Mon frère Yves

LXIV

Petit Pierre est à Plouherzel, qui essaye dejouer devant la porte de sa grand-mère ; – tout dépaysé enregardant là-bas cette nappe d’eau immobile avec cette grande formede bête qui semble dormir au milieu, derrière un voile de brume. Onest bien au grand air ici, mais le vent y est plus âpre qu’àToulven, la campagne plus désolée ; et les enfants sententtout cela d’instinct ; en présence des tristesses des choses,ils ont des mélancolies et des silences involontaires, – comme lespetits oiseaux.

Voilà bien deux petits camarades qui arriventd’une chaumière voisine pour le voir, lui, le nouveau venu. Mais cene sont plus ceux de Toulven, ceux-ci ; ils ne connaissent pasles mêmes jeux ; les quelques petits mots qu’ils savent direne sont plus du même breton. Alors, n’osant pas trop ni les uns niles autres, ils sont là tous trois qui s’observent, avec des petitssourires, avec des petites mines comiques.

… C’est hier que petit Pierre est arrivé àPlouherzel avec Marie Kermadec. Yves a écrit à sa femme de fairebien vite ce voyage ; une idée lui est venue tout d’un coup,un espoir, que cela les réconcilierait peut-être avec sa mère.C’est que la vieille femme, toujours dure et volontaire, aprèsavoir d’abord refusé net son consentement à leur mariage, ne l’adonné ensuite que de mauvaise grâce, et, depuis, ne veut plusseulement faire réponse à leurs lettres.

Pauvre vieille délaissée !… De treizeenfants que Dieu lui avait donnés, trois sont morts tout petits.Sur huit garçons qui ont grandi, tous marins, la mer lui en a prissept, – sept, qui ont disparu dans des naufrages, ou bien qui ontpassé à l’étranger, comme Gildas et Goulven.

Ses filles, mariées, dispersées. Des deux plusjeunes, qui demeuraient au logis, l’une a épousé unIslandais, qui l’a emmenée à Tréguier ; l’autre, latête tournée de religion, s’est mis en l’esprit d’entrer au couventdes Dames de Saint-Gildas du Secours.

Restait la toute petite, l’enfant abandonnéede Goulven. Ah ! elle s’était mise à la chérir,celle-là ! – une fille naturelle, cependant, – mais ladernière épave de ce long naufrage qui lui avait emporté, l’unaprès l’autre, tous les autres. La petite aimait aller regarder lamarée monter, au bord du lac d’eau marine. On le lui avait défendupourtant. Mais, un jour, elle y était allée toute seule, et on nel’a plus vue revenir. La marée suivante a rapporté un petit cadavreraidi, une petite fille de cire blanche, qu’on a couchée près de lachapelle, sous une croix de bois et une bosse de gazon vert.

Elle avait encore un espoir en son fils Yves,le dernier, le plus chéri, parce qu’il était resté le pluslongtemps au foyer… Peut-être, au moins, celui-là reviendrait-ilquelque jour habiter près d’elle !

Mais non, cette Marie Keremenen le lui avaitpris ; et, en même temps, – chose qui comptait aussi dans sarancune, – elle lui avait enlevé l’argent que ce fils lui envoyaitautrefois pour l’aider à vivre.

Et, depuis deux ans, elle était seule, touteseule, jusqu’à son dernier jour.

Pour obéir à Yves, Marie est venue hier, aprèsdeux journées de voyage, frapper à cette porte avec son enfant. Unevieille femme, aux traits durs, qu’elle a reconnue tout de suitesans jamais l’avoir vue, est venue lui ouvrir.

« Je suis Marie, la femme d’Yves…Bonjour, ma mère !

– La femme d’Yves ! la femmed’Yves !… Et, alors, c’est donc le petit Pierre,celui-ci ? C’est donc mon petit-fils ? »

Tout de même son œil s’était adouci enregardant ce petit-fils. Elle les avait fait entrer, bien manger,bien se chauffer, et leur avait préparé son meilleur lit. Mais,c’est égal, c’était toujours un froid, une glace que rien nepouvait fondre.

Dans les coins, en se cachant, la grand-mèreembrassait son petit-fils avec amour ; mais, devant Marie,jamais ! Toujours raide, revêche.

Quelquefois on causait d’Yves, et Marie disaittimidement que, depuis leur mariage, il se corrigeait beaucoup.

« Tra la la la !… secorriger !… » répétait la vieille mère, en prenant sonair mauvais. » Tra la la la, ma fille !… secorriger !… C’est la tête de son père, c’est la même chose,c’est tout pareil, et vous n’avez pas fini d’en voir aveclui ; moi, je vous le dis. »

Alors la pauvre Marie, le cœur gros, nesachant plus que répondre, ni que dire tout le long du jour, ni quefaire d’elle-même, attendait avec impatience le temps fixé par Yvespour repartir. Et, bien sûr, elle ne reviendrait plus.

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