La Muse du département

Chapitre 2Le sandinisme

Dans un pareil état de choses, si l’on subit les inconvénientsde la vie des petites villes, si l’on se trouve sous le coup decette surveillance officieuse qui fait de la vie privée une viequasi publique; en revanche, le patriotisme de localité, qui neremplacera jamais l’esprit de famille, se déploie à un haut degré.Aussi la ville de Sancerre est-elle très fière d’avoir vu naîtreune des gloires de la médecine moderne, Horace Bianchon, et unauteur du second ordre, Etienne Lousteau, l’un des feuilletonistesles plus distingués. L’arrondissement de Sancerre, choqué de sevoir soumis à sept ou huit grands propriétaires, les hauts baronsde l’élection, essaya de secouer le joug électoral de la Doctrine,qui en a. fait son bourg pourri . Cette conjuration de quelquesamours-propres froissés échoua par la jalousie que causait auxcoalisés l’élévation future d’un des conspirateurs. Quand lerésultat eut montré le vice radical de l’entreprise, on voulut yremédier en prenant pour champion du pays aux prochaines électionsl’un des deux hommes qui représentent glorieusement Sancerre àParis. Cette idée était extrêmement avancée pour la province, où,depuis 1830, la nomination des notabilités de clocher a fait detels progrès que les hommes d’Etat deviennent de plus en plus raresà la Chambre élective. Aussi ce projet, d’une réalisation assezhypothétique, fut-il conçu par la femme supérieure del’Arrondissement, dux femina facti, mais dans une pensée d’intérêtpersonnel. Cette pensée avait tant de racines dans le passé decette femme et embrassait si bien son avenir, que sans un vif etsuccinct récit de sa vie antérieure, on la comprendraitdifficilement. Sancerre s’enorgueillissait alors d’une femmesupérieure, longtemps incomprise, mais qui, vers 1836, jouissaitd’une assez jolie renommée départementale. Cette époque fut aussile moment où les noms des deux Sancerrois atteignirent, à Paris,chacun dans leur sphère, au plus haut degré l’un de la gloire,l’autre de la mode. Etienne Lousteau, l’un des collaborateurs desRevues, signait le feuilleton d’un journal à huit mille abonnés; etBianchon, déjà premier médecin d’un hôpital, officier de la Légiond’honneur et membre de l’Académie des sciences, venait d’obtenir sachaire. Si ce mot ne devait pas, pour beaucoup de gens, comporterune espèce de blâme, on pourrait dire que George Sand a créé lesandisme, tant il est vrai que, moralement parlant, le bien estpresque toujours doublé d’un mal. Cette lèpre sentimentale a gâtébeaucoup de femmes qui, sans leurs prétentions au génie, eussentété charmantes. Le sandisme a cependant cela de bon que la femmequi en est attaquée faisant porter ses prétendues supériorités surdes sentiments méconnus, elle est en quelque sorte le bas-bleu ducœur: il en résulte alors moins d’ennui, l’amour neutralisant unpeu la littérature. Or l’illustration de George Sand a eu pourprincipal effet de faire reconnaître que la France possède unnombre exorbitant de femmes supérieures, assez généreuses pourlaisser jusqu’à présent le champ libre à la petite-fille dumaréchal de Saxe. La femme supérieure de Sancerre demeurait à LaBaudraye, maison de ville et de campagne à la fois, située à dixminutes de la ville, dans le village ou, si vous voulez, lefaubourg de Saint-Satur. Les La Baudraye d’aujourd’hui, comme ilest arrivé pour beaucoup de maisons nobles, se sont substitués auxLa Baudraye dont le nom brille aux croisades et se mêle aux grandsévénements de l’histoire berruyère. Ceci veut une explication.

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