La Bande Cadet – Les Habits Noirs – Tome VIII

Chapitre 10Interrogatoire de Lirette

 

Échalot était précisément l’homme qu’ilfallait pour trouver toute simple une pareille déclaration.

Il n’avait jamais vu de prince ; mais lesprinces grouillaient dans les féeries de son imagination, et ilrépéta pour la troisième fois :

– Bon ! Un prince, je conçois ça. Cequi ne m’irait pas du tout à ma manière de voir, c’est si tu avaisbuté contre le premier venu du commerce ou même artiste pour faireconnaissance avec. Quant à moi, privativement, je n’ai pasd’orgueilleuse fierté, étant jusqu’ici du peuple, quoique jepourrais aussi me découvrir une naissance. Il n’est jamais troptard, et ma mère (sa voix trembla) décéderait plus contente, j’ensuis sûr, si elle me pressait contre son cœur avant demourir !

Il s’essuya les yeux et reprit :

– Ton prince t’aime-t-il ?

– Non, pas encore, répondit Lirettetristement.

– Et il te flanque de la soie ?

– Non, ce n’est pas lui.

– Qui donc, alors ? Un bourgeoissérieux ?

Ils étaient assis en face l’un de l’autre.Lirette avait repris sa chaise, Échalot s’était mis sur le pied dupetit lit. Elle n’avait plus le moindre trouble, et son braveexaminateur questionnait avec une débonnaire tranquillité.

– Je vous aime comme vous êtes, papaÉchalot dit-elle ; mais vous, vous ne savez pas qui jesuis.

Il bondit, car il se méprit au sens de cesparoles, et il s’écria :

– Et toi, le saurais-tu,coquinette ? As-tu découvert ?…

– Je sais, répondit-elle, que je suis unehonnête fille, voilà ! La fièvre d’Échalot tomba à plat.

– Ça, dit-il, c’est bien mignon de tapart. Tu as raison… quoique d’entendre une jeunesse qui dit toutcru : « J’aime », ça n’annonce pas de laconduite.

– Ah ! s’écria Lirette, je voudraisle dire à l’univers entier ! Je l’aime ! Je l’aime !Je l’aime !

– Excusez ! ça coûterait en lettresde faire-part ! Mais je suis fait pour comprendre l’amour,ayant éprouvé sa cuisson et ses délices, il n’y a pas encore bienlongtemps. La passion est la principale fleur de notre existence…Veux-tu parler affaires, un petit peu, bobonne ! Je te proposede prodiguer en ta faveur toute mon expérience et capacité. C’estbon de dire : « Je veux être riche », mais les voieset moyens… Voyons ! Dévide ton petit chapelet.

– J’ai droit à une grande fortune,prononça tout bas Lirette.

– Mon idée y a toujours été conforme,approuva Échalot chaudement. Va, chacun de nous ici-bas est entouréde circonstances. Une voix intérieure me dit que je peux à chaqueinstant découvrir le secret de mes parents personnels avec desrentes et biens-fonds considérables, soit négociants, soitseigneurs de la cour dans le faubourg Saint-Germain. Seulement, y ales sarcasmes de la destinée : si tu attends aussi longtempsque moi… dame !

– Je n’attendrai pas, murmura Lirette,qui parlait comme malgré elle, et dont le sourire avait d’étrangesgravités.

Échalot la regardait curieusement.

– Tu t’auras fait tirer les cartes ?s’écria-t-il. Elle secoua la tête ; il poursuivit :

– Tu auras parlé avec la somnambulelucide ?…

– Non, interrompit la jeune fille, je necrois pas à tout cela.

– À qui crois-tu donc ?

– À Dieu… et à moi, fit Lirette.

– Alors, t’as rêvé, crottind’âne !

Ceci fut une explosion. Les yeux d’Échalotétaient ouverts tout ronds et son nez lui-même avait pâli. Le rirede Lirette montra toutes ses belles dents perlées.

– C’est vrai que j’ai essayé bien souventautrefois, dit-elle.

– N’y a pas meilleur signe,d’abord ! déclara Échalot.

– Possible, mais ce n’est pas encorecela.

– Tant pis !

– J’ai tout uniment l’idée que je suisprincesse…

– Comment ! toi aussi ! Maisles idées, ça ne suffit pas.

– Quand je dis princesse, j’entends fillede parents nobles et riches.

– Riches, surtout !

– Il y a en moi des souvenirs…

– Une dame, suggéra aussitôt Échalot,avec des tire-bouchons à l’anglaise, qui se penchait au-dessus deton berceau…

– Non.

– Un grand salon triste et noir, tentureen étoffe rouge, tout soie, mais vieille, vieille, et des frangesd’or…

– Peut-être… Et puis quelqu’un me l’adit.

– Ah !… fit Échalot que l’émotiondramatique tenait décidément à la gorge : quelqu’un !comme c’est ça ! Et ce n’est ni la batteuse de cartes ni lalucide ? Nom de nom ! il n’y a pourtant pas d’ermite dela montagne par ici ! Ne me fais pas languir, gaminette !J’ai aussi à te dévoiler des particularités de la plus hauteimportance.

– Eh bien ! dit Lirette, j’ai vu lejeune homme de la rue Vieille-du-Temple, le Furet, comme vousl’appelez… celui qui sait tout.

– Pistolet ! s’écria Échalot :un joli mouchard ! Il a du talent.

– Il a plus que du talent ! c’estcomme une sorcellerie !

– Et tu as été jusque chez lui,là-bas ?

– Oui, la seconde fois… mais c’était luiqui était venu d’abord.

– S’il est venu, dit Échalot, c’est qu’ila senti qu’il y avait du tabac. Je t’avais pourtant défendud’ouvrir la porte…

– Il est entré par la fenêtre.

– En plein jour ?

– En pleine nuit, plutôt.

– Par exemple ! Et tu l’asreçu !

– Je dormais. J’ai entendu qu’on medisait : « Bonjour, Tilde ! »

– Tilde… il te prenait donc pourmademoiselle Clotilde, la nièce aux Jaffret ?

– Je ne sais pas, je me suis cruefolle ! Il faisait tout noir. Ce nom-là me faisait l’effetcomme si je n’avais jamais été appelée autrement. J’aidemandé : « Qui est là ? », la voix m’arépondu : « C’est moi, ton papa Morand. » Alors,j’ai sauté hors de mon lit en criant, car je n’étais pas encorebien éveillée : « Oh ! papa Morand ! papaMorand, j’ai fait un rêve qui a duré si longtemps, et où vous étiezmort. »

Échalot ne respirait plus, tant sa curiositéétait excitée violemment. Lirette reprit :

– Je cherchais mon papa Morand dans lanuit pour l’embrasser, car l’idée ne me revenait pas qu’il m’avaitbien battue, le pauvre homme ; quand la voix a changé tout àcoup, disant : « Voilà tout ce que je voulais savoir.N’ayez pas peur, ma jolie fille, je ne suis ni un voleur, ni unamoureux, je viens vous apporter votre fortune et vous me payerezune commission raisonnable pour ma peine. » J’entendis en mêmetemps qu’on frottait une allumette, et, tout de suite après, malampe éclaira un gentil garçon, qui portait sous son bras un paquetavec la marque des magasins du Louvre…

– C’est lui qui t’a donné la soie ?s’écria Échalot émerveillé. Pistolet !

– C’est lui.

– Ah ! nom de nom ! Et il net’a pas commis d’inconvenance ?

– Moi, répondit Lirette, je l’ai embrasséquand j’ai vu la robe… dame ! je n’en avais jamaiseu !

– C’est la nature, fit Échalot.

– Et c’est alors qu’il m’a dit :« Vous êtes un vrai petit amour et vous ferez une mignonneduchesse. »

Échalot tâta l’étoffe de la robe enconnaisseur.

– Il s’en est mis sur l’œil pour plus decinquante écus, dit-il, faut qu’il croie dur à l’affaire. Etaprès ?

– Après, il m’a dit de couper la robedare-dare sur une image de journal qu’il avait apportée.

– C’est qu’il pense à tout, cepierrot-là… va toujours.

– Et il s’est mis à me raconter monenfance… Quoi ! J’aurais dit que c’était ma mémoire quicausait. Où il a déterré toutes ces choses, je n’en saisrien : ce qui est sûr, c’est que, moi, je les avaisoubliées.

– Et on n’a pas voulu de lui à douzecents francs dans les bureaux, rue de Jérusalem ! dit Échalot,ni de moi non plus. C’est des finauds, je n’avance pas lecontraire ; mais la jalousie ! Ils ont privé legouvernement de moi et de Pistolet, voilà… va toujours.

– Ce serait long, s’il fallait tout vousdire. Je choisis l’important. Il m’a rappelée qu’aprèsl’enterrement de papa Morand… Mon Dieu ! que j’eus froid, cematin-là ! J’étais toute petite… On m’emmena dans la grandemaison du Marais, bien malgré moi, car je voulais rester avec lepetit Clément de chez le marbrier qui m’avait donné son déjeuner àmanger… et que je m’en sauvai de chez les Jaffret encore pourretourner avec Clément. Mais il n’y avait plus personne chez lemarbrier… Et comme votre baraque était à la foire du Landit, entreLa Chapelle et Saint-Denis, il se trouva que je vins pleurer àvotre porte…

– Et tu étais déjà bien gentille,gaminette.

– Vous eûtes pitié de moi…

– Je te pris, et ce ne fut pas ma plusmauvaise affaire…

– Bon père Échalot, je suis avec vousdepuis ce temps-là.

– C’est tout ?

– Oh ! que non ! Vous parlezsouvent de la main de la destinée. Voilà quelque chose defrappant ; celui que j’aime, le prince…

– Je parie que c’est le petit de chez lemarbrier ! s’écria Échalot tout haletant d’intérêt. Dire quechacun trouve son mystère, et que le mien de ma naissance resteimpénétrable !

– Juste, dit Lirette, c’était mon petitClément, vous avez deviné. Et vous pensez bien que, pourtant, je nel’avais pas reconnu. Je le vis une fois, l’an dernier, qui passaità cheval sur la place, je l’aimai, et puis voilà tout… Maisattendez, papa : vous savez bien, mademoiselle Clotilde, de larue Culture, si bonne et si jolie ?

– Presque aussi jolie que toi !

– Mais meilleure… Eh bien ! elle estchez eux à ma place.

– Chez qui ?

– Chez les Jaffret.

– À ta place ?

– Oui, ils la prirent tout au fond de lacampagne, et quand ils l’amenèrent au bout de deux ou trois ans àParis, ils dirent : « Voyez comme notre Tilde a changé etgrandi ! » Je crois bien ! Elle a deux ans de plusque moi !

– Mais quand le diable y serait, cetteTilde-là, grommela Échalot, ne pouvait pas leur dire la prière…

Lirette lui saisit les deux mains et leregarda dans les yeux.

– C’est donc bien vrai !s’écria-t-elle ; vous m’avez entendue la réciterautrefois ! Et vous avez le papier dont M. Pistolet m’aparlé ! Le papier où est ma prière !

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