La Bande Cadet – Les Habits Noirs – Tome VIII

Chapitre 18Où elle allait…

 

C’était un souvenir aussi vieux que celui deClément lui-même, car pour mademoiselle Clotilde le prince Georgesde Souzay était toujours Clément, le pauvre enfant esclave qu’elleavait protégé.

Dès la première fois que Clotilde l’avait vu,Clément lui avait parlé de cette autre petite Tilde du cimetière,si drôle et si gentille, pendant qu’elle récitait sa prière quin’était ni le Pater noster, ni le Credo, ni leConfiteor.

Ce n’était pas tout d’un coup que mademoiselleClotilde avait pris la détermination de quitter la maison Jaffretoù s’étaient écoulés les jours de son enfance. On ne l’y avaitpoint maltraitée.

Comme elle était instrument, ceux quicomptaient se servir d’elle la maniaient avec précaution.

Et, en définitive, les espérances de la bandeCadet étaient fort loin d’être extravagantes en ce qui concernaitla découverte des titres de la maison de Clare, puisque, pendantplusieurs années, en allant et venant dans la cour de l’hôtelFitz-Roy, ils avaient foulé la pierre qui recouvrait ces actes.

Étant donné l’espèce de possession d’état quimilitait en faveur de mademoiselle Clotilde, l’acte de naissanceécossais eût suffi assurément à la faire reconnaître devant lestribunaux.

Seulement, mademoiselle Clotilde, honnête etdigne enfant, n’avait jamais été complice.

Il nous est arrivé de dire en riant qu’ellen’avait pas été élevée aux Oiseaux ; sans rien préjuger contrel’excellente éducation qu’on doit recevoir dans ce couvent célèbre,il est certain que ses plus angéliques petites demoiselles nepeuvent avoir le cœur plus droit ni la conscience plus nette que lapupille de ces coquins de Jaffret, et je pense que vous ne lui envoudrez pas pour cela.

Elle était ce que Dieu l’avait faite :une noble fille, en dépit de tout.

Tant qu’elle avait promené un regard curieuxet soupçonneux autour d’elle, ses répugnances avaient plié devantune vague pensée de devoir.

Ce qui l’entourait, en somme, c’était« sa famille ».

Et d’ailleurs, où trouver ailleurs unrefuge ?

Mais la mesure était comble ; elle avaitvu, elle avait compris.

Sa volonté ne s’était pas exprimée nettementlors de son entrevue avec son fiancé, parce qu’un grand amour latenait domptée ; mais le conseil porté par sa nuit avaitété : « Il faut partir. »

Et, à l’heure où nous sommes, la nouvelleresponsabilité qui pesait sur elle rendait sa décisionirrévocable.

Désormais, quand même celui qu’elle aimait detoutes les forces de son âme, quand même Georges lui eût dit derester, elle n’aurait pas obéi.

Elle savait comment quitter l’hôtel sans êtreaperçue.

Elle sortit, ignorant que tous les autreshabitants de la maison allaient faire comme elle et qu’avant lejour il ne resterait plus personne dans l’ancienne demeure desFitz-Roy.

C’était à peu près l’heure où le colonel Bozzoprenait si rudement congé de la bande Cadet dans le petit salon.Clotilde gagna le dehors par les jardins. La première messe deSaint-Paul sonnait, elle s’y rendit tout droit, cherchantd’instinct asile et conseil auprès de Dieu.

Tant que dura l’office, elle resta absorbéedans sa méditation, qui était à la fois un travail et une ardenteprière. Après la messe on aurait pu la voir encore longtempsagenouillée. Puis, tout d’un coup, elle traversa l’église et gagnala sortie à pas précipités.

Le jour venait. Les passants commençaient àêtre moins rares. Clotilde se mit à marcher d’un pas ferme vers larue Pavée.

Le conseil imploré, Dieu le lui avait-ilenvoyé ?

Elle avait deux amis, deux hommes d’honneur,en qui sa confiance était grande.

L’un deux était M. Buin, le directeur dela prison, qui lui avait toujours témoigné l’affection d’unpère.

C’est chez lui qu’elle allait.

De loin, elle trouvait la chose si simple etsi naturelle ! De près, ce fut autre chose. Quand elle euttourné l’angle de la rue Pavée, sa marche se ralentit à soninsu.

Elle hésitait déjà. Que lui dire ?M. Buin appartenait à l’administration ; il était sous lecoup d’un malheur administratif. Parmi le monceau de choses queClotilde savait et qui l’étouffaient, plusieurs, beaucoup serapportaient directement ou non à l’évasion de la veille, et lecaptif délivré était Clément : le prince Georges !

Comment toucher à ce sujet brûlant ?Comment l’omettre ? Et même en dehors de cela, que révéler etque dissimuler ?

La sincérité est une.

Dès qu’il faut choisir entre les éléments quicomposent la vérité, quel guide prendre ?

En passant devant la grande porte de laprison, Clotilde regarda le marteau, mais elle n’osa pas lesoulever.

Elle continua sa route.

Son autre ami, c’était le Dr Abel Lenoir.

Plus qu’un ami, déjà, celui-là, unconfident.

Toute la bravoure de Clotilde revint pendantqu’elle montait à la place Royale pour gagner le boulevard.

Le docteur Abel était précisément leconfesseur qu’il fallait ; il aimait Georges, il témoignait àla mère de Georges un dévouement absolu ; mieux que personneau monde peut-être, il pouvait se reconnaître dans ce dédale desaffaires de la maison de Clare, et par-dessus tout il étaitl’ennemi-né, le grand ennemi des Habits Noirs.

Oh ! pour cela, toute sa vie répondait desa haine !

Clotilde avait donné rendez-vous à Georgeschez le docteur Abel ; donc elle n’avait pas attendu ce momentpour compter sur lui.

Dans tout Paris elle n’aurait pu trouver unasile meilleur ni un plus sûr asile, et cependant, elle n’abandonnapas le boulevard pour prendre la rue de Bondy où était le logis dudocteur. Elle suivit son chemin tout droit, le long des théâtres,toujours pensive et de plus en plus combattue.

À la porte Saint-Martin, elle monta dans unfiacre en disant au cocher :

– Rue Pigalle.

– Quel numéro ? demanda lecocher.

– Allez toujours, je vous arrêterai.

Le prince Georges de Souzay demeurait ruePigalle.

Clotilde allait-elle le trouver lui ou samère ?

Mais non, elle passa devant l’hôtel de Souzaycomme devant les deux autres portes. Elle allait plus loin :où allait-elle ?

Quelque chose l’attirait, voilà ce qui estcertain. C’était une route, une seule, toujours la même, qu’ellesuivait depuis l’église Saint-Paul.

Et si quelqu’un lui eût demandé de prononcerun nom qui désignât le but de cette route, jusqu’au dernier moment,peut-être aurait-elle pu répondre avec vérité : « Je nesais pas. »

Elle arrêta et paya son fiacre au haut de larue Pigalle et redescendit à pied le boulevard vers la placeClichy. Comme elle tournait l’angle qui fait face au cimetière,elle aperçut les baraques de la foire et resta immobile.

– Est-ce possible, se dit-elle ;est-ce que vraiment je vais là ?

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