La Muse du département

Chapitre 13L’amour prémédité

A cette époque, madame de La Baudraye n’avait plus d’ennemies,on affluait chez elle, il ne se passait pas de semaine qu’il n’yeût de nouvelles présentations. La femme du président du tribunal,une auguste bourgeoise née Popinot-Chandier, avait dit à son fils,jeune homme de vingt-deux ans, d’aller à La Baudraye y faire sacour, et se flattait de voir son Gatien dans les bonnes grâces decette femme supérieure. Le mot femme supérieure avait remplacé legrotesque surnom de Sapho de Saint-Satur. La présidente, quipendant neuf ans avait dirigé l’opposition contre Dinah, fut siheureuse d’avoir vu son fils agréé, qu’elle dit un bien infini dela Muse de Sancerre. – Après tout, s’écria-t-elle en répondant àune tirade de madame de Clagny qui haïssait à la mort la prétenduemaîtresse de son mari, c’est la plus belle femme et la plusspirituelle de tout le Berry. Après avoir roulé dans tant dehalliers, s’être élancée en mille voies diverses, avoir rêvél’amour dans sa splendeur, avoir aspiré les souffrances des dramesles plus noirs en en trouvant les sombres plaisirs achetés à bonmarché, tant la monotonie de sa vie était fatigante, un jour Dinahtomba dans la fosse qu’elle avait juré d’éviter. En voyant monsieurde Clagny se sacrifiant toujours et qui refusa d’êtreavocat-général à Paris où l’appelait sa famille, elle se dit: « Ilm’aime! » Elle vainquit sa répugnance et parut vouloir couronnertant de constance. Ce fut à ce mouvement de générosité chez elleque Sancerre dut la coalition qui se fit aux élections en faveur demonsieur de Clagny. Madame de La Baudraye avait rêvé de suivre àParis le député de Sancerre. Mais, malgré de solennelles promesses,les cent cinquante voix données à l’adorateur de la belle Dinah,qui voulait faire revêtir la simarre du garde des sceaux à cedéfenseur de la veuve et de l’orphelin, se changèrent en uneimposante minorité de cinquante voix. La jalousie du présidentBoirouge, la haine de monsieur Gravier, qui crut à la prépondérancedu candidat dans le cœur de Dinah, furent exploitées par un jeunesous-préfet que, pour ce fait, les doctrinaires firent nommerpréfet. – Je ne me consolerai jamais, dit-il à un de ses amis enquittant Sancerre, de ne pas avoir su plaire à madame de LaBaudraye, mon triomphe eût été complet… Cette vie intérieurement sitourmentée offrait un ménage calme, deux êtres mal assortis maisrésignés, je ne sais quoi de rangé, de décent, ce mensonge que veutla société, mais qui faisait à Dinah comme un harnaisinsupportable. Pourquoi voulait-elle quitter son masque aprèsl’avoir porté pendant douze ans? D’où venait cette lassitude quandchaque jour augmentait son espoir d’être veuve? Si l’on a suivitoutes les phases de cette existence, on comprendra très bien lesdifférentes déceptions auxquelles Dinah, comme beaucoup de femmes,d’ailleurs, s’était laissé prendre. Du désir de dominer monsieur deLa Baudraye, elle était passée à l’espoir d’être mère. Entre lesdiscussions de ménage et la triste connaissance de son sort, ils’était écoulé toute une période. Puis, quand elle avait voulu seconsoler, le consolateur, monsieur de Chargebœuf, était parti.L’entraînement qui cause les fautes de la plupart des femmes luiavait donc jusqu’alors manqué. S’il est enfin des femmes qui vontdroit à une faute, n’en est-il pas beaucoup qui s’accrochent à biendes espérances et qui n’y arrivent qu’après avoir erré dans undédale de malheurs secrets! Telle fut Dinah. Elle était si peudisposée à manquer à ses devoirs, qu’elle n’aima pas assez monsieurde Clagny pour lui pardonner son insuccès. Son installation dans lechâteau d’Anzy, l’arrangement de ses collections, de ses curiositésqui reçurent une valeur nouvelle du cadre magnifique et grandioseque Philibert de Lorme semblait avoir bâti pour ce musée,l’occupèrent pendant quelques mois et lui permirent de méditer unede ces résolutions qui surprennent le public à qui les motifs sontcachés, mais qui souvent les trouve à force de causeries et desuppositions.

La réputation de Lousteau, qui passait pour un homme à bonnesfortunes à cause de ses liaisons avec des actrices, frappa madamede La Baudraye; elle voulut le connaître, elle lut ses ouvrages etse passionna pour lui, moins peut-être à cause de son talent qu’àcause de ses succès auprès des femmes; elle inventa, pour l’amenerdans le pays, l’obligation pour Sancerre d’élire aux prochainesélections une des deux célébrités du pays. Elle fit écrire àl’illustre médecin par Gatien Boirouge, qui se disait cousin deBianchon par les Popinot; puis elle obtint d’un vieil ami de feumadame Lousteau de réveiller l’ambition du feuilletoniste en luifaisant part des intentions où quelques personnes de Sancerre setrouvaient de choisir leur député parmi les gens célèbres de Paris.Fatiguée de son médiocre entourage, madame de La Baudraye allaitenfin voir des hommes vraiment supérieurs, elle pourrait ennoblirsa faute de tout l’éclat de la gloire. Ni Lousteau ni Bianchon nerépondirent; peut-être attendaient-ils les vacances. Bianchon, qui,l’année précédente, avait obtenu sa chaire après un brillantconcours, ne pouvait quitter son enseignement.

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