Mon frère Yves

LI

Novembre 1880.

… Un peu plus de deux ans après.

Petit Pierre avait froid. Il pleurait, en setenant ses deux petites mains, qu’il essayait de cacher sous sontablier. Il était dans une rue de Brest, avant jour, un matin denovembre, sous la pluie fine. Il se serrait contre sa mère, qui,elle aussi, pleurait.

Elle était là, à ce coin de rue, MarieKermadec, attendant, rôdant dans l’obscurité comme une mauvaisefemme. Yves rentrerait-il ?… Où était-il ?… Où avait-ilpassé sa nuit ? Dans quel bouge ?… Retournerait-il aumoins à son bord, à l’heure du coup de canon, à temps pourl’appel ?

D’autres femmes attendaient aussi.

Une passa avec son mari, un quartier-maîtrecomme Yves ; il sortait ivre d’un cabaret qu’on venaitd’ouvrir. Il essaya de marcher, fit quelques pas, puis tombalourdement à terre, avec un bruit lugubre de sa tête contre legranit dur.

« Ah ! mon Dieu ! pleurait lafemme ; jésus, sainte Vierge Marie, ayez pitié de nous !…Jamais je ne l’avais vu comme ça encore !… »

Marie Kermadec l’aida à le remettre debout. Ilavait une jolie figure douce et sérieuse.

« Merci, madame ! »

Et la femme continua de le faire marcher, enle soutenant de toutes ses forces.

Petit Pierre pleurait assez doucement, commecomprenant déjà qu’une honte pesait sur eux, et qu’il ne fallaitpas faire de bruit, baissant sa petite tête, et cachant toujourssous son tablier ses pauvres petites mains qui avaient froid. Ilétait assez bien couvert pourtant, mais il y avait longtemps qu’ilétait là, tranquille, à ce coin de rue humide. Les lanternes à gazvenaient de s’éteindre, et il faisait très noir. Pauvre petiteplante saine et fraîche, née dans les bois de Toulven, commentétait-il venu s’échouer dans cette misère de la ville ? Il nes’expliquait pas bien ce changement, lui, il ne pouvait pascomprendre encore pourquoi sa mère avait voulu suivre son mari dansce Brest, et habiter un logis sombre et froid, au fond d’une cour,dans une des rues basses avoisinant le port.

Un autre passa ; il battait sa femme,celui-ci, il ne voulait pas se laisser ramener, et c’étaithorrible. Marie poussa un cri, en entendant le bruit creux d’uncoup de poing frappé dans une poitrine ; et puis elle se cachala figure, n’y pouvant rien. Non ! Yves n’en était jamaisarrivé là, lui. Mais est-ce que cela viendrait ? Est-ce qu’ilfaudrait aussi, un de ces jours, descendre jusqu’à cette dernièremisère ?…

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