La Muse du département

Chapitre 17Une conversation autorisée par le grand homme

Pendant que les deux Parisiens chuchotaient, il s’élevait unorage contre la châtelaine parmi les Sancerrois, qui necomprenaient rien à la paraphrase ni aux commentaires de Lousteau.Loin d’y voir le roman que le procureur du roi, le sous-préfet, leprésident, le premier substitut Lebas, monsieur de La Baudraye etDinah en avaient tiré, toutes les femmes groupées autour de latable à thé n’y voyaient qu’une mystification, et accusaient laMuse de Sancerre d’y avoir trempé. Toutes s’attendaient à passerune soirée charmante, toutes avaient inutilement tendu les facultésde leur esprit. Rien ne révolte plus les gens de province quel’idée de servir de jouet aux gens de Paris.

Madame Piédefer quitta la table à thé pour venir dire à safille: « Va donc parler à ces dames, elles sont très choquées de taconduite. »

Lousteau ne put s’empêcher de remarquer alors l’évidentesupériorité de Dinah sur l’élite des femmes de Sancerre, elle étaitla mieux mise, ses mouvements étaient pleins de grâce, son teintprenait une délicieuse blancheur aux lumières, elle se détachaitenfin sur cette tapisserie de vieilles faces, de jeunes filles malhabillées, à tournures timides, comme une reine au milieu de sacour. Les images parisiennes s’effaçaient, Lousteau se faisait à lavie de province; et, s’il avait trop d’imagination pour ne pas êtreimpressionné par les magnificences royales de ce château, par sessculptures exquises, par les antiques beautés de l’intérieur, ilavait aussi trop de savoir pour ignorer la valeur du mobilier quienrichissait ce joyau de la Renaissance. Aussi lorsque lesSancerrois se furent retirés un à un reconduits par Dinah, car ilsavaient tous pour une heure de chemin; quand il n’y eut plus ausalon que le procureur du roi, monsieur Lebas, Gatien et monsieurGravier qui couchaient à Anzy, le journaliste avait-il déjà changéd’opinion sur Dinah. Sa pensée accomplissait cette évolution quemadame de La Baudraye avait eu l’audace de lui signaler à leurpremière rencontre.

– Ah! comme ils vont en dire contre nous pendant le chemin,s’écria la châtelaine en rentrant au salon après avoir mis envoiture le président, la présidente, madame et mademoisellePopinot-Chandier.

Le reste de la soirée eut son côté réjouissant. En petit comité,chacun versa dans la conversation son contingent d’épigrammes surles diverses figures que les Sancerrois avaient faites pendant lescommentaires de Lousteau sur l’enveloppe de ses épreuves.

– Mon cher, dit en se couchant Bianchon à Lousteau (on les avaitmis ensemble dans une immense chambre à deux lits), tu serasl’heureux mortel choisi par cette femme, née Piédefer!

– Tu crois?

– Eh cela s’explique: tu passes ici pour avoir eu beaucoupd’aventures à Paris, et, pour les femmes, il y a dans un homme àbonne fortunes je ne sais quoi d’irritant qui les attire et le leurrend agréable; est-ce la vanité de faire triompher leurs souvenirsentre tous les autres? s’adressent-elles à son expérience, comme unmalade surpaie un célèbre médecin? ou bien sont-elles flattéesd’éveiller un cœur blasé?

– Les sens et la vanité sont pour tant de choses dans l’amour,que toutes ces suppositions peuvent être vraies, répondit Lousteau.Mais si je reste c’est à cause du certificat d’innocence instruiteque tu donnes à Dinah! Elle est belle, n’est-ce pas?

– Elle deviendra charmante en aimant, dit le médecin. Puis,après tout, ce sera un jour ou l’autre une riche veuve! Et unenfant lui vaudrait la jouissance de la fortune du sire de LaBaudraye…

– Mais c’est une bonne action que de l’aimer, cette femme,s’écria Lousteau.

– Une fois mère, elle reprendra de l’embonpoint, les ridess’effaceront, elle paraîtra n’avoir que vingt ans…

– Eh! bien, fit Lousteau en se roulant dans ses draps, si tuveux m’aider, demain, oui, demain, je… Enfin, bonsoir.

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