La Muse du département

Chapitre 7Un dénouement horrible mais vrai

Ce mot était cacheté d’un cachet qui, jadis, servait aux deuxamants. Madame de La Baudraye avait fait graver sur une véritablecornaline orientale: parce que! Un grand mot, le mot des femmes, lemot qui peut expliquer tout, même la création. La comtesse venaitd’achever sa toilette pour aller à l’Opéra, le vendredi était sonjour de loge. Elle pâlit en voyant le cachet.

– Qu’on attende! dit-elle en mettant le billet dans soncorsage.

Elle eut la force de cacher son trouble et pria sa mère decoucher les enfants. Elle fit alors dire à Lousteau de venir, etelle le reçut dans un boudoir attenant à son grand salon, lesportes ouvertes. Elle devait aller au bal après le spectacle, elleavait mis une délicieuse robe en soie brochée à raiesalternativement mates et pleines de fleurs, d’un jaune paille. Sesgants garnis et à glands laissaient voir ses beaux bras blancs.Elle étincelait de dentelles, et portait toutes les joliesfutilités voulues par la mode. Sa coiffure à la Sévigné lui donnaitun air fin. Un collier de perles ressemblait sur sa poitrine à dessoufflures sur de la neige.

– Qu’avez-vous, monsieur? dit la comtesse en sortant son pied dedessous sa robe pour pincer un coussin de velours, je croyais,j’espérais être parfaitement oubliée…

– Je vous dirais jamais, vous ne voudriez pas me croire, ditLousteau qui resta debout et se promena tout en mâchant des fleursqu’il prenait à chaque tour aux jardinières dont les massifsembaumaient le boudoir.

Un moment de silence régna. Madame de La Baudraye, en examinantLousteau, le trouva mis comme pouvait l’être le plus scrupuleuxdandy.

– Il n’y a que vous au monde qui puissiez me secourir et metendre une perche, car je me noie, et j’ai déjà bu plus d’unegorgée… dit-il en s’arrêtant devant Dinah et paraissant céder à uneffort suprême. Si vous me voyez, c’est que mes affaires vontdiablement mal.

– Assez! dit-elle; je vous comprends… Une nouvelle pause se fitentre eux pendant laquelle Lousteau se retourna, prit son mouchoiret eut l’air d’essuyer une larme. – Que vous faut-il, Etienne?reprit-elle d’une voix maternelle, Nous sommes en ce moment devieux camarades, parlez-moi comme vous parleriez… à … àBixiou…

– Pour empêcher mon mobilier de sauter demain à l’hôtel descommissaires-priseurs, – dix-huit cents francs! Pour rendre à mesamis, autant! trois termes au propriétaire que vous connaissez… Matante exige cinq cents francs…

Et pour vous, pour vivre…

Oh! j’ai ma plume!…

Elle est à remuer d’une lourdeur qui ne se comprend pas quand onvous lit… dit-elle en souriant avec finesse. – Je n’ai pas la sommeque vous me demandez Venez demain à huit heures, l’huissierattendra bien jusqu’à neuf, surtout si vous l’emmenez pour lepayer. Elle sentit la nécessité de congédier Lousteau qui feignaitde ne pas avoir la force de la regarder; mais elle éprouvait unecompassion à délier tous les nœuds gordiens que noue la société. -Merci! dit-elle en se levant et tendant la main à Lousteau, votreconfiance me fait un bien!… Oh il y a longtemps que je ne me suissenti tant de joie au cœur…

Lousteau prit la main, l’attira sur son cœur et la pressatendrement.

– Une goutte d’eau dans le désert, et… par la main d’un ange!…Dieu fait toujours bien les choses!

Ce fut dit moitié plaisanterie et moitié attendrissement; mais,croyez-le bien, ce fut aussi beau, comme jeu de théâtre, que celuide Talma dans son fameux rôle de Leicester où tout était joué parlui en nuances de ce genre. Dinah sentit battre le cœur à traversl’épaisseur du drap, il battait de plaisir, car le journalisteéchappait à l’épervier judiciaire; mais il battait aussi d’un désirbien naturel à l’aspect de Dinah rajeunie et renouvelée parl’opulence. Madame de La Baudraye, en examinant Etienne à ladérobée, aperçut la physionomie en harmonie avec toutes les fleursd’amour qui, pour elle, renaissaient dans ce cœur palpitant; elleessaya de plonger ses yeux, une fois, dans les yeux de celuiqu’elle avait tant aimé, mais un sang tumultueux se précipita dansses veines et lui troubla la tête. Ces deux êtres échangèrent alorsle même regard rouge qui, sur le quai de Cosne, avait donnél’audace à Lousteau de froisser la robe d’organdi. Le bohémienattira Dinah par la taille, elle se laissa prendre, et les deuxjoues se touchèrent.

– Cache-toi, voici ma mère! s’écria Dinah tout effrayée. Et ellecourut au-devant de madame Piédefer. – Maman, dit-elle (ce motétait pour la sévère madame Piédefer une caresse qui ne manquaitjamais son effet), voulez-vous me faire un grand plaisir, prenez lavoiture, allez vous-même chez notre banquier monsieur Mongenod,avec le petit mot que je vais vous donner pour y prendre six millefrancs. Venez, venez, il s’agit d’une bonne action, venez dans machambre?

Et elle entraîna sa mère qui semblait vouloir regarder lapersonne avec qui sa fille causait dans le boudoir.

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