L’Illustre Maurin

L’Illustre Maurin

de Jean Aicard

Chapitre 1 Où Pastouré, jouant le rôle du chœur antique, met le public au courant des événements qui nous intéressent.

Pastouré, dit Parlo-Soulet, étant seul, dans son lit, chez son frère, aux Cabanes-Vieilles, parlait, comme à son ordinaire, haut et clair.

« Je me l’étais bien dit, que Maurin n’était pas mort. C’était vrai pourtant que ce vilain charbonnier, ce mascaré (noirci), ce diable noir l’avait attaqué au beau milieu de la nuit, pendant que lui, Maurin, assis dans sa cabane de branches, comme il me l’a conté, attendait le sanglier.Il était à l’espère, Maurin, et – je le sais par mon expérience –quand on est ainsi à l’affût, on a l’oreille bien ouverte, on entend les plus petits bruits ; mais on se méfie de soi-même,parce que les petits bruits, dans la forêt, vous font l’effet d’un tapage. Une pomme de pin qui tombe vous fait sursauter, on se dit : « Voilà les sangliers ; ils sont plusieurs,toute une bande ! » et de sangliers il n’y en a point… Ou bien, au contraire, on les entend bouïguer (affouiller le sol) et l’on se dit : « Ce n’est rien, c’est un écureuil qui fait tomber une pigne ! » La nuit on est trompé facilement,dans la forêt, par le vent, par les ombres, par tout. Alors Maurin,qui avait entendu la broussaille remuer un peu autour de lui, s’est pensé comme ça en lui-même : « Ce n’est rien ! » Et c’était ce méchant mascaré, ce Grondard, qui,le sachant là parce qu’il l’avait épié, s’approchait avec son fusil… Nom de pas Dieu ! Il me semble que je le vois !…Il devait avec prudence avancer d’un pas toutes les cinq minutes au plus ! Tout en un coup, il passe le canon de son fusil à travers les branches de la cabane, mais alors Maurin comprend cequi arrive… Il empoigne le canon de l’arme et le détourne delui ; le coup part, et le manque !…

« C’est là qu’il a montré de l’esprit,notre Maurin : il a poussé un grand cri terrible, comme unhomme blessé à mort, de manière à faire croire à Grondard que lachose pour laquelle il était venu était faite. Et en effet, lecoquin, croyant avoir réussi son coup, a filé vivement, au galop,mon homme ! Et bien content sans doute !… Les gens qui nesavent rien ont conté que Maurin, au moment où il a été attaqué,venait justement de décharger les deux coups de son fusil sur lessangliers… Ce n’est pas vrai, comme de juste, vu que les sangliersauraient senti ou entendu venir Grondard s’ils avaient été par là…Et comment, enfoui comme il l’était sous les branches, Maurinpouvait-il se défendre autrement que par cette ruse de tomber encriant : « Ma mère ! Je suis mort ! » Ilest sorti ensuite, son fusil en main dès qu’il a entendu son ennemigaloper dans le bois, mais allez donc voir, en pleine nuit, unhomme qui court sous les bruyères ! Ça n’est pas possible mêmeen plein jour. Enfin, tout est bien qui finit bien, les méchantsn’ont pas toujours la victoire et, pour cette fois, Maurin estsauvé…

« C’est égal, il se fait tropd’ennemis : d’abord Grondard ! Celui-là croit que c’estMaurin qui a tué son père, une canaille connue pour canaille par lemonde entier ; puis Sandri, dont il a pris la fiancéeTonia ; puis Orsini, le père de Tonia, qui aimerait mieux quesa fille épousât le gendarme ; puis ce richard Caboufigue,qu’il empêche d’être député ; puis Tonia elle-même qui, étantCorsoise, a une manière d’aimer terrible et qui, s’il la rendjalouse, pourra bien lui donner, un de ces quatre matins, un coupde son aiguille corse… Il ne se méfie pas assez des femmes,Maurin ; c’est son péché. Il les aime toutes, il a tort… elleslui joueront un mauvais tour… c’est moi Parlo-Soulet qui me le disà moi-même !

« Qu’heureusement, pour le quart d’heure,il semble que ses amis ont le dessus.

« Ce M. Rinal, qui aime Maurin, avéritablement de belles connaissances, il a des amis dans legouvernement et, l’autre jour, à ce ministre qui est venu le voir àBormes, il a demandé de sauver Maurin qui se le mérite ! Ettoutes ces maudites affaires si embrouillées, tous cesprocès-barbaux qu’on lui fait chaque fois qu’il prendparti pour la justice juste contre les coquins et les imbéciles,tout ça va être oublié, tout ça sera bientôt comme si ça n’avaitjamais été, ni vu ni connu, et les ennemis de Maurin, les Grondardet les Sandri en tête, auront, mes beaux anges de Dieu ! unnez long comme d’ici aux Martigues. Après ça, de sûr, il s’en ferafaire d’autres, des procès-barbaux, parce que la force de la natureest là, pechère ! mais pendant quelque temps il pourrarespirer, pas moins ! Pas longtemps, bien sûr, parce quec’est, je dis, sa nature d’attirer les procès-barbaux, comme on ditque les cyprès attirent les éclairs et le tonnerre.

« Que voulez-vous attendre d’un homme quine veut que la vraie justice en ce monde ? Celui-là je me lecomprends – est un homme qui aura toujours contre lui lesimbéciles ; et les imbéciles sont une armée, je vous dis, toutle monde en est !

« Que voulez-vous attendre d’un homme quiforce un Caboufigue à lui signer un papier par lequel ce richards’engage à ne pas essayer seulement d’être député ! C’est semettre contre lui un citoyen plus puissant que le Bon Dieu en cemonde, car l’argent, mes amis, l’argent est le roi de toutes lesrépubliques.

« Et le jour où Verdoulet a tué Grondard(car c’est Verdoulet, je le sais ; sa femme, qui est unebavarde, a fini par conter toute l’affaire), le jour où Verdoulet atué Grondard, pourquoi Maurin – qui l’a vu – lui a-t-il dit :« Je ne te vendrai jamais ! » Il aurait dû luidire : « Je ne te vendrai pas, à moins qu’on m’accusemoi. » Mais non, il a promis de ne rien dire, et comme il apromis il tiendra ; qué couyoun !

« C’est pourtant cela, jusqu’ici, qui estla plus mauvaise accusation de toutes celles que je connais contrelui, vu qu’il s’agit de la vie d’une manière d’homme, quoiqueGrondard fût un diable ; mais il avait une figure comme vouset moi – ce qui n’était pas juste.

« Et pourquoi, je vous le demande, Maurinse laisse-t-il accuser, puisqu’il connaît qui a fait le coup ?Ce Grondard était un criminel, que le peuple d’ici appelait laBesti ; on l’appelait aussi l’Ogre, pourquoi ildonnait la chasse, dans les bois, aux petits enfants qu’ilrencontrait. Le jour qui a été celui de sa mort, il poursuivait unefillette qui portait à son père, dans le bois, le dîner de midi.Verdoulet le voit, de loin, prêt à mal faire, et d’un coup defusil, il l’abat comme un chien enragé. Maurin n’avait qu’à ne passe montrer et à tout de suite filer. Mais non, il dit àVerdoulet : « Tu as bien fait ! et je te promets« de ne rien dire. » Alors, qu’arrive-t-il ? queVerdoulet, quand on accuse Maurin devant lui, des fois, il a l’airde laisser dire, de croire, comme les autres, que Maurin a fait lecoup… Un bon coup pourtant, un fameux coup ! car il adébarrassé le pays d’un homme abominable, d’un voleur, d’un bandità craindre, d’un citoyen comme il n’en faudrait pas ! d’uncoquin pire que les pires !… Mais allez faire comprendre aumonde la vraie justice !… Il faut un Maurin pour croire quecela est possible, et il en paiera la farce à la fin,pechère ! sans que moi je puisse rien faire que le voir, etm’en plaindre à moi-même, – puisqu’il ne veut pas que je parle, etattendu que ce qu’il veut je le ferai toujours. »

S’étant ainsi donné à lui-même d’abondantesexplications qui ne sont pas toutes rapportées ici, Pastouré setourna dans son lit sur le flanc droit et s’endormit engrommelant.

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