La Femme pauvre

VIII

À sa manière. Assurément ce n’était pas une manière humaine, etle mot miracle aurait pu être employé sansextravagance.

Léopold avait été extrêmement loin de tout cela. Il est vrai quela hauteur de son caractère ne l’avait pas moins éloigné del’antichambre ou de l’écurie du scepticisme.Il croyait, naturellement, spontanément, sansinduction, comme tous les êtres faits pour commander. Sonadmiration sans réserve pour Marchenoir eût été, d’ailleurs,inexplicable autrement.

Mais les passions furieuses, qui avaient fait de lui, dèsl’adolescence, leur château fort, n’avaient eu qu’à se montrer auxcréneaux de sa formidable face pour mettre en fuite les velléitésde recueillement ou de componction qui auraient tenté des’approcher.

Délivré par Clotilde, en une seule fois, de tout ce qui pouvaitfaire obstacle à Dieu, il n’avait eu qu’à laisser toute grandeouverte la porte, si longtemps fermée, par où cette victorieuseétait entrée dans son cœur. Alors, tout ce qui peut liquéfier lebronze des vieilles idoles s’était précipité derrière elle.

Il est raconté que le saint pape Deusdedit guérit un lépreux enlui donnant un baiser. Clotilde avait renouvelé le prodige, aveccette différence qu’elle-même avait été guérie en même temps queson lépreux, et que, désormais, ils n’avaient pas mieux à faire,l’un et l’autre, que de rendre grâces, à n’en plus finir, dans lapénombre d’une petite chapelle d’amour attiédie par une verrière depourpre et d’or où la Passion du Christ était peinte.

De même qu’au Sacrement des malades, médecine du corps et del’âme, dit le rituel, Léopold, béni par le prêtre, juxtaritum sanctæ Matris Ecclesiæ, avait été visité dans tous sessens, touché comme d’une onction sur ses yeux cruels qui n’avaientpas vu la Face de pardon ; sur ses oreilles inattentives quin’avaient pas entendu les « gémissements del’Esprit-Saint » ; sur ses narines de bête féroce quin’avaient pas odoré les fragrances de la Volupté divine ; surle « sépulcre » de sa bouche qui n’avait pas mangé lePain vivant ; sur ses mains violentes qui n’avaient pas aidé àporter la Croix du Seigneur ; sur ses pieds impatients quiavaient marché partout, excepté vers le Saint Tombeau.

Le mot, d’ailleurs si prostitué, de conversion,appliqué à lui, n’exprimait pas bien sa catastrophe. Il avait étépris à la gorge par Quelqu’un de plus fort que lui, emporté dansune maison de feu. On lui avait arraché l’âme et broyé lesos ; on l’avait écorché, trépané, brûlé ; on avait faitde lui un mastic, une espèce de chose argileuse qu’un Ouvrier, douxcomme la lumière, avait repétrie. Ensuite on l’avait jeté, la têteen avant, dans un vieux confessionnal dont les planches avaientcraqué sous son poids. Et tout cela s’était accompli dans un mêmeinstant.

« … Des Splendeurs inconnues, la lumière des Yeux de Jésus,des Voix prodigieuses, des Harmonies qui n’ont pas denom ! » a dit Rusbrock l’Admirable.

La littérature et l’art n’avaient été pour rien dans cetteescalade. Ah ! non, par exemple. Léopold n’était pas del’école des Rares qui découvrent tout à coup lecatholicisme dans un vitrail ou dans un neume du plain-chant, etqui vont, comme Folantin, se « documenter » à la Trappesur l’esthétique de la prière et le galbe du renoncement. Il nedisait pas, à l’instar de cet imbécile, qu’un service funèbre aplus de grandeur qu’une messe nuptiale, persuadé, jusqu’au plusintime de sa raison, que toutes les formes de la Liturgie sontégalement saintes et redoutables. Il ne pensait pas non plus qu’unearchitecture spéciale fût indispensable aux élans de la dévotion etne songeait pas, une minute, à se demander s’il était sous un pleincintre ou sous un tiers-point, quand il s’agenouillait devant unautel.

Il croyait même, avec Marchenoir, que l’Art n’avait pas le pluspetit mot à dire, aussitôt que Dieu se manifestait, et sapente naturelle était dans le sens de l’Humilitéprofonde, ainsi qu’on a pu le vérifier historiquement chez laplupart des hommes d’action organisés pour le despotisme.

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