La Muse du département

Chapitre 7Autre lune de miel

De la porte de son appartement où il avait reçu le baiserd’adieu de la lorette à celle du salon où gisait la Muse étourdiede tant de chocs successifs, Lousteau s’était rappelé l’étatprécaire du petit La Baudraye, sa fortune, et ce mot de Bianchonsur Dinah: « Ce sera une riche veuve! » Et il se dit en lui-même: »J’aime mieux cent fois madame de La Baudraye que Félicie pourfemme! » Aussi son parti fut-il promptement pris. Il décida derejouer l’amour avec une admirable perfection. Son lâche calcul etsa fausse violente passion eurent de fâcheux résultats. En effet,pendant son voyage de Sancerre à Paris, madame de La Baudraye avaitmédité de vivre dans un appartement à elle, à deux pas de Lousteau;mais les preuves d’amour que son amant venait de lui donner enrenonçant à ce bel avenir, et surtout le bonheur si complet despremiers jours de ce mariage illégal l’empêchèrent de parler decette séparation. Le lendemain devait être et fut une fête aumilieu de laquelle une pareille proposition faite à son ange eûtproduit la plus horrible discordance. De son côté Lousteau, quivoulait tenir Dinah dans sa dépendance, la maintint dans uneivresse continuelle, à coups de fêtes. Ces événements empêchèrentdonc ces deux êtres si spirituels d’éviter le bourbier où ilstombèrent, celui d’une cohabitation insensée dont malheureusementtant d’exemples existent, à Paris, dans le monde littéraire.

Ainsi fut accompli dans toute sa teneur le programme de l’amouren province si railleusement tracé par madame de La Baudraye àLousteau, mais dont, ni l’un ni l’autre, ils ne se souvinrent. Lapassion est sourde et muette de naissance.

Cet hiver fut donc, à Paris, pour madame de La Baudraye, tout ceque le mois d’octobre avait été pour elle à Sancerre. Etienne, pourinitier sa femme à la vie de Paris, entremêla cette nouvelle lunede miel de parties de spectacles où Dinah ne voulut aller qu’enbaignoires. Au début, madame de La Baudraye garda quelques vestigesde sa pruderie provinciale, elle eut peur d’être vue, elle cachason bonheur. Elle disait: « Monsieur de Clagny, monsieur Graviersont capables de me suivre! » Elle craignait Sancerre à Paris.Lousteau, dont l’amour-propre était excessif, fit l’éducation deDinah, il la conduisit chez les meilleures faiseuses, et lui montrales jeunes femmes alors à la mode en les lui recommandant comme desmodèles à suivre. Aussi l’extérieur provincial de madame de LaBaudraye changea-t-il promptement. Lousteau, rencontré par sesamis, reçut des compliments sur sa conquête. Pendant cette saisonEtienne produisit peu de littérature, et s’endettaconsidérablement, quoique la fière Dinah eût employé toutes seséconomies à sa toilette, et crût n’avoir pas causé la plus légèredépense à son chéri. Au bout de trois mois, Dinah s’étaitacclimatée, elle s’était enivrée de musique aux Italiens, elleconnaissait les répertoires de tous les théâtres, leurs acteurs,les journaux et les plaisanteries du moment; elle s’étaitaccoutumée à cette vie de continuelles émotions, à ce courantrapide où tout s’oublie. Elle ne tendait phis le cou, ne mettaitplus le nez en l’air, comme une statue de l’Etonnement, à proposdes continuelles surprises que Paris offre aux étrangers. Ellesavait respirer l’air de ce milieu spirituel, animé, fécond, où lesgens d’esprit se sentent dans leur élément et qu’ils ne peuventplus quitter. Un matin, en lisant les journaux que Lousteaurecevait tous, deux lignes lui rappelèrent Sancerre et son passé,deux lignes auxquelles elle n’était pas étrangère et que voici:

« Monsieur le baron de Clagny, procureur du roi près le tribunalde Sancerre, est nommé substitut du procureur général près la courroyale de Paris. »

– Comme il t’aime, ce vertueux magistrat! dit en souriant lejournaliste.

– Pauvre homme! répondit-elle. Que te disais-je? Il me suit.

En ce moment, Etienne et Dinah se trouvaient dans la phase laplus brillante et la plus complète de la passion, à cette périodeoù l’on s’est habitué parfaitement l’un à l’autre, et où néanmoinsl’amour conserve de la saveur. On se connaît, mais on ne s’est pasencore compris, on n’a pas repassé dans les mêmes plis de l’âme, onne s’est pas étudié de manière à savoir, comme plus tard, lapensée, les paroles, le geste à propos des plus grands comme desplus petits événements. On est dans l’enchantement, il n’y a pas eude collision, de divergences d’opinions, de regards indifférents.Les âmes vont à tout propos du même côté. Aussi, Dinah disait-elleà Lousteau, de ces magiques paroles accompagnées d’expressions, deces regards plus magiques encore que toutes les femmes trouventalors. – Tue-moi quand tu. ne m’aimeras plus. – Si tu ne m’aimaisplus, je crois que je pourrais te tuer et me tuer après. A cesdélicieuses exagérations, Lousteau répondait à Dinah: « Tout ce queje demande à Dieu, c’est de te voir ma constance. Ce sera toi quim’abandonneras!… – Mon amour est absolu… – Absolu, répéta Lousteau.Voyons? Je suis entraîné dans une partie de garçon, je retrouve unede mes anciennes maîtresses, elle se moque de moi; par vanité, jefais l’homme libre, et je ne rentre que le lendemain matin ici…M’aimerais-tu toujours? – Une femme n’est certaine d’être aimée quequand elle préférée, et si tu me revenais, si… oh! tu me faiscomprendre le bonheur de pardonner une faute à celui qu’on adore… -Eh! bien, je suis donc aimé pour la première fois de ma vie!s’écriait Lousteau. – Enfin, tu t’en aperçois! » répondait-elle.Lousteau proposa d’écrire une lettre où chacun d’eux expliqueraitles raisons qui l’obligeraient à finir par un suicide; et, aveccette lettre en sa possession, chacun d’eux pourrait tuer sansdanger l’infidèle. Malgré leurs paroles échangées, ni l’un nil’autre ils n’écrivirent leur lettre. Heureux pour le moment, lejournaliste se promettait de bien tromper Dinah quand il en seraitlas, et de tout sacrifier aux exigences de cette tromperie. Pourlui, madame de La Baudraye était toute une fortune. Néanmoins, ilsubit un joug. En se mariant ainsi, madame de La Baudraye laissavoir et la noblesse de ses pensées, et cette puissance que donne lerespect de soi-même. Dans cette intimité complète, où chacun déposeson masque, la jeune femme conserva de la pudeur, montra sa probitévirile et cette force particulière aux ambitieux qui faisait labase de son caractère. Aussi Lousteau conçut-il pour elle uneinvolontaire estime. Devenue Parisienne, Dinah fut d’ailleurssupérieure à la plus charmante lorette: elle pouvait être amusante,dire des mots comme Malaga; mais son instruction, les habitudes deson esprit, ses immenses lectures lui permettaient de généraliserson esprit; tandis que les Schontz et les Florine n’exercent leleur que sur un terrain très circonscrit. Il y a chez Dinah, disaitEtienne à Bixiou, l’étoffe d’une Ninon et d’une Staël. – Une femmechez qui l’on trouve une bibliothèque et un sérail est biendangereuse, répondait le railleur.

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