Mon frère Yves

II

Le 28 août 1851, il faisait, paraît-il, unbeau temps d’été à Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère.

Le soleil pâle de la Bretagne souriait etfaisait fête à ce petit nouveau venu, qui devait plus tard tantaimer le soleil et tant aimer la Bretagne. Yves apparut dans cemonde sous la forme d’un gros bébé tout rond et tout bronzé. Lesbonnes femmes présentes à son arrivée lui donnèrent le surnom deBugel-Du, qui, en français, signifie : petitenfant noir. C’était, du reste, de famille, cette couleur debronze, les Kermadec, de père en fils, ayant été marins au longcours et gens fortement passés au hâle de mer.

Un beau jour d’été à Saint-Pol-de-Léon,c’est-à-dire une chose rare dans cette région de brumes : uneespèce de rayonnement mélancolique répandu sur tout ; lavieille ville du moyen âge comme réveillée de son morne sommeildans le brouillard, et rajeunie ; le vieux granit se chauffantau soleil ; le clocher de Creizker, le géant des clochersbretons, baignant dans le ciel bleu, en pleine lumière, ses finesdécoupures grises marbrées de lichens jaunes. Et tout alentour lalande sauvage, aux bruyères roses, aux ajoncs couleur d’or,exhalant une senteur douce de genêts fleuris.

Au baptême, il y avait une jeune fille, lamarraine ; un matelot, le parrain, et, derrière, les deuxpetits frères, Goulven et Gildas, donnant la main aux deux petitessœurs, Yvonne et Marie, avec des bouquets.

Lorsque le cortège fit son entrée dansl’antique église des évêques de Léon, le bedeau, pendu à la corded’une cloche, se tenait prêt à commencer le carillon joyeux quecommandait la circonstance. Mais M. Le curé, survenant, luidit d’une voix rude :

« Reste en paix, Marie Bervrac’h, pourl’amour de Dieu ! Ces Kermadec sont des gens qui jamais nedonnent rien à l’offrande, et le père dépense au cabaret tout sonavoir. Nous ne sonnerons pas, s’il te plaît, pour cemonde-là. »

Et voilà comment mon frère Yves fit sur cetteterre une entrée de pauvre.

Jeanne Danveoch, de son lit, prêtait l’oreilleavec inquiétude, guettait avec un mauvais pressentiment cesvibrations de bronze qui tardaient à commencer. Elle écoutalongtemps, n’entendit rien, comprit cet affront public etpleura.

Ses yeux étaient tout baignés de larmes quandle cortège rentra, penaud, au logis.

Toute la vie, cette humiliation resta sur lecœur d’Yves ; il ne sut jamais pardonner ce mauvais accueilfait à son entrée dans ce monde, ni ces larmes cruelles versées parsa mère ; il en garda au clergé romain une rancune inoubliableet ferma à notre mère l’église son cœur breton.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer