Mon frère Yves

LXXVII

Toulven, octobre 1881.

… Encore la pâle Bretagne au soleild’automne ! Encore les vieux sentiers bretons, les hêtres etles bruyères. Je croyais avoir dit adieu à ce pays pour longtemps,et je le retrouve avec une singulière mélancolie. Mon retour a étébrusque, inattendu, comme le sont souvent nos retours ou nosdéparts de marins.

Une belle journée d’octobre, un tiède soleil,une vapeur blanche et légère répandue comme un voile sur lacampagne. C’est partout cette grande tranquillité qui estparticulière aux derniers beaux jours ; déjà des senteursd’humidité et de feuilles tombées, déjà un sentiment d’automnerépandu dans l’air. Je me retrouve dans les bois connus deTrémeulé, sur la hauteur d’où on domine tout le pays de Toulven. Àmes pieds, l’étang, immobile sous cette vapeur qui plane, et, auloin, des horizons tout boisés, comme ils devaient l’être au tempsanciens de la Gaule.

Et ceux qui sont là près de moi, assis parmiles mille petites fleurs de la bruyère, ce sont mes amis deBretagne, mon frère Yves et le petit Pierre, son fils.

C’est un peu mon pays maintenant, ce Toulven.Il y a un très petit nombre d’années, il m’était étranger, et Yves,auquel pourtant je donnais déjà le nom de frère, comptait à peinepour moi. Les aspects de la vie changent, tout arrive, setransforme et passe.

Il y en a tant de ces bruyères, que, dans leslointains, on dirait des tapis roses. Les scabieuses tardives sontencore fleuries, tout en haut de leurs tiges longues ; et lespremières grandes ondées qui ont passé ont déjà semé la terre defeuilles mortes.

C’était vrai, ce qu’Yves m’avait écrit :il était devenu très sage. On venait de l’embarquer sur un desvaisseaux en rade de Brest, ce qui semblait lui assurer un séjourde deux ans dans son pays. Marie, sa femme, s’était installée prèsde lui dans le faubourg de Recouvrance, en attendant cette petitemaison de Toulven, qui montait de terre lentement, avec de grosmurs bien épais et bien solides, à la mode d’autrefois. Elle avaitaccueilli mon retour imprévu comme une bénédiction du ciel ;car ma présence à Brest, auprès d’eux, allait la rassurerbeaucoup.

Yves devenu très sage, et, comme cela, tout desuite, sans qu’on sût quelle circonstance décisive l’avait ainsichangé, on avait peine à y croire ! Et Marie me confirmait cebonheur très timidement ; elle en parlait comme de ces chosesinstables, fugitives, qu’on a peur de faire s’envoler rien qu’enles exprimant par des mots.

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