La Bande Cadet – Les Habits Noirs – Tome VIII

Chapitre 22Tête-à-tête

 

Nous savons que le prince Georges de Souzayétait dans toute la force du terme un charmant cavalier. Peut-êtrele lecteur est-il tenté de juger qu’en ce moment sa situationtournait un peu au comique.

Pour notre part, nous n’y voyons point demal.

Il balbutia je ne sais quel compliment, et lacomtesse reprit :

– Il est d’usage dans un jour commeaujourd’hui et même auparavant, mais les circonstances ne s’y sontpas prêtées, que les deux fiancés puissent faire échange de leurspensées. Du reste, il n’est pas trop tard : contrat n’est pasmariage. On ne peut dire que vous soyez étrangers l’un à l’autrepuisque, pendant la recherche du prince, personne ici n’a jamaisgêné la complète liberté de vos entretiens, mais vous n’en avez pasbeaucoup profité. Causez. Entre tous les actes que nousaccomplissons en notre vie, le mariage est le plus grave, et lesmillions ne remplacent pas le bonheur.

Sa voix trembla sur ces dernières paroles, quifurent dites avec un profond sentiment de mélancolie.

Elle embrassa Clotilde, donna la main àGeorges et sortit en disant :

– Je reviendrai vous chercher pour quevous ne soyez pas déconcertés en rentrant au salon.

Georges et Clotilde étaient seuls.

Un instant ils restèrent l’un auprès del’autre sans se parler et sans se regarder.

Après le départ de Marguerite, derrière laporte refermée du salon, ils avaient pu entendre le bruit d’uneseconde porte qui pareillement se fermait.

Au bout de quelques secondes, mademoiselleClotilde mit un doigt sur sa bouche et prononça très bas :

– Elle est peut-être encore là. Je vaisbien voir !

Ce disant, elle se leva brusquement et gagnad’un saut de gazelle la porte en appelant :

– Marguerite ! ma tanteMarguerite !

Elle ouvrit et n’appela plus. La secondechambre était vide.

À cette vue, la physionomie de mademoiselleClotilde changea, et le bon, le pétulant sourire de son âge éclatatout à coup dans ses yeux.

Georges souriait aussi.

– Qu’allais-tu lui dire ?demanda-t-il.

Vous avez bien lu : M. le prince deSouzay, malgré sa timidité que vous trouvâtes ridicule, tutoyaitMlle de Clare intrépidement.

– J’allais lui dire, répondit celle-cisans paraître chagrinée, ni même étonnée, de rester près de nous,et que nous causerions tout aussi bien devant elle. Nous n’avonsrien à cacher…

– Menteuse ! s’écria Georges enriant.

Elle ferma la porte avec soin. Quand elle seretourna, Georges était sur ses talons.

– Veux-tu que je t’embrasse ?dit-il.

Ce fut elle qui lui jeta ses deux bras autourdu cou en répondant :

– Bien vite et rien qu’une fois ! Jesuis sûre qu’ils nous épient.

– S’ils nous épient, répondit Georges,qui la dévorait déjà de baisers, une fois est aussi dangereuse quecent.

Elle se dégagea de son étreinte et reprit saplace en lui faisant signe de l’imiter.

– Je les connais, dit-elle tout bas, etje connais la maison. Ce n’est pas ici (elle montrait la porte paroù Marguerite était sortie) qu’ils viendront écouter. Tiens-toibien droit, mon pauvre Clément, et joue ton rôle.

– Quel rôle ? demanda Georges, quila regarda avec étonnement.

– Ne me fais pas rire, dit-elle, il fautabsolument que nous soyons sérieux… à moins que tu n’aies l’idée deme persuader à moi aussi que tu es M. le prince de Souzay.

– Je ne sais plus trop moi-même… commençaGeorges. Elle l’interrompit, et toucha son bras droit endisant :

– Voici pourtant qui est bien àClément !

– Oui, chérie… et cela rappelle à Clémentqu’il doit la vie à sa Tilde bien-aimée.

– Des bêtises ! fitMlle de Clare avec le pur accent des fillettesde Paris.

Puis elle reprit :

– Si ça t’amuse d’être prince, je poseraien princesse. Nous n’en serons que mieux dans nos personnages…Éloigne-toi un peu, et sois plus déconcerté puisque tu fais celuiqui est timide… J’en ai long à te raconter ; mais convenonsd’abord d’une chose : si on nous interrompt avant que j’aiefini, tu me retrouveras une demi-heure après ton départ…Voyons ! où ça ? Tiens ! un bon endroit : aucoin de la rue des Minimes.

La surprise de Georges devenaitstupéfaction.

– Toi ! s’écria-t-il, sortir lanuit…

– On s’habitue, répliqua-t-elle, je n’aiplus peur de rien… Ne te penche pas comme cela de mon côté, c’esttrop hardi.

Elle se tenait raide et sévère en parlantainsi. Je ne sais comment dire que la joyeuse honnêteté d’un boncœur soulevait le masque d’emprunt qu’elle retenait à deux mainssur son charmant visage, et que l’espièglerie des enfants pétillaitdans ses yeux, ni surtout, car c’est vraiment prêter trop de chosesà la physionomie la plus expressive du monde, ni surtout, qu’àtravers tant de vaillantes gaietés, un sentiment combattu demélancolie perçait soudain parfois, jetant comme un voile tristesur les rayonnements de cette chère jeunesse.

Georges baissa les yeux, elle souritdisant :

– Oui, oui, je vois bien que tu metrouves plus jolie qu’autrefois, mais je ne sais pas du tout si tum’aimes.

Et comme il voulut protester :

– Est-ce bien convenu, demanda-t-elletout bas, pour le coin de la rue des Minimes ?

Et tout de suite après, changeant deton :

– Ah çà ! pourquoi ne me disais-tujamais bonjour ? Georges ne comprenait pas.

– Là-bas, vis-à-vis, expliqua-t-elle, àla prison de la Force où tu avais de si beaux rideaux verts.

– Comment, s’écria le jeune homme aucomble de la surprise, tu m’avais reconnu ?

– Veux-tu bien te taire !… Et nenous tutoyons plus, s’il vous plaît. Dès la première fois que jevous ai vu, monsieur le prince, malgré votre cicatrice et le reste,je me suis dit : Voilà un brigand que j’ai déjà rencontréquelque part. Les fenêtres du petit salon donnent juste en face desrideaux verts, et le bon M. Buin me parlait de vous tant queje voulais. J’avais ma lorgnette de théâtre, elle est excellente etje me cachais derrière les persiennes à demi fermées… et ce pauvrecher bras qui m’a tant fait pleurer autrefois, comment nel’aurais-je pas reconnu ?

– Bonne ! bonne !Clotilde ! interrompit le prince, je t’en prie,embrasse-moi !

Mademoiselle Clotilde fut inflexible et refusale baiser imploré.

– La paix ! dit-elle en riant, iln’est plus temps… Ce n’est pas que j’espère beaucoup les tromper,ni surtout longtemps, mais on n’a pas besoin de six semaines pourprendre la clef des champs. Votre Altesse en sait quelque chose.Jouons serré, s’il vous plaît. Je vous donne ma parole d’honneurqu’ils sont là, quelque part, dans la muraille, au plafond ou sousle parquet. Soyez meilleur comédien ici que dans votre cellule.

– Moi qui me croyais si parfaitementdéguisé ! murmura Georges avec quelque dépit.

– Pour les autres, ce n’était pas tropmal, puisque le pauvre M. Buin, qui vous avait rendu visitehier, vient de causer avec vous, ce soir, et n’y a vu que du feumais pour moi, Clément est toujours Clément, pas de déguisement quitienne !

– Et les Jaffret ?

– La haine est un peu comme l’amour. LesJaffret ont été seulement un peu plus de temps à le reconnaître. Etpuis, ma tante Marguerite a de si bons yeux !… Mais à propos,tu as eu t’air étonné quand je t’ai parlé de la rue des Minimes.Ah ! écoute, c’est vrai que j’ai couru toute seule la nuitdans Paris…

– Toute seule ! Et pour quoifaire ?

– Ne fallait-il pas avertir le Dr AbelLenoir ?… C’est qu’il y a loin d’ici jusqu’à la rue deBondy !

– Et tu allais ainsi, à pied ?…

– Oui, la première fois, mais rien qu’unefois. Après, le docteur m’envoyait une voiture et il me ramenait àSaint-Paul, d’où je revenais avec Michelle, après la messe dumatin.

– Tu as confiance en elle ?

– Pas trop, mais je n’avais pas le choix,sais-tu, et tu étais condamné à mort.

– Comment !

– Tout simplement. Il y avait eu grandconseil dans le cabinet de mon oncle Jaffret. Ma tante Adèle… Mais,il faudrait d’abord te raconter ce qui se passa rue de la Victoire,la nuit du 5 janvier… Je parie que tu n’en sais pas le premiermot…

Elle s’interrompit. Sa voix avait untremblement, et le sang s’était retiré de ses joues.

– Non, dit Georges, je n’en sais rien derien !

– Jamais nous n’aurons le temps,reprit-elle, je les sens autour de nous. Faites-moi un compliment,mais sans élever la voix beaucoup.

– J’ai mis en vous, Clotilde, ditaussitôt le prince, les plus chers espoirs de ma vie…

– Méchant ! si c’était vraiseulement ! fit-elle.

– Et tout ce qu’un homme peut faire pourrendre heureuse une femme bien-aimée…

– Assez, va : moi je teréponds : j’ai peine à vous exprimer, prince, des sentimentsque je ne définis pas bien moi-même. J’ai interrogé mon cœur, ilm’a répondu…

« Et le reste comme tu voudras, chéri,ajouta-t-elle en baissant la voix jusqu’au murmure. Gourme-toi.Elle joua timidement de l’éventail et reprit :

– À nos moutons ! qui sontmalheureusement des loups. Nous sommes ici dans un coupe-gorge plusnoir que ceux de la forêt de Bondy.

– Je le sais, dit Georges en saluant,comme si on lui eût dit une chose charmante.

Il se baissa en même temps pour baiser unemain qu’on ne réussit pas à retirer.

– Es-tu assez gentil !murmura-t-elle. Pour arriver jusqu’à toi, il faudra qu’ils mecoupent en morceaux… Donc, dans le cabinet de mon oncle, le conseilde famille, comme ils s’appellent entre eux quelquefois, réformad’avance l’arrêt de la cour d’assises qui ne devait te donner queles galères à perpétuité : tu fus condamné à mort.Mme Jaffret combina une comédie d’évasion où lerôle principal était confié à un employé de la prison, nomméM. Noël…

– Alors, interrompit Georges, c’était detoi, la lettre ! Et comme Mlle de Clarene répondait pas, il continua :

– La lettre où l’on me disait que lesdeux montants de l’échelle avaient chacun son trait de scie àtrente pieds au-dessus du sol…

– Parbleu ! fit-elle comme un petithomme. Puis elle ajouta d’un air consterné :

– Tu n’avais donc pas pensé que c’étaitmoi ?

– Dame ! comment voulais-tu que jedevine ?

Une larme vint aux cils deMlle de Clare pendant qu’ellemurmurait :

– Oh ! le méchant qui n’aime pas sapetite sœur ! Moi, je te devine toujours, même quand ce n’estpas toi !

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