XLIV
Nous nous acheminons tous trois par dessentiers creux, très profonds, qui fuient devant nous sous lecouvert des hêtres et qui sont tout pleins de fougères.
C’est le soir ; le ciel est couvert, etil fait dans ces chemins une espèce de nuit qui sent lechèvrefeuille.
Çà et là sont rangées, au bord, des chaumièresgrises, très antiques, tapissées de mousse.
… Il y en a une d’où part une chanson àdormir, chantée en cadence lente par une voix très vieilleaussi :
Boudoul, boudoul, galaïchen !
Boudoul, boudoul, galaïch du !..
« C’est lui qu’on berce, ditYves en souriant. Voici chez nous. »
Elle est à moitié enfouie et toute moussue,cette chaumière des vieux Keremenen. Les chênes et les hêtresétendent au-dessus leur voûte verte ; elle semble aussiancienne que la terre des chemins.
Au dedans, il fait sombre ; on voit leslits en forme d’armoire alignés avec les bahuts le long du granitbrut des murs.
Une grand-mère en large collerette blanche estlà qui chante auprès du nouveau-né, qui chante un air du temps deson enfance.
Dans un berceau d’une mode bretonned’autrefois, qui, avant lui, avait bercé ses ancêtres, est couchéle petit goéland : un gros bébé de trois jours, tout rond,tout noir, déjà basané comme un marin, et qui dort, les poingsfermés sous son menton. Il a de tout petits cheveux qui sortent deson bonnet sur son front comme des petits poils de souris. Jel’embrasse, et de tout mon cœur, parce que c’est le bébéd’Yves.
« Pauvre petit goéland ! »dis-je en touchant le plus doucement possible ses petits cheveux desouris, « il n’a pas encore beaucoup de plumes.
– C’est vrai, dit Yves en riant. Et puis,regardez », ajoute-t-il en étendant avec des précautionsinfinies la petite patte fermée dans sa main rude, « je nel’ai pas très bien réussi : il n’a pas du tout la peaud’entre-doigts. »
On nous dit que Marie Kermadec est couchéedans un de ces lits dont on a refermé sur elle la petite porte debois à jour, parce qu’elle vient de s’endormir ; nous baissonsla voix de peur de l’éveiller, et nous sortons, Yves et moi, pouraller faire dans le village plusieurs démarches que nécessite lasolennité de demain.