La Muse du département

Chapitre 3Les Milaud

Sous Louis XIV, un certain échevin nommé Milaud, dont lesancêtres furent d’enragés calvinistes, se convertit lors de larévocation de l’édit de Nantes. Pour encourager ce mouvement dansl’un des sanctuaires du calvinisme, le roi nomma cettui Milaud à unposte élevé dans les Eaux et Forêts, lui donna des armes et letitre de Sire de La Baudraye en lui faisant présent du fief desvrais et vieux La Baudraye. Les héritiers du fameux capitaine LaBaudraye tombèrent, hélas! dans, l’un des pièges tendus auxhérétiques par les Ordonnances, et furent pendus, traitementindigne du grand roi. Sous Louis XV, Milaud de La Baudraye desimple écuyer, devint chevalier, et eut assez de crédit pour placerson fils cornette dans les mousquetaires. Le cornette mourut àFontenoy, laissant un enfant à qui le roi Louis XVI accorda plustard un brevet de fermier général, en mémoire du cornette mort surle champ de bataille. Ce financier, bel esprit occupé de charades,de bouts rimés, de bouquets à Chloris, vécut dans le beau monde,hanta la société du duc de Nivernois, et se crut obligé de suivrela noblesse en exil; mais il eut soin d’emporter ses capitaux.Aussi le riche émigré soutint-il alors plus d’une grande maisonnoble. Fatigué d’espérer et peut-être aussi de prêter, il revint àSancerre en 1800, et racheta La Baudraye par un sentimentd’amour-propre et de vanité nobiliaire explicable chez unpetit-fils d’échevin; mais qui sous le Consulat avait d’autantmoins d’avenir que l’ex-fermier général comptait peu sur sonhéritier pour continuer les nouveaux La Baudraye.Jean-Athanase-Polydore Milaud de La Baudraye, unique enfant dufinancier, né plus que chétif, était bien le fruit d’un sang épuiséde bonne heure par les plaisirs exagérés auxquels se livrent tousles gens riches qui se marient à l’aurore d’une vieillesseprématurée, et finissent ainsi par abâtardir les sommités sociales.Pendant l’émigration, madame de La Baudraye, jeune fille sansaucune fortune et qui fut épousée à cause de sa noblesse, avait eula patience d’élever cet enfant jaune et malingre auquel elleportait l’amour excessif que les mères ont dans le cœur pour lesavortons. La mort de cette femme, une demoiselle deCastéran-La-Tour, contribua beaucoup à la rentrée en France demonsieur de La Baudraye. Ce Lucullus des Milaud mourut en léguant àson fils le fief sans lods et ventes, mais orné de girouettes à sesarmes, mille louis d’or, somme assez considérable en 1802, et sescréances sur les plus illustres émigrés, contenues dans leportefeuille de ses poésies avec cette inscription: Vanitasvanitatum el omnia vanitas! Si le jeune La Baudraye vécut, il ledut à des habitudes d’une régularité monastique, à cette économiede mouvement que Fontenelle prêchait comme la religion desvalétudinaires, et surtout à l’air de Sancerre, à l’influence de cesite admirable d’où se découvre un panorama de quarante lieues dansle val de la Loire. De 1802 à 1815, le petit La Baudraye augmentason ex-fief de plusieurs clos, et s’adonna beaucoup à la culturedes vignes. Au début, la Restauration lui parut si chancelantequ’il n’osa pas trop aller à Paris y faire ses réclamations; maisaprès la mort de Napoléon il essaya de monnayer la poésie de sonpère, car il ne comprit pas la profonde philosophie accusée par cemélange des créances et des charades. Le vigneron perdit tant detemps à se faire reconnaître de messieurs les ducs de Navarreins etautres (telle était son expression), qu’il revint à Sancerre,appelé par ses chères vendanges, sans avoir rien obtenu que desoffres de services. La Restauration rendit assez de lustre à lanoblesse pour que La Baudraye désirât donner un sens à son ambitionen se donnant un héritier. Ce bénéfice conjugal lui paraissaitassez problématique; autrement, il n’eût pas tant tardé; mais, versla fin de 1823, en se voyant encore sur ses jambes à quarante-troisans, âge qu’aucun médecin, astrologue ou sage-femme n’eût osé luiprédire, il espéra trouver la récompense de sa vertu forcée.Néanmoins, son choix indiqua, relativement à sa chétiveconstitution, un si grand défaut de prudence qu’il fut impossible àla Malice provinciale de n’y pas voir un profond calcul.

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