La Vie ambiguë

La Vie ambiguë

d’ Alexis Nikolaievitch Apoukhtine

Partie 1

LES ARCHIVES DE LA COMTESSE D***

(1891)

I – D’Alexandre VassilievitchMojaïsky

(Reçue à Pétersbourg, le 25 mars 18…)

Bien estimée Comtesse Catherine Alexandrovna !

Conformément à la promesse que je vous ai donnée, je me hâte de vous écrire aussitôt arrivé dans mon vieux nid si longtemps abandonné. Je suis sûr que mes lettres ne peuvent vous intéresser et que la demande que vous m’avez faite d’écrire n’était qu’une phrase aimable ; mais je veux vous prouver que chacun de vos désirs, même exprimé par plaisanterie, est pour moi loi.

Tout d’abord, je répondrai à la question qui avait commencé notre dernier entretien chez Marie Ivanovna :pourquoi, à cause de quoi, ai-je quitte Pétersbourg ?

Je vous répondis alors évasivement ;maintenant je vous dirai toute la vérité : je suis parti parce que je suis ruiné, je suis parti pour sauver les restes de ma fortune jadis grande. Pétersbourg est un marais où on s’enlise ; c’est pourquoi je me suis décidé à une mesure énergique qui, à vrai dire, ne m’a pas coûté grands efforts :la vie de Pétersbourg m’a assez ennuyé. Mais, par quelque incompréhensible ironie du destin, les derniers jours passés à Pétersbourg m’ont fait regretter profondément ma décision.

Un matin, je suis entré dans un magasin anglais pour acheter une malle et là j’ai rencontré Marie Ivanovna qui m’a invité à aller chez elle le même soir. À cette soirée vous avez été si charmante avec moi, si aimable, vous m’avez montré tant d’intérêt, tant de cordialité, que ma décision en chancela presque,et je me souvins que, deux années avant, à une soirée chez la même Marie Ivanovna, vous parliez aussi aimablement à Koudriachine ; avec quelle souffrance je l’enviais. Ce Dmitri Koudriachine, pensais-je alors, pourquoi bénéficie-t-il d’une attention exclusive, de la part de la reine des belles de Pétersbourg ? mon heure ne viendra-t-elle jamais ? –Hélas, mon heure est venue trop tard, mais, en tout cas, je remercie de toute mon âme celle qui, par cette heure, m’a dédommagé des années froides et sombres passées à Pétersbourg.

Je n’ose espérer, bien estimée Comtesse, que vous daignerez répondre à cette lettre, mais à tout hasard, j’y joins mon adresse : chef-lieu Slobotsk. Mon domaine est à vingt verstes de Slobotsk, et je reçois chaque jour le courrier.

Avec grand respect, j’ai l’honneur d’être votre bien dévoué

A.MOJAÏSKY.

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