Mon frère Yves

XII

Il y avait quelques jours que nous avionsquitté ces tranquillités de l’équateur, et nous filions doucementvers le sud, poussés par l’alizé austral. Un matin Yves entra trèsaffairé dans ma chambre pour préparer ses lignes à prendre lesoiseaux. « On avait vu, disait-il, les premiersdamiers derrière. »

Ces damiers sont des oiseaux du large, prochesparents des goélands, et les plus jolis de toute cette famille dela mer : d’un blanc de neige, les plumes douces et soyeuses,avec un damier noir finement dessiné sur les ailes.

Les premiers damiers ! C’est déjà ungrand éloignement qu’indique leur seule présence, signe qu’on alaissé bien loin derrière soi notre hémisphère boréal et qu’onarrive aux régions froides qui sont sur l’autre versant du monde,là-bas vers le sud.

Ils étaient en avance pourtant, cesdamiers-là ; car nous naviguions encore dans la zone bleue desalizés. Et c’était tous les jours, tous les jours, toutes lesnuits, le même souffle régulier, tiède, exquis à respirer ; etla même mer transparente, et les mêmes petits nuages blancs,moutonnés, passant tranquillement sur le ciel profond ; et lesmêmes bandes de poissons volants s’enlevant comme des fous avecleurs longues ailes humides et brillant au soleil comme des oiseauxd’acier bleui.

Il y en avait des quantités, de ces poissonsvolants, et quand il s’en trouvait d’assez étourdis pour s’abattreà bord, vite les gabiers leur coupaient les ailes et lesmangeaient.

L’heure qu’Yves affectionnait pour descendrede sa hune et venir rendre visite à ma chambre, c’était le soir, aumoment surtout où les appels et le branle-bas venaient de finir. Ilarrivait tout doucement, sans faire avec ses pieds nus plus debruit qu’un chat. Il buvait à même un peu d’eau douce dans unegargoulette à rafraîchir qui était pendue à mon sabord, et puis ilmettait en ordre diverses choses qui m’appartenaient ou bien lisaitquelque roman. Il y en avait un surtout de George Sand qui lepassionnait : le marquis de Villemer. À premièrelecture, je l’avais surpris près de pleurer, vers la fin.

Yves savait coudre très habilement, comme tousles bons matelots, et c’était drôle de le voir se livrer à cetravail, étant donnés son aspect et sa tournure. Dans ses visitesdu soir, il lui arrivait de passer en revue mes vêtements de bordet d’y faire des réparations qu’il jugeait mon domestique incapabled’exécuter comme il convenait.

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