La Muse du département

Chapitre 2Comment on se moque du véritable amour

Ceux à qui la bohème de Paris est connue comprendront alorscomment, au bout de quinze jours, le journaliste, replongé dans sonmilieu littéraire, pouvait rire de sa baronne, entre amis, et mêmeavec madame Schontz. Quant à ceux qui trouveront ces procédésinfâmes, il est à peu près inutile de leur en présenter des excusesinadmissibles.

– Qu’as-tu fait à Sancerre? demanda Bixiou à Lousteau quand ilsse rencontrèrent.

– J’ai rendu service à trois braves provinciaux, un receveur descontributions, un petit cousin et un procureur du roi quitournaient depuis dix ans, répondit-il, autour d’une de ces cent etune dixièmes muses qui ornent les départements, sans y plus toucherqu’on ne touche à un plat monté du dessert, jusqu’à ce qu’un espritfort y donne un coup de couteau…

– Pauvre garçon! disait Bixiou, je disais bien que tu allais àSancerre pour y mettre ton esprit au vert.

– Ton calembour est aussi détestable que ma muse est belle, moncher, répliqua Lousteau. Demande à Bianchon.

– Une muse et un poète, répondit Bixiou, ton aventure est alorsun traitement homéopathique.

Le dixième jour, Lousteau reçut une lettre timbrée deSancerre.

– Bien! bien! fit Lousteau. « Ami chéri, idole de mon cœur et demon âme…  » Vingt pages d’écriture! une par jour et datée de minuit!Elle m’écrit quand elle est seule… Pauvre femme. Ah! ah!Post-scriptum. « Je n’ose te demander de m’écrire comme je le fais,tous les jours; mais j’espère avoir de mon bien-aimé deux ligneschaque semaine pour me tranquilliser…  » – Quel dommage de brûlercela! c’est crânement écrit, se dit Lousteau qui jeta les dixfeuillets au feu après les avoir lus. Cette femme est née pourfaire de la copie.

Lousteau craignait peu madame Schontz de laquelle il était aimépour lui-même; mais il avait supplanté l’un de ses amis dans lecœur d’une marquise La marquise, femme assez libre de sa personne,venait quelquefois à l’improviste chez lui, le soir, en fiacre,voilée, et se permettait, en qualité de femme de lettres, defouiller dans tous les tiroirs. Huit jours après, Lousteau, qui sesouvenait à peine de Dinah, fut bouleversé par un nouveau paquet deSancerre: huit feuillets! seize pages! Il entendit les pas d’unefemme, il crut à quelque visite domiciliaire de la marquise et jetaces ravissantes et délicieuses preuves d’amour au feu… sans leslire!

– Une lettre de femme! s’écria madame Schontz en entrant, lepapier, la cire sentent trop bon… .

– Monsieur, voici, dit un facteur des Messageries en posant dansl’antichambre deux énormissimes bourriches. Tout est payé.Voulez-vous signer mon registre?…

– Tout est payé! s’écria madame Schontz. Ça ne peut venir que deSancerre.

– Oui, madame, dit le facteur.

– Ta dixième Muse est une femme de haute intelligence, dit laloterie en défaisant une bourriche pendant que Lousteau signait,j’aime une Muse qui connaît le ménage et qui fait à la fois despâtés d’encre et des pâtés de gibier. – Oh! les belles fleurs!…s’écria-t-elle en découvrant la seconde bourriche. Mais il n’y arien de plus beau dans Paris!… De quoi? de quoi? un lièvre, desperdreaux, un demi-chevreuil. Nous inviterons tes amis et nousferons un fameux dîner, car Athalie possède un talent particulierpour accommoder le chevreuil.

Lousteau répondit à Dinah; mais au lieu de répondre avec soncœur, il fit de l’esprit. La lettre n’en fut que plus dangereuse,elle ressemblait à une lettre de Mirabeau à Sophie. Le style desvrais amants est limpide. C’est une eau pure qui laisse voir lefond du cœur entre deux rives ornées des riens de la vie, émailléesde ces fleurs de l’âme nées chaque jour et dont le charme estenivrant mais pour deux êtres seulement. Aussi dès qu’une lettred’amour peut faire plaisir au tiers qui la lit, est-elle à coup sûrsortie de la tête et non du cœur. Mais les femmes y seront toujoursprises, elles croient alors être l’unique source de cet esprit.

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