La Muse du département

Chapitre 4Dinah

A cette époque, Son Eminence Monseigneur l’archevêque de Bourgesvenait de convertir au catholicisme une jeune personne appartenantà l’une de ces familles bourgeoises qui furent les premiers appuisdu calvinisme, et qui, grâce à leur position obscure, ou à desaccommodements avec le ciel, échappèrent aux persécutions de LouisXIV. Artisans au XVIe siècle, les Piédefer, dont le nom révèle unde ces surnoms bizarres que se donnèrent les soldats de la Réforme,étaient devenus d’honnêtes drapiers. Sous le règne de Louis XVI,Abraham Piédefer fit de si mauvaises affaires, qu’il laissa vers1786, époque de sa mort, ses deux enfants dans un état voisin de lamisère. L’un des deux, Silas Piédefer partit pour les Indes enabandonnant le modique héritage à son aîné. Pendant la Révolution,Moïse Piédefer acheta des biens nationaux, abattit des abbayes etdes églises à l’instar de ses ancêtres, et se maria, chose étrange,avec une catholique, fille unique d’un conventionnel mort surl’échafaud. Cet ambitieux Piédefer mourut en 1819, laissant à safemme une fortune compromise par des spéculations agricoles, et unepetite fille de douze ans d’une beauté surprenante. Elevée dans lareligion calviniste, cette enfant. avait été nommée Dinah, suivantl’usage en vertu duquel les religionnaires prenaient leurs nomsdans la Bible pour n ‘avoir rien de commun avec les saints del’Eglise romaine. Mademoiselle Dinah Piédefer, mise par sa mèredans un des meilleurs pensionnats de Bourges, celui des demoisellesChamarolles, y devint aussi célèbre par les qualités de son espritque par sa beauté; mais elle s’y trouva primée par des jeunesfilles nobles, riches et qui devaient plus tard jouer dans le mondeun rôle beaucoup plus beau que celui d’une roturière dont la mèreattendait les résultats de la liquidation Piédefer. Après avoir sus’élever momentanément au-dessus de ses compagnes, Dinah voulutaussi se trouver de plain-pied avec elles dans la vie. Elle inventadonc d’abjurer le calvinisme, en espérant que le cardinalprotégerait sa conquête spirituelle et s’occuperait de son avenir.Vous pouvez juger déjà de la supériorité de mademoiselle Dinah qui,dès l’âge de dix sept ans, se convertissait uniquement parambition. L’archevêque imbu de l’idée que Dinah Piédefer devaitfaire l’ornement du monde, essaya de la marier. Toutes les famillesauxquelles s’adressa le prélat s’effrayèrent d’une fille douéed’une prestance de princesse, qui passait pour la plus spirituelledes jeunes personnes élevées chez les demoiselles de Chamarolles,et qui dans les solennités un peu théâtrales des distributions deprix, jouait toujours les premiers rôles. Assurément mille écus derente, que pouvait rapporter le domaine de La Hautoy indivis entrela fille et la mère, étaient peu de chose en comparaison desdépenses auxquelles les avantages personnels d’une créature sispirituelle entraînerait un mari.

Dès que le petit Polydore de La Baudraye apprit ces détails dontparlaient toutes les sociétés du département du Cher, il se rendità Bourges, au moment où madame Piédefer, dévote à grandes heuresétait à peu près déterminée ainsi que sa fille à prendre, selonl’expression du Berry, le premier chien coiffé venu. Si le cardinalfut très heureux de rencontrer monsieur de La Baudraye, monsieur deLa Baudraye fut encore plus heureux d’accepter une femme de la maindu cardinal. Le petit homme exigea de Son Eminence la promesseformelle de sa protection auprès du président du Conseil, à cettefin de palper les créances sur les ducs de Navarreins et autres ensaisissant leurs indemnités. Ce moyen parut un peu trop vif àl’habile ministre du pavillon Marsan, il fit savoir au vigneronqu’on s’occuperait de lui en temps et lieu. Chacun peut se figurerle tapage produit dans le Sancerrois par le mariage insensé demonsieur de La Baudraye.

– Cela s’explique, dit le président Boirouge, le petit hommeaurait, m’a-t-on dit, été très choqué d’avoir entendu, sur le Mail,le beau monsieur Milaud, le substitut de Nevers, disant à monsieurde Clagny en lui montrant les tourelles de La Baudraye: « Cela mereviendra! – Mais, a répondu notre procureur du roi, il peut semarier et avoir des enfants. – Ça lui est défendu! ». Vous pouvezimaginer la haine qu’un avorton comme le petit La Baudraye a dûvouer à ce colosse de Milaud.

Il existait à Nevers une branche roturière des Milaud quis’était assez enrichie dans le commerce de la coutellerie pour quele représentant de cette branche eût abordé la carrière duministère public, dans laquelle il fut protégé par feuMarchangy.

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