La Bande Cadet – Les Habits Noirs – Tome VIII

Chapitre 30Le dénouement

 

Telle fut la fin du sanguinaire scélérat quiavait donné son nom à la bande Cadet.

On retrouva le lendemain, dans l’arrière-courde la rue de La Rochefoucauld, cette chose hideuse que le Manchot yavait laissée : le corps d’un vieillard chauve, noué dans unsac qui était un bloc de glace.

Le concierge déclara que, dans la soirée, unhomme dont le visage était enveloppé de linges et qui semblaitmarcher avec peine avait demandé le cordon bien avant minuit.

C’était Clément-le-Manchot qui avait cuvé sadébauche de tigre et qui allait se coucher.

Il nous resterait à dire ici ce que les autreschefs de la bande, la comtesse Marguerite, Samuel, Comayrol et lebon Jaffret firent cette nuit au rez-de-chaussée de la, maison duDr Lenoir, rue de Bondy, chez ce mystérieux personnage,M. Mora, que nous avons laissé dans l’ombre de parti pris etque Cadet-l’Amour disait être le colonel Bozzo, ancien Père-à-tousdes Habits Noirs, enterré au Père-Lachaise depuis des années, maiscela ne regarde pas la bande Cadet.

La bande Cadet mourut avec son parrain, cesoir-là même.

C’est le prologue d’un autre drame, absolumentdistinct de celui-ci.

Le dénouement de notre présente histoire eutlieu à l’hôtel de Souzay même, dans le boudoir où les deux dames deClare, Marguerite et Angèle, avaient eu leur entrevue.

C’était au moment où les agents fouillaientles massifs, à la recherche de l’assassin, et alors que le Manchottraînait encore son sinistre haquet sur la terre gelée avant decrocheter la porte du bout. Les événements, qui vous ont semblépeut-être lents sous notre plume, avaient marché vite, aucontraire ; neuf heures n’étaient pas sonnées.

Dans le boudoir, le docteur Abel se penchaitau-dessus du prétendu jeune homme assassiné dont il venait dereconnaître le sexe.

On avait retourné Clotilde, qui étaitmaintenant étendue sur le tapis, la face en l’air.

Le docteur avait défendu, tant il la trouvaitmal, qu’on la soulevât pour la porter sur un lit.

Auprès d’elle, Lirette et le prince Georgesétaient agenouillés.

Le commissaire verbalisait dans la chambre deMme la duchesse, dont la porte restait ouverte. Parl’autre porte, celle qui donnait sur le corridor, Albert entra,soutenu d’un côté par sa mère, de l’autre par Tardenois.

C’était le bruit de l’invasion qui l’avaitéveillé. Il s’était levé tout seul et avait détaché lui-même lesliens d’Angèle, revenue à la vie.

De ce qui s’était passé, il savait seulementce qu’avaient pu lui apprendre les paroles entrecoupées de sanglotsqui échappaient à la détresse de sa mère ; il ne se doutait derien, à vrai dire, car la maison était tranquille quand il s’étaitendormi et des choses semblables ne se devinent pas.

Et pourtant, un pressentiment mortel luiopprimait le cœur.

Il ne pouvait ignorer, du moins, la ténébreusebataille où sa famille était engagée ; il savait, et nousl’avons vu s’en indigner, que la poitrine de son frère avait étémise plusieurs fois entre lui et le danger.

Désormais, d’un mot il allait toutcomprendre.

Et d’avance Angèle subissait les tourments del’enfer.

À l’instant où la mère et le filsfranchissaient le seuil, le docteur disait :

– Le cœur bat encore, il reste unsouffle, mais il n’y a plus d’espoir.

– Qui donc a été frappé ? demandaAlbert. Mon frère ? Est-ce mon frère qu’on a tué pourmoi ?

Le silence lui répondit.

Il sentait sa mère chanceler au lieu de lesoutenir.

La lumière de la lampe, démasquée par lemouvement du docteur qui se relevait, tomba sur le visage deClotilde.

Albert ne la reconnut pas tout d’abord, carelle avait l’air d’un enfant avec ses cheveux coupés et ses habitsd’homme.

Elle était merveilleusement belle sous sapâleur de marbre.

Le pauvre vaillant sourire de défi qui restaitautour de ses lèvres faisait admiration et pitié.

Albert se pencha en avant, la bouche et lesyeux grands ouverts.

– Est-ce que ma raison est perdue ?dit-il.

Puis il prononça le nom de Clotilde et soncorps fut pris d’un tremblement qui secoua le vieux Tardenois de latête aux pieds.

– Abel ! appelaMme de Clare, au secours !

Et comme le docteur restait incliné au-dessusde la mourante, elle ajouta :

– Abel ! Abel ! ton fils semeurt !

– Elle va parler, dit le docteur, quiguettait le réveil de Clotilde.

Il se leva et vint vers Albert, qu’il prit auxmains de Tardenois pour l’entourer de ses bras. La duchesse s’étaitaffaissée, mourante, sur un siège.

– C’est elle qui l’a tuée, n’est-cepas ? demanda Albert en montrant du doigt la duchesse, qu’ellesoit maudite !

Le docteur le baisa sur le front.

– Dieu te pardonnera cette parole et tacruauté, dit-il, car tu t’en vas bien jeune, et tu as beaucoupsouffert, mais n’accuse pas ta mère : son crime fut de n’aimerque toi !

Une voix faible fut entendue dans le profondsilence. Elle disait aussi :

– N’accusez pas votre mère qui voulaitmourir pour vous ! C’était la blessée qui parlait.

Elle rouvrit les yeux, et son premier regardse baissa parce qu’il avait rencontré les larmes de Lirette, maiselle dit, comme si elle eût voulu excuser ce mouvement.

– Petite amie, vous êtes maintenant uneriche et noble demoiselle. C’est moi qui vous apporte votrehéritage et j’en ai bien de la joie.

– Oh ! Clotilde chérie !balbutia Lirette, vivez seulement pour que nous vous aimions tous àgenoux !…

– Mon pauvre Clément, interrompit lamourante en prenant la main de Georges, c’est moi aussi quit’apporte ta fortune et ton nom. J’ai été dure avec ta mère, maisje lui ai demandé pardon… Pourquoi pleures-tu ? Dieu estbon : qu’aurais-je fait sur la terre puisque vous vousaimez ?…

Elle souriait, le sourire des enfants et desanges. Sa tête s’était légèrement soulevée. Elle attira les mainsréunies de Georges et de Lirette jusque sur son cœur et ditencore :

– Soyez bien heureux !

Sa tête retomba sur le tapis d’un mouvementdoux et lent.

Elle était morte.

– Adieu, ma mère, dit Albert, je vais àelle.

Et il n’y eut plus rien que le cri déchirantd’Angèle, qui tomba foudroyée sur le corps de son fils adoré. Cefut près d’elle que le docteur Abel s’agenouilla.

– Enfants, dit-il à Georges et à Lirette,celle-ci est la vraie condamnée, car elle vivra…

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