La Muse du département

Chapitre 10Où M. de Clagny montre son innocence

Eh! mon Dieu, s’écria le procureur du roi, sur les dix ou douzecrimes saillants qui se commettent par année en France, il s’entrouve la moitié dont les circonstances sont au moins aussiextraordinaires que celles de vos aventures, et qui très souventles surpassent en romanesque. Cette vérité n’est-elle pasd’ailleurs prouvée par la publication de la Gazette des tribunaux,à mon sens l’un des plus grands abus de la Presse. Ce journal, quine date que de 1826 ou 1827, n’existait donc pas lors de mon débutdans la carrière du ministère public, et les détails du crime dontje vais vous parler n’ont pas été connus au delà du département oùil fut perpétré. « Dans le faubourg Saint-Pierre-des-Corps à Tours,une femme, dont le mari avait disparu lors du licenciement del’armée de la Loire en 1816 et qui naturellement fut pleurébeaucoup, se fit remarquer par une excessive dévotion. Quand lesmissionnaires parcoururent les villes de province pour y replanterles croix abattues et y effacer les traces des impiétésrévolutionnaires, cette veuve fut une des plus ardentes prosélytes,elle porta la croix, elle y cloua son cœur en argent traversé d’uneflèche, et longtemps après la mission, elle allait tous les soirsfaire sa prière aux pieds de la croix qui fut plantée derrière lechevet de la cathédrale. Enfin vaincue par ses remords, elle seconfessa d’un crime épouvantable. Elle avait égorgé son mari commeon avait égorgé Fualdès, en le saignant, elle l’avait salé, misdans deux vieux poinçons, en morceaux, absolument comme s’il se fûtagi d’un porc. Et pendant fort longtemps, tous les matins, elle encoupait un morceau et l’allait jeter dans la Loire. Le confesseurconsulta ses supérieurs; et avertit sa pénitente qu’il devaitprévenir le procureur du roi. La femme attendit la descente de lajustice. Le procureur du roi, le juge d’instruction en visitant lacave y trouvèrent encore la tête du mari dans le sel et dans un despoinçons. – Mais, malheureuse, dit le juge d’instruction àl’inculpée, puisque vous avez eu la barbarie de jeter ainsi dans larivière le corps de votre mari, pourquoi n’avez-vous pas faitdisparaître aussi la tête, il n’y aurait plus eu de preuves… – Jel’ai bien souvent essayé, monsieur, dit-elle; mais je l’ai toujourstrouvée trop lourde. »

– Eh! bien, qu’a-t-on fait de la femme?… s’écrièrent les deuxParisiens.

– Elle a été condamnée et exécutée à Tours, répondit lemagistrat; mais son repentir et sa religion avaient fini parattirer l’intérêt sur elle, malgré l’énormité du crime.

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