La Femme pauvre

VI

Gémissante, elle s’était dressée dans les ténèbres. Elledevenait folle d’angoisse, quand cette idée reparaissait avecprécision.

Son aventure avait été d’une banalité désespérante. Elle avaitsuccombé, comme cent mille autres, à l’inamovible trébuchet de laséduction la plus vulgaire. Elle s’était perdue simplement,bêtement, avec un Faublas de ministère qui ne lui avait rien promisni rien donné, pas même le plaisir d’une heure, et dont ellen’avait elle-même rien espéré ni rien attendu.

La vérité crucifiante, c’est qu’elle s’était livrée à unbellâtre quelconque, parce qu’il s’était trouvé sur son chemin,parce qu’il pleuvait, parce qu’elle avait le cœur et les nerfsmalades, parce qu’elle était lasse à mourir de l’uniformité de sestourments et, probablement aussi, par curiosité. Elle ne savaitplus. C’était devenu tout à fait incompréhensible.

Et quelle odieuse platitude en cette intrigue de stationsd’omnibus et de restaurants à prix fixe ! Sa meilleure excuse,peut-être, avait été, – comme toujours, hélas ! – l’illusionfacilement procurée à une fille si malheureuse par un homme bienvêtu et dont la politesse paraissait exquise, – mirage de viesupérieure qui, pendant une minute, alla jusqu’àl’éblouissement.

La liaison avait duré quelque temps et, par noblesse de cœur,par fierté, pour ne pas être une prostituée, bien qu’il la secourûtà peine, elle s’était efforcée consciencieusement d’aimer ce garçondont elle sentait si bien l’égoïsme et la prétentieusemédiocrité.

C’était difficile, mais elle croyait avoir réussi, sans doutepar un effet de cette impulsion, plus mystérieuse qu’on ne lesuppose, qui ramène si souvent les abandonnées ou les fugitives aupremier homme qui les posséda.

Mais maintenant, ah ! maintenant, surtout, après desannées, c’était bien fini. Il ne lui restait plus qu’un intolérabledégoût pour le misérable amant dont elle aurait accepté l’âmeétroite, mais dont l’étonnante lâcheté l’avait saturée de tous lescrapauds du mépris et de l’aversion.

Le triste roman s’était ainsi dénoué. Chapuis, non encorecomplètement ruiné, et, d’ailleurs, indifférent, mais poussé par lavieille qui s’avisa tout à coup de l’improductive contamination deson enfant, vint trouver un jour le jeune homme a son bureau et,d’un air très doux, lui notifia qu’on aurait le regret decompromettre son avancement par un esclandre fabuleux, s’iln’offrait pas un dédommagement à la famillerespectable « au sein de laquelle il avait introduit la honteet le déshonneur ».

On n’exigeait pas précisément le mariage, parce qu’on avait desvues plus hautes que l’alliance d’un petit employé sans fortune etsans avenir, mais le vieux renard avait apporté du papiertimbré.

Le suborneur, plein d’inexpérience et d’effroi, souscrivitd’étranges billets payables de mois en mois pour une somme assezfantastique, – valeurs reçues en marchandises –,dont le recouvrement s’opéra d’une façon régulière, jusqu’au jouroù les parents du jeune homme intervinrent et menacèrent à leurtour le balancier de désobligeantes poursuites en escroquerie.

La honte et le désespoir de Clotilde furent infinis, carChapuis, espérant, vraisemblablement, une défaite plus avantageusede la jolie fille dont il se croyait l’armateur, avait exigé larupture immédiate sous forme de lettre insultante que le Lauzun dela Sandaraque avait noblement écrite sous sa dictée.

Trahie, vendue, outragée et goujatement lapidée d’ordures parcelui même à qui elle avait sacrifié son unique fleur, quelchâtiment rigoureux pour la folie d’un seul jour !

Et sa mère, dont elle voyait la main dans tout cela, sonhorrible mère, qui avait fait semblant de ne rien savoir, aussilongtemps qu’elle avait ignorél’insignifiance commerciale de ces déplorablesamours, – pourquoi fallait-il que la plus diabolique nécessité lacontraignit à vivre encore auprès d’elle ?

Il y eut une scène affreuse où la puante mégère, acculée àl’aveu de ses infamies, imagina de se réfugier en d’effroyablesclameurs d’agonie qui firent penser aux voisins que le balancierassommait sa femme.

Le drôle, au contraire, menaçait de tuer Clotilde qui s’enprenait surtout à lui dans le déchaînement de sa colère, la plusgrande peut-être, sinon la première qu’elle eût jamais eue.

Puis, ce fut fini. La profonde personnalité de la jeune fillecontinua de subsister par-dessous les ensablements monotones et lesmarécages désolés de son apparente vie terrestre, et par-dessousles effrayantes eaux souterraines de son repentir, – semblable àces cryptes miraculeuses qui sont cachées au centre du globe etqu’une seule goutte de lumière ferait autant resplendir que lesbasiliques des cieux.

Elle parut avoir tout oublié. Sa douceur devint plus touchante,surtout lorsqu’elle parlait à sa mère en baissant les yeux pour nepas la voir, ce qui lui valut de cette digne salope le surnom defille hypocrite.

Seulement, à force de souffrir, sa grande vigueur s’altéra. Lesstryges de l’anémie dévorèrent ses couleurs charmantes et elledevint pâle comme l’humilité même. Elle n’eut bientôt plus la forcede supporter les fatigues de cet écrasant métier de vendeuse dansun grand bazar qui avait remplacé l’intoxication quotidienne de ladorure.

Enfin, on dut l’emporter à l’hôpital, où le chef de servicequ’elle intéressait dit un jour sévèrement à Chapuis, venu pour lavoir, que cette jeune fille étant malade, et même assez gravement,par suite des chagrins qu’on lui faisait endurer dans sa famille,il lui conseillait, à l’avenir, de prendre garde, – pour lui-même,– aux conséquences redoutables de brutalités nouvelles.

Cet avertissement eut l’effet céleste d’épargner, un peu plustard, à la convalescente, les scènes ou les injures abominables quen’aurait pas manqué de lui attirer sa faiblesse extrême, et c’estainsi qu’elle avait pu croupir de longs mois dans le vermineuxtaudion.

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