Mon frère Yves

XX

Quand il fallut partir, il se trouva qu’Yvesétait beaucoup plus gris qu’on n’aurait pu le croire. Dehors, ilenfonçait jusqu’au genou dans les flaques d’eau et marchait tout detravers. Pour le ramener, je passai mon bras droit autour de sataille, son bras gauche à lui par-dessus mes épaules, le portantpresque. Nous ne voyions plus rien que le noir intense de lanuit ; un grand vent nous fouettait la poitrine, et, dans cessentiers, Yves ne se reconnaissait plus.

On était inquiet dans sa chaumière, et onveillait pour l’attendre. Sa mère le gronda, de son air dur, enprenant une grosse voix, comme on fait pour gronder les petitsenfants, et lui s’en alla tout penaud s’asseoir dans un coin.

Tout de même on nous obligea de souper uneseconde fois ; c’est la coutume. Une omelette, encore descrêpes, et des tartines de pain bis avec du beurre. Ensuite, onprocéda au coucher de la famille (les hommes d’abord, puis onéteint la lumière, et les femmes se couchent après). Il y avaitsous nos matelas de hautes litières faites d’un amas de branches dechêne et de hêtre ; cela s’affaissait avec un bruit defeuilles sèches, et on se sentait descendre, enfoncer dans un creuxqui vous tenait chaud.

« Hou ! Hououou ! Houhououou ! » faisait le vent dehors, d’une voix dehulotte, avec des aires de se fâcher, de s’indigner, et puis de seplaindre et de mourir.

Quand la chandelle fut éteinte et que lachaumière fut noire, on entendit une voix douce de petite fillecommencer une prière en breton (c’était une toute petite de quatreans qu’on avait recueillie, un enfant que Gildas avait fait à unefille de Plouherzel, lors de son dernier passage au pays). Une trèslongue prière, coupée de répons graves de vieille femme ; tousles saints de la Bretagne : saints Corentin et Allain, saintsThénénan et Thégounec, saints Tuginal et Tugdual, saints Clet etGildas furent invoqués, et puis le silence se fit. Tout près demoi, la respiration à peine perceptible d’Yves, déjà endormi d’unsommeil profond. – Au pied de notre lit, les poules couchées,rêvant tout haut sur leur perchoir. Un grillon donnant de temps àautre, dans l’âtre encore chaud, une mystérieuse petite note decristal. Et puis dehors, autour de la chaumière isolée, toujours cevent : un gémissement immense courant sur tout le paysbreton ; une poussée incessante venue de la mer avec la nuitet mettant dans la campagne un monotone remuement noir, à l’heuredes apparitions et des promenades de morts.

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