La Muse du département

Chapitre 14Le roman marche

Lousteau regarda les deux femmes, deux vraies pagodes indiennes,et put tenir son sérieux. Il jugea nécessaire de s’écrier: »Attention! » en reprenant ainsi:

OU LES VENGEANCES ROMAINES. 209

robe frôla dans le silence. Tout à coup le cardinal Borboriganoparut aux yeux de la duchesse. Il avait un visage sombre; son frontsemblait chargé de nuages, et un sourire amer se dessinait dans sesrides.

– Madame, dit-il, vous êtes soupçonnée. Si vous êtes coupable,fuyez; si vous ne l’êtes pas, fuyez encore: parce que, vertueuse oucriminelle, vous serez de loin bien mieux en état de vousdéfendre…

– Je remercie Votre Eminence de sa sollicitude, dit-elle, le ducde Bracciano reparaîtra quand je jugerai nécessaire de faire voirqu’il existe

– Le cardinal Borborigano! s’écria Bianchon. Par les clefs dupape, si vous ne m’accordez pas qu’il se trouve une magnifiquecréation seulement dans le nom, si vous ne voyez pas à ces mots:robe frôla dans le silence! toute la poésie du rôle de Schedoniinventé par madame Radcliffe dans le Confessionnal des pénitentsnoirs, vous êtes indigne de lire des romans…

– Pour moi, reprit Dinah qui eut pitié des dix-huit figures quiregardaient les deux Parisiens, la fable marche. Je connais tout:Je suis à Rome, je vois le cadavre d’un mari assassiné dont lafemme, audacieuse et perverse, a établi son lit sur un cratère. Achaque nuit, à chaque plaisir, elle se dit: « Tout va se découvrir!… »

– La voyez-vous, s’écria Lousteau, étreignant ce monsieurAdolphe, elle le serre, elle veut mettre toute sa vie dans unbaiser!… Adolphe me fait l’effet d’être un jeune homme parfaitementbien fait, mais sans esprit, un de ces jeunes gens comme il en fautaux Italiennes. Rinaldo plane sur l’intrigue que nous neconnaissons pas, mais qui doit être corsée comme celle d’unmélodrame de Pixérécourt. Nous pouvons nous figurer d’ailleurs queRinaldo passe dans le fond du théâtre, comme un personnage desdrames de Victor Hugo.

– Et c’est le mari peut-être, s’écria madame de La Baudraye.

– Comprenez-vous quelque chose à tout cela? demanda madamePiédefer à la présidente.

– C’est ravissant, dit madame de La Baudraye à sa mère.

Tous les gens de Sancerre ouvraient des yeux grands comme despièces de cent sous.

– Continuez, de grâce, fit madame de La Baudraye.

Lousteau continua.

216 OLYMPIA,

– Votre clef!…

– L’auriez-vous perdue?

– Elle est dans le bosquet…

– Courons…

– Le cardinal l’aurait-il prise?…

– Non… La voici…

– De quel danger nous sortons!

Olympia regarda la clef, elle crut reconnaître la sienne; maisRinaldo l’avait changée: ses ruses avaient réussi, il possédait lavéritable clef. Moderne Cartouche, il avait autant d’habileté quede courage, et, soupçonnant que des trésors considérables pouvaientseuls obliger une duchesse à toujours porter à sa ceinture

– Cherche!… s’écria Lousteau. La page qui faisait le rectosuivant n’y est pas, il n’y a plus pour nous tirer d’inquiétude quela page 212.

212 OLYMPIA,

– Si la clef avait été perdue!

– Il serait mort…

– Mort! ne devriez-vous pas accéder à la dernière prière qu’ilvous a faite, et lui donner la liberté aux conditions qu’il…

– Vous ne le connaissez pas…

– Mais…

– Tais-toi. Je t’ai pris pour amant, et non pour confesseur.

Adolphe garda le silence.

– Puis voilà un amour sur une chèvre au galop, une vignettedessinée par Normand, gravée par Duplat… Oh! les noms y sont, ditLousteau.

– Eh! bien, la suite? dirent ceux des auditeurs quicomprenaient.

– Mais le chapitre est fini, répondit Lousteau. La circonstancede la vignette change totalement mes opinions sur l’auteur. Pouravoir obtenu, sous l’Empire, des vignettes gravées sur bois,l’auteur devait être un conseiller d’Etat ou madameBarthélemy-Hadot, feu Desforges ou Sewrin.

– Adolphe garda le silence!… Ah! dit Bianchon, la duchesse amoins de trente ans.

– S’il n’y a plus rien, inventez une fin! dit madame de LaBaudraye.

– Mais, dit Lousteau, la maculature n’a été tirée que d’un seulcôté. En style typographique, le côté de seconde, ou, pour vousmieux faire comprendre, tenez, le revers qui aurait dû êtreimprimé, se trouve avoir reçu un nombre incommensurabled’empreintes diverses, elle appartient à la classe des feuillesdites de mise en train. Comme il serait horriblement long de vousapprendre en quoi consistent les dérèglements d’une feuille de miseen train, sachez qu’elle ne peut pas plus garder trace des douzepremières pages que les pressiers y ont imprimées, que vous nepourriez garder un souvenir quelconque du premier coup de bâtonqu’on vous eût donné, si quelque pacha vous eût condamnée à enrecevoir cent cinquante sur la plante des pieds.

– Je suis comme une folle, dit madame Popinot-Chandier àmonsieur Gravier; je tâche de m’expliquer le conseiller d’Etat, lecardinal, la clef et cette maculat…

– Vous n’avez pas la clef de cette plaisanterie, dit monsieurGravier; eh! bien, ni moi non plus, belle dame, rassurez-vous.

– Mais il y a une autre feuille, dit Bianchon qui regarda sur latable où se trouvaient les épreuves.Lousteau regarda les deuxfemmes, deux vraies pagodes indiennes, et put tenir son sérieux. Iljugea nécessaire de s’écrier: « Attention! » en reprenant ainsi:

OU LES VENGEANCES ROMAINES. 209

robe frôla dans le silence. Tout à coup le cardinal Borboriganoparut aux yeux de la duchesse. Il avait un visage sombre; son frontsemblait chargé de nuages, et un sourire amer se dessinait dans sesrides.

– Madame, dit-il, vous êtes soupçonnée. Si vous êtes coupable,fuyez; si vous ne l’êtes pas, fuyez encore: parce que, vertueuse oucriminelle, vous serez de loin bien mieux en état de vousdéfendre…

– Je remercie Votre Eminence de sa sollicitude, dit-elle, le ducde Bracciano reparaîtra quand je jugerai nécessaire de faire voirqu’il existe

– Le cardinal Borborigano! s’écria Bianchon. Par les clefs dupape, si vous ne m’accordez pas qu’il se trouve une magnifiquecréation seulement dans le nom, si vous ne voyez pas à ces mots:robe frôla dans le silence! toute la poésie du rôle de Schedoniinventé par madame Radcliffe dans le Confessionnal des pénitentsnoirs, vous êtes indigne de lire des romans…

– Pour moi, reprit Dinah qui eut pitié des dix-huit figures quiregardaient les deux Parisiens, la fable marche. Je connais tout:Je suis à Rome, je vois le cadavre d’un mari assassiné dont lafemme, audacieuse et perverse, a établi son lit sur un cratère. Achaque nuit, à chaque plaisir, elle se dit: « Tout va se découvrir!… »

– La voyez-vous, s’écria Lousteau, étreignant ce monsieurAdolphe, elle le serre, elle veut mettre toute sa vie dans unbaiser!… Adolphe me fait l’effet d’être un jeune homme parfaitementbien fait, mais sans esprit, un de ces jeunes gens comme il en fautaux Italiennes. Rinaldo plane sur l’intrigue que nous neconnaissons pas, mais qui doit être corsée comme celle d’unmélodrame de Pixérécourt. Nous pouvons nous figurer d’ailleurs queRinaldo passe dans le fond du théâtre, comme un personnage desdrames de Victor Hugo.

– Et c’est le mari peut-être, s’écria madame de La Baudraye.

– Comprenez-vous quelque chose à tout cela? demanda madamePiédefer à la présidente.

– C’est ravissant, dit madame de La Baudraye à sa mère.

Tous les gens de Sancerre ouvraient des yeux grands comme despièces de cent sous.

– Continuez, de grâce, fit madame de La Baudraye.

Lousteau continua.

216 OLYMPIA,

– Votre clef!…

– L’auriez-vous perdue?

– Elle est dans le bosquet…

– Courons…

– Le cardinal l’aurait-il prise?…

– Non… La voici…

– De quel danger nous sortons!

Olympia regarda la clef, elle crut reconnaître la sienne; maisRinaldo l’avait changée: ses ruses avaient réussi, il possédait lavéritable clef. Moderne Cartouche, il avait autant d’habileté quede courage, et, soupçonnant que des trésors considérables pouvaientseuls obliger une duchesse à toujours porter à sa ceinture

– Cherche!… s’écria Lousteau. La page qui faisait le rectosuivant n’y est pas, il n’y a plus pour nous tirer d’inquiétude quela page 212.

212 OLYMPIA,

– Si la clef avait été perdue!

– Il serait mort…

– Mort! ne devriez-vous pas accéder à la dernière prière qu’ilvous a faite, et lui donner la liberté aux conditions qu’il…

– Vous ne le connaissez pas…

– Mais…

– Tais-toi. Je t’ai pris pour amant, et non pour confesseur.

Adolphe garda le silence.

– Puis voilà un amour sur une chèvre au galop, une vignettedessinée par Normand, gravée par Duplat… Oh! les noms y sont, ditLousteau.

– Eh! bien, la suite? dirent ceux des auditeurs quicomprenaient.

– Mais le chapitre est fini, répondit Lousteau. La circonstancede la vignette change totalement mes opinions sur l’auteur. Pouravoir obtenu, sous l’Empire, des vignettes gravées sur bois,l’auteur devait être un conseiller d’Etat ou madameBarthélemy-Hadot, feu Desforges ou Sewrin.

– Adolphe garda le silence!… Ah! dit Bianchon, la duchesse amoins de trente ans.

– S’il n’y a plus rien, inventez une fin! dit madame de LaBaudraye.

– Mais, dit Lousteau, la maculature n’a été tirée que d’un seulcôté. En style typographique, le côté de seconde, ou, pour vousmieux faire comprendre, tenez, le revers qui aurait dû êtreimprimé, se trouve avoir reçu un nombre incommensurabled’empreintes diverses, elle appartient à la classe des feuillesdites de mise en train. Comme il serait horriblement long de vousapprendre en quoi consistent les dérèglements d’une feuille de miseen train, sachez qu’elle ne peut pas plus garder trace des douzepremières pages que les pressiers y ont imprimées, que vous nepourriez garder un souvenir quelconque du premier coup de bâtonqu’on vous eût donné, si quelque pacha vous eût condamnée à enrecevoir cent cinquante sur la plante des pieds.

– Je suis comme une folle, dit madame Popinot-Chandier àmonsieur Gravier; je tâche de m’expliquer le conseiller d’Etat, lecardinal, la clef et cette maculat…

– Vous n’avez pas la clef de cette plaisanterie, dit monsieurGravier; eh! bien, ni moi non plus, belle dame, rassurez-vous.

– Mais il y a une autre feuille, dit Bianchon qui regarda sur latable où se trouvaient les épreuves.

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