La Bande Cadet – Les Habits Noirs – Tome VIII

Chapitre 19Là !

 

Là, c’était la maison roulante du pauvreÉchalot, que nous avons quittée au moment où Pistolet arrivait enretard au rendez-vous de cette nuit. Mademoiselle Clotilde était debonne foi quand elle se demandait, tout le long du chemin, si elleentrerait chez le directeur de la prison, d’abord, puis chez ledocteur Abel et peut-être que l’idée lui était venue en effet desoulever le marteau de l’hôtel de Souzay ; mais qui ne s’estainsi trompé soi-même aux heures de grand trouble ?

En sortant de Saint-Paul, et même avant d’yentrer, Clotilde était déjà en route pour chercher, pour trouverLirette.

Lirette était le poids même qui lui oppressaitle cœur.

Elle tremblait. Les premiers rayons du blancsoleil d’hiver éclairaient le campement forain encore endormi. Onne voyait personne à l’entour.

Par-derrière, c’était ce désordre souillé,cette confusion, ce tohu-bohu d’objets malpropres et impossiblesqui accompagne partout les nomades de la foire.

– L’artiste n’y regarde pas desi près ! vous dira la femme-colosse démissionnaire oul’hercule ramolli qui mange sa soupe dans une cuvette cassée.

Ces étables d’Augias forment la coulisse duchimérique théâtre dont chaque soir le parterre, à en croire lesarcasme de l’affiche, est bourré de souverains étrangers.

Parmi tous ces palais de sapin, ornés demagnificences à la colle, le plus minable était sans contredit« l’établissement » d’Échalot.

Clotilde l’avait reconnu du premier coupd’œil, et pourtant, elle restait immobile. Nous parlions depalais : au seuil de n’importe quel palais, Clotilde auraitété moins timide.

Ici, elle avait peur.

Peur de voir et de savoir.

Elle regardait de loin ces minces muraillesau-delà desquelles était peut-être son destin.

Derrière ces pauvres planches, les chosesétaient comme nous les avons laissées ; seulement Échalotronflait ivre de rêves et de grandeurs. Dans la petite cabine dubout, Pistolet était seul avec Lirette.

Il n’entre pas dans notre plan de peindre icien pied ce personnage singulier et à coup sûr remarquable, qui pritun jour d’assaut le meilleur fauteuil de la rue de Jérusalem etmena la police après l’avoir battue. Sa place est marquée d’avancedans l’épisode qui racontera en grand la dernière et mortellebataille livrée par le Dr Abel Lenoir au colonel Bozzo.

Nous dirons seulement qu’à l’époque où noussommes, Clampin, dit Pistolet, futur maître de la sécuritépublique, avait encore un peu le bec jaune du gamin de Paris,quoiqu’il eût déjà mené fort loin de sérieuses études. Il lisaitpar en bas le livre de nos civilisations. Bien des gens pensent quec’est là le vrai livre, peut-être le seul livre.

Et aussi que c’est le vrai sens à choisir pouren déchiffrer les lignes, si on veut apprendre à connaître leshommes, c’est-à-dire à les gouverner. Clampin, dit Pistolet,quoiqu’on lui refusât une place de douze cents francs, avaitvaguement l’idée de s’éveiller un jour ministre.

Ne souriez pas : les paris restentouverts.

C’était un beau petit homme aux cheveuxfrisés, au front rayonnant comme celui de saint Jean-Baptiste. Onvoyait bien qu’il porterait l’habit supérieurement quand ilvoudrait : l’habit qui gêne tant de riches et noblesentournures !

– Voilà donc ce qui est bien convenu,dit-il à mademoiselle Lirette, qui l’écoutait comme un oracle. Voussavez désormais tout ce que vous avez à savoir. Soyez chez ledocteur Abel à huit heures, et reposez-vous sur moi pour lereste.

– Et la onzième pierre ? demandaLirette. Pistolet se leva et ses épaules remuèrent.

– Ces choses-là, dit-il, on n’en causepas tout haut dans une maison à jour comme un panier. Vous avezcausé, vous avez eu tort. Le trou doit être vide depuis beautemps ! C’est égal, j’ai besoin à l’hôtel Fitz-Roy et je vaissoulever la dalle pour l’acquit de ma conscience… Vous êtes àcroquer, vous savez, avec ma robe ? Quand vous serezprincesse, vous me ferez cadeau d’une montre : ça manque à monmobilier.

Il sauta sur la place sans toucher les degrésdu perron de bois et détala comme un cerf.

Au haut des marches, les yeux de Lirette quile suivaient exprimaient une respectueuse admiration, comme s’il sefût agi d’un protecteur mûr et plein d’expérience ; mais leregard de la jolie fille changea tout à coup en s’arrêtant sur unefemme immobile et pâle presque autant qu’une morte, qui s’appuyaità l’angle de la baraque voisine.

– Clotilde ! murmura Lirette, qui nevoulait point croire d’abord au témoignage de ses yeux, est-cepossible ! Mademoiselle Clotilde !Mlle de Clare ne bougea pas. Lirette hésitait,mais il lui sembla que Clotilde chancelait. Elle s’élança juste àtemps pour l’empêcher de tomber à la renverse.

– Est-ce que vous veniez me voir,Clotilde ? demanda-t-elle. Dans la prunelle assombrie deMlle de Clare il y avait de l’égarement !Au lieu de répondre, elle dit :

– Pourquoi es-tu habillée en damemaintenant ?

Lirette rougit mais ce fut de plaisir. Je nesais quoi de victorieux était en elle.Mlle de Clare dit encore, et sa pauvre voixdéfaillait :

– Mène-moi chez toi.

Lirette obéit aussitôt. Elle était forte.Clotilde qui s’aidait à peine fut portée plutôt que conduitejusqu’au petit réduit où la robe de soie avait été cousue.

– Vous brûlez la fièvre ! ditLirette.

Mlle de Clare essaya des’asseoir sur le lit, mais sa tête lourde emporta son corps, elles’affaissa en balbutiant :

– Ah ! comme elle est belleainsi ! J’ai eu tort de venir : je ne doute plus. C’estelle qu’il aime ! Et c’est elle… Ah ! oui ! j’ai sonsort dans ma main !

Ses yeux se fermèrent pendant qu’elle touchaitinvolontairement les papiers qui étaient dans son sein.

Lirette l’arrangea sur son petit lit comme unenfant. Elle la baisa au front longuement. Ses yeux avaient deslarmes de pitié, mais tout autour de son radieux visage la beautééclatait comme une gloire.

Elle courut éveiller Échalot ; en lesecouant, elle disait :

– Il m’aime ! c’est elle quil’avoue ! Georges ! oh ! Georges !

– Ah çà ! ah çà ! faisait lebrave homme. Vas-tu me laisser tranquille, toi ! à moins queça ne soit pour ma naissance qu’on en aurait enfin découvert lesecret !

– Père, dit Lirette, levez-vous etvenez ! Elle l’entraîna dans sa chambre et reprit :

– Je suis obligée de me rendre chez ledocteur Abel, et voici la seule créature humaine (en dehors devous) qui ait été bonne pour moi. Veillez sur elle, je vous laconfie. Elle est ma rivale, mais je l’aime comme la prunelle de mesyeux !

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