La Muse du département

Chapitre 12Déclarations indirectes

L’idée d’emporter en quelques instants une place qui résistaitdepuis neuf ans aux Sancerrois sourit alors à Lousteau. Dans cettepensée, il descendit le premier dans le jardin espérant yrencontrer la châtelaine. Ce hasard arriva d’autant mieux quemadame de La Baudraye avait aussi le désir de s’entretenir avec soncritique. La moitié des hasards sont cherchés.

– Hier, vous avez chassé, monsieur, dit madame de La Baudraye.Ce matin je suis assez embarrassée de vous offrir quelque nouvelamusement; à moins que vous ne vouliez venir à La Baudraye, où vouspourrez observer la province un peu mieux qu’ici, car vous n’avezfait qu’une bouchée de mes ridicules; mais le proverbe sur la plusbelle fille du monde regarde aussi la pauvre femme de province.

– Ce petit sot de Gatien, répondit Lousteau, vous a répété sansdoute une phrase dite par moi pour lui faire avouer qu’il vousadorait. Votre silence avant-hier pendant le dîner et pendant toutela soirée m’a suffisamment révélé l’une de ces indiscrétions qui nese commettent jamais à Paris. Que voulez-vous! je ne me flatte pasd’être intelligible. Ainsi, j’ai comploté de faire raconter toutesces histoires hier uniquement pour savoir si nous vous causerions àvous et à monsieur de Clagny quelque remords… Oh! rassurez-vous,nous avons la certitude de votre innocence. Si vous aviez eu lamoindre faiblesse pour ce vertueux magistrat, vous eussiez perdutout votre prix à mes yeux… J’aime ce qui est complet. Vous n’aimezpas, vous ne pouvez pas aimer ce froid, ce petit, ce sec, ce muetusurier en poinçons et en terres qui vous plante là pour vingt-cinqcentimes à gagner sur des regains! Oh! j’ai bien reconnu l’identitéde monsieur de La Baudraye avec nos escompteurs de Paris: c’est lamême nature. Vingt-huit ans, belle, sage, sans enfants… tenez,madame, je n’ai jamais rencontré le problème de la vertu mieuxposé… L’auteur de Paquita la Sévillane doit avoir rêvé bien desrêves!… Je puis vous parier de toutes ces choses sans l’hypocrisiede paroles que les jeunes gens y mettent, je suis vieux avant letemps. Je n’ai plus d’illusions, en conserve-t-on au métier quej’ai fait?…

En débutant ainsi, Lousteau supprimait toute la carte du Pays deTendre, dans laquelle les passions vraies font de si longuespatrouilles, il allait droit au but et se mettait en position de sefaire offrir ce que les femmes se font demander pendant des années,témoin le pauvre procureur du roi pour qui la dernière faveurconsistait à serrer un peu plus coitement qu’à l’ordinaire le brasde Dinah sur son cœur en marchant, l’heureux homme! Aussi, pour nepas mentir à son renom de femme supérieure, madame de La Baudrayeessaya-t-elle de consoler le Manfred du feuilleton en luiprophétisant tout un avenir d’amour auquel il n’avait passongé.

– Vous avez cherché le plaisir, mais vous n’avez pas encoreaimé, dit-elle. Croyez-moi, l’amour véritable arrive souvent àcontresens de la vie. Voyez monsieur de Gentz tombant, dans savieillesse, amoureux de Fanny Ellsler, et abandonnant lesrévolutions de Juillet pour les répétitions de cette danseuse?

– Cela me semble difficile, répondit Lousteau. Je crois àl’amour, mais je ne crois plus à la femme… Il y a sans doute en moides défauts qui m’empêchent d’être aimé, car j’ai souvent étéquitté. Peut-être ai-je trop le sentiment de l’idéal… comme tousceux qui ont creusé la réalité…

Madame de La Baudraye entendit enfin parler un homme qui, jetédans le milieu parisien le plus spirituel, en rapportait lesaxiomes hardis, les dépravations presque naïves, les convictionsavancées, et qui, s’il n’était pas supérieur, jouait au moins trèsbien la supériorité. Etienne eut auprès de Dinah tout le succèsd’une première représentation. Paquita la Sancerroise aspira lestempêtes de Paris, l’air de Paris. Elle passa l’une des journéesles plus agréables de sa vie entre Etienne et Bianchon qui luiracontèrent les anecdotes curieuses sur les grands hommes du jour,les traits d’esprit qui seront quelque jour l’ana de notre siècle;mots et faits vulgaires à Paris, mais tout nouveaux pour elle.Naturellement Lousteau dit beaucoup de mal de la grande célébritéféminine du Berry, mais dans l’évidente intention de flatter madamede La Baudraye et de l’amener sur le terrain des confidenceslittéraires en lui faisant considérer cet écrivain comme sa rivale.Cette louange enivra madame de La Baudraye qui parut à monsieur deClagny, au receveur des contributions et à Gatien plus affectueuseque la veille avec Etienne. Ces amants de Dinah regrettèrent biend’être allés tous à Sancerre, où ils avaient tambouriné la soiréed’Anzy. Jamais, à les entendre, rien de si spirituel ne s’étaitdit. Les Heures s’étaient envolées sans qu’on pût en voir les piedslégers. Les deux Parisiens furent célébrés par eux comme deuxprodiges. Ces exagérations trompetées sur le Mail eurent pour effetde faire arriver seize personnes le soir au château d’Anzy, lesunes en cabriolet de famille, les autres en char à bancs, etquelques célibataires sur des chevaux de louage. Vers sept heures,ces provinciaux firent plus ou moins bien leurs entrées dansl’immense salon d’Anzy que Dinah, prévenue de cette invasion, avaitéclairé largement, auquel elle avait donné tout son lustre endépouillant ses beaux meubles de leurs housses grises, car elleregarda cette soirée comme un de ses grands jours. Lousteau,Bianchon et Dinah échangèrent des regards pleins de finesse enexaminant les poses, en écoutant les phrases de ces visiteursalléchés par la curiosité. Combien de rubans invalides, dedentelles héréditaires, de vieilles fleurs plus artificieusesqu’artificielles se présentèrent audacieusement sur des bonnetsbisannuels! La présidente Boirouge, cousine de Bianchon, échangeaquelques phrases avec le docteur, de qui elle obtint uneconsultation gratuite en lui expliquant de prétendues douleursnerveuses à l’estomac dans lesquelles il reconnut des indigestionspériodiques.

– Prenez tout bonnement du thé tous les jours une heure aprèsvotre dîner, comme les Anglais, et vous serez guérie, car ce quevous éprouvez est une maladie anglaise, répondit gravementBianchon.

– C’est décidément un bien grand médecin, dit la présidente enrevenant auprès de madame de Clagny, de madame Popinot-Chandier etde madame Gorju la femme du maire.

– On dit, répliqua sous son éventail madame de Clagny, que Dinahl’a fait venir bien moins pour les élections que pour savoir d’oùprovient sa stérilité…

Dans le premier moment de leur succès, Lousteau présenta lesavant médecin comme le seul candidat possible aux prochainesélections. Mais Bianchon, au grand contentement du nouveausous-préfet, fit observer qu’il lui paraissait presque impossibled’abandonner la science pour la politique.

– Il n’y a, dit-il, que des médecins sans clientèle qui puissentse faire nommer députés. Nommez donc des hommes d’Etat, despenseurs, des gens dont les connaissances soient universelles, etqui sachent se mettre à la hauteur où doit être un législateur:voilà ce qui manque dans nos Chambres, et ce qu’il faut à notrepays!

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