Mémoire de Casanova partie 2

Chapitre VII

Château ancien. Clémentine. Lodi. Déclaration réciproque d’amour sans en craindre les suites

aLe château seigneurial de la petite ville de S. A.1 était vaste, avait au moins huit siècles d’antiquité, et nulle forme d’architecture, car on n’y voyait ni dehors, ni dedans aucune régularité. Des grandes chambres toutes dans un étage, et des petites rez-de-chaussée, et au grenier. Les gros murs étaient pleins de crevasses, les escaliers de pierre manquaient par-ci par-là de degrés2, le pavé des chambres était de briques, et ondoyait, les fenêtres étaient ouvertes parce qu’elles manquaient de vitres, et aucune n’avait des volets ; les plafonds de poutres étaient remplis de nids d’oiseaux de plusieurs espèces nocturnes, et hospitaliers.

Dans ce palais gothique, monument de l’ancienne noblesse des comtes A. B., dont ils faisaient plus de cas qu’ils n’auraient fait d’un très beau de Milan qu’ils auraient acheté avec leur argent ; il y avait pourtant à trois de ses coins quatre ou cinq chambres qui se suivaient. C’étaient les appartements des seigneurs. Mon cher comte avait, outre le frère marié, qui demeurait toujours là, un autre frère aussi qui servait en Espagne dans les gardes Wallonnes3. Ce fut l’appartement de ce frère absent qu’on me donna. Mais parlons de la réception qu’on me fit.

Le comte Ambroise, car on l’appelait par son nom de baptême4, me reçut à la porte du château, porte qu’on n’aurait pas pu fermer, car il en manquait la moitié. D’un ton noble, le bonnet à la main, figure décente, et négligée, âgé à peu [72v] près de quarante ans, il me dit que son frère avait eu tort de m’engager à aller voir leurs misères, que je ne trouverais chez eux aucune commodité de la vie ; mais en revanche le cœur milanais. C’est une phrase qu’ils ont toujours à la bouche ; et ils ont raison. Les Milanais sont généralement bons, et honnêtes : par la franchise de leur caractère ils semblent condamner les Piémontais, et les Génois qu’ils ont à égale distance aux deux lisières opposées de leur beau pays.

Le comte Ambroise me présenta à la comtesse son épouse5, et à ses deux sœurs6, dont une était une beauté des plus fines à l’air spirituel, quoiqu’un peu embarrassé. L’autre n’était ni belle, ni laide. La comtesse portait sur une physionomie fort douce un maintien de dignité, et un caractère de candeur : il n’y avait que deux ans que le comte l’avait épousée à Lodi sa patrie. Elles étaient toutes les trois fort jeunes, très nobles ; mais sans fortune. Le comte me dit vers la fin du dîner qu’il l’avait épousée faisant plus de cas de ses mœurs que de sa naissance, qu’elle faisait son bonheur, et que malgré qu’elle ne lui eût rien porté, il lui semblait qu’elle l’avait enrichi, car elle lui avait appris à regarder comme superflu tout ce qu’il n’avait pas.

La comtesse alors, enchantée de l’éloge que son mari venait de lui faire, prit toute riante entre ses bras un joli enfant de six mois7 qu’une vieille femme lui a présenté, et suspendit son manger pour se délacer, et pour mettre entre les lèvres du poupon un tétin qui marquait le centre d’un sein fait au tour8 blanc comme la neige. C’est le privilège de toute femme qui allaite. Elle a appris, sans qu’on le lui dise, que de ce côté-là elle est dispensée de toute pudeur. Sa poitrine [73r] devenue sacrée source de vie n’est censée pouvoir réveiller dans les spectateurs autre sentiment que celui du respect.

Le dîner que le comte Ambroise nous donna aurait été excellent sans les ragoûts, car la bonne soupe, le bouilli, les mets de cochon salé saucissons, mortadelles, les laitages, les légumes, le gibier, la verdure9, et le fromage mascarpon10 étaient exquis ; mais averti par son frère que j’étais un homme qui tranchait du grand11, et qui aimait la table, il avait voulu donner des plats travaillés qui étaient tout ce qu’on peut imaginer de plus mauvais. Devant par politesse en goûter, je me trouvais dégoûté des solides, et naturels ; mais j’y ai mis bien vite remède m’expliquant après dîner à mon ami. Je l’ai convaincu que la table sera excellente, et friande avec dix plats simples sans le moindre ragoût ; et il fit très facilement entendre raison à son frère. Dans tout le temps que j’ai passé là j’ai fait une chère délicieuse.

Nous étions six à cette table, tous gais, et causeurs, excepté la comtesse plus jolie, et plus jeune qui s’appelait Clémentine, qui m’avait déjà frappé : elle ne parlait que lorsqu’elle était forcée à répondre, mais toujours rougissant. N’ayant autre moyen de voir ses yeux que celui de lui adresser la parole, je lui faisais des questions, et elle me répondait ; mais sa rougeur me faisant conjecturer que je la gênais, j’ai pris le parti de la laisser tranquille, et d’attendre l’opportunité de faire avec elle une plus ample connaissance.

Après dîner on m’a conduit à mon appartement, et on m’y laissa : j’ai vu, comme dans la salle où nous avons dîné, des fenêtres vitrées, et des rideaux, mais Clairmont me dit qu’il n’osait pas défaire mes malles, car il n’y avait [73v] de clefs ni aux portes des chambres, ni aux commodes à moins que je ne le délivrasse de toute responsabilité. Il avait raison : je vais consulter mon ami : il me répond que dans tout le château il n’y avait de clefs nulle part, excepté à la cave, et que malgré cela tout était sûr.

— Il n’y a pas des voleurs à S. A., me dit-il, et s’il y en a, ils n’osent pas entrer chez nous.

— Je le crois ; mais vous sentez que mon devoir est d’en supposer partout : vous sentez que mon valet même pourrait saisir cette occasion de me voler sans que je pusse le convaincre ; et vous sentez que je devrai me taire, si le cas arrive que je me trouve volé.

— Je sens tout cela. Demain matin un serrurier mettra des clefs à vos portes. Vous serez le seul dans la maison qui pense à prendre des précautions contre les voleurs.

J’aurais pu lui répondre avec Juvénal cantat vacuus coram latrone viator [le voyageur dont la poche est vide chantera au nez du voleur]12 ; mais je l’aurais mortifié. J’ai dit à mon valet d’attendre à ouvrir mes coffres au lendemain. Nous sortîmes avec ses deux belles-sœurs pour aller nous promener par la ville : le comte Ambroise resta à la maison avec la comtesse qui ne quittait jamais son cher fils. Elle avait vingt-deux ans : sa sœur Clémentine en avait dix-huit, et elle prit mon bras : mon ami donna le sien à la comtesse Éléonore. Nous allons voir, me dit-il, la belle pénitente. C’est une fille de joie qui a vécu deux ans à Milan avec une telle réputation de beauté qu’on venait des villes voisines exprès pour lui faire une visite. Sa maison s’ouvrait, et se fermait cent fois par jour à la satisfaction de tous les curieux de cette rare beauté ; mais on mit fin à ce charmant spectacle il y a un an. Le comte de Firmian13, homme savant, et rempli d’esprit, retournant de Vienne dut faire enfermer dans le couvent où nous allons la belle malheureuse en conséquence d’un ordre absolu que l’auguste Marie-Thérèse lui donna, qui dans toute sa vie n’a jamais pu pardonner à la beauté mercenaire.

[74r] On s’empara de la charmante fille, on l’enferma, on lui dit qu’elle était coupable, on lui intima une confession générale, et une pénitence qui devait durer jusqu’à la fin de sa vie. Elle reçut l’absolution de ses péchés de notre cardinal Pozzobonelli grand pontife du rite ambrosien14, qui lui conférant le sacrement de la confirmation lui changea le nom de Thérèse, qu’elle avait reçu au font du baptême, en celui de Marie Magdelaine voulant par là lui indiquer le sûr chemin du salut éternel imitant la pénitence de sa nouvelle patronne, dont jusqu’à ce moment-là elle avait fait la vie15. On l’enferma dans les pénitentes de cette ville, dont notre famille possède le droit de patronage. C’est un couvent inaccessible où les recluses vivent en communauté sous la direction d’une supérieure d’un caractère doux faite pour amoindrir les peines qu’elles doivent endurer étant passées de toutes les délices de ce monde aux plus grandes privations. Elles ne peuvent que travailler, et prier Dieu, et elles ne voient autre homme que le prêtre leur confesseur dont elles entendent tous les jours la messe. Nous sommes les seuls auxquels madame la supérieure ne peut pas défendre l’entrée dans cette sainte prison ; et elle ne s’avise pas d’exclure les personnes qui sont avec nous.

Pauvre Marie Magdelaine ! Ah ! Les barbares ! Cette narration m’avait fait pâlir. D’abord que le comte fut annoncé, la supérieure même vint le recevoir à la porte. Nous entrons dans une grande salle, où il me fut très facile de distinguer la célèbre entre cinq à six autres toutes pénitentes ; mais qui ne pouvaient pas l’être de grande chose, car elles me parurent laides. Elles se levèrent cessant de coudre, ou de tricoter. La seule Marie Magdelaine, malgré le costume austère de son habit de laine, me surprit. J’ai vu la beauté, et la majesté dans l’affliction, et avec mes yeux profanes au lieu de voir le péché affreux, [74v] et hideux, j’ai cru voir la sainte innocence ; elle tenait ses beaux yeux inclinés vers la terre. Mais quelle ne fut ma surprise, lorsque les ayant élevés, et arrêtés sur ma figure, elle s’écria : Dieu que vois-je ! Sainte vierge Marie venez à mon secours. Va-t’en hors d’ici pécheur scélérat, malgré que tu mérites d’y être plus que moi.

Je ne me suis pas senti excité à rire. La supérieure me dit d’abord que la malheureuse était devenue folle, à moins qu’elle ne m’eût reconnu.

— Non madame, car elle ne peut m’avoir jamais vu.

— Je le crois ; mais elle est folle.

Le fait est qu’à cette incartade il me fut plus facile de reconnaître un grand bon sens indigné qu’une folie décidée. Elle m’émut : j’ai retenu avec peine mes larmes. J’ai prié le comte de ne pas rire ; mais un moment après Marie Magdelaine exagéra, et pour lors j’ai vu le symptôme de la colère qui confine avec la démence. Elle pria la supérieure de me faire sortir lui disant que je n’étais allé là que pour la damner. Cette dame alors, après lui avoir fait une douce correction, la fit partir,b lui disant qu’elle se trompait, et que ceux qui venaient la voir ne pouvaient désirer que de contribuer à son salut éternel. Elle eut la dureté de lui dire que personne au monde n’avait été plus pécheur qu’elle. La malheureuse nous quitta versant un torrent de larmes, et me perçant l’âme avec ses sanglots.

Moi, commandant général d’une armée victorieusec me trouvant dans cette ville-là, et dans une situation pareille, c’est plus que certain que j’aurais pris par la main Marie Magdelaine, et je l’aurais conduite avec moi sanglant des coups de canne à la mielleuse abbesse, si elle s’était avisée de s’opposer à ma volonté. Elle nous dit que cette fille avait les qualités d’un ange, et que certainement elle deviendrait une sainte, si auparavant elle ne devenait folle. Elle nous dit qu’elle l’avait priée d’ôter de l’oratoire deux tableaux, dont l’un représentait S.t Louis Gonzague, et l’autre S.t Antoine, [75r] parce que ces saintes images lui causaient des distractions invincibles16, et qu’elle avait cru de devoir la contenter, malgré le confesseur qui là-dessus ne voulait pas entendre raison.

Le prêtre était un butor, et cette supérieure avait de l’esprit. Nous quittâmes cette maison inhumaine, tous les quatre tristes d’avoir vu des victimes de la tyrannie. Si dans la vérité de notre sainte religion l’âme de la grande Marie-Thérèse doit avoir un état dans ce qu’on appelle l’éternité, ou l’autre vie, elle doit être damnée, à moins qu’elle ne se soit repentie, quand même elle n’aurait fait autre mal que celui qu’elle fit de mille façons différentes persécutant les pauvres filles qui tiraient parti de leurs charmes. La pauvre Marie Magdelaine devenait folle, et souffrait l’enfer dans ce monde parce que la nature, Dieu maître de tout l’avait favorisée par le plus précieux de tous les dons. Elle en avait trop abusé,d cela se peut, mais à cause de ce crime, qui sans contredit est le plus petit de tous, fallait-il lui infliger la plus grande de toutes les punitions ?

Retournant au château, la comtesse Clémentine, à qui je donnais le bras, pouffait de temps en temps des petites risées. J’aimais cela.

— Oserais-je vous demander, belle comtesse, pourquoi vous poursuivez à rire toute seule ?

— Je vous prie de me pardonner. Je ne ris pas de ce qu’elle vous a reconnu, car elle dut s’être trompée ; mais je ris de la surprise que vous marquâtes quand elle vous dit que vous méritiez d’être enfermé plus qu’elle.

— Et vous le croyez aussi peut-être ?

— Moi ? Dieu m’en préserve ; mais dites-moi d’où vient que la folle n’a pas attaqué mon beau-frère ?

— Apparemment, elle a trouvé mon air plus pécheur que le sien.

— C’est la seule raison ; et voilà pourquoi il ne faut jamais faire attention aux propos des fous.

— Belle comtesse, votre discours est ironique ; mais je le prends du bon côté. Je suis peut-être un grand pécheur comme j’en ai l’air ; mais songez que la beauté doit m’être indulgente, car je ne me trouve [75v] souvent séduit que par elle.

— Je ne comprends pas pourquoi l’impératrice ne s’amuse pas à faire enfermer des hommes aussi.

— Parce qu’elle espère peut-êtree de les voir à ses pieds, quand ils ne trouveront plus des filles.

— Oh ! Vous badinez. Dites plutôt que c’est parce qu’elle ne peut pas pardonner à son sexe de manquer à une vertu qu’elle possède au suprême degré, et qu’on peut d’ailleurs exercer si facilement.

— Je ne doute pas, mademoiselle, de la vertu de l’impératrice ; mais avec votre permission, et parlant en général, je doute beaucoup de la facilité que vous supposez à l’exercice de la vertu qu’on nomme continence.

— Chacun parle, et pense selon les notions qu’il tire de l’examen de soi-même. On prend souvent pour vertu la sobriété dans quelqu’un qui n’a cependant aucun mérite à être sobre. Vous pouvez trouver difficile ce qui me semble très facile ; et vice versa. Nous pouvons avoir raison tous les deux.

Cette fille me parut alors une seconde Q….. avec la différence que celle-ci mettait de l’importance à son raisonnement, tandis que Clémentine me débitait sa doctrine avec l’air nonchalant de la plus grande indifférence. Elle me fit taire. Quel échantillon d’esprit juste ! Je me sentais mortifié d’avoir porté sur elle à table un faux jugement. Son silence, et la rapidité avec laquelle son sang lui montait à la tête, quand elle devait répondre m’avait fait conjecturer dans sa conception un embarras d’idées compliquées qui ne faisait guère honneur à son esprit. Trop de timidité n’est souvent que bêtise. La marquise Q…., plus aguerrie que Clémentine, même en raison d’âge17, était peut-être plus forte en dialectique ; mais Clémentine m’avait deux fois éludéf la question, ce qui est le comble du bel artifice dans une fille de condition bien élevée, dont le devoir est de ne point ouvrir ses trésors à quelqu’un qui peut n’être pas digne de les connaître.

De retour au château, nous trouvâmes une dame avec son fils, et sa fille, et un abbé parent du comte18 qui me déplut sonica19. Parleur impitoyable, qui disant qu’il m’avait vu à Milan, me cassa [76r] le nez avec le plus ennuyeux de tous les encensoirs : outre cela il lorgnait Clémentine ; et j’étais bien décidé à ne vouloir ce bavard ni pour compagnon, ni pour rival. Je lui ai dit sèchement que je ne me souvenais pas de l’avoir vu, et cette réponse faite pour démonter ne le démonta pas. Il s’assit à côté de Clémentine, et lui prenant la main, et lui disant des fadeurs il l’encouragea à faire ma conquête : c’était plat, et ne pouvant qu’en rire elle rit ; mais ce rire m’a déplu. Il me semblait qu’elle aurait dû lui répondre, je neg sais quoi, quelque chose d’impertinent. Il lui parla à l’oreille, et elle lui ayant répondu, j’ai presque perdu contenance : j’ai trouvé cela horrible. On tint un propos, chacun opina, et l’abbé dit son avis m’excitant à l’appuyer ; mais lui en voulant, je lui ai dit qu’il déraisonnait en termes caustiques espérant qu’il finirait de parler ; mais il avait la peau dure : il appela à Clémentine20, qui lui donna raison rougissant, et le fat alors lui baisa la main. Ne pouvant plus y tenir je suis allé me mettre à une fenêtre. La fenêtre sert à un homme impatienté à tourner le dos à un ennuyeux sans qu’on puisse absolument l’accuser d’impolitesse ; mais on le pénètre. Je faisais semblant de contempler l’horizon. Je ne pouvais pas souffrir cet abbé, et j’avais tort, car, bien loin de m’avoir offensé, il avait aspiré à me plaire.

Cette mauvaise humeur dans les cas de cette espèce me fut dans toute ma vie caractéristique, et il est trop tard aujourd’hui pour que je pense à en guérir. Je crois même n’en avoir plus besoin, car ceux qui m’écoutent me mettent poliment, quoique sans me le dire, à quarante ans de distance rétrograde.

Clémentine m’avait altéré, et pour me bouleverser ainsi elle n’avait eu besoin que de sept heures. Me sentant tout à elle, il me paraissait de devoir mettre tout en œuvre pour [76v] la rendre tout à moi. Je ne doutais pas de la réussite, et dans ma prétention il y avait certainement de la fatuité ; mais il y avait aussi une modestie de raison, car pour parvenir à lui toucher le cœurh croyant d’avoir besoin d’aplanir toutes les difficultés : il me semblait que le moindre obstacle me ferait échoueri. Or ce polisson tonsuré me semblait une guêpe que j’avais besoin d’écraser. La froide jalousie s’en mêlait aussi pour faire du tort à l’objet qui m’avait déjà enchanté : je me figurais Clémentine, sinon amoureuse, du moins indulgente vis-à-vis de ce singe, et dans cette idée je me trouvais envahi par une sensation de vengeance qui devait tomber sur elle. L’amour est le dieu de la nature ; mais qu’est-ce que la nature si son dieu est un enfant gâté ? Nous le connaissons, et malgré cela nous l’adorons.

Le comte mon ami vint me distraire me demandant si j’avais besoin de quelque chose. Je lui ai répondu que j’irais dans ma chambre écrire quelques lettres jusqu’à l’heure de souper. Il me prie de rester en compagnie, et il appelle Clémentine se recommandant à elle pour qu’elle m’empêche d’aller écrire. Elle lui répond d’un ton timide que si j’avais des affaires il était impoli de me retenir. L’abbé survient, et me dit sans détour qu’au lieu d’aller écrire je devrais leur faire une banque de Pharaon. Un oui général veut que je me rende. J’y consens.

On porte des cartes, et des petits paniers remplis de marques de différentes couleurs, et je m’assaye mettant devant moi vingt ou trente sequins. C’était une grande banque pour cette compagnie qui ne demandait qu’à s’amuser : il fallait perdre quinze marques pour perdre un sequin. Tout le monde s’assit. La comtesse Ambroise se mit à ma droite, et l’abbé s’avisa de se mettre à ma gauche. Ce fut Clémentine qui lui fit place. Trouvant cela insolent, je lui dis que je ne taillais jamais qu’entre deux dames, et pour lors Clémentine se remit à sa place. [77r] Au bout de trois heures on servit le souper, et j’ai quitté. Tout le monde avait gagné, l’abbé excepté, qui avait perduj en marques vingt sequins. Quel plaisir ! En qualité de parent il resta à souper ; la dame partit avec ses enfants : on chercha en vain de la retenir.

Assez content de ma soirée, car je croyais l’abbé désolé, je me mets en humeur de rire. Je fais parler ma belle voisine à force de l’enjôler, et de lui tenir des propos faits pour la forcer à se défendre. Elle brille, et elle me sait gré. Voyant l’abbé terrassé l’envie me vient de le relever : je lui demande son avis surk un propos en question ; il me répond qu’il n’y avait pas fait attention, et qu’il espérait qu’après souper je lui donnerais sa revanche. — Après souper, monsieur l’abbé, je vais me coucher ; mais je vous la promets demain, charmé que ce petit jeu amuse ma bonne hôtesse, et ses sœurs : la fortune aujourd’hui vous est contraire ; elle vous sera favorable demain.

Après souper il partit fort triste. Le comte m’accompagna à ma chambre, et me souhaitant un bon sommeil, il me dit de ne rien craindre, s’il n’y avait pas de clefs à mes portes, puisque ses belles-sœurs qui étaient mes voisines n’en avaient pas non plus aux siennes21.

Fort étonné de la magnificence de cette hospitalité, je dis à Clermont de se hâter à me mettre des papillotes, ayant grand besoin d’aller me coucher ; mais à la moitié de l’ouvrage voilà Clémentine qui entre, et me surprend me disant que dans le château il n’y avait pas de femme de chambre qui pût avoir soin de mon linge, et que partant elle me priait de permettre sans façon qu’elle en fit l’office.

— Vous ? comtesse.

— Moi ; et je vous prie de ne pas résister. Je m’en fais un plaisir ; et qui plus est, je suis sûre que vous en serez content. Faites-moi donner la chemise que vous mettrez demain ; et ne répliquez pas.

Je me fais d’abord aider par Clairmont à traîner dans sa chambre ma malle au linge, et je lui dis qu’il me fallait tous les jours une [77v] chemise, un gilet, un col, des caleçons, et deux mouchoirs, et que le choix m’était indifférent. Je suis plus heureux que Jupiter. Adieu. Bonne nuit charmante Hébé22.

Sa sœur Éléonore, qui était déjà au lit, s’évertuait à me demander excuse. J’ai sur-le-champ ordonné à Clairmont d’aller dire au comte que je n’avais plus besoin qu’il fît mettre des clefs à mes portes. J’ai eu honte. Devais-je craindre pour mes guenilles, quand ces trésors animés ne se méfiaient pas de ma cupidité ?

Ayant trouvé mon lit très bon, j’ai parfaitement bien dormi. Clairmont me coiffait quand j’ai vu entrer mon Hébé tenant un panier sur ses mains. Avec une très noble contenance elle me dit qu’elle était sûre que je serais content. Je ne vois sur sa belle figure le moindre air d’une mauvaise honte dépendante de la fausse idée d’avoir dérogé à sa noblesse me servant ainsi. Elle avait rougi ; mais sans se soucier de me le cacher, car ce qui l’avait enflammée était une satisfaction qui témoignait la beauté de son âme dégagée de préjugés vulgaires des esprits bornés. Jamais une chemise ne m’avait tant plu comme celle que je voyais.

Le comte, mon ami, survient dans ce moment. Il remercie Clémentine des bontés qu’elle avait pour moi ; et il l’embrasse : j’ai trouvé cet embrassement de trop. Oh ! c’est sa belle-sœur ; c’est son beau-frère : tout ce que vous voudrez ; mais si j’en suis jaloux, tout est dit : la nature, qui en sait plus que vous me dit que j’ai raison. Il est impossible de n’être pas jaloux de ce qu’on aime bien, et qu’on n’a pas encore conquis, car on doit toujours craindre que l’objet qu’on veut conquérir ne soit enlevé par un autre.

Le comte me pria de lire un billet qu’il tira de sa poche. L’abbé son cousin le priait de me faire des excuses s’il ne pouvait pas me remettre les vingt sequins qu’il avait perdus dans le terme prescrit par le code des joueurs. Il s’acquitterait de sa dette, lui disait-il, avant la fin de la semaine.

[78r] — Fort bien, lui dis-je, mais avertissez-le de ne pas ponter ce soir à ma banque, car je ne lui tiendrai pas23.

— Vous avez raison ; mais il pourra jouer argent comptant.

— Non plus, car il jouerait contre moi avec mon argent. Il en sera le maître après qu’il m’aura payé. Vous pouvez même lui dire de prendre toutes ses commodités, et l’assurer que je ne le presserai jamais pour qu’il me paye cette misère.

— Il sera mortifié.

— Tant mieux, dit Clémentine ; pourquoi va-t-il perdre sur sa parole ce qu’il n’était pas sûr de pouvoir payer aujourd’hui ?

—lCharmante comtesse, lui dis-je, étant resté seul avec elle, dites-moi franchement si la façon un peu dure dont je traite cet abbé vous fait de la peine, et je vous donne dans l’instant vingt sequins que vous pourrez lui faire parvenir, qu’il pourra me compter ce soir, et faire ainsi bonne figure. Je vous promets que personne n’en saura rien.

— Je vous remercie ; je ne m’intéresse pas assez à son honneur pour accepter votre offre. Qu’il sente la honte de sa faute ; et qu’il apprenne à vivre.

— Vous verrez que ce soir il ne viendra pas.

— Cela peut être ; mais croyez-vous que j’en serai fâchée ?

— J’aurais pu le supposer.

— Quoi ! Parce qu’il n’a badiné qu’avec moi ? C’est une tête éventée24 dont je ne fais aucun cas.

— Il est malheureux autant que l’homme, dont vous faites cas est heureux.

— Cet homme n’est pas encore né peut-être.

— Comment ! Vous n’avez pas encore connu un mortel digne de votre attention ?

— Beaucoup de dignes d’attention ; mais en faire cas est quelque chose de plus. Je ne saurais faire cas que de quelqu’un que j’aimerais.

— Vous n’avez donc jamais aimé. Vous avez le cœur vide.

— Ce motm vide me fait rire. Est-ce un bonheur, ou un malheur ? Si c’est un bonheur je m’en félicite ; si c’est un malheur je le méprise, car je ne le sens pas.

— Il n’est pas moins un malheur, et vous [78v] en serez convaincue quand vous aimerez.

— Mais si quand j’aimerai je me trouverai malheureuse, je connaîtrai alors que mon cœur vide était un bonheur.

— C’est vrai ; mais il me semble impossible que vous puissiez être malheureuse en amour.

— Ce n’est que trop possible. Il s’agit d’un accord réciproque qui est bien difficile, et plus encore difficile qu’il soit durable.

— J’en conviens ; mais Dieu nous a fait naître pour que nous en courions les risques.

— Un homme peut en avoir besoin, et s’amuser à cela ; mais une fille a des lois différentes.

Dans ce moment le comte vint nous interrompre, et s’étonna de nous trouver encore là. Il nous dit qu’il désirait de nous voir amoureux l’un de l’autre, et elle lui répondit qu’il souhaitait donc de nous voir malheureux ; elle parce qu’elle aimerait un inconstant, et moi parce que je me sentirais l’âme déchirée de remords. Et après avoir prononcé cette sentence elle se sauva.

Je suis resté là comme pétrifié ; mais le comte, qui de toute sa vie n’avait jamais pensé, dit en riant que sa belle-sœur Clémentine avait l’esprit romanesque. Nous allâmes à l’appartement de la comtesse que nous trouvâmes avec son poupon à la mamelle. Le chevalier, lui dit-il, est amoureux de votre sœur, et elle de lui ;n je voudrais bien, lui répondit-elle, qu’un bon mariage nous fît devenir parents.oLe mot mariage ne sert qu’à masquer la plus flatteuse de toutes les idées. Sa réponse me plut au point que je n’y ai répondu que par une inclination de tête.

Nous allâmes nous promener, et faire une visite à la dame qui n’avait pas voulu rester à souper, où nous trouvâmes un chanoine régulier25, qui après m’avoir dit des choses gracieuses, et m’avoir fait l’éloge de ma patrie, qu’il croyait connaître pour avoir lu l’histoire, il me [79r] demanda quel était l’ordre de chevalerie qu’indiquait la croix que je portais en sautoir au cordon rouge. J’ai dû lui répondre, modestement glorieux, que c’était une marque de la bienveillance dont notre très saint père le pape m’honorait, quip de son propre mouvement m’avait fait chevalier de S. Jean de Latran, et protonotaire apostolique26.

Ce moine n’avait pas voyagé. Ayant l’esprit du monde, il ne m’aurait pas demandé ce que c’était que mon ordre ; mais de bonne foi il crut de me flatter me faisant une pareille question, car en même temps qu’il voulait me convaincre que ma personne l’intéressait, il m’autorisait à étaler mes fastes27.

Il y a une grande quantité de questions, qui ne paraissent pas indiscrètes en société de gens de bonne foi, et qui ne sont pas au fait de la corruption des mœurs, et qui cependant le sont. L’ordre qu’on appelle de l’éperon d’or était si décrié qu’on m’ennuyait beaucoup quand on me demandait des nouvelles de ma croix. On m’aurait plu sans doute, si j’eusse pu répondre en deux mots : c’est la Toison28 ; mais après avoir répondu la vérité, l’amour-propre exigeait que je lui ajoutasse un commentaire, qui dans le fond était une glose justificative, c’était une corvée : ma croix enfin me gênait, c’était une vraie croix29 ; mais étant une décoration magnifique, et qui en imposait aux sots, dont le nombre est immense, je la portais même en déshabillé. L’ordre de Christ, qui est l’ordre de Portugal30, est à la même condition, parce que le pape a le privilège de le donner comme S. M. très fidèle. On n’estime l’ordre de l’Aigle rouge31 que depuis que le roi de Prusse en est le grand maître : il y a trente ans qu’un honnête homme ne le voulait pas parce que le margrave de Bayreuth le laissait vendre. Le cordon bleu de S. Michel32 est honorable [79v] aujourd’hui depuis que celui qui le confère est l’électeur de Bavière : on n’en voulait plus parce que l’électeur de Cologne l’avait prodigué. J’ai vu un de ces chevaliers à Prague il y a cinq ans33 ; mais il ne fallait pas lui demander de qui il l’avait reçu. La fureur des crachats34 augmente toujours, et il n’y a plus personne qui puisse se vanter, en voyant les devises, de les connaître, car outre les enseignes d’une quantité de chapitres obscurs35, il y en a des capricieuses d’associations particulières de chasseurs, d’académiciens, de musiciens, de dévots, d’amoureux, dont il serait même dangereux de s’informer, car elles pourraient être de conjurés. Pour ce qui regarde les femmes, le bon sens suffit pour que tout homme qui pense s’abstienne de demander ce que c’estq qu’un médaillon masqué, ou une aigrette36 placée extraordinairement, ou un portrait en bracelet, ou en bague. Il faut les aimer, et n’être pas curieux de leurs mystères d’autant plus que le plus souvent ce n’est qu’un colifichet, un marmouset37 qu’elles ne portent que pour se faire regarder, et exciter la curiosité.

On est parvenu au monde, si on veut être poli, à ne pouvoir plus demander à quelqu’un le nom de sa patrie, car s’il est Normand, ou Calabrais il doit, s’il vous le dit, vous demander excuse, ou, s’il est du pays de Vaudr, vous dire qu’il est Suisse. Vous ne demanderez pas non plus à un seigneur quelles sont ses armoiries, car, s’il ignore le jargon héraldique, vous l’embarrasserez. Il faut s’abstenir de faire compliment à un homme sur ses beaux cheveux, car si c’est une perruque, il pourrait croire que vous vous moquez, ni louer à un homme, ou à une femme leurs belles dents, car elles pourraient être postiches. On m’a trouvé impoli en France, il y a cinquante ans, parce que je demandais à des comtesses, et à des marquises leur nom de baptême. Elles ne le savaient pas. Et un petit maître qui par malheur s’appelait Jean38 satisfit à mon impertinente curiosité ; mais m’offrant un coup d’épée.

[80r] Le comble de l’impolitesse à Londres c’est de demander à quelqu’un de quelle religion il est, et en Allemagne aussi, car s’il est Hernoutre39, ou Anabaptiste40 il sera fâché de vous l’avouer. Le plus sûr à la fin, si on veut se faire aimer, c’est de n’interroger personne sur rien, pas même s’il a la monnaie d’un louis.

Clémentine à table répondit à tous mes propos très finement ; mais personne ne pouvait lui en tenir compte : l’esprit se trouve souvent, en certaines sociétés, soumis par la bêtise.

Clémentine me versant trop souvent à boire, je lui en ai fait des reproches qui donnèrent sujet à un court dialogue qui me donna le coup de grâce. Je me suis levé de table amoureux mort. Voici le dialogue.

— Vous avez tort, me dit-elle, de vous plaindre, car le devoir d’Hébé est celui de tenir toujours le verre de son maître rempli.

— Mais vous savez que Jupiter la renvoya.

— Oui ; mais j’en sais la raison41. Je ne tomberai jamais si maladroitement. Ce ne sera jamais par cette raison qu’un Ganymèdes viendra occuper ma place.

— C’est fort sage. Jupiter eut tort ; et je prends dans ce moment le nom d’Hercule. En êtes-vous contente belle Hébé.

— Non ; car il ne m’a épousée qu’après sa mort42.

— C’est encore vrai. Je ne saurais être que Jolas, car….

— Taisez-vous. Jolas était vieux.

— C’est vrai : je l’étais hier ; mais je ne le suis plus : vous m’avez donné la jeunesse43.

— J’en suis bien aise cher Jolas ; mais souvenez-vous de ce que j’ai fait de lui quand il m’a quittée.

— De grâce : qu’avez-vous fait ? Je ne m’en souviens pas.

— Je n’en crois rien.

— Croyez-le.

— Je lui ai ôté le don que je lui avais fait.

Ce fut à ces dernières paroles que l’incendie éclata sur la charmante figure de cette fille : j’aurais eu peur de brûler ma main, si j’avais osé l’appliquer sur son front ; mais les étincelles de feu, qui sortirent visiblement de ses yeux, me dardèrent le cœur, et me gelèrent. Ne vous fâchez pas physiciens de nos jours qui me lisez : car je ne vous donne pas ce phénomène comme un miracle : oui : ils me gelèrent. Un grand amour qui élève l’homme [80v] au-dessus de son être est un feu très puissant qui ne saurait commencer que par un froid de la même force en juste opposition, tel que je l’ai senti dans ce moment-là, et qui m’aurait causé la mort s’il eût duré au-delà d’une minute. L’application supérieurement ingénieuse de la fable d’Hébé m’avait non seulement démontré Clémentine savante en mythologie ; mais m’avait offert un échantillon d’un esprit juste, et profond. Elle avait fait plus : elle m’avait convaincu que je l’avais intéressée, qu’elle avait pensé à moi, qu’elle avait voulu me surprendre, et me plaire. Toutes ces idées n’ont besoin que d’un instant pour sauter à l’âme d’un homme déjà prévenu. Elles sont incendiaires. Je me suis trouvé exempt de doute. Clémentine, me suis-je dit, m’aime, et elle m’en a rendu certain. Nous serons heureux.

S’étant évadée, elle m’a donné le temps de sortir de ma léthargie.

— Dites-moi, madame, dis-je à la comtesse, où, et par qui cette charmante fille a été élevée.

— À la campagne, étant toujours présente aux études que Sardini faisait faire à mon frère, qui cependant ne s’occupait que de lui. C’était Clémentine qui en profitait, mon frère s’ennuyait. Elle faisait rire notre mère, et elle étonnait le vieux précepteur.

— Nous avons des poésies de Sardini que personne ne lit à cause de son trop d’érudition en mythologie.

— Fort bien. Sachez qu’elle a un manuscrit de lui-même qui contient une quantité de fables du paganisme. Faites qu’elle vous montre ses livres, et les vers qu’elle fait, et qu’elle ne laisse voir à personne.

J’étais hors de moi-même. Elle revient ; je lui fais des compliments ; je lui dis que j’aimais la poésie, et les belles-lettres, et qu’elle me ferait plaisir à me faire voir ses livres, et surtout ses vers.

— J’en aurais honte. J’ai dû finir d’étudier il y a deux ans, quand notre sœur s’étant mariée nous dûmes venir ici, où nous ne voyons que des honnêtes gens qui, ne pensant qu’à la récolte, [81r] ne s’intéressent qu’à la pluie, et au beau temps. Vous êtes le premier, qui m’appelant Hébé m’a fait juger que vous aimez les lettres. Si Sardini était venu ici, j’aurais poursuivi à m’instruire ; et il serait venu ; mais ma sœur ne s’en est pas souciée.

— Mais, ma chère Clémentine, lui répondit sa sœur, à quoi pouvait, je te prie, être utile à mon mari un octogénaire qui ne sait autre chose que faire des vers, et peser l’air ?

— À la bonne heure, dit le comte Ambroise, s’il eût pu s’employer à l’économie ; mais c’est un honnête vieillard qui ne veut supposer personne fripon. C’est un savant qui est bête.

— Juste ciel ! s’écria Clémentine, Sardini bête ! Il est vrai qu’on le trompe facilement ; mais on ne le tromperait pas s’il avait moins de probité, et d’esprit. J’aime un homme qu’on trompe facilement par ces raisons-là. Mais on dit que je suis folle.

— Non ma chère sœur, lui dit la comtesse. Tout ce que tu dis, au contraire, est marqué au coin de la sagesse ; mais hors de ta sphère, car les belles-lettres, et la philosophie ne sont pas ce qu’il faut à un ménage de maison ; et lorsque l’occasion de te marier se présentera ton goût pour les sciences fera peut-être un obstacle à un bon parti.

— Je m’y attends ; et je me sens déjà disposée à mourir fille ; mais cela ne fait pas l’éloge des hommes.

Quel tumulte de passions dans ma bonne âme à ce cruel dialogue ! Je me trouvais malheureux. Noble, et riche, je lui aurais donné sur-le-champ cent mille écus, et je l’aurais épousée avant de me lever de table. Elle me dit que Sardini était à Milan malade de vieillesse, et quand je lui ai demandé si elle lui avait fait une visite, elle me répondit qu’elle n’avait jamais vu Milan ni elle, ni aucune de ses sœurs. En voiture cependant, et au grand trot on pouvait y aller en deux heures.

Je l’ai tant priée, qu’après le café elle me mena dans un cabinet près de sa chambre pour me faire voir tous ses livres. Elle n’en avait qu’une trentaine tous bons ; mais qui ne regardaient que la littérature d’un jeune homme qui avait finit ses études à la rhétorique44. Ces livres ne pouvaient instruire mon ange ni dans l’histoire, ni dans aucune de ces parties de la physique qui pouvaient la faire sortir de l’ignorance dans l’essentiel, et faire les délices de sa vie.

— Vous apercevez-vous, ma chère Hébé, quels sont les livres qui vous manquent ?

— Je m’en doute, mon cher Jolas.

— Soyez-en sûre, et laissez-moi faire.

Après avoir passéu une heure à parcourir les écrits de Sardini, je l’ai priée de me faire voir du sien.

— Non : il y a trop de fautes.

— Je m’y attends ; mais ce que j’y trouverai de bon prévaudra. Je pardonnerai à la langue, au style, aux idées absurdes, au défaut de méthode, et même à vos vers manqués.

— C’est un peu trop, car je ne crois pas avoir besoin d’une indulgence si plénière. Tenez monsieur. Voici tous mes griffonnages.

Ravi d’aise d’être réussi par la ruse, j’ai commencé par lui lire une chanson anacréontique, très lentement, donnant du relief par le ton de ma voix à toutes ses beautés, et jouissant de la joie qui inondait son âme, et qui brillait dans ses yeux, et sur toute sa figure s’entendant si belle. Quand je lui lisais un vers, que j’avais rendu plus touchant par le changement de quelques syllabes, elle s’en apercevait, car elle me suivait des yeux ; mais elle, bien loin de se trouver humiliée par la correction, m’en savait gré. Elle trouvait que mes coups de pinceau n’empêchaient pas que le tableau ne fût d’elle, et elle était ravie d’aise sentant que le plaisir que j’avais à la lire était beaucoup plus grand que celui qui dans ce moment-là la rendait heureuse. Notre jouissance réciproque dura trois heures : jouissance de nos âmes déjà amoureuses, et dont il n’est pas possible d’imaginer ni la plus pure, ni la plus voluptueuse. Heureux, et très heureux si nous eussions pu, et su nous en tenir là ; mais l’amour est traître, et trompeur, et rit de tous ceux qui croient de pouvoir badiner avec lui sans tomber dans ses filets.

[82r] Ce fut la comtesse Ambroise qui vint nous dire de quitter les lettres pour aller un peu en société. Clémentine remit tout à sa place me remerciant, et m’offrant pour garant de sa reconnaissance son sang, dont je voyais la vive flamme sur son intéressante figure. Paraissant ainsi à l’assemblée suivie par moi, et par la comtesse on lui demanda si elle venait de se battre.

La table pour le Pharaon était préparée ; mais avant de m’asseoir j’ai pris à l’écart Clairmont pour lui ordonner de se rendre sûr que le lendemain au point du jour j’aurais quatre chevaux attelés à ma voiture pour aller à Lodi, et revenir pour dîner.

Toute la compagnie ponta comme dans le jour précédent, et je fus bien aise de ne pas y voir l’abbé. J’y ai vu le chanoine qui pontait au ducat en ayant devant lui un tas. J’ai alors augmentév la banque, et à la fin du jeu j’eus le plaisir de voir toute la famille contente. Le seul chanoine avait perdu une trentaine de sequins ; mais à cause de cette perte il ne fut pas moins gai à table45.

Le lendemain je suis allé à Lodi sans avoir averti personne. J’ai acheté tous les livres que j’ai jugés convenables à la comtesse Clémentine qui n’entendait que l’italien. J’ai acheté des traductions que je fus surpris de trouver dans la ville de Lodi qui jusqu’à ce moment-là ne me paraissait respectable que par son excellent fromage, que toute l’Europe ingrate appelle parmesan. Il n’est pas de Parme ; il est de Lodi, et je n’ai pas manqué d’ajouter dans le même jour un commentaire à l’article Parmesan dans mon dictionnaire des fromages que j’avais [82v] entrepris, et que dans la suite j’ai abandonné le trouvant au-dessus de ma force, comme J. J. trouva au-dessus de la sienne celui de Botanique. Il avait alors pris le nom de Renaud le Botaniste46. Quisque histrioniam exercet [Chacun joue la comédie]47. Mais l’éloquent Rousseau n’avait ni l’inclination à rire, ni le divin talent de faire rire.

J’ai ordonné à la meilleure auberge de Lodi un dîner pour douze personnes pour le surlendemain donnant des arrhes, et prenant quittance. J’ai ordonné tout ce qu’il fallait pour dépenser le plus possible.

De retour à S. A., j’ai porté le sac plein de livres dans la chambre de la comtesse Clémentine, qui à la vue de ce présent perdit entièrement l’usage de la parole. Les livres passaient le nombre de cent tous poètes, historiens, géographes, physiciens, et quelques romans traduits de l’espagnol ou du français, car, trente ou quarante poèmes exceptés, nous n’avons pas en italien un seul bon roman en prose. Nous avons en revanche le chef-d’œuvre de l’esprit humain dans le Roland Furieux qui n’est susceptible de traduction dans aucune langue. Si ce poème donc n’est fait que pour la langue italienne, il semble que la langue italienne ne soit faite que pour lui. L’auteur européen qui a fait l’éloge de l’Arioste le plus vrai, le plus beau et le plus simple fut Voltaire âgé de soixante ans. S’il n’avait pas chanté cette palinodie48, la postérité lui aurait opposé une inexpugnable barrière, qui l’aurait empêché de parvenir au temple de l’immortalité. Je le lui ai dit, il y a trente-six ans49, et le grand Génie m’a cru, eut peur, et rien ne pourra empêcher son apothéose, si ce n’est un grand rideau qu’il devait s’abstenir de tirer. Voltaire [83r] a bien vu ; mais il a mal, et très mal prévu.

Clémentine passait ses yeux de ses livres à moi, et de moi à ses livres, paraissant douter qu’ils lui appartinssent. Devenue tout d’un coup sérieuse, elle me dit que j’étais allé àwS. A. pour faire son bonheur. Voilà le moment que l’homme devient Dieu. Homo homini Deus [L’homme est un dieu pour l’homme]50. Il est impossible que dans ce moment-là l’être qui reçoit le bienfait ne se trouve déterminé à faire aussi tout ce qui dépend de lui pour faire le bonheur de celui qui a fait si facilement le sien.

Le plaisir qu’on ressent quand on voit le divin caractère de la reconnaissance sur une physionomie, dont on est devenu amoureux, est suprême. S’il ne vous intéresse pas tant que moi, mon cher lecteur, je ne me soucie pas que vous me lisiez : vous ne pouvez être qu’avare, ou maladroit, et indigne par conséquent d’être aimé. Clémentine, après avoir dîné sans appétit, passax le reste de la journée dans sa chambre avec moi pour arranger ses livres. Elle ordonna d’abord à un menuisier une bibliothèque grillée, et à la clef qui devait faire ses délices après mon départ. Elle fut heureuse au jeu, et fort gaie à souper où j’ai invité toute la compagnie à dîner à Lodi le surlendemain. Mon dîner étant pour douze, la comtesse Ambroise s’engagea de trouver à Lodi les deux convives qui me manquaient, et le chanoine se chargea de conduire sa dame avec sa fille, et son fils.

J’ai passé le lendemain sans sortir du château, occupé à donner une idée de la sphère à mon Hébé, et à la mettre sur le chemin de goûter Wolf51. Je lui ai fait présent de mon étui de mathématique, qui lui parut un don inestimable.

Je brûlais pour elle ; mais son penchant à la littérature m’aurait-il rendu amoureux si je ne l’avais pas trouvée jolie d’avance ? Hélas ! Non. J’aime un ragoût, et je suis friand ; mais s’il n’a pas bonne mine, il me semble mauvais. Le premier objet qui intéresse est la superficie, c’est le siège de la beauté : [83v] l’exameny de la forme, et de l’intérieur vient après, et s’il enchante, il embrase : l’homme qui ne s’en soucie pas est superficiel. C’est un synonyme de méprisable en morale. Ce que j’ai trouvé de nouveau en moi allant me coucher fut que dans mes tête-à-tête avec Hébé de trois ou quatre heures sa beauté ne me causait la moindre distraction. Ce qui me tenait dans cette contrainte n’était cependant ni respect, ni vertu, ni prétendu devoir. Qu’était-ce ? Je ne me souciais pas de le deviner. Je savais seulement que ce platonisme ne pouvait pas durer longtemps, et en vérité je m’en sentais mortifié : cette mortification venait de vertu ; mais d’une vertu à l’agonie. Les belles choses que nous lisions nous intéressaient si fort que les sentiments d’amour, devenus accessoires ou secondaires, devaient se taire. Devant l’esprit le cœur perd son empire, la raison triomphe ; mais le combat doit être court. Nos victoires nous abusèrent : nous nous crûmes sûrs de nous-mêmes ; mais sur un fondement d’argile : nous savions d’aimer ; mais nous ne savions pas d’être aimés.

Cette confiance téméraire autant que modeste me fit entrer dans sa chambre pour lui dire quelque chose qui regardait la partie de Lodi, les voitures étant déjà prêtes. Elle dormait : elle se réveilla en sursaut, et je n’ai pas seulement pensé à lui demander excuse. Ce fut elle qui s’excusa me disant que l’Aminta du Tasso52 l’avait tant intéressée quand elle allait se coucher qu’elle n’avait pu le quitter qu’après l’avoir tout lu. Elle l’avait sur son chevet. Je lui ai dit que le pastor fido53 lui plairait davantage.

—zEst-il plus beau ?

— Non.

— Pourquoi dites-vous donc qu’il me plaira davantage ?

— Parce qu’il a un charme qui attaque le cœur. Il attendrit, il séduit, et nous aimons la séduction.

— Il est donc séducteur ?

— Non : il est séduisant comme vous.

— Cette distinction est essentielle. Je le lirai ce soir. Je vais vite m’habiller.

Elle s’habilla sans se souvenir que j’étais un homme ; mais avec décence. Malgré cela j’ai vu qu’elle en aurait employé [84r] davantage si elle eût été sûre que j’étais amoureux d’elle.

J’ai entrevu, lorsqu’elle se passa sur son séant une chemise, lorsqu’elle laça son corset, lorsqu’elle mit son jupon, et lorsqu’étant sortie du lit, elle se chaussa, et mit ses jarretières au-dessus du genou, j’ai entrevu, dis-je, des beautés qui m’égarèrent, me firent biaiser sur le propos qu’elle me tenait, et me forcèrent à sortir pour garantir mon esprit charnel d’une trop honteuse défaite.

Je me suis assis sur le strapontin de ma voiture tenant le fils de la comtesse sur mes genoux couché sur un grand oreiller. Elle se pâmait de rire comme Clémentine. À la moitié du voyage l’enfant pleura ; il voulait du lait : la maman découvre vite un robinet couleur de rose qu’elle n’est pas fâchée que j’admire, et je luiaa approche le poupon, qui rit de ce qu’il va manger, et boire en même temps. Je convoitais le respectable tableau : ma joie était visible. Le joli rejetonab rassasié s’en détache ; je vois la blanche liqueur qui poursuit à ruisseler. Ah ! madame. C’est un meurtre : permettez à mes lèvres de cueillir ce nectar qui me mettra au nombre des dieux, et ne craignez pas que je vous morde. Dans ce temps-là j’avais des dents.

Je me suis nourri à genoux regardant la comtesse mère, et sa sœur, qui riaient paraissant avoir pitié de moi : c’est une espèce de rire qu’aucun peintre n’a jamais su imiter, excepté le grand peintre Homère là où il nous représente Andromaque avec Astianacte entre ses bras dans le moment qu’Hector la quitte pour retourner à l’armée54.

Insatiable de faire rire, j’ai demandé à Clémentine si elle aurait le courage de m’accorder la même faveur.

— Pourquoi non, si j’avais du lait ?

— Vous n’avez besoin que d’en avoir la source. Je penserai au reste.

Mais à ces mots elle rougit si fort que je fus presque fâché de les avoir prononcés. Toujours gais, nous arrivâmes à l’auberge de Lodi sans avoir vu le temps que nous employâmes au petit voyage. La comtesse envoya d’abord son domestique avertir une dame son amie [84v] de venir dîner avec elle en compagnie de sa sœur. J’ai saisi ce temps pour envoyer Clairmont m’acheter du papier en abondance, cire d’Espagne, plumes, encre, écritoire, et un beau portefeuille à clef pour ma belle Hébé qui ne devait plus m’oublier. Quand elle eut tout cela devant elle avant dîner, elle ne sut me témoigner sa reconnaissance qu’avec ses beaux yeux. Il n’y a point de femme loyale, qui ait un cœur non corrompu, qu’un homme ne soit sûr de conquérir à force de la rendre reconnaissante. C’est le moyen le plus sûr, et le chemin de parvenir le plus court ; mais il faut toujours savoir s’y prendre.

La dame de Lodi vint avec sa sœur qui pouvait disputer le prix de la beauté à tout son sexe ; mais Vénus même n’aurait pu dans ces moments-là m’arracher de Clémentine. Les dames, et les demoiselles s’embrassèrent à reprises se montrant ravies de se revoir. On me présenta, on me caractérisa55, on me porta aux nues : j’ai fait le bouffon pour faire finir les compliments.

Mon dîner fut beau, et fut bon. Étant en carême les scrupuleux trouvèrent des poissons qui ne leur firent pas regretter les poulardes, et le gibier. L’excellent esturgeon plut à tout le monde.

Après dîner, le mari de la dame vint avec l’amant de sa sœur ; ainsi la joie s’accrut. J’ai contenté toute la belle compagnie, lui faisant une banque ; et au bout de trois heures j’ai quitté, enchanté d’avoir perdu trente à quarante sequins : sans cela on ne m’aurait pas préconisé56 pour le plus beau joueur de toute l’Europe.

L’amant de la belle s’appelant Vigi, je lui ai demandé s’il descendait de l’auteur du treizième chant de l’Énéide de Virgile57 ; il me dit qu’oui, et qu’il l’avait traduit en stances italiennes. M’en étant montré curieux, il me promit de me le porter à SA le surlendemain. Je lui ai fait compliment sur son ancienne noblesse, car Maffeo Vigi fleurissait au commencement du quinzième siècle.

[85r] À l’entrée de la nuit nous partîmes, et en moins de deux heures nous fûmes à SA. La Lune qui éclairait tous mes mouvements m’aida à résister aux tentations que m’inspirait une jambe de Clémentine qui pour mieux tenir sur ses genoux son neveu avait un pied sur le strapontin. La maman de retour chez elle fit de cent façons l’éloge de la bonne compagnie que je lui avais tenue. N’ayant pas envie de souper, nous nous retirâmes ; mais Clémentine me confia qu’elle était au désespoir de n’avoir la moindre idée de l’Énéide. M. Vigi devait venir à SA avec son treizième chant, et elle était désolée de ce qu’elle ne pourrait pas en juger. Je l’ai consolée.

— Nous lirons, lui dis-je, cette nuit la superbe traduction de ce poème faite par Annibal Caro58. Vous l’avez ; et vous avez celle d’Anguilara59 des métamorphoses d’Ovide, et celle de Lucrèce faite par Marchetti60.

— Je voulais lire le Pastor fido.

— Nous le lirons une autre fois.

Nous passâmes donc la nuit à lire ce magnifique poème en vers blancs italiens. Mais cette lecture fut maintes fois interrompue par les spirituelles risées de ma charmante écolière. Elle rit beaucoup du hasard qui mit Énée dans le cas de donner à Didon une bonne marque de sa tendresse quoique très incommodément61 ; mais encore plus quand Didon, se plaignant de la perfidie du Troyen, dit qu’elle pourrait encore lui pardonner si avant de la délaisser il lui avait fait quelque petit Énée qu’elle aurait eu le plaisir de voir folâtrer dans sa cour. Clémentine avait raison de rire ; mais d’où vient qu’on ne rit pas quand on lit cela en latin ? Si quis mihi parvulus aula luderet Eneas [Si un petit Énée jouait dans ma cour]62. Ce n’est que la beauté de la langue qui donne un vernis de dignité à cette plaisante plainte.

[85v] Nous ne finîmes cette lecture qu’à la fin de la nuit.

— Quelle nuit, mon cher ami, me dit-elle. Je l’ai passée avec vous dans la joie de mon âme. Mais vous ?

— Avec un plaisir extrême voyant le vôtre.

— Et si vous n’aviez pas vu le mien ?

— J’en aurais eu deux tiers de moins. J’aime au suprême degré votre esprit ; mais dites-moi, je vous prie, si vous croyez possible d’aimer l’esprit de quelqu’un sans aimer son étui.

— Non ; car sans l’étui il s’évaporerait.

— La conséquence est donc que je dois vous aimer, et qu’il est impossible que je passe six heures avec vous tête-à-tête sans mourir d’envie de vous donner cent baisers.

— Vous dites vrai ; et je crois que nous ne résistons à cette envie que parce que nous avons des devoirs, et que nous nous trouverions humiliés si nous les violassions.

— C’est vrai ; mais si vous êtes faite comme moi, cette contrainte doit vous coûter beaucoup de peine.

— Autant peut-être que vous en ressentez vous-même ; mais je vous dirai que je crois que la résistance à certains désirs ne coûte que dans le commencement. Peu à peu on s’accoutume à s’aimer sans aucun risque. Nos enveloppes qui actuellement nous plaisent nous deviendront indifférentesac, et pour lors nous pourrons passer ensemble des heures, et des journées sans qu’aucun désir étranger vienne nous importuner.

— Adieu belle Hébé. Dormez bien.

— Adieu Jolas.

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