La Bande Cadet – Les Habits Noirs – Tome VIII

Chapitre 25Ville gagnée

 

Pistolet s’était dirigé vers la porte, mais ilrevint. Il avait oublié de mentionner la scène sauvage de la rueVieille-du-Temple : l’assassinat de Clément-le-Manchot parCadet-l’Amour.

– Ce malheureux peut-il nousservir ? demanda le docteur.

– Je ne l’ai pas revu depuis cette nuit,répondit Pistolet ; mais s’il doit s’en relever jamais, il nebougera de plus d’un mois, j’en réponds !

– Va donc et mène rondement lachasse ! tu cours après ta fortune. Pistolet sortit.

Il emmena Tardenois, Larsonneur et les autresvalets.

Voilà pourquoi nous avons vu Clotilde entrerdans la maison sans trouver à qui parler.

L’office était vide et la cuisine aussi, parceque Mme Meyer (de Prusse) avait pris campos aprèsavoir donné vacances aux servantes.

Pourquoi ? Comment ? Il faut bienenfin le dire : parce que l’ennemi était dans la maisonmême.

Non pas les compatriotes deMme Meyer, mais la bande Cadet.

En plein jour, dans Paris tranquille, aumilieu d’un quartier populeux, à l’insu des passants de la rue etdes voisins habitant les demeures d’alentour, une maison avait étéprise d’assaut et restait au pouvoir de l’envahisseur.

Il faut raconter en détail cet événement quisemble au premier aspect invraisemblable comme une féerie et quis’accomplit le plus simplement du monde, prélude d’événements plusextraordinaires encore.

Il pouvait être dix heures du matin quandPistolet, sur l’ordre du Dr Lenoir, emmena Tardenois, Larsonneur etles autres pour les lancer sur la piste des Habits Noirs.

Une heure après, arrivèrent Georges etLirette, qui n’avaient plus trouvé Clotilde dans la baraqued’Échalot.

Pour la première fois depuis bien des années,il y eut dans la maison d’Angèle une scène de bonheur, une scène defamille.

On n’avait encore, en somme, aucune raison des’inquiéter pour Clotilde, et Lirette apportait en entrant ici detels motifs d’espoir qu’on la reçut comme une providence.

Elle était le salut d’Albert puisqu’ellebrisait le lien qui attachait Georges à Clotilde ; elle étaitaussi la promesse d’une ère nouvelle au point de vue de la fortuneet de la sécurité légale, puisque, vivant témoignage, elle pouvaitcertifier l’existence des actes qui constataient l’état civil de laduchesse et de son fils.

C’était une autre existence qui commençait.Angèle, ramenée au bien par l’espoir, ne voulait plus nisubterfuges ni ambages ; elle aimait ses deux fils, ellechérissait déjà cette ravissante créature qui allait être sa fille,elle attendait l’autre… Ah ! celle-là, comme elle allaitl’adorer ! La femme d’Albert !

Celui-ci dormait, visité par de beauxrêves.

Le docteur venait de sortir, en annonçantqu’il reviendrait.

Vers deux heures après midi, Rose Lequiel, lafemme de chambre, faisant le service de Tardenois absent, ouvrit laporte d’une pièce, voisine de la chambre à coucher d’Angèle, et oùcelle-ci se tenait avec Lirette et Georges.

Rose Lequiel annonça Mme lacomtesse Marguerite de Clare et M. le comte de Comayrol.

Il y avait des années que Marguerite et Angèlene s’étaient vues. Rivales de beauté autrefois, elles n’avaientjamais éprouvé l’une pour l’autre une bien vive sympathie. Angèlefut étonnée. Elle ne connaissait pas M. de Comayrol.

– Faites entrer au salon, dit-elle. MaisMarguerite était déjà sur le seuil.

– Sans cérémonie, n’est-ce pas, dit-elle,tout à fait ? Entrez, comte. Ma bonne et chère cousine nousexcusera.

Angèle s’était levée.

Mme la comtesse vint à elled’un pas délibéré en ajoutant :

– Vous voyez, nous sommes en costume devoyage… Bonjour, prince… Chère duchesse, Georges nous a faitconnaître hier l’aimable intention que vous aviez eue de venir àl’hôtel Fitz-Roy pour signer au contrat.

– En effet, je le voulais, dit Angèle,qui pensa tout d’un coup à Albert.

Pour maintenir le projet de mariage enchangeant d’épouseur, il fallait gagner les bonnes grâces deMarguerite.

Elle tendit sa main la première.

Marguerite la secoua cordialement. Vouseussiez dit en vérité les deux meilleures amies du monde.

Marguerite reprit :

– C’est vous qui nous teniez rigueur,cousine. Nous avons considéré cette bonne parole comme un premierpas, et vous voyez notre empressement à risquer le second. Malgréles très grosses affaires qui sont tombées sur nous aujourd’hui,j’ai dit à la famille : « Je ne partirai pas sans voirAngèle… » Permettez-moi de vous présenter M. le comte deComayrol, un des témoins de notre Clotilde.

M. le comte de Comayrol salua. Il étaitbotté et harnaché comme pour faire le tour d’Europe. On s’assit.Lirette se tenait à l’écart, effrayée sans savoir pourquoi. Georgesn’essayait même pas de dissimuler son malaise. Était-ce l’heure del’explication ?

Mais toute cette glace fut brisée du premiercoup. Marguerite rapprocha son fauteuil de celui d’Angèle.

– Il y a quelque petite chose, luidit-elle à voix basse, et vous vous en doutez bien. Vous aviezdonné pouvoir à maître Souëf, et certes, nous n’en demandions pasdavantage ; mais ce contrat est provisoire dans l’idée demaître Souëf lui-même, et le mariage n’ira pas tout seul. Est-ceque vous ne causeriez pas volontiers un instant en tête à tête avecmoi, ma belle cousine ?

– Très volontiers, au contraire, réponditAngèle vivement, j’ai moi-même à vous parler d’une certainecirconstance…

– J’en étais sûre ! s’écriaMarguerite en riant bonnement. Comme on a tort de ne pas se voir ets’entendre !… Georges, mon cher enfant, pardonnez-moi si jedispose de vous, il faut que vous emmeniez M. de Comayrolpendant dix minutes, ainsi que cette charmante demoiselle… Elle estde la famille ?

Lirette s’était levée. Ce fut elle quirépondit :

– Oui, madame, je suis de la famille.

Son regard heurta celui de Marguerite, quisourit, puis tourna la tête.

– Georges, dit Angèle, vous mènerezM. le comte au salon.

– Non, oh ! non, fit Marguerite dontle sourire prit une singulière expression ; au salon, il y adéjà quelqu’un.

– Quelqu’un ! répéta la duchesseétonnée ; qui donc ? Au lieu de répondre !Marguerite demanda :

– Est-ce que le petit salon ne donne passur le jardin ?

– Si fait, mais…

– Vous ne comprenez rien à tout cela,n’est-ce pas ? interrompit la comtesse en lui adressant unsigne d’intelligence. Faites comme si vous compreniez, vous allezavoir le mot de l’énigme… Allez, Georges, au petit salon… Voussaurez tout et vous me remercierez.

M. de Comayrol offrit galamment sonbras à Lirette.

Sur un coup d’œil d’Angèle, Georges lesaccompagna.

Tout le monde souriait encore, mais autour dela situation, il y avait déjà une mortelle inquiétude.

Aussitôt que la porte fut refermée, laphysionomie de Marguerite changea.

– Maintenant, dit-elle, mademoiselleTupinier, à bas les masques, s’il vous plaît ! Nous ne pouvonspas nous souffrir, vous et moi, parce que nous sommes du mêmemétier et que nous nous faisons concurrence…

– Madame !… voulut interrompre laduchesse, plus stupéfaite encore qu’indignée.

– Mais, en définitive, poursuivitMarguerite, il n’y a pas entre nous une de ces haines implacablesqui font courir comme un fourmillement l’envie d’étrangler jusqu’aubout des doigts. Moi, je suis assez bonne fille, au fond, jouonsdonc cartes sur table. Je suis une voleuse, ma cousine, commandantà des voleurs.

– Oh !… fit Angèle, qui essaya de selever.

– Et vous le saviez très bien, continuaMarguerite, ce qui ne vous a pas empêchée d’envoyer votre fils àl’hôtel de Fitz-Roy avec de beaux bouquets, ma foi, pour demanderla main de notre pupille. Je suis de la bande Cadet ouplutôt : Je suis la bande Cadet ! Vous le saviezsi parfaitement que vous aviez fondé la bande Abel Lenoir pour nouscombattre. C’est un homme de talent que ce docteur, mais son idéen’a pas le sens commun. Au XIXe siècle, ma chère, leplus naïf des commissaires de police vaut tous les francs-juges del’univers. Ce n’est pas à cause de vous que nous jouons notreva-tout aujourd’hui, avant de quitter Paris et peut-être la France,c’est parce qu’on nous a avertis, cette nuit, que le commissaire depolice allait se mêler de nos affaires. Rien que pour cela.

Elle s’arrêta. Son regard couvrait Angèle, quis’était remise et qui réfléchissait.

Il y avait autour de cette scène, entamée sibizarrement, un silence plein de repos. Le soleil d’hiver, quiallait baissant, dessinait sur le tapis en deux larges raieslumineuses les broderies de la mousseline qui recouvrait les glacesdes croisées. On n’entendait rien, sinon ce murmure lointain deParis, si rassurant et si doux à l’oreille, quoi qu’on dise.

Comment craindre les choses de la forêt deBondy quand on entend ce beau Paris causer, rouler carrosse etrire ?…

– Je sais à quoi vous pensez, madame laduchesse, reprit Marguerite, car ce nom de Tupinier ne doit pasvous plaire, et je veux revenir à mes habitudes de bonne compagniequi sont chez moi une seconde… ou une troisième nature. Ce mot decommissaire de police vous a émoustillée. Celui du quartier demeureà trois portes de chez vous, vous croyez cela… Eh bien, non !il est à l’autre bout du monde. Entre lui et vous, il y amoi : la bande Cadet !

Angèle garda le silence. Marguerite repritencore.

– Et je vous prie de remarquer combiennos bandits sont sages. Ils emplissent votre maison, et vousn’entendez aucun bruit…

– Ils emplissent ma maison ! répétala duchesse sans savoir qu’elle parlait.

– Toute la partie de votre maison quiregarde l’avenue, oui, expliqua complaisamment Marguerite, et celas’est fait tout seul, aussitôt après le départ du Dr Lenoir. Vousaviez pris soin vous-même d’éloigner vos valets. Restaient bien vosservantes, mais Mlle Rose Lequiel est venue luidire « de votre part » qu’elles pouvaient prendre lapermission de dix heures aujourd’hui.

– Rose ! fit Angèle. De mapart !

– Hélas ! ma chère, elle vous estdévouée comme les nourrices de la comédie, mais elle aquarante-cinq ans, l’âge des passions conservées en boîtes, et nousavons un don Juan du nom de Similor qui ravage ces vieux cœurs dansla perfection… Nous sommes entrés bien tranquillement. Notrequartier général est au salon, et vous comprenez maintenantpourquoi je vous ai priée de n’y point envoyer votre cher fils, cequi eût été dangereux pour lui. Entre vous et la ville lescommunications sont coupées, quoique votre porte cochère là-basreste ouverte, car je veux bien vous dire que cette belle petiteClotilde, la fiancée de votre fils, ne fait pas partie de notreassociation. Elle nous a faussé compagnie ce matin, et j’aiquelques raisons de croire que cette porte ouverte sera pour ellecomme le collet qui prend les alouettes. Nous avons besoin d’elleet nous l’aurons. Du côté du jardin, au contraire, ah ! vousêtes libre comme l’air !…

Elle se leva et vint ouvrir une descroisées.

– Seulement, ajouta-t-elle, c’est unjardin de prison que vous avez là. Il n’y a qu’une seule fenêtrelà-bas, derrière les arbres… Et en vérité, j’y voisquelqu’un !

La duchesse se leva vivement et ouvrit labouche pour appeler à l’aide. Marguerite riait.

– Regardez bien auparavant, dit-elle.

– Jaffret ! murmura Angèle enreculant.

– Le bon Jaffret ! appuya Margueriteavec onction. Et il a apporté ses bouvreuils !

Jaffret donnait, en effet, la becquée à sesfavoris, et, à travers l’espace, sa voix exercée se fit entendre,chantant :

– Huick ! huick !…rrriki ! huick !

– Bonjour, filleule ! dit une autrevoix sous la croisée même. Menons les choses rondement, mamignonne, le chemin de fer n’attend pas, et dehors il fait un froidde loup !

Dans l’allée, Angèle avait reconnuCadet-l’Amour qui se promenait en fumant sa pipe. Elle retombabrisée sur son fauteuil et murmura :

– Madame, que voulez-vous demoi ?

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