La Muse du département

Chapitre 21Comme l’organdi prête!

– Pauvre Bianchon, il est sur la route de Paris, quel noblecœur! dit Lousteau.

– Oh! oui, répondit madame de La Baudraye, il est grand etdélicat, celui-là…

– Nous étions si gais en partant, dit Lousteau, vous voilàsouffrante, et vous me parlez avec amertume; et pourquoi?…N’êtes-vous donc pas accoutumée à vous entendre dire que vous êtesbelle et spirituelle? moi, je le déclare devant Gatien, je renonceà Paris, je vais rester à Sancerre et grossir le nombre de voscavaliers servants. Je me suis senti si jeune dans mon pays natal,j’ai déjà oublié Paris et ses corruptions, et ses ennuis, et sesfatigants plaisirs… Oui, ma vie me semble comme purifiée…

Dinah laissa parler Lousteau sans le regarder; mais il y eut unmoment où l’improvisation de ce serpent devint si spirituelle sousl’effort qu’il fit pour singer la passion par des phrases et pardes idées dont le sens, caché pour Gatien, éclatait dans le cœur deDinah, qu’elle leva les yeux sur lui. Ce regard parut combler dejoie Lousteau qui redoubla de verve et fit enfin rire madame de LaBaudraye. Lorsque, dans une situation où son orgueil est blessé sicruellement, une femme a ri, tout est compromis. Quand on entradans l’immense cour sablée et ornée de son boulingrin à corbeillesde fleurs qui fait si bien valoir la façade d’Anzy, le journalistedisait: « Lorsque les femmes nous aiment, elles nous pardonnenttout, même nos crimes; lorsqu’elles ne nous aiment pas, elles nenous pardonnent rien, pas même nos vertus! Me pardonnez-vous? »ajouta-t-il à l’oreille de madame de La Baudraye en lui serrant lebras sur son cœur par un geste plein de tendresse. Dinah ne puts’empêcher de sourire.

Pendant le dîner et pendant le reste de la soirée, Lousteau futd’une gaieté, d’un entrain charmant; mais, tout en peignant ainsison ivresse, il se livrait par moments à la rêverie en homme quiparaissait absorbé par son bonheur. Après le café, madame de LaBaudraye et sa mère laissèrent les hommes se promener dans lesjardins. Monsieur Gravier dit alors au procureur du roi: « Avez-vousremarqué que madame de La Baudraye, qui est partie en robed’organdi, nous est revenue en robe de velours? »

– En montant en voiture à Cosne, la robe s’est accrochée à unbouton de cuivre de la calèche et s’est déchirée du haut en bas,répondit Lousteau.

– Oh! fit Gatien percé au cœur par la cruelle différence desdeux explications du journaliste.

Lousteau, qui comptait sur cette surprise de Gatien, le prit parle bras et le lui serra pour lui demander le silence. Quelquesmoments après, Lousteau laissa les trois adorateurs de Dinah seuls,en s’emparant du petit La Baudraye. Gatien fut alors interrogé surles événements du voyage. Monsieur Gravier et monsieur de Clagnyfurent stupéfaits d’apprendre que Dinah s’était trouvée seule auretour de Cosne avec Lousteau; mais plus stupéfaits encore des deuxversions du Parisien sur le changement de robe. Aussi l’attitude deces trois hommes déconfits fut-elle très embarrassée pendant lasoirée. Le lendemain matin, chacun d’eux eut des affaires quil’obligeaient à quitter Anzy, où Dinah resta seule avec sa mère,son mari et Lousteau. Le dépit des trois Sancerrois organisa dansla ville une grande clameur. La chute de la Muse du Berry, duNivernais et du Morvan fut accompagnée d’un vrai charivari demédisances, de calomnies et de conjectures diverses parmilesquelles figurait en première ligne l’histoire de la robed’organdi. Jamais toilette de Dinah n’eut autant de succès, etn’éveilla plus l’attention des jeunes personnes qui nes’expliquaient point les rapports entre l’amour et l’organdi dontriaient tant les femmes mariées. La présidente Boirouge, furieusede la mésaventure de son Gatien, oublia les éloges qu’elle avaitprodigués au poème de Paquita la Sévillane, elle fulmina descensures horribles contre une femme capable de publier une pareilleinfamie. – La malheureuse commet tout ce qu’elle a écrit!disait-elle. Peut-être finira-t-elle comme son héroïne!… Il en futde Dinah dans le Sancerrois comme du maréchal Soult dans lesjournaux de l’opposition: tant qu’il est ministre, il a perdu labataille de Toulouse; dès qu’il rentre dans le repos, il l’agagnée! Vertueuse, Dinah passait pour la rivale des Camille Maupin,des femmes les plus illustres; mais heureuse, elle était unemalheureuse. Monsieur de Clagny défendit courageusement Dinah, ilvint à plusieurs reprises au château d’Anzy pour avoir le droit dedémentir le bruit qui courait sur celle qu’il adorait toujours,même tombée, et il soutint qu’il s’agissait entre elle et Lousteaud’une collaboration à un grand ouvrage. On se moqua du procureur duroi.

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