’imagine que l’objet qu’il aime doit plaire à tout le monde ? Dans ce moment-là j’en étais jaloux ; mais me connaissant je savais que je cesserais de l’être peu de temps après que j’aurais joui de mon trésor. Je savais que Louis XV sur cet article ne pensait pas tout à fait comme un Turc. Ce qui donnait à ma diatribe prophétique une apparence divine était la prédiction d’un fils qui devait faire le bonheur de la France, et qui ne pouvait sortir que du sang royal, et d’un vase d’élection, qui cependant n’aurait rien produit si les combinaisons humaines ne le faisaient pas aller à la capitale31.

L’idée de devenir célèbre en astrologie dans mon siècle où la raison l’avait si bien décriée me comblait de joie. Je jouissais me prévoyant recherché par des monarques, et devenu inaccessible dans ma vieillesse. Si la Roman fût accouchée d’une fille, j’en aurais ri tout de même. Mon horoscope ne devait être connu que d’elle, et de sa famille, qui devait être très jalouse de ce secret. Après avoir achevé, lu, et relu mon petit chef-d’œuvre, j’ai très bien dîné avec mes trois demoiselles sans vouloir sortir de mon lit. Étant également gracieux avec chacune je n’ai pu que leur plaire, et d’ailleurs j’avais besoin de relâche. J’étais sûr qu’elles devaient être également contentes, et point jalouses, caran chacune devait se croire la favorite.

Le lendemain à neuf heures j’ai vu Valenglar, qui me dit que personne ne me croyait amoureux de la Roman ; mais bien des trois filles du concierge. Il me demanda s’il pouvait écrire tout à madame d’Urfé ; et je lui ai dit qu’il me ferait plaisir.

La tante, et la nièce vinrent avec M. Morin à midi, et nous passâmes l’heure avant dîner à lire l’horoscope. Il m’est difficile d’écrire l’espèce différente des quatre surprises. La Roman très sérieuse, qui écoutait, et qui ne sachant pas d’avoir une volonté ne savait que dire. M. Morin qui me regardant de temps en temps, et me [160v] trouvant sérieux n’osait pas rire. Valenglard qui laissait voir peint sur sa physionomie le fanatisme ; et la Morin qui à la fin de la lecture se mit à raisonner. Sans se laisser étonner par la prédiction, elle trouva que sa nièce avait plus de droit que la Maintenon à devenir femme, ou maîtresse du roi. Celle-ci, disait-elle, n’aurait jamais été rien, si elle n’était allée en France quittant l’Amérique32, et si ma nièce n’ira pas à Paris l’horoscope ne pourra pas être convaincu de mensonger. Il s’agit donc d’y aller ; mais comment faire ? Ce voyage confine avec l’impossible33. La prédiction de la naissance d’un garçon est toute divine, et je n’en sais rien ; mais elle a plus de titres pour devenir chère au roi que la Maintenon : ma nièce est jeune, et sage, l’autre était sur son retour, et elle avait été galante. Mais ce voyage ira en fumée. Valenglard dit d’un air grave que ce voyage se fera, car le destin devait s’accomplir, et M. Morin dit qu’Astra influunt non cogunt [Les astres influent, ils ne forcent pas]34. La demoiselle était ébahie ; et je les laissais parler. Nous nous mîmes à table.

Nous retombâmes sur le même propos au dessert :

— Selon l’horoscope, reprit madame Morin, le roi doit devenir amoureux de ma nièce dans sa dix-huitième année : elle y est actuellement35. Comment s’y prendre ? Où sont cent louis, dont il faut disposer pour le moins dans un tel voyage ? Et, arrivant à Paris, ira-t-elle dire au roi me voilà sire ? Et avec qui ira-t-elle ? Pas avec moi.

— Avec ma tante Roman, dit la demoiselle, rougissant jusqu’aux oreilles d’une risée indiscrète que personne ne put retenir.

— Cela cependant, reprit madame Morin, pourrait arriver très naturellement, car madame Varnier, qui demeure dans la rue de Richelieu au-dessus du café de Foi, est ta tante36. Elle tient une bonne maison, et elle connaît tout Paris.

— Voyez-vous, dit Valenglard, les chemins de la destinée ? Vous parlez de cent louis. Il ne vous en faut que douze pour aller faire une visite à madame Varnier, qui logera mademoiselle ; et quand elle sera là, laissez faire le reste aux combinaisons.

— Si vous allez à Paris, dis-je à la Roman, il ne faut parler de l’horoscope ni à votre tante d’ici ni à madame Varnier.

— Je n’en parlerai à personne ; mais croyez-moi que tout ceci n’est qu’un joli rêve. Je ne verrai jamais Paris, et encore moins Louis XV.

— Attendez un moment.

Je vais prendre un rouleau cacheté où j’avais cinquante doblones da ocho37, qui faisaient plus que cent cinquante louis, et je le porte à la Roman lui disant que c’étaient des bonbons. Elle trouve le rouleau trop pesant, elle le décachette, et elle voit les cinquante belles médailles qu’elle ne croyait pas monnaies. Valenglard lui dit qu’elles étaient d’or, et M. Morin ajoute que l’orfèvre lui en donnerait cent cinquante louis. Je la prie de les garder, et de me faire un billet de la même somme payable à Paris quand elle serait riche. Elle me rendit le rouleau me témoignant sa reconnaissance. J’étais sûr qu’elle le refuserait ; mais j’ai admiré la force avec laquelle elle retint ses larmes sans cependant déranger le riant de sa physionomie.

Nous allâmes au jardin, où le propos de l’horoscope se renouvelant entre madame Morin, et Valenglard, je me suis séparé d’eux tenant la demoiselle par la main.

— Dites-moi je vous prie, me dit-elle, si tout ceci n’est pas un badinage.

— C’est sérieux ; mais tout dépend d’un si : si vous n’allez pas à Paris tout ceci n’aboutit à rien.

— Vous devez le croire, car sans cela vous n’auriez pas voulu me donner les cinquante médailles.

— Ne croyez pas cela. Acceptez-les en secret dans l’instant.

— Je vous remercie ; mais pourquoi me donneriez-vous une si grosse somme ?

— Espérant que vous meao souffririez amoureux.

— Si vous m’aimez, pourquoi m’opposerai-je ? Vous n’avez pas besoin d’acheter mon consentement. Je vous suis même reconnaissante. Je réfléchis que pour faire mon bonheur il ne me faut pas un roi de France. Si vous saviez à quoi se bornent mes désirs.

— Dites. À quoi ?

— À avoir un mari doux, et assez riche pour qu’il ne me manque rien du nécessaire.

— Et si vous ne l’aimiez pas ?

— Honnête, et doux, comment pourrai-je [161v] ne pas l’aimer ?

— Je vois que vous ne connaissez pas l’amour.

— C’est vrai. Je ne connais pas cet amour qui fait tourner la tête, et j’en remercie Dieu.

— Vous avez raison. Dieu vous en préserve.

— Vous prétendez que, seulement à me voir, le roi perdra la tête : et c’est cela, à vous dire vrai, que je trouve chimérique, car il se peut bien qu’il ne me trouve pas laide, mais je ne crois pas à cet excès.

— Vous ne le croyez pas ? Asseyons-nous. Imaginez-vous que le roi vous rende la même justice que je vous rends. L’affaire serait faite.

— Que trouvez-vous dans moi que vous ne trouviez dans plusieurs filles de mon âge ? Il se peut cependant que je vous aie frappé ; mais cela prouve que j’étais née pour faire ce coup sur vous, et non pas sur le roi. Qu’allez-vous chercher le roi de France, si vous m’aimez vous-même ?

— Je ne peux pas vous rendre heureuse comme vous le méritez.

— Ce que vous dites est contre l’apparence.

— Vous ne m’aimez pas.

— Je serais sûre de vous aimer uniquement étant votre femme. Je vous rendrais alors ce baiser que vous venez de me donner, et que mon devoir m’empêche de vous rendre à présent.

— Que je vous sais gré de ce que vous n’êtes pas fâchée du plaisir que je ressens quand je me trouve près de vous !

— Au contraire : je suis bien aise de vous plaire.

— Permettez que j’aille vous voir chez vous demain de très bonne heure, et que je prenne du café avec vous assis près de vous sur votre lit.

— Ah ! Je vous prie de ne pas y penser. Je dors avec ma tante, et je me lève toujours avant elle. Ah ! Je vous en prie. Retirez cette main. Eh bien ! De grâce. Au nom de Dieu finissez.

Hélas ! Je n’ai fini qu’en obéissant. Mais ce qui me rendait heureux en imagination c’était qu’à mon écart elle avait conservé la même douceur, et le même air riant qui caractérisait toujours sa figure. L’air que j’avais était celui d’un homme qui demandait, et méritait pardon ; et elle avait celui qui me disait qu’elle était fâchée de ne pas pouvoir me permettre ce que je désirais. Je suis allé dans ma chambre, où j’ai trouvé Manon qui débâtissait des manchettes, et qui dans une minute me désaltéra, puis se sauva. Je réfléchissais que je n’obtiendrais jamais de la Roman plus de ce que j’avais obtenu, et qu’il était inutile de tenter d’avoir davantage à moins que je ne voulusse entamer des négociations auxquelles l’horoscope s’opposait.

Étant redescendu au jardin, j’ai prié madame Morin de se promener un peu avec moi. Ce que j’ai dit à cette honnête femme pour la persuader à recevoir de moi cent louis pour faire faire ce voyage à sa nièce, est incroyable. Je lui ai juré que personne n’en saurait jamais rien ; mais toute mon éloquence fut inutile. Elle me dit que s’il ne tenait qu’à ce voyage, la destinée de sa nièce pourrait s’accomplir, car elle avait déjà pensé au moyen de le lui faire faire, si son mari y consentait. Elle me rendit d’ailleurs les grâces les plus sincères, et elle appela sa nièce heureuse de m’avoir tant plu. Je lui ai répondu qu’elle me plaisait tant que je partais le lendemain, car la proposition que j’étais tenté de lui faire détruirait la grande fortune que le destin lui promettait.

— Je croirais de me rendre heureux vous la demandant en mariage.

— Son bonheur serait peut-être plus solide. Expliquez-vous.

— Je n’ose pas faire la guerre au destin.

— Mais vous ne partirez pas demain ?

— Oui38 madame. Je passerai chez vous à deux heures pour prendre congé.

L’annonce de mon départ rendit notre souper un peu triste. Madame Morin, qui vit peut-être encore, était une femme d’un excellent caractère. Elle décida à table que puisque mon départ était certain, et que je ne sortirais que pour aller chez elle, l’honneur que je voulais lui faire devenait une cérémonie qui m’incommoderait, et que le congé serait pris dans le moment. Je lui ai dit que j’aurais au moins [162v] l’honneur de la conduire après souper jusqu’à sa porte. Et cela fut ainsi. Valenglard alla à pied, et mademoiselle Roman s’assit sur mes genoux. Je fus téméraire ; et elle fut bonne au point que je me suis repenti d’avoir pris congé ; mais c’était fait. Une voiture renversée à la porte d’un auberge obligea mon cocher à s’arrêter un demi quart d’heure. J’étais bien loin de jurer comme lui à cause de cet accident. Désirant de voir sur la physionomie de l’ange si je pouvais distinguer quelqu’indice de mon bonheur, je les ai conduites jusqu’à leur appartement, et sans la moindre fatuité de ma part, j’ai vu la tristesse de l’amour. J’ai embrassé madame Morin en sœur Mops39, et elle eut la complaisance d’initier dans l’instant sa nièce, qui enfin me donna très voluptueusement le baiser qu’elle a toujours cru devoir me refuser. Je suis retourné chez moi plein d’amour ; mais désespéré, et fâché quand j’ai vu dans ma chambre les trois filles. Il ne m’en fallait qu’une.

Rose me coiffant de nuit entendit tout bas ma requête ; mais elle me dit que couchant toutes les trois dans la même chambre il lui était impossible de s’évader. Je prends alors le parti de leur dire que je partais le lendemain, et que je leur donnerais six louis d’étrennes à chacune, si elles voulaient dormir toutes les trois dans ma chambre. Après avoir beaucoup ri de cette proposition, elles me dirent très paisiblement que la chose était impossible. Cela m’a convaincu que l’une ne savait rien de l’autre ; mais qu’il y avait entr’elles une jalousie déclarée. J’ai passéap la nuit tout seulaq tenant entre les bras de mon âme l’adorable Roman jusqu’à mon réveil.

J’ai sonné un peu tard. Celle qui entra fut la cousine me disant que Rose la suivait avec mon chocolat, et m’annonçant en même temps M. Charles Ivanoff, qui désirait de me parler. J’ai d’abord deviné que c’était le Russe ; mais personne ne me l’ayantar présenté, j’ai vu que je pouvais me dispenser de le recevoir. — Dites à ce monsieur que je ne connais pas ce nom.

Elle va, et elle rentre un moment après pour me dire que je le connaissais pour avoir soupé avec lui chez Mad. Morin.asMe croyant alors obligé à le recevoir, je le fais entrer.

— Je voudrais avoir l’honneur, me dit-il, de vous dire un mot tête-à-tête.

— Je ne peux pas, monsieur,at ordonner à ces demoiselles de sortir de ma chambre. Ayez donc la bonté d’attendre là dehors que je sorte du lit, et je viendrai recevoir vos ordres.

— Si je vous incommode, je retournerai demain.

— Je pars ce soir.

— Dans ce cas je vais vous attendre.

Je me couvre à la hâte de ma robe de chambre, et je vais l’entendre. Il me dit qu’il devait partir, et que n’ayant pas d’argent pour payer l’hôte il venait implorer mon secours ; et qu’il n’osait recourir à personne de la ville parce que sa naissance ne lui permettait pas de s’exposer à l’affront d’un refus.

— Vous vous exposez cependant à un refus dans ce moment, et certainement je suis incapable de vous affronter40.

— Si vous saviez qui je suis, je suis sûr que vousau ne me refuseriez pas un petit secours.

— Si vous en êtes sûr, dites-le moi : ne doutez pas de ma discrétion.

— Je suis Charles second fils d’Ivan duc de Courlande qui vit dans l’exil en Sibérie41. Je me suis sauvé.

— À Gênes,av lui répondis-je vous ne vous trouverez plus dans le besoin ; car le frère de la duchesseaw votre mère ne peut pasax vous abandonner.

— Il est mort en Silésie.

— Depuis quand ?

— Il y a deux ans je crois.

— On vous a trompé. Je l’ai vu à Stutgard il y a six mois. C’est le baron Treiden.

Je vois clairement l’imposteur, et je me sens fâché qu’il ait jeté un dévolu sur moi : je me sens déterminé à ne pas vouloir être sa dupe : sans cela je lui aurais donné six louis, car j’aurais eu tort [163v] d’être l’ennemi déclaré des aventuriers, qui du plus au moins sont tous imposteurs.

Je donne un coup d’œil à ses boucles qu’on croyait fines, et je vois clairement qu’elles étaient de pierres étamées qu’on faisait à Venise, et qui contrefaisaient merveilleusement les diamants roses42.

— On m’a dit que vos boucles sont de diamants.

— C’est vrai.

— Pourquoi ne les vendez-vous pas ?

— J’ai promis à ma mère de ne jamais m’en priver.

— Ces boucles, monsieur, vous font du tort, car vous pourriez les porter dans votre poche. Je vous dirai que je ne les crois pas fines, et que le mensonge m’indispose.

— Monsieur je ne mens pas.

— À la bonne heure. Prouvez-moi qu’elles sont fines, et je vous fais présent de six louis. Vous aurez d’ailleurs le plaisir de me convaincre que je me trompe. Adieu monsieur.

Il vit Valenglard qui montait l’escalier, et il me pria de ne lui rien dire de notre conversation. Je lui ai promis de n’en parler à personne.

Valenglard venait me souhaiter un bon voyage avant d’aller à Roman43 avec M. de Monteinard. Il me fit les plus grandes instances d’entretenir avec lui un commerce épistolaire, et je le lui ai promis le remerciant même, car le sort de la Roman m’intéressait au suprême degré. Il m’embrassa versant des larmes.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer