La Muse du département

Chapitre 6Monsieur Bixiou remplira le rôle de Géronte

Enchanté de trouver une ruse dont le succès lui parut certain,il se mit à danser sur un air connu: « Larifla, fla, fla! » Puis, unefois Didine emballée, reprit-il en se parlant à lui-même, j’iraifaire une visite et un roman à maman Cardot: j’aurai séduit saFélicie à Saint-Eustache… Félicie, coupable par amour, porte dansson sein le gage de notre bonheur, et… larifla, fla, fla!… le pèrene peut pas me démentir, fla, fla… ni la fille… larifla! Ergò lenotaire, sa femme et sa fille sont enfoncés, larifla, fla, fla!… Ason grand étonnement, Dinah surprit Etienne dansant une danseprohibée.

– Ton arrivée et notre bonheur me rendent ivre de joie, luidit-il en lui expliquant ainsi ce mouvement de folie.

– Et moi qui ne me croyais plus aimée, s’écria la pauvre femmeen lâchant le sac de nuit qu’elle apportait et pleurant de plaisirsur le fauteuil où elle se laissa tomber.

– Emménage-toi, mon ange; dit Etienne en riant sous cape, j’aideux mots à écrire afin de me dégager d’une partie de garçon, carje veux être tout à toi. Commande, tu es ici chez toi.

Etienne écrivit à Bixiou.

« Mon cher, ma baronne me tombe sur les bras, et va me fairemanquer mon mariage si nous ne mettons pas en scène une des rusesles plus connues des mille et un vaudevilles du Gymnase. Donc, jecompte sur toi, pour venir, en vieillard de Molière, gronder tonneveu Léandre sur sa sottise, pendant que la dixième Muse seracachée dans ma chambre; il s’agit de la prendre par les sentiments,frappe fort, sois méchant, blesse-la. Quant à moi, tu comprends,j’exprime un dévouement aveugle et serai sourd pour te donner ledroit de crier. Viens si tu peux, à sept heures.

Tout à toi,

E. LOUSTEAU. »

Une fois cette lettre envoyée par un commissionnaire à l’hommede Paris qui se plaisait le plus à ces railleries que les artistesont nommées des charges, Lousteau parut empressé d’installer chezlui la Muse de Sancerre; il s’occupa de l’emménagement de tous leseffets qu’elle avait apportés, et la mit au fait des êtres et deschoses du logis avec une bonne foi si parfaite, avec un plaisir quidébordait si bien en paroles et en caresses, que Dinah put secroire la femme du monde la plus aimée. Cet appartement où lesmoindres choses portaient le cachet de la mode lui plaisaitbeaucoup plus que son château d’Anzy. Paméla Migeon, cetteintelligente petite fille de quatorze ans, fut questionnée par lejournaliste à cette fin de savoir si elle voulait devenir la femmede chambre de l’imposante baronne. Paméla ravie entra sur-le-champen fonctions en allant commander le dîner chez un restaurateur duboulevard. Dinah comprit quel était le dénuement caché sous le luxepurement extérieur de ce ménage de garçon en n’y voyant aucun desustensiles nécessaires à la vie. Tout en prenant possession desarmoires, des commodes, elle forma les plus doux projets, ellechangerait les mœurs de Lousteau, elle le rendrait casanier, ellelui complèterait son bien-être au logis. La nouveauté de saposition en cachait le malheur à Dinah, qui voyait dans un mutuelamour l’absolution de sa faute, et qui ne portait pas encore lesyeux au delà de cet appartement. Paméla, dont l’intelligence étaitégale à celle d’une lorette, alla droit chez madame Schontz luidemander de l’argenterie en lui racontant ce qui venait d’arriver àLousteau. Après avoir tout mis chez elle à la disposition dePaméla, madame Schontz courut chez Malaga, son amie intime, afin deprévenir Cardot du malheur advenu à son futur gendre. Sansinquiétude sur la crise qui affectait son mariage, le journalistefut de plus en plus charmant pour la femme de province. Le dîneroccasionna ces délicieux enfantillages des amants devenus libres etheureux d’être enfin à eux-mêmes. Le café pris, au moment oùLousteau tenait sa Dinah sur ses genoux devant le feu, Paméla semontra tout effarée.

– Voici monsieur Bixiou! que faut-il lui dire?demanda-t-elle.

– Entre dans la chambre, dit le journaliste à sa maîtresse, jel’aurai bientôt renvoyé, c’est un de mes plus intimes amis, à quid’ailleurs il faut avouer mon nouveau genre de vie.

– Oh! oh! deux couverts et un chapeau de velours gros-bleu!s’écria le compère… je m’en vais… Voilà ce que c’est que de semarier, on fait ses adieux. Comme on se trouve riche quand ondéménage, hein?

– Est-ce que je me marie? dit Lousteau.

– Comment! tu ne te maries plus, à présent? s’écria Bixiou.

– Non!

– Non! Ah! çà, que t’arrive-t-il, ferais-tu par hasard dessottises? Quoi!… toi qui, par une bénédiction du ciel, as trouvévingt mille francs de rente, un hôtel, une femme appartenant auxpremières familles de la haute bourgeoisie, enfin une femme de larue des Lombards…

– Assez, assez, Bixiou, tout est fini, va-t’en!

– M’en aller! j’ai les droits de l’amitié, j’en abuse. Quet’est-il arrivé?

– Il m’est arrivé cette dame de Sancerre, elle est mère, et nousallons vivre ensemble, heureux le reste de nos jours… Tu sauraiscela demain, autant te l’apprendre aujourd’hui.

– Beaucoup de tuyaux de cheminée qui me tombent sur la tête,comme dit Arnal. Mais si cette femme t’aime pour toi, mon cher,elle s’en retournera d’où elle vient. Est-ce qu’une femme deprovince a jamais pu avoir le pied marin à Paris? elle te ferasouffrir dans tous tes amours-propres. Oublies-tu ce qu’est unefemme de province? mais elle aura le bonheur aussi ennuyeux que lemalheur, elle déploiera plus de talent à éviter la grâce que laParisienne n’en met à l’inventer. Ecoute, Lousteau? que la passionte fasse oublier en quel temps nous vivons, je le conçois; mais,moi, ton ami, je n’ai pas de bandeau mythologique sur les yeux… Eh!bien, examine ta position? Tu roules, depuis quinze ans dans lemonde littéraire, tu n’es plus jeune, tu marches sur tes tiges,tant tu as marché!… Oui, mon bonhomme, tu fais comme les gamins deParis qui pour cacher les trous de leurs bas les remploient et tuportes ton mollet aux talons! Enfin, ta plaisanterie estvieillotte. Ta phrase est plus connue qu’un remède secret…

– Je te dirai, comme le régent au cardinal Dubois: « Assez decoups de pied comme ça! » s’écria Lousteau tout bas.

– Oh, vieux jeune homme, répondit Bixiou, tu sens le fer del’opérateur à ta plaie. Tu t’es épuisé, n’est-ce pas? Eh! bien,dans le feu de la jeunesse, sous la pression de la misère, qu’as-tugagné? Tu n’es pas en première ligne et tu n’as pas mille francs àtoi. Voilà ta position chiffrée. Pourras-tu, dans le déclin de tesforces, soutenir par ta plume un ménage, quand ta femme, si elleest honnête, n’aura pas les ressources d’une lorette pour extraireun billet de mille des profondeurs où l’homme le garde? Tut’enfonces dans le troisième dessous du théâtre social… Ceci n’estque le côté financier. Voyons le côté politique? Nous naviguonsdans une époque essentiellement bourgeoise, où l’honneur, la vertu,la délicatesse, le talent, le savoir, le génie, en un mot, consisteà payer ses billets, à ne rien devoir à personne, et à bien faireses petites affaires. Soyez rangé, soyez décent, ayez femme etenfant, acquittez vos loyers et vos contributions, montez votregarde, soyez semblable à tous les fusiliers de votre compagnie, etvous pouvez prétendre à tout, devenir ministre, et tu as deschances, puisque tu n’es pas un Montmorency! Tu allais remplirtoutes les conditions voulues pour être un homme politique, tupouvais faire toutes les saletés exigées pour l’emploi, même jouerla médiocrité, tu aurais été presque nature. Et, pour une femme quite plantera là, au terme de toutes les passions éternelles, danstrois, cinq ou sept ans, après avoir consommé tes dernières forcesintellectuelles et physiques, tu tournes le dos à la saintefamille, à la rue des Lombards, à tout un avenir politique, àtrente mille francs de rente, à la considération… Est-ce là par oùdevait finir un homme qui n’avait plus d’illusions?… Tu feraispot-bouille avec une actrice qui te rendrait heureux, voilà ce quis’appelle une question de cabinet; mais vivre avec une femmemariée?… c’est tirer à vue sur le malheur! c’est avaler toutes lescouleuvres du vice sans en avoir les plaisirs…

– Assez, te dis-je, tout finit par un mot: j’aime madame de LaBaudraye et je la préfère à toute les fortunes du monde, à toutesles positions… J’ai pu me laisser aller à une bouffée d’ambition…mais tout cède au bonheur d’être père.

– Ah! tu donnes dans la paternité? « Mais, malheureux, nous nesommes les pères que des enfants de nos femmes légitimes! Qu’est-ceque c’est qu’un moutard qui ne porte pas notre nom? c’est ledernier chapitre d’un roman! On te l’enlèvera, ton enfant! Nousavons vu ce sujet-là dans vingt vaudevilles, depuis dix ans… LaSociété, mon cher, pèsera sur vous, tôt ou tard. Relis Adolphe? Oh!mon Dieu! je vous vois, quand vous vous serez bien connus, je vousvois malheureux, triste-à-pattes, sans considération, sans fortune,vous battant comme les actionnaires d’une commandite attrapés parleur gérant! Votre gérant, à vous, c’est le bonheur.

– Pas un mot de plus, Bixiou.

– Mais je commence à peine. Ecoute, mon cher. On a beaucoupattaqué le mariage depuis quelque temps; mais, à part son avantaged’être la seule manière d’établir les successions, comme il offreaux jolis garçons sans le sol un moyen de faire fortune en deuxmois, il résiste à tous ses inconvénients! Aussi, n’y a-t-il pas degarçon qui ne se repente tôt ou tard d’avoir manqué par sa faute unmariage de trente mille livres de rente…

– Tu ne veux donc pas me comprendre! s’écria Lousteau d’une voixexaspérée, va-t’en… Elle est, là…

– Pardon, pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt… tu es majeur… etelle aussi, fit-il d’un ton plus bas mais assez haut cependant pourêtre entendu de Dinah. Elle te fera joliment repentir de sonbonheur…

– Si c’est une folie, je veux la faire… Adieu!

– Un homme à la mer! s’écria Bixiou.

– Que le diable emporte ces amis qui se croient le droit de vouschapitrer, dit Lousteau en ouvrant la porte de sa chambre où iltrouva sur un fauteuil madame de La Baudraye affaissée étanchantses yeux avec un mouchoir brodé.

– Que suis-je venue faire ici?… dit-elle. Oh! mon Dieu!pourquoi?… Etienne, je ne suis pas si femme de province que vous lecroyez… Vous vous jouez de moi.

– Chère ange, répondit Lousteau qui prit Dinah dans ses bras, lasouleva du fauteuil et l’amena quasi morte dans le salon,. nousavons chacun échangé notre avenir, sacrifice contre sacrifice.Pendant que j’aimais à Sancerre, on me mariait ici; mais jerésistais… va, j’étais bien malheureux.

– Oh! je pars! s’écria Dinah en se dressant comme une folle etfaisant deux pas vers la porte.

– Tu resteras, ma Didine, tout est fini. Va! cette fortuneest-elle à si bon marché? ne dois-je pas épouser une grande blondedont le nez est sanguinolent, la fille d’un notaire, et endosserune belle-mère qui rendrait des points à madame Piédefer en fait dedévotion…

Paméla se précipita dans le salon, et vint dire à l’oreille deLousteau; « Madame Schontz! »

Lousteau se leva, laissa Dinah sur le divan et sortit.

– Tout est fini; mon bichon; lui dit la lorette. Cardot ne veutpas se brouiller avec sa femme à cause d’un gendre. La dévote afait une scène… une scène sterling! Enfin, le premier clerc actuel,qui était second premier clerc depuis deux ans, accepte la fille etl’étude.

– Le lâche s’écria Lousteau. Comment, en deux heures, il a pu sedécider.

– Mon Dieu, c’est bien simple. Le drôle, qui avait les secretsdu premier clerc défunt, a deviné la position du patron ensaisissant quelques mots de la querelle avec madame Cardot. Lenotaire compte sur ton honneur et sur ta délicatesse, car tout estconvenu. Le clerc, dont la conduite est excellente, il se donnaitle genre d’aller à la messe! un petit hypocrite fini, quoi! plaît àla notaresse. Cardot et toi, vous resterez amis. Il va devenirdirecteur d’une compagnie financière immense, il pourra te rendreservice. Ah! tu te réveilles d’un beau rêve!

– Je perds une fortune, une femme, et…

– Une maîtresse, dit madame Schontz en souriant, car te voilàplus que marié, tu seras embêtant, tu voudras rentrer chez toi, tun’auras plus rien de décousu, ni dans tes habits, ni dans tesallures; d’ailleurs, mon Arthur fait bien les choses, je vais luirester fidèle et rompre avec Malaga… Laisse-la-moi voir par le troude la porte?… demanda la lorette. Il n’y a pas, s’écria-t-elle, deplus bel animal dans le désert! tu es volé! C’est digne, c’est sec,c’est pleurard, il lui manque le turban de lady Dudley.

Et la lorette se sauva.

– Qu’y a-t-il encore?… demanda madame de La Baudraye à l’oreillede laquelle avaient retenti le froufrou de la robe de soie et lesmurmures d’une voix de femme.

– Il y a, mon ange, s’écria Lousteau, que nous sommesindissolublement unis… On vient de m’apporter une réponse verbale àla lettre que tu m’as vu écrire et par laquelle je rompais monmariage…

– C’est là cette partie dont tu te dégageais?

– Oui!

– Oh! je serai plus que ta femme, je te donne ma vie, je veuxêtre ton esclave!… dit la pauvre créature abusée. Je ne croyais pasqu’il me fût possible de t’aimer davantage!… Je ne serai donc pasun accident dans ta vie, je serai toute ta vie?

– Oui, ma belle, ma noble Didine…

– Jure-moi, reprit-elle, que nous ne pourrons être séparés quepar la mort!…

Lousteau voulut embellir son serment de ses plus séduisanteschatteries. Voici pourquoi.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer