La Muse du département

Chapitre 1Les deux Parisiens

Au mois de septembre, en pleines vendanges, les deux Parisiensarrivèrent dans leur pays natal, et le trouvèrent plongé dans lestyranniques occupations de la récolte de 1836; il n’y eut doncaucune manifestation de l’opinion publique en leur faveur. – Nousfaisons four, dit Lousteau en parlant à son compatriote la languedes coulisses.

En 1836, Lousteau, fatigué par seize années de luttes à Paris,usé tout autant par le plaisir que par la misère, par les travauxet les mécomptes, paraissait avoir quarante-huit ans; quoiqu’iln’en eût que trente-sept. Déjà chauve, il avait pris un airbyronien en harmonie avec ses ruines anticipées, avec les ravinstracés sur sa figure par l’abus du vin de Champagne. Il mettait lesstigmates de la débauche sur le compte de la vie littéraire enaccusant la presse d’être meurtrière, il faisait entendre qu’elledévorait de grands talents afin de donner du prix à sa lassitude.Il crut nécessaire d’outrer dans sa patrie et son faux dédain de lavie et sa misanthropie postiche. Néanmoins, parfois ses yeuxjetaient encore des flammes comme ces volcans qu’on croit éteints;et il essaya de remplacer par l’élégance de la mise tout ce quipouvait lui manquer de jeunesse aux yeux d’une femme.

Horace Bianchon, décoré de la Légion d’honneur, gros et grascomme un médecin en faveur, avait un air patriarcal, de grandscheveux longs, un front bombé, la carrure du travailleur, et lecalme du penseur. Cette physionomie assez peu poétique faisaitressortir admirablement son léger compatriote.

Ces deux illustrations restèrent inconnues pendant toute unematinée à l’auberge où elles étaient descendues, et monsieur deClagny n’apprit leur arrivée que par hasard. Madame de La Baudraye,au désespoir, envoya Gatien Boirouge, qui n’avait point de vignes,inviter les deux Parisiens à venir pour quelques jours au châteaud’Anzy. Depuis un an, Dinah faisait la châtelaine, et ne passaitplus que les hivers à La Baudraye. Monsieur Gravier, le procureurdu roi, le président et Gatien Boirouge offrirent aux deux hommescélèbres un banquet auquel assistèrent les personnes les pluslittéraires de la ville. En apprenant que la belle madame de LaBaudraye était Jan Diaz, les deux Parisiens se laissèrent conduirepour trois jours au château d’Anzy dans un char à bancs que Gatienmena lui-même. Ce jeune homme, plein d’illusions, donna madame deLa Baudraye aux deux Parisiens non seulement comme la plus bellefemme du Sancerrois, comme une femme supérieure et capabled’inspirer de l’inquiétude à George Sand, mais encore comme unefemme qui produirait à Paris la plus profonde sensation. Aussil’étonnement du docteur Bianchon et du goguenard feuilletonistefut-il étrange, quoique réprimé, quand ils aperçurent au perrond’Anzy la châtelaine vêtue d’une robe en léger casimir noir, àguimpe, semblable à une amazone sans queue; car ils reconnurent desprétentions énormes dans cette excessive simplicité. Dinah portaitun béret de velours noir à la Raphaël d’où ses cheveuxs’échappaient en grosses boucles. Ce vêtement mettait en relief uneassez jolie taille, de beaux yeux, de belles paupières presqueflétries par les ennuis de la vie qui vient d’être esquissée. Dansle Berry, l’étrangeté de cette mise artiste déguisait lesromanesques affectations de la femme supérieure. En voyant lesminauderies de leur trop aimable hôtesse, qui étaient en quelquesorte des minauderies d’âme et de pensée, les deux amis échangèrentun regard, et prirent une attitude profondément sérieuse pourécouter madame de La Baudraye qui leur fit une allocution étudiéeen les remerciant d’être venus rompre la monotonie de sa vie.

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