La Muse du département

Chapitre 4Une perle

Lousteau, qui fit d’abord des façons avec lui-même, en étaitarrivé le lendemain à craindre que ce mariage manquât. Aussi fut-ilcharmant avec le notaire.

– J’ai connu, lui dit-il, monsieur votre père chez Florentine,je devais vous connaître chez mademoiselle Turquet. Bon chienchasse de race. Il était très bon enfant et philosophe, le petitpère Cardot, car (vous permettez), nous l’appelions ainsi. Dans cetemps-là Florine, Florentine, Tullia, Coralie et Mariette étaientcomme les cinq doigts de la main… Il y a de cela maintenant quinzeans. Vous comprenez que mes folies ne sont plus à faire… Dans cetemps-là, le plaisir m’emportait, j’ai de l’ambition aujourd’hui;mais nous sommes dans une époque où pour parvenir il faut être sansdettes, avoir une fortune, femme et enfants. Si je paye le cens, sije suis propriétaire de mon journal au lieu d’en être un rédacteur,je deviendrai député comme tant d’autres!

Maître Cardot goûta cette profession de foi. Lousteau s’étaitmis sous les armes, il plut au notaire, qui, chose assez facile àconcevoir; eut plus d’abandon avec un homme, qui avait connu lessecrets de la vie de son père, qu’il n’en aurait eu avec toutautre. Le lendemain Lousteau fut présenté, comme acquéreur de lamaison rue Saint-Lazare, au sein de la famille Cardot, et il y dînatrois jours après.

Cardot demeurait dans une vieille maison auprès de la place duChâtelet. Tout était cossu chez lui. L’économie y mettait lesmoindres dorures sous des gazes vertes. Les meubles étaientcouverts de housses. Si l’on n’éprouvait aucune inquiétude sur lafortune de la maison, on y éprouvait une envie de bâiller dès lapremière demi-heure. L’ennui siégeait sur tous les meubles. Lesdraperies pendaient tristement. La salle à manger ressemblait àcelle d’Harpagon. Lousteau n’eût pas connu Malaga d’avance, à laseule inspection de ce ménage il aurait deviné que l’existence dunotaire se passait sur un autre théâtre. Le journaliste aperçut unegrande jeune personne blonde, à l’oeil bleu, timide et langoureux àla fois. Il plut au frère aîné, quatrième clerc de l’étude, que lagloire littéraire attirait dans ses pièges, et qui devait être lesuccesseur de Cardot. La sœur cadette avait douze ans. Lousteau,caparaçonné d’un petit air jésuite, fit l’homme religieux etmonarchique avec la mère, il fut sobre, doucereux, posé,complimenteur.

Vingt jours après la présentation, au quatrième dîner, FélicieCardot, qui étudiait Lousteau du coin de l’oeil, alla lui offrir satasse de café dans une embrasure de fenêtre et lui dit à voixbasse, les larmes dans les yeux: « Toute ma vie, monsieur, seraemployée à vous remercier de votre dévouement pour une pauvrefille…  »

Lousteau fut ému, tant il y avait de choses dans le regard, dansl’accent, dans l’attitude. – Elle ferait le bonheur d’un honnêtehomme, se dit-il en lui pressant la main pour toute réponse.

Madame Cardot regardait son gendre comme un homme pleind’avenir; mais, parmi toutes les belles qualités qu’elle luisupposait, elle était enchantée de sa moralité. Soufflé par le rouénotaire, Etienne avait donné sa parole de n’avoir ni enfant naturelni aucune liaison qui pût compromettre l’avenir de la chèreFélicie.

– Vous pouvez me trouver un peu exagérée, disait la dévote aujournaliste; mais quand on donne une perle comme ma Félicie à unhomme, on doit veiller à son avenir. Je ne suis pas de ces mèresqui sont enchantées de se débarrasser de leurs filles. MonsieurCardot va de l’avant, il presse le mariage de sa fille, il levoudrait fait. Nous ne différons qu’en ceci… Quoiqu’avec un hommecomme vous, monsieur, un littérateur dont la jeunesse a étépréservée de la démoralisation actuelle par le travail, on puisseêtre en sûreté; néanmoins, vous vous moqueriez de moi, si jemariais ma fille les yeux fermés. Je sais bien que vous n’êtes pasun innocent, et j’en serais bien fâchée pour ma Félicie (ceci futdit à l’oreille), mais si vous aviez de ces liaisons… Tenez,monsieur, vous avez entendu parler de madame Roguin, la femme d’unnotaire qui a eu, malheureusement pour notre corps, une si cruellecélébrité. Madame Roguin est liée, et cela depuis 1820, avec unbanquier…

– Oui, du Tillet, répondit Etienne qui se mordit la langue ensongeant à l’imprudence avec laquelle il avouait connaître duTillet.

– Eh! bien, monsieur, si vous étiez mère, ne trembleriez-vouspas en pensant que votre fille peut avoir le sort de madame duTillet? A son âge, et née de Granville, avoir pour rivale une femmede cinquante ans passés… J’aimerais mieux voir ma fille morte quede la donner à un homme qui aurait des relations avec une femmemariée… Une grisette, une femme de théâtre se prennent et sequittent! Selon moi, ces femmes-là ne sont pas dangereuses, l’amourest un état pour elles, elles ne tiennent à personne, un de perdu,deux de retrouvés!… Mais une femme qui a manqué à ses devoirs doits’attacher à sa faute, elle n’est excusable que par sa constance,si jamais un pareil crime est excusable! C’est ainsi du moins queje comprends la faute d’une femme comme il faut, et voilà ce qui larend si redoutable…

Au lieu de chercher le sens de ces paroles, Etienne en plaisantachez Malaga, où il se rendit avec son futur beau-père; car lenotaire et le journaliste étaient au mieux ensemble.

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