Mon frère Yves

XVIII

Au bout d’une heure, j’étais au milieu de lacampagne absolument égaré. Autour de moi rien que l’obscurité, lesilence des nuits d’hiver. J’errais dans des sentiersdétrempés ; personne à qui demander ma route, aucun hameau,aucune lumière. Toujours des silhouettes noires d’arbres. Et puis,de loin en loin, des calvaires ; il y en avait de très grandsque je n’avais jamais rencontrés dans ma promenade du jour.

Je rebroussai chemin en courant. Je couruslongtemps dans toutes les directions. Une pluie glaciale commençaità tomber, chassée par le vent qui se levait. Cela m’était égald’être égaré ; seulement j’avais besoin de voir quelqu’und’ami et je me pressais pour essayer de retrouver Yves.

Il devait être fort tard quand je reconnusdevant moi la chapelle de Plouherzel et le lac d’eau marine, oùtombait une lueur de lune, et la masse noire de l’île de granit surl’eau pâle, le dos de la grande bête couchée.

Près de la chapelle, j’entendis des voix. Dansle noir, deux hommes dont l’un athlétique, se tenaient par la mainet se parlaient fort tendrement, à la manière des gens un peugris : Yves et Jean, – et je courus à eux.

Un grand étonnement et une joie de me voir. –Et puis Jean, nous prenant chacun par un bras, nous entraîna tousdeux chez lui.

La chaumière de Jean, isolée aussi, était dansle voisinage de celle d’Yves, mais bien plus grande et pluscossue.

On voyait tout de suite qu’on entrait chez desgens riches : les bahuts et les lits avaient des fermoirsd’acier découpé qui reluisaient comme des armures. Tout au fondétait dressée une cheminée monumentale, où flambait le tronc d’unchêne.

Deux femmes étaient assises devant ce feu,Jeannie, la jeune épouse, et puis la vieille mère en hautecoiffure, filant à son rouet.

C’était une jolie vieille à peindre, la mèrede Jean. Elle avait aussi un peu élevé Yves, qu’elle appelait enbreton son autre enfant et qu’elle embrassa sur les deux joues bienfort.

Les femmes, depuis une heure, étaientinquiètes et veillaient pour les attendre. Elles les reçurent avecindulgence, bien qu’ils fussent gris (c’est l’usage entre amis duservice qui se retrouvent), les grondèrent un peu, puis se mirenten devoir de nous faire à tous trois des crêpes et de la soupe.

Un mauvais vent qui venait de se lever de lamer gémissait dehors, dans le noir de la campagne déserte. De tempsen temps, il descendait par la cheminée, chassant en avant laflamme claire ; alors de petits flocons de cendre très légersse mettaient à danser en rond devant l’âtre, bien bas, en rasant lesol, comme ces mauvaises âmes de nains qui virent toute la nuitautour des Grandes-Pierres.

Nous étions bien devant cette flamme quiséchait nos vêtements trempés de pluie, et nous attendions avecimpatience la bonne soupe chaude qu’on allait nous servir.

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